Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 11h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Merci, madame la présidente, merci, chers anciens collègues, de votre accueil. En quelques jours, je suis passée du statut, formidable, de députée à celui, tout aussi formidable et tout aussi passionnant – et très exigeant –, de secrétaire d'État chargée des affaires européennes. C'est un immense honneur et un défi considérable, eu égard à la complexité des enjeux européens pour notre pays et pour notre continent. J'espère être à la hauteur.

J'ai souhaité me rendre devant votre commission très rapidement après ma prise de fonctions et ces discussions sur le Brexit au Conseil européen d'hier, parce que je pense extrêmement important de mieux associer la représentation nationale, en particulier cette commission qui fait vivre les valeurs démocratiques de l'Union et qui fait le lien entre les citoyens français – que vous, parlementaires, représentez – et l'Union européenne. Ce rouage est trop souvent méconnu, au point de donner l'impression d'un fonctionnement uniquement administratif, là où il est profondément démocratique et animé par le travail des États membres. Je souhaitais donc venir partager avec vous la teneur des discussions et les conclusions du Conseil européen qui s'est terminé la nuit dernière. Vous le voyez, je reste fidèle à l'engagement qui était le mien en tant que députée d'associer au mieux la représentation nationale et de lui permettre une évaluation la plus proche et la plus continue possible de l'action du Gouvernement.

Le 21 mars dernier, le Conseil européen avait décidé d'étendre la période de deux ans avant la sortie du Royaume-Uni pour permettre à Mme May d'obtenir le soutien de la Chambre des communes sur l'accord de retrait et sur la vision des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ces débats parlementaires n'ont pas permis à la Première ministre d'atteindre ses objectifs, malgré trois votes sur l'accord de retrait. Certes, l'écart était moins important – le 29 mars, l'accord n'a été rejeté que par une majorité de 58 voix, contre 230 le 15 janvier –, les choses ont progressé mais, si nous étions sûrs d'une chose, c'est que le Parlement britannique dirait, d'une part, qu'il ne voulait pas d'un retrait sans accord et, d'autre part, qu'il n'était pas en mesure de se déterminer en faveur d'une solution à ce stade.

Ce blocage a conduit la Première ministre à enclencher deux processus. D'une part, elle a annoncé une discussion dite « d'union nationale », et, pour la première fois depuis deux ans et demi, a cherché activement et publiquement à échanger avec l'opposition et le parti travailliste. D'autre part, elle a demandé le 4 avril dernier, par une lettre au président du Conseil européen, une nouvelle prolongation, jusqu'au 30 juin 2019, de la période de négociation pour qu'un accord puisse être trouvé sur les modalités du retrait. C'était l'objet de nos discussions d'hier et de la nuit dernière, puisque, faute de nouvelle extension, le Royaume-Uni aurait dû sortir de l'Union européenne demain vendredi 12 avril.

J'aimerais d'abord rappeler comment nous sommes entrés dans cette négociation hier, les principes que nous avons posés et les conditions, en tout cas les objectifs, que nous nous sommes fixés. À nos yeux comme à ceux de tous les Européens, la meilleure solution est bien la ratification de l'accord de retrait, et nous visons une sortie ordonnée du Royaume-Uni avec une période de transition qui nous mènera normalement au moins jusqu'au 31 décembre 2020 et, potentiellement, sous certaines conditions, jusqu'à la fin de l'année 2022. Nous ne rejetons pas et nous n'avons pas rejeté par principe des demandes d'extension. La France n'est pas arrivée en affirmant une hostilité à une extension, mais nous avons dit qu'il y avait des conditions et des limites, et que nous ne cherchons certainement pas à étendre à tout prix le délai. Nous avons bien dit – je l'ai d'ailleurs indiqué lors des questions au Gouvernement la semaine dernière – que l'extension n'était en rien acquise ni automatique, et qu'elle devait donc être assortie de conditions très strictes.

Les Vingt-Sept se sont donc réunis hier soir, après avoir échangé avec Theresa May, et le Président de la République – je pense qu'il faut vraiment le présenter comme cela – a obtenu, après de longues discussions, un compromis : une nouvelle extension est bien accordée par le Conseil européen jusqu'au 31 octobre 2019, mais trois conditions devaient être réunies, qui ont été réunies.

La première condition, c'est d'abord le respect du résultat du référendum britannique de 2016. Nous considérions effectivement qu'une extension très longue, jusqu'au 31 décembre ou même jusqu'au mois de mars 2020, comme certains le proposaient, avec l'organisation automatique d'élections européennes, aurait été comprise par une partie de l'opinion publique britannique, mais aussi dans nos pays membres, comme une volonté de l'Union d'entraver la sortie du Royaume-Uni en retardant le plus possible la décision, dans l'espoir que les Britanniques changent d'avis. Nous savons trop, dans notre pays, combien l'Union européenne est parfois perçue comme un mécanisme qui se fabrique contre l'avis des peuples. Il nous semble extrêmement important de le rappeler : si les Britanniques, on le sait, ont organisé un référendum dans des conditions que beaucoup ont contestées ou déplorées, ils n'en ont pas moins fait un choix souverain. Il nous semblait absolument essentiel de souligner ce fait. Nous, États membres ou institutions européennes, ne pouvons pas décider à la place des Britanniques d'aller contre l'expression démocratique, qui a eu lieu en 2016. Nous pensons que l'organisation des élections européennes serait assez baroque, comme l'a dit le Président de la République, puisqu'ils veulent sortir, mais c'est un choix qui appartient aux Britanniques et qui ne doit pas venir de nous. Nous n'avons pas à imposer au Royaume-Uni d'organiser ces élections, mais si elles ne se tiennent pas, le Royaume-Uni aura, de fait, quitté l'Union européenne le 1er juin – cela figure dans les conclusions du Conseil. À défaut, un risque juridique s'attacherait aux décisions du Parlement puisqu'on pourrait considérer que le Parlement européen s'est formé dans des conditions qui ne respectent pas le cadre de l'Union européenne. Tel est donc le premier élément : respecter le vote britannique et ne pas nous mettre en position de décider pour le Royaume-Uni et d'une certaine manière contre le choix exprimé en 2016.

La deuxième condition, extrêmement importante, est la protection des intérêts de l'Union et des citoyens européens. Il est pour nous fondamental que la construction européenne et notre projet européen puissent avancer et que nous puissions, dans ce temps collectif des différents conseils et du Conseil européen, échanger et travailler sur d'autres sujets. Vous connaissez la feuille de route du discours de la Sorbonne et un certain nombre de textes sont encore en train d'être discutés. Dans l'intérêt des peuples, nous ne voulions pas permettre une quelconque forme d'obstruction sur les projets et sur les solutions concrètes que nous devons continuer à faire avancer au niveau européen. De ce point de vue, nous nous étions interrogés publiquement sur le sens qu'aurait, aux yeux des citoyens britanniques et des citoyens européens, la présence d'un commissaire britannique dans le nouveau collège de la Commission, qui doit être formé au mois de novembre prochain. Nous nous étions aussi interrogés sur la capacité que pourrait avoir le Royaume-Uni à se prononcer au sein des institutions européennes sur des décisions qui ne le concernent plus puisqu'elles devraient normalement s'appliquer une fois qu'il serait parti, notamment le cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Nous avons donc obtenu les garanties nécessaires. Si les élections ne se tiennent pas au Royaume-Uni, il sera, de fait, sorti de l'Union européenne le 1er juin prochain. Si les élections se tiennent, la date retenue est celle du 31 octobre, qui coïncide avec la fin du mandat de l'actuelle Commission, ce qui règle la question de la présence d'un commissaire britannique, et nous place avant le début des travaux de substance – c'est le 1er novembre que les travaux législatifs européens concrets reprennent avec la nouvelle Commission et le Parlement nouvellement organisé. L'idée, défendue avec force par notre délégation, était que nous puissions nous dire que le mandat de la nouvelle Commission commence dans un cadre clair.

Les conclusions du Conseil de cette nuit reprennent également l'obligation de coopération loyale, qui est celle du Royaume-Uni. De ce point de vue aussi, la date du 31 octobre prochain est protectrice, puisqu'il n'y a pas de Conseil européen prévu entre le mois de juin et le mois d'octobre, et nous considérons que le Conseil européen pourra également continuer de se réunir à vingt-sept pour examiner la question du Brexit, majeure, mais également d'autres sujets sur lesquels il voudrait se réunir sans la présence du Royaume-Uni. Cela a également été ajouté aux conclusions : les Vingt-Sept peuvent décider à l'unanimité, sur une thématique donnée, si cela engage le futur de l'Union, de se réunir entre eux d'ici au 31 octobre prochain.

Le dernier principe que nous avons posé est la clarté du choix. Les Britanniques devront d'abord décider s'ils organisent ou pas les élections européennes et s'ils trouvent ou non un accord à la Chambre des communes. Mme May s'est engagée politiquement dans une voie nouvelle en lançant le 2 avril dernier des consultations avec Jeremy Corbyn pour faire ratifier l'accord de retrait et obtenir un consensus transpartisan sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union. Cela peut aller dans le sens d'une association plus étroite que ce qui avait été envisagé dans le cadre de la déclaration politique telle qu'elle existe aujourd'hui. Nous pensons qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que cette proposition se traduise concrètement mais nous notons également que c'est une première depuis des décennies dans un système politique britannique bipartisan qui ne pratique pas le consensus.

Il fallait aussi trouver une solution claire pour les Européens. À nos yeux, nous y sommes, puisque – le président de la République l'a redit – nous serons fixés le 31 octobre : soit le Royaume-Uni sera sorti de façon ordonnée, dans le cadre de l'accord de retrait, dont la négociation, nous l'avons bien rappelé, ne peut être rouverte ; soit il aura renoncé à sortir, la Cour européenne de justice ayant accordé au Royaume-Uni le droit unilatéral de retirer sa demande de sortie ; soit nous aurons eu à constater une sortie sans accord le 1er juin prochain, ou nous la constaterons le 31 octobre. Nous ne pouvons en effet pas exclure totalement une sortie sans accord le 1er juin si le Royaume-Uni n'a pas organisé d'élections européennes d'ici là.

Le Gouvernement et l'ensemble des élus locaux ne baisseront pas la garde. Nous savons que, du point de vue européen, le travail de préparation d'une sortie sans accord, a été mené extrêmement activement. La Commission européenne a publié hier une nouvelle communication sur le sujet, qui rappelle les dix-neuf propositions législatives européennes adoptées, dans des domaines aussi divers que les transports, la participation du Royaume-Uni au programme de l'Union pour 2019, la continuité du programme Erasmus+, et un accord a été trouvé au cours des derniers jours pour que les Britanniques soient exemptés, sous condition de réciprocité, de visas de court séjour. Un certain nombre d'actes ont donc été accomplis au cours des dernières semaines pour que, le cas échéant, une sortie sans accord se passe dans les meilleures conditions possible.

Au niveau national aussi, nous sommes extrêmement bien préparés. Six ordonnances ont été adoptées sur le fondement de la loi d'habilitation du 19 janvier dernier. Les infrastructures, notamment portuaires, ont été largement améliorées et développées, particulièrement à Calais, pour réaliser des contrôles en cas de rétablissement des frontières. Je serai dès demain à Calais pour constater sur le terrain qu'effectivement tout est prêt, que ce soit du point de vue des douanes, de celui de la police aux frontières ou de celui des infrastructures portuaires, et nous mettrons ce nouveau délai à profit pour améliorer encore ce qui peut être amélioré.

Notre préoccupation prioritaire est la situation de nos compatriotes au Royaume-Uni, comme j'ai pu l'indiquer la semaine dernière en réponse à M. Alexandre Holroyd lors des questions au Gouvernement. Je me rendrai également à Londres, très prochainement, et nous avons fait passer des messages très clairs aux autorités britanniques pour que les engagements pris en matière de statut et de conditions de séjour de nos ressortissants au Royaume-Uni soient tenus.

Nous devrons également avancer sur les mesures de soutien financier, là où les conséquences d'un retrait sans accord seraient plus fortes. Cela concerne en particulier le secteur de la pêche. Comme je l'avais fait moi-même au Conseil des affaires générales mardi dernier et en lien avec Michel Barnier, le Président de la République a rappelé que la préservation des intérêts des pêcheurs français et européens est une priorité et qu'un travail intense sera nécessaire pour que nous parvenions un accord sur la question de l'accès aux eaux territoriales. Si vous avez des questions, j'y reviendrai peut-être plus en détail, mais je me rendrai également demain à Boulogne-sur-Mer pour rencontrer et rassurer les pêcheurs, les mareyeurs, les transporteurs. L'engagement de la France en vue de la négociation d'un accord global entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sur l'accès aux zones de pêche sera total.

Voilà donc les derniers développements que je voulais vous présenter en priorité. Je reste ouverte à vos questions, y compris sur d'autres sujets, notamment l'État de droit, le cadre financier pluriannuel, la pêche et tous les autres enjeux européens, foisonnants, passionnants et essentiels.

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