Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 11h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Tout d'abord, je vous remercie tous de vos encouragements. Le défi est considérable et je sais pouvoir compter sur votre soutien. On ne fait pas avancer l'Europe seul, même si on le voudrait. Ma présence ce matin devant vous en témoigne : ce n'est qu'ensemble que nous pourrons avancer, et votre rôle est également très important, mesdames et messieurs les députés.

Monsieur Mendes, nous avons abordé, lors du Conseil « Affaires générales », les questions de l'État de droit en Pologne et de l'État de droit en Hongrie. Dans les deux cas, la France et l'Allemagne ont fait une déclaration conjointe. Mon collègue Michael Roth s'est exprimé sur la Hongrie, et je me suis exprimé au nom de nos deux pays à propos de la Pologne.

En Hongrie, nous sommes préoccupés par les évolutions autour de la Central European University (CEU) de Budapest et sa capacité à délivrer des diplômes étrangers sur le sol hongrois. Nous avons également abordé la liberté de la presse, et nous avons cherché à affirmer que nous voulons commencer la procédure de l'article 7 du Traité sur l'Union européenne au sein du Conseil. La réponse de mon homologue hongroise a été longue, précise, fournie, et nous avons pu constater que les éléments qui, aujourd'hui, en fait, posent le plus de problèmes sont actuellement examinés par la Cour européenne de justice et donneront probablement lieu à des décisions. Nous souhaitons toutefois commencer la procédure de l'article 7 au sein du Conseil « Affaires générales ». Pour ce qui est de la Pologne, nous souhaitons que la procédure se poursuive. Se pose particulièrement la question des magistrats, du système juridique, de l'indépendance des juges et du régime disciplinaire des juges, notamment au niveau de la Cour suprême.

Le cas de la Roumanie n'a pas été abordée lors du Conseil « Affaires générales », mais vous avez sans doute vu que les ambassades à Bucarest ont fait la semaine dernière une déclaration commune s'inquiétant de mesures qui pourraient également s'appliquer au système judiciaire. Une nouvelle ordonnance d'urgence permettrait que des personnes ayant fait l'objet d'une condamnation définitive, par exemple pour des faits de corruption, bénéficient d'une nouvelle voie de recours et soient, le cas échéant, amnistiées. L'adoption d'une telle mesure serait particulièrement incompréhensible, au moment même où la Roumanie préside les travaux du Conseil de l'Union. À ce stade, c'est au niveau de nos ambassades que s'exerce notre vigilance à propos de la Roumanie, comme en témoigne cette déclaration de plus d'une dizaine de nos ambassadeurs.

À mes yeux, le sujet de l'État de droit doit être abordé de trois manières différentes.

Tout d'abord, il y a les procédures du traité : l'article 7 et les procédures de la Cour européenne de justice qui doivent pouvoir se poursuivre en respectant la lettre et l'esprit des textes. Ensuite, il s'agit d'exercer une vigilance politique et mutuelle. La Belgique et l'Allemagne ont proposé une revue par les pairs, qui permette de sortir du formalisme imposé par l'article 7 et d'avoir de manière régulière des échanges sur les pratiques des uns et des autres et un certain nombre de sujets qui relèvent de ce qu'on appelle l'État de droit en général. J'ai rappelé ce point lors du Conseil des affaires générales de mardi dernier. Nous souhaitons pouvoir avancer en ce sens et cette position française est soutenue par l'Allemagne et la Belgique.

Le troisième aspect, plus général, a trait à la convergence, qui a trop longtemps été abordée sous l'angle des infrastructures et des flux financiers ; on estimait que les fonds de cohésion suffiraient à la créer et que l'acquis communautaire, qui fixe des principes dans les textes, lui permettrait de se poursuivre. Sur ce point, la position française est très claire : la convergence ne s'achète pas. Elle ne saurait être nourrie par les seuls flux financiers. Il faut donc établir des conditions démocratiques, sociales et fiscales pour que les flux financiers se poursuivent en s'inscrivant dans le cadre financier pluriannuel. Si les conditions de la dépense des fonds européens ne correspondent pas aux règles de l'État de droit, il va de soi qu'il sera très difficile à l'Union d'engager des fonds dans des pays exposés aux risques de corruption, de malversation, de détournement, ou au risque que les fonds ne soient sciemment pas versés à certaines régions ou minorités.

Voilà le cadre dans lequel nous travaillons. Suite à la déclaration conjointe franco-allemande, plusieurs pays ont souhaité s'exprimer brièvement pour afficher leur soutien à notre position commune. Je fais mien l'objectif de continuer à consolider une majorité autour de ces enjeux afin que nous puissions avancer.

Je vous remercie également pour les mots que vous avez eus à mon endroit, monsieur Bourlanges, en précisant que je reste déterminée à apprendre auprès de ceux qui m'ont précédée et qui ont agi en faveur de l'Europe. Au fond, vous doutez sinon de la sincérité de la position britannique, du moins de la confusion juridique qui pourrait naître de la présence de députés britanniques au Parlement européen, de la clarté des décisions à venir et de la viabilité de la date du 31 octobre. Hier, ont été fixées deux dates effectives plutôt qu'une échéance politique. La date du 30 juin est politique, comme l'ont dit Theresa May et l'ensemble des responsables politiques britanniques, et n'a aucun fondement juridique en droit européen ; elle est au fond assez arbitraire. En revanche, les deux dates que nous avons retenues, le 1er juin et le 31 octobre, correspondent à deux moments politiques importants. Si l'élection ne s'est pas tenue, le Royaume-Uni, par définition, ne sera plus membre de l'Union au 1er juin. Le 31 octobre correspond à la date à laquelle les travaux de la nouvelle Commission et du nouveau Parlement commenceront : le collège des commissaires se réunira sans membre britannique. Avons-nous des garanties que les Britanniques, s'ils sont représentés au Parlement européen, ne prendront pas part aux décisions ? À ce stade, suite aux décisions du Conseil, la réponse n'est pas positive, pour la simple et bonne raison que si le Conseil avait statué sur les procédures internes du Parlement européen, il en aurait là aussi résulté une profonde confusion juridique. De surcroît, pour modifier les choses, il faudrait réviser le droit primaire, c'est-à-dire le traité. Or la ratification d'une révision du traité dans les délais qui s'imposent à nous semble très difficile.

L'enjeu, pour moi, consistera à suivre de très près l'application des paragraphes 7 et 8 des conclusions de la réunion du Conseil d'hier soir : « Le Conseil européen prend acte de l'engagement du Royaume-Uni d'agir de manière constructive et responsable tout au long de la prorogation conformément au devoir de coopération loyale, et il attend du Royaume-Uni qu'il respecte cet engagement et cette obligation prévue par le traité d'une manière qui corresponde à sa situation d'État membre qui se retire. À cet effet, le Royaume-Uni doit faciliter l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union, en particulier lorsqu'il participe aux processus décisionnels de l'Union ». Le paragraphe 8, quant à lui, est ainsi rédigé : « En plus de tenir des réunions au titre de l'article 50 du Traité sur l'Union européenne, les vingt-sept États membres et la Commission, […] continueront de se réunir séparément à tous les niveaux pour débattre de questions liées à la situation qui se présentera après le retrait du Royaume-Uni », c'est-à-dire de tous les enjeux futurs.

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