Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 11h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Ayant passé une partie de mon enfance à Calais, monsieur Pont, il est vrai que je connais la côte d'Opale où je retournerai demain avec beaucoup de plaisir en dépit des circonstances difficiles. Les pêcheurs sont inquiets, en effet. Ils craignaient une sortie sans accord dès demain, le 12 avril ; ce scénario ne se produira pas. Je comprends néanmoins qu'il est extrêmement important de rassurer, en partie en raison d'une forme d'incompréhension de ce que signifie le Brexit pour les pêcheurs. Nous nous employons à ce que les choses se fassent de manière ordonnée. Dès lors que ce sera le cas, les pêcheurs pourront continuer d'accéder aux eaux britanniques au moins jusqu'au 31 décembre 2020 et, en cas de prorogation de la période de transition pour ce secteur, jusqu'au 31 décembre 2022. Notre objectif à tous consiste à ce que les pêcheurs puissent poursuivre leurs activités dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui pendant les trois prochaines années pleines. Il est très important de le rappeler pour éviter la confusion qui semble naître entre le Brexit et la fin de la capacité qu'auront les pêcheurs de poursuivre leurs activités – ce n'est pas le cas. Cette situation ne se produira qu'en cas de sortie sans accord – ce dont le Royaume-Uni a la possibilité s'il ne prend pas les décisions politiques et parlementaires qui s'imposent de son côté. Quant à nous, nous n'avons aucun plan caché ni aucune volonté que ce scénario se réalise.

Ensuite, lors du Conseil « Affaires générales » de mardi dernier, Michel Barnier a affirmé en toute clarté, à ma demande, l'ambition qu'a l'Union européenne après le départ du Royaume-Uni de parvenir au plus vite à un accord sur la pêche dans le cadre des relations futures. J'insiste sur le fait que cet accord liera l'Union et le Royaume-Uni, car le plus grand danger pour nos pêcheurs serait que les pays qui ont accès à la mer du Nord et à la Manche négocient des accords bilatéraux sur l'accès aux eaux ou sur la transformation. Pour moi, l'objectif est double : confirmer le fait que la négociation portera sur un accord entre l'Union et le Royaume-Uni conclu au sein d'un ensemble, et faire vite. Pour un acteur économique qui doit consentir des investissements, en effet, une fenêtre d'activité jusqu'au 31 décembre 2020 voire au 31 décembre 2022 n'a rien à voir avec la garantie d'une viabilité économique à long terme. Nous devons gagner en prévisibilité.

Dès les jours prochains, j'ai l'intention, avec Didier Guillaume qui est chargé de la question de la pêche et qui conduit les travaux au Conseil agriculture avec beaucoup de force, d'envisager la meilleure stratégie à mettre en oeuvre au niveau européen afin que nous nous préparions, dès que nous pourrons évoquer la relation future – ce qui n'est pas le cas, comme le précisent les conclusions de la réunion d'hier soir, et qui ne le sera pas tant que la sortie n'est pas constatée –, à mettre au point une stratégie collective efficace.

Deux éléments majeurs ont tout de même été confirmés ces dernières semaines. Le premier concerne la capacité du pôle de transformation de Boulogne-sur-Mer à continuer de fonctionner avec efficacité : il est confirmé, avec l'accord de la Commission, que tous les contrôles phytosanitaires des produits de la mer importés du Royaume-Uni se feront à Boulogne, afin d'éviter d'avoir à effectuer un contrôle physique à Calais avant la transformation à Boulogne, d'où il résulterait des risques sanitaires et des coûts logistiques importants. C'est une très bonne nouvelle qui sécurise le pôle de transformation de Boulogne.

Deuxième point : le corridor – je me réjouis que l'ambassadrice d'Irlande se soit rendue dès aujourd'hui à Boulogne. Il est confirmé que le traitement des files logistiques ne sera pas le même pour les produits arrivant du Royaume-Uni et pour ceux qui, arrivant d'Irlande, transitent par le Royaume-Uni pour de simples raisons géographiques. Ces décisions ont été préparées avec les installations portuaires et la Commission.

Sur ces points, je rencontrerai demain les acteurs de la filière de la pêche à Boulogne. Je tiens à cet échange parce qu'il faut apporter de la clarté, et les travaux de la nuit dernière montrent qu'il n'y a aucune précipitation et que le président de la République est extrêmement attaché à ce que les Britanniques conservent la main sur le processus politique dans lequel ils sont entrés.

La solution retenue est-elle la meilleure, madame Janvier, étant donné le flou temporel et juridique qui règne ? Depuis le début, Michel Barnier a été très clair concernant l'importance du séquençage temporel des discussions et du respect d'un certain nombre de rendez-vous. L'accord trouvé est certes un compromis, mais il est essentiel que nous conservions une borne temporelle. Il nous semblait donc important de fixer cette limite afin que les décisions difficiles d'union nationale et de négociation transpartisane au Royaume-Uni soient bornées dans le temps – car le plus souvent, lorsque l'on dispose d'un temps infini devant soi, il ne se passe rien. C'est dans cet esprit que nous travaillons à imposer une borne temporelle réaliste – tout ne sera pas réglé dans vingt-quatre heures – mais pas trop éloignée.

Il est rarement fait référence au beurre et à l'argent du beurre pendant les longues soirées européennes, monsieur Simian. L'enjeu du vin est sectoriel : comment continuer de commercer, comment assurer une logistique efficace, comment assurer les contrôles ? En l'absence d'accord, le Royaume-Uni détaxerait pendant un an 87 % de ses importations de vins, dont les vins français. À court terme, nous devons faciliter la transition dans le cadre d'un accord, puis le secteur du vin entrera dans le cadre général du débat sur les relations futures et sur l'organisation de nos relations commerciales. Plusieurs responsables politiques prônent désormais l'union douanière… Les solutions alternatives que vous proposez sont sans doute pertinentes sur le plan sectoriel mais il ne m'appartient pas de me prononcer – car tous les secteurs économiques ont des spécificités commerciales, ce qui montre l'ampleur de la tâche et l'importance qu'il y a à trouver un cadre permettant d'avancer.

Vous m'avez ensuite interrogé sur le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). J'ai défendu un point de vue exactement similaire au vôtre lors du Conseil « Affaires générales », au cours de la discussion sur le cadre financier pluriannuel. L'aide alimentaire telle qu'elle est pratiquée par certaines associations est essentielle à la vie quotidienne d'un certain nombre de nos concitoyens. Ces fonds européens financent aujourd'hui à peu près un quart des repas servis par les Restos du coeur, par exemple. Il y a, dans cette démarche, une façon très concrète d'incarner une Europe qui protège et met ses moyens en commun pour lutter contre la pauvreté. Nous sommes extrêmement engagés pour que le cadre financier post-2020 poursuive cette action. La Commission a proposé d'organiser et de structurer un nouveau fonds, dit Fonds social européen Plus (FSE+), qui puisse rassembler les actions sociales de l'Union. Nous comprenons très bien les arguments avancés par la Commission européenne, mais nous resterons très vigilants sur l'enveloppe finale allouée aux plus démunis. Les associations en dépendent et nous pensons qu'il est important qu'il y ait, dans le cadre financier pluriannuel, un fléchage minimal du nouveau programme vers les plus démunis. Il faut définir un plancher et non pas un plafond, de sorte que chacun puisse conserver la possibilité d'allouer un montant souhaité à l'aide aux plus démunis, au sein d'une enveloppe plus globale.

Il s'agit de considérer que chaque pays reçoit un montant donné, dont un minimum est alloué à l'aide aux plus démunis, telle qu'elle se pratique aujourd'hui ; cependant, chaque État membre doit jouir d'une certaine flexibilité dans l'allocation des fonds. Nous cherchons également à nous assurer que les enveloppes seront maintenues au moins à niveau constant pour les acteurs associatifs, une fois l'organisation budgétaire européenne modifiée. Comme vous le voyez, c'est un sujet sur lequel j'ai déjà pris position au sein du Conseil « Affaires générales ». En ce domaine, nous resterons extrêmement vigilants, puisqu'au-delà de la tuyauterie budgétaire, il y va d'un acte politique fort, celui de marquer que l'Europe agit pour les citoyens qui, dans leur vie quotidienne, ont besoin de soutien.

Monsieur Anglade, je ne me lancerai pas dans une discussion générationnelle. Je crois que nous avons toujours beaucoup à apprendre de ceux qui nous ont précédés. Ne dit-on pas que l'on est souvent assis sur les épaules de géants ? Je puis vous dire qu'en regardant quels ont été mes prédécesseurs, cette impression est réelle chez moi.

Je partage en revanche avec vous l'observation que l'Europe est très méconnue dans ses actions concrètes. Au fond, on apprend souvent, dans les écoles, comment fonctionnent les institutions, mais on parle assez peu de ce que l'Europe produit, de la manière dont elle agit concrètement. Je reste très interpellée par le fait que, dans le budget actuel de l'Union européenne, près de trois quarts des fonds, tels les fonds de cohésion et de la politique agricole commune (PAC) ou les fonds dédiés au développement rural, sont destinés à des actions concrètes de l'Union européenne qui se déploient dans les régions où le sentiment d'adhésion européen est souvent le plus faible ! Il y a un grand décalage entre l'action concrète de l'Europe et sa perception chez ceux qui en bénéficient le plus sur le plan territorial. Cet état de fait doit nous interroger lorsque nous construisons les priorités de l'action européenne : il faut pouvoir dépasser l'idée que c'est par l'aspect financier qu'on crée une convergence et un sentiment européens. Nous devons vraiment réfléchir à ce contraste entre l'argent européen déployé sur les territoires et l'adhésion au projet, voire même la seule connaissance du fonctionnement européen.

Nous avons échangé sur ce point lors du déjeuner avec mes homologues du Conseil « Affaires générales ». L'une de mes homologues a avancé une idée intéressante : peindre en bleu, dans notre environnement, l'intégralité des objets que nous voyons, lorsqu'ils ont un lien avec l'Union européenne, par exemple l'air que nous respirons – dont la qualité est régie par des normes européennes – ou encore l'eau que nous buvons – qui dépend elle aussi de normes européennes – ou encore la sécurité des téléphones… Le monde entier qui nous entoure serait bleu ! Pourtant, cette perception n'est pas la perception réelle, laquelle pourrait d'ailleurs engendrer beaucoup de questionnements de la part de nos concitoyens.

L'environnement est effectivement une très bonne thématique européenne. Car nous savons que l'Europe est l'échelle pertinente pour faire avancer le sujet de la transition écologique et climatique, tant en termes d'investissement que de capacité à réguler ou réduire l'impact du changement climatique. Par exemple grâce à la Banque européenne du climat ou grâce au fait que chacune des institutions européennes ait bien le mandat de s'associer aux efforts de transition, ou encore lorsqu'il s'agit des problèmes de financement durable : autant de domaines dans lesquels, dans les mois qui viennent, nous pourrons montrer qu'il y a bien du concret, et non pas seulement des discours.

Bien sûr, madame Grandjean, nous resterons vigilants sur la question du Royaume-Uni. Il participera, dans les faits, au choix du futur président de la Commission européenne. Mais, si vous relisez les paragraphes 7 et 8 des conclusions du Conseil européen de cette nuit, il y est bien acté que le Royaume-Uni est, d'une certaine manière, appelé à une forme de retenue. Nous voyons bien ce qui, par définition, ne serait pas considéré, d'après ces conclusions, comme un comportement constructif ou, si je reprends le texte, conforme au « devoir de coopération loyale » et à l'appel lancé au Royaume-Uni de « s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ». Il faut qu'il agisse de manière constructive et responsable.

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