Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial (Justice) :

Le projet de loi de finances pour 2018 proposait, pour la mission Justice, un nouveau budget en croissance fondé sur l'augmentation des crédits et des emplois de l'ensemble des programmes. Quel bilan peut-on aujourd'hui en tirer ? De fait, l'exécution 2018 se solde par une nouvelle et sensible augmentation des financements disponibles : les crédits de paiement atteignent la somme de 8 687,59 millions d'euros, en hausse de 3,36 %, ce qui représente 6 906,94 millions d'euros hors compte d'affectation spéciale Pensions. Le montant des crédits de paiement consommés progresse de 2,75 %. En revanche, les autorisations d'engagement disponibles et consommées reculent respectivement de 16,52 % et de 6,65 %. Ce mouvement s'explique par le rythme des opérations de l'administration pénitentiaire.

Cela étant, l'exécution 2018 s'inscrit bien dans le mouvement de progression continue des ressources allouées à la mission avec des autorisations d'engagement et des crédits de paiement d'un niveau inédit. À l'exclusion de l'administration pénitentiaire, le montant des dépenses augmente pour l'ensemble des programmes. S'agissant des crédits de paiement, en revanche, le rythme de cette croissance apparaît moins soutenu qu'en 2017. On peut le comprendre.

Par rapport aux crédits disponibles, l'exécution 2018 est marquée par une baisse très sensible du taux de consommation des autorisations d'engagement, principalement du fait de la conjonction de deux facteurs : d'une part, l'importance des reports et des crédits disponibles ; d'autre part, les difficultés rencontrées dans la conduite d'opérations complexes de l'administration pénitentiaire. La diminution apparaît plus modérée s'agissant des crédits de paiement. On notera cependant l'absence de véritables tensions dans l'exécution de la programmation. Cela s'explique en partie par la réduction du taux de mise en réserve des crédits, passé de 8 % à 3 % pour le hors titre 2. C'était effectivement une bonne nouvelle pour le ministère.

Les dépenses de personnel connaissent une croissance sensible de 3,13 %, bien qu'en léger retrait par rapport à 2017 où cette croissance était de 4,75 %. Les dépenses de fonctionnement augmentent de 6,92 % et excèdent le montant prévu en loi de finances initiale du fait d'un nouveau dépassement de l'enveloppe des frais de justice. Il s'agit là d'un point de vigilance sur lequel je reviendrai.

Une fois de plus, les effectifs de la mission Justice augmentent pour atteindre un niveau inégalé de 83 552 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Cependant, l'exercice 2018 s'achève par une nouvelle sous-exécution du plafond d'emplois de 1 267 ETPT.

Sur le plan des emplois, deux faits marquants méritent d'être soulignés : une augmentation significative de l'effectif des magistrats en activité en conséquence de l'affectation de 359 auditeurs de justice en 2016 ; la réalisation du schéma d'emplois de l'administration pénitentiaire pour 2018 et le rattrapage de la sous-exécution de 2017, avec la création d'une partie des cent postes de surveillants pénitentiaires prévus par le protocole de sortie de crise conclu le 29 janvier 2018.

Sur la base de tous ces chiffres, nous pouvons sans doute donner acte au ministère de la justice des progrès accomplis dans l'exécution de la loi de finances. Pour autant, d'autres résultats plus contrastés – le rôle d'un rapporteur spécial consiste précisément à les relever – soulèvent encore quelques interrogations quant à la maîtrise des dépenses et à l'efficacité du service public de la justice.

Sur le plan budgétaire, l'exécution 2018 se solde par un nouveau dépassement de la fameuse « enveloppe » des frais de justice. Le montant des crédits consommés sur ce poste atteint 528 millions d'euros contre une dépense provisionnée à hauteur de 478 millions d'euros. En soi, ces chiffres doivent pousser le ministère de la justice à approfondir les expérimentations et la mise en oeuvre des mesures d'économies évoquées au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.

Je tiens à attirer l'attention de nos collègues sur l'évolution de l'aide juridictionnelle : la consommation des crédits alloués à son financement progresse en effet de manière spectaculaire avec une croissance de 13,5 %. Ce chiffre ne peut que nous interroger la capacité du Gouvernement à maîtriser les effets profondément inflationnistes de la réforme mise en oeuvre entre 2016 et 2018. La question se pose d'autant plus qu'en 2018, le taux de recouvrement des frais avancés par l'État au titre de l'aide juridictionnelle enregistre une nouvelle dégradation.

Sur le plan des performances de la mission, je ne peux que relever la persistance de l'écart entre la progression des ressources budgétaires et les résultats obtenus. Ainsi, plusieurs des indicateurs les plus significatifs au regard des missions de la justice affichent des résultats en deçà des cibles assignées, ce qui traduit une performance à peine équivalente à celles mesurées en 2017 voire en 2016. Ce constat prend un relief tout particulier en ce qui concerne les délais de traitement des procédures civiles ou encore le taux d'occupation des établissements pénitentiaires. L'évolution du pourcentage de juridictions dépassant de 15 % le délai moyen de traitement des procédures civiles fait apparaître d'autres contre-performances et difficultés.

Le ministère de la justice s'est engagé dans un développement résolu de ses ressources informatiques, avec deux objectifs : dégager des gains de productivité par le biais de la dématérialisation des procédures aussi bien civiles que pénales, et étendre l'information offerte aux justiciables. Or, la Cour des comptes évoque une difficulté à identifier les économies réalisées en 2018 dans la mesure où la dématérialisation n'est pas encore totalement effective.

Je souhaiterais dès lors, madame la ministre, vous poser trois questions concernant cette exécution budgétaire. Premièrement, quel est l'état de réalisation des grands projets informatiques du ministère de la justice ? Deuxièmement, quelles économies leur mise en service opérationnelle pourrait-elle permettre de dégager ? Troisièmement, le renforcement des ressources informatiques peut-il contribuer à la mise en place de nouveaux indicateurs de performance, notamment pour mesurer l'efficacité de la réponse pénale, et surtout, les applications en cours de développement vont-elles doter le ministère de la justice des instruments de mesure des coûts et d'affectation rationnelle des ressources dont l'enquête de la Cour des comptes sur l'approche méthodologique des coûts de la justice a clairement établi la nécessité ?

J'en viens au thème des travaux de contrôle que j'ai réalisés, à savoir la prise en charge des auteurs d'actes terroristes. Depuis les attaques perpétrées en janvier et novembre 2015, cet enjeu est d'une importance croissante pour l'ensemble de la mission Justice. Il en va ainsi du parquet près du tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci traite actuellement 417 informations judiciaires et 270 enquêtes préliminaires. Les informations concernent 512 personnes mises en examen dont 244 détenus. Depuis 2012, 1 630 procédures ont été ouvertes à ce titre. Dans les établissements pénitentiaires, les derniers chiffres communiqués par l'administration font état de 952 détenus de droit commun suspectés de radicalisation. Le nombre de terroristes islamistes – les TIS, selon la terminologie du ministère – s'élève à un peu plus de cinq cents. Sur les 170 000 individus placés sous main de justice en milieu ouvert, on recense 250 TIS et 600 délinquants identifiés comme radicalisés.

Toutefois, le traitement des auteurs d'infractions terroristes paraît devoir mobiliser des moyens importants et nouveaux. Par rapport à d'autres mouvances ayant frappé la France, entre les années 1970 et 1990 principalement, le terrorisme se revendiquant de mouvements islamistes présente en effet certaines spécificités liées à ses fondements idéologiques, aux dynamiques de groupe qui le caractérisent, ainsi qu'à sa dangerosité accrue, comme l'a relevé l'administration. Ce constat a conduit le ministère de la justice à développer un dispositif qui est désormais relativement complet et bien pourvu en ressources.

L'exercice des poursuites pénales repose sur la mise en place d'un parquet national antiterroriste créé dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice que vous avez portée. Ce ministère public spécialisé et à compétence nationale succédera au parquet de Paris.

Pour ce qui concerne les conditions d'incarcération, le ministère de la justice tend à systématiser des procédures d'évaluation préalable à l'affectation dans un établissement pénitentiaire et à la fixation du régime de détention. Le dispositif repose sur la mise en place de quartiers d'évaluation de la radicalisation, les fameux QER. Ceux-ci se trouvent au sein des maisons d'arrêt de Fresnes, de Fleury-Mérogis, d'Osny dans le Val-d'Oise et de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. Au premier semestre 2019, 450 places devaient être ouvertes. L'évaluation réalisée au sein de ces structures nouvelles s'étale sur dix-sept semaines. À l'issue de cette période, les détenus peuvent être placés sous régime de détention ordinaire, dans un quartier de prise en charge de la radicalisation ou en quartier d'isolement. D'après l'ensemble des acteurs rencontrés, l'évaluation réalisée dans le cadre des QER donne satisfaction, même si l'on ne dispose pas à proprement parler d'étude scientifique sur leurs réalisations actuellement. Notons en revanche que la durée de l'évaluation et le nombre finalement restreint de places pèsent sur la capacité d'accueil.

Ces éléments factuels me conduisent, madame la ministre, à vous interroger sur les points suivants.

Premièrement, quels instruments ou indicateurs de performance le Gouvernement compte-t-il mettre en place afin d'assurer une évaluation des politiques et des moyens déployés pour prendre en charge des auteurs d'actes terroristes ?

Deuxièmement, quelles décisions budgétaires le Gouvernement entend-il proposer au Parlement afin d'assurer l'adaptation des ressources de la justice à de nouvelles charges créées par les suites des crises successives auxquelles la France a pu être confrontée depuis 2015 ? Je pense aux besoins humains, financiers et matériels que ne manquera pas de susciter l'organisation des procès engendrés par les actes terroristes perpétrés à partir de janvier 2015 sur notre sol, ainsi que l'éventuel retour de Français des théâtres d'opération du Levant. Je pense également à la dotation du parquet national antiterroriste en magistrats envisagée par la chancellerie. Dans une certaine mesure, le transfert d'effectifs peut mettre en cause la capacité du parquet de Paris à accomplir des missions dont le poids est par ailleurs croissant.

Troisièmement enfin, par quels dispositifs la coordination des acteurs des différents maillons de la chaîne pénale peut-elle être garantie ?

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