Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du jeudi 20 juin 2019 à 15h00
Sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Pour faire face à la menace terroriste qui met en alerte la France depuis les attentats de 2015, les forces de l'ordre sont sollicitées ; elles l'ont été encore plus ces huit derniers mois, et ce, sans discontinuer, chaque week-end, à l'occasion des manifestations du mouvement des gilets jaunes. La mauvaise gestion de ces événements, que nous avons dénoncée dans cette assemblée, a renforcé la fatigue et l'exaspération des agents.

Le groupe Libertés et territoires tient à saluer l'engagement des fonctionnaires de police. Mais s'il convient de les honorer, et surtout de leur donner les moyens d'accomplir leurs missions en toute sécurité, une nouvelle loi sécuritaire correspond-elle pour autant à leurs attentes ?

Nous sommes convaincus que le maintien de l'ordre peut s'exercer efficacement sans que nous ayons à adopter une énième loi venant inscrire dans le droit commun des mesures d'exception qui, désormais, se banalisent. Il faut se garder de légiférer systématiquement dans l'urgence lorsqu'une difficulté survient.

En deux ans, notre Assemblée a déjà adopté trois lois de ce type : la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ; la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.

Cette inflation législative, qui participe à l'encombrement du système policier et judiciaire, ne saurait être aggravée par des mesures pour le moins discriminatoires, vis-à-vis notamment des ressortissants étrangers.

Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi n'évoque pas les modalités de financement des crédits supplémentaires prévus dans l'article 2, ce qui nous fait craindre la création d'une nouvelle taxe. Je tiens à rappeler que dans les deux derniers projets de loi de finances, les crédits alloués à la mission « Sécurités » ont très largement augmenté.

Nous nous rejoignons, cependant, sur la nécessité de mieux prendre en compte les efforts fournis par les forces de l'ordre. Cela suppose, comme vous l'avez précisé, le paiement des heures supplémentaires qu'elles ont effectuées. Nous soutenions déjà cette mesure lors de l'examen du projet de loi relatif à la transformation de la fonction publique. Il est impératif que l'État paye les heures supplémentaires déjà effectuées, et ce pour toutes les fonctions publiques, qui sont exsangues, notamment la fonction publique hospitalière.

Les salariés du privé bénéficient du paiement de leurs heures supplémentaires, par ailleurs exonérées de charges depuis peu. Pourquoi les fonctionnaires n'auraient-ils pas droit au même régime ? La défiscalisation doit profiter aux fonctionnaires afin de tendre vers plus d'équité. Les fonctionnaires n'ont pas été concernés par les annonces du Président de la République en décembre dernier. Cette injustice doit être réparée, alors que les Français nous demandent de rétablir la justice sociale.

Le Gouvernement évoque la rémunération au mérite. Mais quelle peut être la crédibilité d'une telle mesure auprès de fonctionnaires qui ne sont pas payés pour leurs efforts quotidiens ?

Si notre groupe approuve le paiement des heures supplémentaires inscrit à l'article 3, il ne souscrit absolument pas aux autres dispositions de votre proposition de loi. Ainsi, le vaste volet répressif de ce texte ne correspond pas à notre vision dans les domaines de la sécurité, de la prévention et des solutions pénales, qui repose sur l'équilibre des sanctions.

La peine d'interdiction du territoire français mentionnée à l'article 5 n'est pas récente. Présente depuis près de quarante ans dans notre législation, cette dernière ne visait initialement qu'à réprimer plus durement les infractions de trafic et de consommation de stupéfiants commises par des étrangers. Son champ d'application a peu à peu été étendu, et concerne maintenant près de deux cents infractions définies par le code pénal, allant des atteintes aux personnes aux atteintes aux biens commises avec violence, en passant par les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, pour ne citer que ces trois exemples. Nous considérons que cette peine constitue une discrimination évidente à l'égard des étrangers, et même une double peine dans les faits.

Par ailleurs, la création de peines planchers à l'article 4 ne nous semble pas non plus adéquate compte tenu de la situation carcérale de notre pays. Si les forces de l'ordre méritent ce qui leur est dû, c'est-à-dire le respect absolu de leur travail, l'instauration d'une peine minimale ne fera qu'accroître l'engorgement des prisons.

En 2018, la densité carcérale a atteint 118 %, et même 140 % dans les maisons d'arrêt. Plus de 1 500 détenus dorment actuellement à même le sol, au mépris des considérations d'humanité. Si l'emprisonnement répond à un besoin d'éloignement de la société afin de protéger le reste de la population, il ne doit pas devenir la norme. Malgré les programmes de réinsertion, on constate dans de nombreux cas que la prison peut amener à l'isolement social et que le retour à la vie en société est plus que compliqué. Nous pensons qu'une peine d'emprisonnement doit être pleinement justifiée, et que les juges sont parfaitement aptes à décider de la peine la plus adéquate. Des peines alternatives existent. Servons-nous en. Le retour aux peines planchers, proposé dans l'article 4, n'est pas souhaitable. Il faut au contraire inverser la logique et faire confiance aux juges, qui prononceront les peines les plus adaptées au regard des circonstances de l'espèce.

Enfin, les dispositions relatives à l'excuse de minorité, d'une part, et aux injures publiques, d'autre part, prévues respectivement par les articles 7 et 8, étaient-elles nécessaires ? L'excuse de minorité s'applique aux personnes qu'elle nomme : les mineurs. Dès lors, pourquoi restreindre ce dispositif aux seuls mineurs de moins de 16 ans ? S'il importe de responsabiliser les adolescents proches de l'âge adulte et de leur faire prendre conscience des limites à ne pas franchir, ces jeunes restent tout de même des mineurs. Des peines adaptées doivent donc leur être réservées.

Par ailleurs, concernant les injures publiques, est-il bien efficace d'infliger une peine d'un an d'emprisonnement pour un tel délit ? Nos forces de l'ordre méritent que chaque citoyen les respecte, c'est indéniable, et ce dès le plus jeune âge, grâce à un renforcement du volet éducatif. Alors que la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a modifié cette disposition, était-il nécessaire de la corriger de nouveau alors qu'elle n'a pas encore démontré pleinement son efficacité ?

S'agissant des mesures relatives à la police municipale des articles 9 et 10, l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région d'Île-de-France souligne, dans une note datée de janvier 2019, que sur les 21 500 policiers municipaux recensés à la fin de l'année 2016, 84 % étaient armés, et que 44 % étaient équipés d'armes à feu contre 39 % à la fin de l'année 2015. Les armes à feu, auparavant réservées à la police nationale, dotent déjà la police municipale de moyens conséquents que doivent par ailleurs supporter les budgets des municipalités.

La police municipale et la police nationale sont deux entités distinctes, et elles doivent le rester. Aussi ne nous paraît-t-il pas pertinent d'effacer les frontières entre les deux, chacune ayant un rôle précis et distinct de l'autre. En proposant de conférer de nouvelles attributions aux policiers municipaux, la proposition de loi vise à opérer progressivement une fusion des deux corps. Or, les formations ne sont pas les mêmes, et les concours d'entrée sont également différents.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe Libertés et territoires ne soutiendra pas cette proposition de loi trop répressive, déconnectée des réalités et qui souffre d'un manque évident de financement sur le long terme.

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