Intervention de Jean-Michel Thornary

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Michel Thornary, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes :

Merci de vos questions, qui témoignent de l'intérêt du sujet et du fait que vous nous ayez questionnés sur ce sujet, ce qui nous a amenés à vous proposer cette analyse.

Plusieurs d'entre vous nous ont dit que notre analyse était sévère, voire qu'elle était un procès aux SEM. Nous sommes partis de constats établis par les chambres régionales des comptes qui portent sur 83 sociétés d'économie mixte, en gros 10 % du nombre total de sociétés. Ce n'est pas représentatif de la diversité du monde des SEM. Pour autant, c'est relativement important, signifiant. Notre objectif était simplement d'identifier des risques.

Les risques existent. Des sauvegardes sont mises en face de ces risques. Nous n'avons pas constaté un nombre de défaillances important sur ces dernières années, relativement à ces sociétés contrôlées ou à d'autres sociétés qui n'ont pas été contrôlées dans le même temps. En gros, notre objectif est d'identifier les risques et de vérifier ou de proposer que l'on mette en place des dispositifs permettant de réduire les risques.

Nous n'allons pas plus loin que cela dans notre analyse. Nous ne condamnons pas le monde des SEM. Nous ne disons pas – la question a été posée – que les SPL et les SEMOP doivent se substituer à toutes les SEM. Non, les SPL et les SEMOP ont aussi des limites. Vous disiez, monsieur le président, que nous sommes un peu dans l'entre-soi avec les SPL. Même si des exemples en témoignent, nous pouvons trouver des modalités d'association différentes à des projets portés par des SPL. J'ai en tête le cas d'une SEM transformée en SPL : les privés interviennent sous forme de mécénat dans le cadre d'actions qui continuent d'être conduites par la SPL. Je pense qu'il existe des dispositions existent permettant de continuer d'associer les privés.

Il n'y a pas un procès définitif sur l'ensemble des SEM, ni une demande ou une proposition de la Cour des comptes de remplacer toutes les SEM par des SPL ou des SEMOP. Il s'agit de voir là où c'est possible, là où les situations permettent de réaliser les projets sous statut de SPL ou de SEMOP, de réduire le risque juridique au regard du droit européen. C'est dans ces situations que nous estimons qu'il serait plus utile, plus optimal de procéder à la transformation et si possible, grâce à votre intervention, de traiter le cas de la transformation en SPL qui n'a pas été traité par la loi NOTRe ou par la loi MAPTAM. C'est le point de départ.

Je ne sais pas si j'aurai la possibilité de répondre aux très nombreuses questions que vous nous avez posées. Monsieur le rapporteur général, vous nous demandiez si des procédures contentieuses sont en cours devant les juridictions sur ce sujet, notamment des contestations sur le plan du droit européen. Sur ce plan, il peut y avoir contestation sur deux terrains : celui de l'ouverture à la concurrence et celui des conditions d'exploitation des SEM.

Sur le terrain de l'ouverture à la concurrence, les collectivités, avec les statuts de SPL et de SEMOP, ont retrouvé, dans le cas où c'est possible, des situations de quasi-régie. Dans ces cas-là, la situation est réglée. Il y a peu ou il n'y a plus de contentieux sur ces terrains devant les juridictions européennes.

Sur les conditions d'exploitation des EPL, nous sommes devant le risque de qualification d'aide d'État. Il y a peu ou pas de contentieux parce que les collectivités trouvent des solutions avant de se trouver dans une situation contestable. Nous avons constaté, dans les différents contrôles que nous avons pu réaliser, des baisses de redevances de contrats, des abandons de créances ou de foncier, des remises de loyers à une SEM, qui ont permis de « limiter la casse », de résoudre une situation. En fin de compte, nous avons peu de contentieux, ce qui ne veut pas dire pour autant que les situations ont été claires, ou que les risques de requalification de ces actions seraient totalement éliminés.

Plusieurs d'entre vous ont demandé ce qu'il en était des risques de débudgétisation ou de contournement, notamment dans l'obligation des contrats portant sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Vous faisiez référence au contrat dit « Cahors », j'imagine. Le risque était identifié bien avant. La preuve : il figurait dans les analyses portées par le CGEFI et par l'IGA en 2017.

Vis-à-vis du dispositif des contrats « Cahors », nous n'avons pas d'éléments. Nous sommes à une année d'application des contrats ; nous ne les avons pas analysés. Les retraitements sont encore en cours. Ce qu'il est important de savoir, c'est que le guide des retraitements négocié par les associations d'élus et les administrations centrales a prévu la possibilité pour l'autorité préfectorale ou les collectivités d'invoquer la création d'un budget annexe ou d'une structure qui devient porteuse d'une activité, ou d'une compétence qui, auparavant, était assumée par la collectivité. Là-dessus, si le risque existe au regard de la contrainte posée par les contrats « Cahors », nous ne pourrons le mesurer que dans les mois à venir – dans le cadre des retraitements de la première année, qui sont en cours – et tout au long de l'application de ces contrats. Pour l'instant, nous n'avons pas de situation explicite pour répondre à votre question.

Sur l'absence d'un outil de recensement des informations, dont nous pourrions disposer dans les SEM comme dans l'ensemble des EPL, comme je vous le disais, la situation n'a pas changé. Ce n'est pas la Cour qui mettra en place le dispositif de recensement ou d'identification. Nous n'irons pas au-delà du constat que cela n'a pas été fait et que le dispositif existant, à savoir les données disponibles au sein de la FEPL, restera non exhaustif puisqu'il ne concerne, par définition, que les membres de la FEPL. Nous n'avons malheureusement pas de proposition positive à vous faire sur ce point, tout simplement parce que ce n'est pas le rôle de la Cour.

Faut-il revenir sur la faculté de développer des filiales ou de prendre des participations ? Nous avons voulu vous dire que la filialisation ou la multiplication des prises de participation est génératrice de complexité et de difficultés de lisibilité. En l'absence de comptes consolidés pour l'ensemble du périmètre SEMfiliales et dans les conditions du droit commun de participation, les risques encourus par les collectivités du fait de ces évolutions appellent certes une meilleure information et une plus grande transparence.

Pour autant, vous avez choisi, au travers des statues des SPL et SEMOP, de renoncer à la filialisation ou à la prise de participation. Le législateur a été sensible à cette question de multiplication des risques. Faut-il aller au-delà, dans le cadre des SEM ? Notre proposition consiste à mettre en place plutôt des éléments permettant de réduire les risques portant sur le défaut d'information ou le défaut de transparence, sans aller au-delà.

Nous avions évoqué la proposition de M. de Courson consistant à mettre en place des comptes consolidés. Nous ne l'avons pas retenue comme recommandation. Je fais confiance au législateur pour aller au-delà des recommandations de la Cour s'il l'estime utile et si ce n'est pas générateur, comme M. le député le disait, d'un surcroît de lourdeurs ou de procédures qui pourrait être contraire à l'ambition souhaitée.

Parmi vos nombreuses questions, vous nous avez demandé quel peut être le rôle des DDFiP sur l'information apportée aux collectivités ou sur le travail fait par les préfectures dans le cadre soit du contrôle de légalité, soit de l'exercice du droit à l'information. Cela se met en place : aujourd'hui, je crois que dans une dizaine de départements un accord formel a été passé entre l'autorité préfectorale et la DGFiP pour que les équipes des DDFiP soient pour partie mises à disposition de l'autorité préfectorale dans le cadre de demandes d'expertises qui émaneraient du préfet, pour lui permettre d'exercer cette vigilance et cette information des collectivités sur des risques que les collectivités elles-mêmes ne seraient pas en mesure d'apprécier.

Cela me permet de rebondir sur la question des compétences des collectivités. Nous pouvons trouver les compétences juridiques ou financières dans la fonction publique en général, dans de bonnes conditions, je vous l'assure, mais nous n'avons pas les compétences techniques – nous parlions de production d'énergie renouvelable – dans les collectivités comme dans les préfectures. Il est certain que les collectivités, comme l'autorité préfectorale, ont besoin de s'entourer d'expertises complémentaires pour pouvoir donner aux collectivités qui n'en ont pas les moyens une information d'autant plus nécessaire qu'elles ne disposent pas un interne de la compétence pour porter une appréciation sur les participations qu'elles vont prendre dans telle ou telle de ces SEM.

Vous avez évoqué la position de Mme Gourault tout au long du débat sur la loi tendant à la sécurisation de l'actionnariat des entreprises publiques locales. La loi votée définitivement au mois de mai est venue modifier le dispositif des lois de décentralisation de 2014 et 2015. Les lois MAPTAM et NOTRe, au travers notamment de la perte de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, au travers des glissements de la compétence donnée aux EPCI par rapport aux communes, avaient créé des situations dans lesquelles le « multiniveaux », le « multicatégories » au sein d'une SEM étaient exclus.

La loi de 2018 permet de régulariser – c'était bien son objectif – des situations juridiques devenues illégales depuis 2014-2015 et qui n'avaient pas été sanctionnées à l'occasion de contentieux qui auraient pu être portés par des personnes auxquelles l'activité des SEM en question aurait porté grief. Il était logique que le législateur se préoccupe de ces situations de fragilité ou d'insécurité juridique nées des lois de décentralisation. Vous avez apporté des réponses à cette question. La question des compétences est désormais réglée. Les SEM, qui étaient dans une situation d'irrégularité sur ce terrain des compétences, sont revenues dans le cadre du droit.

C'est pour cela que nous n'avons pas fait de recommandations sur ce terrain et que nous considérons qu'il faut optimiser l'utilisation de tous les statuts d'entreprises publiques locales : SEM, SPL, SEMOP, SPLA, SPLAIN – nous en parlions tout à l'heure, madame Pires Beaune. Une palette de statuts est à disposition des collectivités. Tous ces outils doivent être utilisés en fonction des situations particulières des projets portés par les collectivités demandeuses.

Sur le caractère générateur de lourdeurs des recommandations, vous évoquiez en particulier, monsieur le député, les délibérations de l'ensemble des collectivités. Certes. Pour autant, si les collectivités actionnaires d'une SEM n'ont pas délibéré sur des questions aussi essentielles que la filialisation, la création des SEM et les évolutions stratégiques majeures de celles-ci, il est clair qu'elles ne peuvent pas mesurer les risques qu'elles portent du fait de leur participation à ces structures.

Je reconnais volontiers que la SEM d'un EPCI « XXL » qui recouvrerait l'ensemble des communes de cet EPCI serait difficile à traiter sur le plan de la lourdeur des délibérations à prendre pour faire évoluer la SEM. Il reste que ces délibérations sont la seule ou la meilleure des possibilités pour chacune des communes ou des collectivités actionnaires de savoir ce que leur participation signifie au sein de ladite SEM.

Plusieurs d'entre vous sont revenus sur la sévérité de notre constat. Je vous le redis : ce n'est pas un constat sévère. Il s'agit de l'identification de risques et de la volonté de notre part de faire en sorte que ces risques soient limités et que les élus des collectivités les mesurent précisément avant de s'engager ou en suivant l'activité des SEM dans lesquelles ils ont des participations.

Monsieur Aubert a évoqué la question du chef de filât. Je pense que c'est un sujet sur lequel le législateur devra revenir. Il est clair que, que ce soit dans les lois MAPTAM ou NOTRe, s'agissant des compétences partagées par les collectivités sur lesquelles un chef de filât a été établi au bénéfice de l'une ou l'autre des catégories, quelque chose reste relativement flou. Les conférences territoriales de l'action publique, chargées d'établir de manière consensuelle les compétences partagées entre ces différentes collectivités, n'ont pas réussi à éclaircir le concept de chef de filât et à en permettre une expression dans chacune des régions au profit de l'ensemble des collectivités. Là-dessus, je ne peux pas dire grand-chose de plus, si ce n'est que sans doute un jour, vous aurez à revenir sur le sujet.

Ensuite, il y a toute une série de questions sur lesquelles malheureusement nous n'avons pas de réponse. Avons-nous une idée du niveau moyen des revenus des dirigeants non élus dans les SEM ? La réponse est non. Nous avons pu regarder cela dans certains des 83 rapports qui sont à la base de notre travail. Nous considérons que ce n'est pas suffisamment représentatif pour vous donner une assurance du niveau moyen des revenus des dirigeants de SEM.

Sur les services rendus par les SEM, plusieurs d'entre vous m'ont interpellé sur le thème : « Vous ne l'avez pas fait. » Cela ne correspondait pas à la commande. La commande que, monsieur le président, vous nous aviez passée, était plus tournée vers les risques que vers les réalisations. Vous qui avez été, qui êtes ou qui serez élus locaux, vous voyez l'utilité des différentes SEM dans les collectivités dont vous émanez ou dans vos circonscriptions.

De la même manière, sur la masse globale de garanties d'emprunt, je n'ai évidemment rien de significatif. Nous retombons sur la difficulté que nous avons rencontrée, que vous rencontrez, d'absence de centralisation de l'information ou d'exhaustivité de l'information disponible. Même la FEPL, au titre de l'ensemble de ses membres, ne tient pas une statistique sur le niveau d'endettement ni sur celui des garanties apportées par les différentes collectivités.

De la même manière que sur les réalisations des SEM, vous nous avez demandé pourquoi nous n'avions pas fait un état ou une analyse particulière des SPL : la question que vous nous avez posée portait sur les SEM.

Les SPL sont la réponse sur la question du droit européen. Je ne pense pas qu'il n'y ait plus aucun risque vis-à-vis du droit européen. Nous limitons le risque, mais ce sont les sauvegardes à mettre en place, aussi bien avec les SPL que pour l'ensemble des entreprises publiques locales, qui vont réduire le risque de manière définitive.

S'agissant du rôle de la Caisse des dépôts, partenaire majeur des SEM, lorsque j'ai dit que nous étions à pratiquement 80 % de financement public dans les SEM, en réalité ce sont un peu plus de 10 % de financement des collectivités et 20 % d'autres acteurs publics, dont la Caisse des dépôts, qui est l'acteur public majeur en la matière. Pour ce qui est du rôle particulier de la Caisse des dépôts, une réponse a déjà été faite à l'Assemblée nationale ou au Sénat, dans le cadre d'un « 58-2° ». Elle mériterait sans doute d'être actualisée, mais nous pouvons essayer de vous la faire passer si, sous réserve d'actualisation, le sujet peut apporter des réponses à votre question.

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