Intervention de Dominique David

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique David, rapporteure spéciale (Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture) :

J'ai reçu cette semaine, à Bordeaux, M. Yohan Delmeire, le directeur de la salle des fêtes du Grand Parc, une salle mythique des années 1970 qui est longtemps restée fermée, au grand dam des riverains. Les habitants de ce quartier prioritaire se sont battus pour sa réouverture, avec succès. M. Delmeire me disait, lorsque j'évoquais avec lui ma mission de rapporteure, que ce qu'il est important d'évaluer, au-delà des chiffres, c'est la capacité de la politique culturelle à créer du lien. C'est, de fait, un beau critère d'évaluation, et j'en ferai sans doute le fil rouge de mes futurs travaux, à l'automne.

S'il ne fallait retenir qu'un chiffre de ce rapport, ce serait celui de 284 euros : c'est le montant de la dépense publique de l'État et des collectivités territoriales en matière de culture rapportée à chaque citoyen français en 2018. Ce montant est remarquable, si on le compare à celui de nos voisins : les Allemands consacrent 163 euros à la culture par an et par habitant, les Belges, 282 euros et les Britanniques, 272 euros, avec une moyenne européenne qui se situe autour de 192 euros. C'est un signe manifeste de la priorité que nous accordons à notre politique culturelle. Et c'est en ayant ce chiffre à l'esprit que je vous présenterai les principales conclusions de mon analyse de l'exécution du budget en 2018.

La mission Culture regroupe notamment le programme 131 Création et le programme 224 Transmission des savoirs et démocratisation de la culture.

Je commencerai par le programme 131, qui concerne la création artistique. Il était doté de 779 millions d'euros en loi de finances initiale (LFI) pour 2018, soit 26,52 % des crédits de la mission. En fin d'exercice 2018, 100,7 % des crédits ouvertes en LFI ont été consommés, soit 795,78 millions d'euros. Le programme 131 nourrit les dispositifs de soutien au spectacle vivant et aux arts plastiques, mais la dépense principale concerne les opérateurs et les compagnies du spectacle vivant. En 2018, ce programme s'est caractérisé par une forte augmentation des dépenses d'investissement et des opérations financières, avec une hausse de 39,34 % en crédits de paiement – j'y reviendrai.

Au total, les huit dépenses fiscales principales du programme 131 sont estimées à 120 millions d'euros en 2018. La plus importante est le taux réduit de TVA à 2,10 % applicable aux droits d'entrée des 140 premières représentations de certains spectacles, pour 63 millions d'euros. Parmi les autres dépenses importantes, on compte notamment le crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, évalué à 25 millions d'euros, la franchise de TVA pour les auteurs et les interprètes des oeuvres de l'esprit, qui s'élève à 21 millions d'euros, et le crédit d'impôt spectacle vivant, créé en 2016, qui était évalué à 10 millions d'euros en 2017 et à 6 millions d'euros en 2018. Dans le cadre du processus d'évaluation et des études d'impact demandées au ministère de la culture par le rapporteur général de la commission des finances, ce dernier crédit d'impôt a été limité au 31 décembre 2022 et recentré sur les artistes musicaux émergents. C'est une mesure efficace, qui contribue à donner un sens à l'action du Parlement dans le contrôle de l'efficacité des politiques publiques.

J'aimerais d'autre part me pencher sur la question des opérateurs. Les dépenses de titre 7 Subventions aux opérateurs sont majoritairement fléchées vers des acteurs situés en région parisienne : ils représentent 41 % du total des crédits consommés du programme 131 en 2018, soit 796 millions d'euros. Il ne s'agit certes pas de sous-estimer le poids de l'histoire et du rayonnement de la capitale à l'étranger, mais comprenez qu'un tel chiffre puisse sembler surprenant, vu de Gironde, par exemple. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous une telle concentration des crédits dans la capitale ? Quels sont les moyens concrets mis en oeuvre par le ministère pour favoriser un plus large accès à la culture dans les territoires, conformément à la mission de démocratisation de la culture qui fait l'objet du programme 224 ?

Dans le même ordre d'idées, j'aimerais mettre un petit coup de projecteur sur le premier opérateur du programme 131, l'Opéra national de Paris (ONP). La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes pointe une hausse de la subvention accordée à cet opérateur par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale : elle est passée de 98 à 124 millions d'euros. Cette hausse est due à une demande de financement, sur crédits budgétaires, de l'aménagement d'une nouvelle salle modulable de l'Opéra Bastille. Le coût prévu de cette salle serait de 59 millions d'euros. Or cette dépense n'avait pas été budgétisée en loi de finances initiale, car le plan de financement n'intégrait des crédits ministériels que pour la réalisation des études. Un arbitrage du Premier ministre, en décembre 2018, a finalement accordé 24,5 millions d'euros à l'opération de la troisième salle, dont 21,5 millions avalisés par la loi de finances rectificative (LFR) de décembre 2018 et 3 millions sur crédits disponibles en gestion.

Ces travaux sont justifiés par la réorganisation de l'ONP, notamment dans la perspective de la création de la Cité du théâtre. Ils visent également à accroître la jauge de l'Opéra, qui passera de 5 300 à 6 400 places. Je dois cependant avouer que je m'interroge sur le caractère prioritaire de cet investissement, à l'aune des objectifs de la politique culturelle nationale. Ce projet a bien été examiné par la commission ministérielle des projets immobiliers, qui a été créée par ce gouvernement pour statuer sur les projets de plus de 20 millions d'euros. Pourriez-vous, monsieur le ministre, éclairer la représentation nationale sur les arbitrages qui ont conduit à ce choix ?

En matière de pilotage, seuls 63 % des opérateurs du programme 131 sont couverts par un contrat de performance. L'Opéra-Comique, l'Institut de recherche et coordination acoustiquemusique (IRCAM), le Centre national des arts plastiques, ainsi que la Comédie-Française, manquent encore à l'appel. Le conseil d'administration de la Comédie-Française a refusé de voter le contrat d'objectifs et de performance. Je m'interroge sur ce refus de la part d'une institution dont la subvention, qui s'élève à 26 millions d'euros de crédits de paiement en 2018, est la deuxième, en volume, du programme 131. Je précise par ailleurs que le contrat d'objectifs et de performance de l'ONP s'est, quant à lui, achevé en 2018. Monsieur le ministre, j'ai bien conscience que développer une culture de la performance est une véritable révolution copernicienne pour les opérateurs concernés. Comment envisagez-vous d'accompagner les opérateurs et leurs agents dans ce nouveau modèle de pilotage de l'action publique ?

J'en viens maintenant au dégel des crédits de la réserve de précaution du programme 131. La Cour des comptes rappelle qu'une partie des crédits a été fléchée vers certains opérateurs ayant connu un premier semestre difficile, ce qui peut s'entendre puisque c'est la fonction première de la réserve de précaution. En revanche, le dégel récurrent de ces crédits pour financer les festivals s'explique plus difficilement. En effet, la réserve de précaution est, par nature, destinée à répondre à des crises exceptionnelles, et non à un problème structurel. Une programmation budgétaire qui réglerait cette question en LFI donnerait une plus grande visibilité au Parlement sur l'emploi des crédits du projet de loi de finances (PLF).

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que les crédits de la réserve de précaution servent effectivement à faire face à d'éventuels aléas en cours de gestion et qu'ils ne soient plus considérés comme une enveloppe de crédits supplémentaires destinée à être consommée dans son intégralité dès le début de l'exercice ? Un tel emploi de la réserve de précaution serait plus conforme à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Attardons-nous maintenant sur le programme 224, qui porte essentiellement sur les crédits de l'enseignement supérieur de la culture.

Sous la responsabilité du secrétaire général adjoint du ministère de la culture, le programme 224 a consommé 1,26 milliard d'euros en crédits de paiement, contre 1,23 milliard en loi de finances pour 2017, soit 42,86 % des crédits de la mission Culture, contre 42,27 % en LFI pour 2017. Le programme 224 a supporté une annulation importante de 40,7 millions d'euros de crédits de paiement en LFR 2018, venant pour partie gager l'ouverture de 21,5 millions de crédits de l'ONP, avec le dégel partiel des autres programmes de la mission Culture.

Ce programme concerne notamment 37 000 étudiants en architecture, patrimoine, spectacle vivant, cinéma, musique, danse et audiovisuel. Il doit accompagner ceux-ci vers l'insertion professionnelle et garantir une plus grande démocratisation culturelle. Cet objectif peut être atteint en combinant des vecteurs traditionnels de transmission de la culture, comme l'enseignement musical, et des outils plus innovants, comme le Pass Culture.

J'en viens au Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS). Depuis sa création en 2017 et son inscription dans le budget en 2018, le FONPEPS a été largement surbudgétisé, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. Lorsque nous l'avons auditionné, le secrétaire général a malgré tout souligné qu'il avait fait l'objet d'un important effort de sincérisation en 2019, conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Il n'est donc pas nécessaire de diminuer à nouveau les crédits qui lui sont alloués. En revanche, il est essentiel d'adopter des mesures efficaces pour lutter contre le non-recours et pour permettre au dispositif d'atteindre son rythme de croisière. Cela m'amène, monsieur le ministre, à ma quatrième question. Que prévoit le ministère pour garantir un meilleur taux de recours au FONPEPS ?

J'aimerais, pour finir, saluer l'effort de sincérisation, s'agissant des bourses sur critères sociaux. Elles font de moins en moins l'objet d'une surbudgétisation et le montant programmé en loi de finances initiale est de plus en plus cohérent avec les évaluations du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.