Intervention de Marie-Ange Magne

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Ange Magne, rapporteure spéciale (Médias, livre et industries culturelles et Avances à l'audiovisuel public) :

Je commencerai par quelques mots sur l'exécution budgétaire 2018 de la mission Médias, livre et industries culturelles et du compte de concours financiers Avances à l'audiovisuel public avant de me concentrer sur ma thématique d'évaluation qui porte cette année sur le Centre national du cinéma et de l'image animée.

L'exécution budgétaire des deux programmes qui composent la mission a été satisfaisante mais je souhaite attirer votre attention sur trois points.

D'abord, sur l'importance des reports décidés en fin d'année 2018 pour financer des besoins de l'Agence France Presse (AFP), besoins qui avaient été identifiés mais non budgétisées dans le PLF 2019.

Ensuite, sur le redéploiement de 9 millions d'euros des crédits du Fonds stratégique pour le développement de la presse vers la dotation de Presstalis pour la première année, conformément à l'accord passé en mars 2018 pour remédier à la situation financière préoccupante de l'entreprise.

Enfin, sur la baisse des recettes du compte de concours financiers Avances à l'audiovisuel public, par conséquent sur les économies de 37 millions d'euros demandées aux sociétés de l'audiovisuel public qui auraient été principalement portées par France Télévisions.

La mission Médias, livre et industries culturelles est caractérisée par un pilotage complexe du fait de l'ampleur des dépenses fiscales – 560 millions d'euros – et des taxes affectées qui lui sont rattachées – 700 millions d'euros. Les crédits budgétaires représentent moins du tiers du périmètre global de la mission. C'est pourquoi je me suis intéressée, pendant ce printemps, au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui ne reçoit pas directement de subvention de l'État mais qui est bénéficiaire du produit de trois taxes affectées qui représentent 672 millions d'euros en 2018.

Ce travail d'évaluation du CNC a été mené en lien avec Céline Calvez, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, dans le but d'étayer l'analyse que je mène en tant que rapporteure spéciale.

Le CNC a été créé en 1946 afin de soutenir le secteur du cinéma dans sa dimension culturelle et industrielle dans le contexte de l'après-guerre et de l'arrivée du cinéma américain en Europe. À partir du milieu des années 1980, une mission relative à l'audiovisuel lui a également été confiée.

Le CNC a un rôle indispensable dans la structuration de nos filières cinématographique et audiovisuelle, dans l'exportation des oeuvres françaises à l'international et dans la production d'oeuvres de création en France. Les soutiens qu'il verse sont primordiaux pour l'équilibre et le développement de ces secteurs. Cependant, ces derniers connaissent aujourd'hui un mouvement de transformation structurelle de leur environnement avec l'émergence du délinéarisé et des plateformes numériques qui se sont imposées comme des acteurs incontournables.

Les usages et les attentes du public ont évolué. Il est désormais nécessaire de s'adapter et cette adaptation doit être encouragée et impulsée par la politique du CNC. Cette mutation affecte la situation financière du Centre, qui connaît une stagnation de ses recettes traditionnelles alors que les demandes de soutien ne faiblissent pas face à la nouvelle concurrence – elles ont connu une augmentation de 4 % entre 2012 et 2018.

Les soutiens automatiques – accordés en fonction des recettes générées sur les précédentes oeuvres – sont les plus dynamiques sur la période 2012-2017 avec une augmentation de 16 % tandis que les soutiens sélectifs accordés après avis d'une commission ont augmenté légèrement – 1 % – avant de connaître une forte baisse en 2018, de 6 %.

Avec une augmentation de 11 % entre 2012 et 2018, le soutien au secteur audiovisuel est plus dynamique que celui alloué au cinéma, qui diminue légèrement, d'1,5 %.

Face à cette hausse des aides versées, le produit des taxes qui portent sur les acteurs traditionnels du secteur diminue légèrement. Seule la taxe sur la vidéo connaît une croissance importante en 2018, avec une augmentation de 60 %, grâce à l'assujettissement des plateformes à la demande depuis le 1er janvier 2018.

Un mouvement de rééquilibrage des taux d'imposition entre les acteurs traditionnels et les acteurs du numérique est désormais attendu. J'espère qu'il se concrétisera dans le prochain projet de loi de finances.

La question des taxes affectées m'amène ici à quelques considérations techniques concernant le financement du CNC. Je ne remets absolument pas en question le système d'affectation des taxes, qui est facteur d'acception de l'impôt et qui semble plutôt bien fonctionner depuis soixante-dix ans. Je sais qu'il a servi de modèle à nos voisins même si les montants concernés sont significativement plus élevés en France qu'à l'étranger. Cependant, je pense qu'il est nécessaire d'accroître nettement l'encadrement de ces taxes affectées pour améliorer l'information du Parlement et s'assurer de l'efficacité de la recette prélevée. Ainsi, il me semble qu'un plafonnement des taxes affectées au CNC serait pertinent dans un souci d'équité avec les autres opérateurs de l'État qui y sont soumis mais surtout dans l'objectif d'assurer un pilotage de la dépense au plus près des besoins réels du secteur et non des recettes prélevées.

Je tiens également à rappeler que les recettes du CNC ont un caractère de ressources publiques et non de ressources propres au secteur sur lesquelles le contrôle du Parlement devrait être limité du fait de leur spécificité.

Cela dit, il me semble aussi nécessaire de revoir les modalités de recouvrement des taxes affectées au CNC. Je trouve en effet problématique que l'organisme affectataire, le CNC, recouvre lui-même ses ressources auprès de redevables qui sont ensuite les bénéficiaires des interventions financées par ces taxes.

Deux arguments peuvent être avancés : le risque de conflits d'intérêts et l'impression renforcée donnée au secteur que la ressource fiscale constitue une ressource propre. Je pense qu'a minima, une évaluation des coûts et avantages d'un recouvrement effectué par la direction générale des finances publiques (DGFiP) plutôt que par les services du CNC devrait être effectuée.

Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre position sur ces deux propositions.

La situation du CNC reste soutenable aujourd'hui mais des réformes structurelles seront nécessaires à l'avenir pour éviter une détérioration trop importante. Les dépenses de fonctionnement étant plutôt maîtrisées, c'est le système d'aides dans son ensemble qui doit être revu. Le CNC a mis en place deux plans d'économies, un premier de 15 millions d'euros en 2018, et un second, de 46 millions d'euros sur deux ans en 2019 et 2020. Ces plans sont nécessaires mais m'apparaissent comme des solutions de court terme avec un saupoudrage des économies dans plusieurs domaines sans qu'une réflexion de fond ne soit véritablement engagée ni qu'un accompagnement à la structuration du secteur ne soit proposé.

J'ajoute à ce sujet qu'il serait intéressant de s'interroger sur la mise en place d'une réelle politique de décentralisation de l'audiovisuel et du cinéma, respectueuse de l'équité territoriale.

Par ailleurs, il conviendrait d'introduire plus de clarté dans la définition de la politique d'aide au documentaire.

Enfin, un équilibre doit être trouvé entre l'audiovisuel et le cinéma.

La détermination de ce plan stratégique doit venir, à mon sens, du ministère de la culture, dont le rôle de chef de file dans la politique cinématographique et audiovisuelle doit être réaffirmé. Le CNC dispose en effet d'une autonomie très forte du fait de son double statut d'établissement public et d'administration centrale. Il rend donc directement compte au ministre.

Toutefois, la technicité du sujet ne doit pas conduire à un désengagement de la puissance publique.

Le CNC doit constituer un écosystème plus ouvert, subordonné aux règles générales qui régissent nos finances publiques. Un plan stratégique de transformation pour le long terme pourrait ainsi utilement être inscrit dans un contrat d'objectifs et de performance conclu entre l'État et le CNC. Un tel contrat n'existe pas actuellement, ce qui est dérogatoire à l'organisation du pilotage des opérateurs de l'État. Ce plan devra prendre en compte la nécessité de redéfinir les caractéristiques de la vie d'une oeuvre cinématographique, dont l'aboutissement n'est peut-être plus nécessairement la sortie en salle. L'accent devra également être mis sur une véritable politique d'aide à l'écriture, au programme d'écriture et à la direction artistique, afin d'améliorer les conditions d'élaboration des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles.

Cette réforme devra être menée en concertation avec les professionnels du secteur, lesquels regrettent trop souvent de ne pas être assez informés et consultés. Des désaccords avec le CNC existent sur ce point, mais le Centre doit poursuivre ses efforts de communication sur les actions envisagées et leur justification, dans un contexte d'incertitude pour le secteur et de réduction des aides, qui accroît les crispations.

Le contrôle du Parlement sur le CNC doit également être renforcé. Le Parlement ne s'est que trop peu penché sur l'évaluation de la politique menée par le CNC, ce qui est pourtant une attente forte des professionnels du secteur. Je pense que l'institutionnalisation d'une audition annuelle obligatoire du président du CNC devant la commission des affaires culturelles serait un prérequis à cette évaluation parlementaire approfondie. La nomination du président du CNC selon la procédure prévue à l'article 13, alinéa 5, de la Constitution, après avis des commissions compétentes, irait elle aussi dans le bon sens. Cette évaluation renforcée serait d'autant plus pertinente que le CNC se soumet volontairement aux demandes du Parlement. Il a ainsi coopéré pleinement au travail effectué ce printemps, nous transmettant toutes les informations demandées, qui plus est dans des délais rapides.

Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur ces différentes propositions de réforme ? Soutiendrez-vous d'éventuelles démarches parlementaires allant dans ce sens ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer de quelle façon le ministère souhaite s'impliquer dans la détermination de cette politique publique ?

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