Intervention de Hervé Laud

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9h20
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants :

Merci de nous avoir conviés à vos travaux. Nous sommes ravis que la question de la protection de l'enfance fasse l'objet d'une réflexion.

Nous savons que la mission d'information porte sur l'aide sociale en France, mais nous nous sentons partenaires et partie prenante de ce que fait l'aide sociale à l'enfance. Marc Chabant l'a souligné à l'instant, le secteur associatif et, donc, SOS Villages d'enfants se sentent les obligés des enfants. C'est une bonne chose que nous soyons tous réunis.

SOS Villages d'enfants, association « loi de 1901 », a été fondée voici plus de soixante ans. C'est une ONG assez importante, qui fait partie d'une fédération internationale présente dans 135 pays. Cela nous donne parfois l'occasion de faire un petit pas de côté pour aller voir ce que font nos voisins espagnols, belges, grecs et, parfois, des voisins plus lointains, à l'autre bout du monde. Nous portons souvent notre plaidoyer au niveau international, en défendant le fait que la protection de l'enfance et l'équivalent d'un défenseur des droits de l'enfant doivent exister partout, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Il est important de le rappeler.

Le fondement de SOS Villages d'enfants repose sur l'accueil des enfants dans une modalité de type familial, en « cousinage » avec les lieux de vie, les placements familiaux, un hybride entre la maison d'enfants et le placement familial.

La maison familiale reçoit quatre à six enfants. Sauf exception, la fratrie est réunie dans une même maison. Il arrive qu'ils soient séparés au sein du village mais, la plupart du temps, ils logent dans la même maison. Nous nous sommes battus longtemps pour qu'il en soit ainsi. Nous avons assisté à un début de retournement dans les années 1990. Mais longtemps a perduré l'idée que le maintien conjoint de la fratrie revenait au maintien d'un trauma. Cette idée était très ancrée psycho-sociologiquement et, donc, structurellement, dans les capacités d'accueil. Nous avons été nombreux à défendre l'idée que la fratrie était une ressource dès lors qu'elle était mise en perspective avec le temps long. Avoir un frère ou une soeur peut être très pénible, mais ce sont aussi les adultes de demain ; ils auront cinquante ans ensemble, s'occuperont de leurs parents et seront moins seuls.

À cette dimension de ressource sur le long terme, s'ajoute l'idée que si parfois c'est très difficile, notamment quand la fratrie a été soumise à des moments traumatiques, il faut des professionnels formés pour accompagner ces tensions. C'est ainsi qu'il peut être préconisé de ne pas maintenir une fratrie. On part du principe qu'à 80 % le maintien de la fratrie est une ressource. En village d'enfants SOS, les enfants accueillis sont toujours des fratries. Parfois, un enfant seul vient rejoindre une fratrie. La maison est celle des enfants et quand bien même les professionnels changent, les enfants restent dans leur maison.

SOS Villages d'enfants applique un régime dérogatoire à la législation sur les 35 heures pour assurer une permanence avec une figure, la « mère SOS ». Désormais, des hommes tiennent également cette fonction d'éducateurs familiaux. SOS signifie societas socialis, société solidaire ; il ne s'agit pas du SOS de secours. La fratrie, c'est vivre ensemble. C'est quelque chose qui dépasse les liens du sang. On le voit très bien : des fratries de coeur ou de fait se constituent quand, dans deux maisons, il y a deux fratries et que cette forme de paternité ou de maternité, de suppléance familiale, sociale, est inscrite dans le projet. Les principaux piliers reposent sur l'idée du besoin d'attachement, de la capacité à produire et à vivre de l'attachement pour se développer.

Le mode de prise en charge de type familial nécessite un panel de solutions. Les villages d'enfants en sont une. La durée est importante. Plus de 80 % des enfants des villages font l'objet d'une décision de justice. Or, à l'heure actuelle, la durée moyenne de placement représente est de l'ordre de sept ans. Nous proposons un accueil en village d'enfants quand on fait l'hypothèse que la suppléance sera longue.

À cet égard, peut-être des choses devraient-elles évoluer. Car jusqu'à présent, y compris dans l'hypothèse que la suppléance sera longue, la loi reste la même. Les jugements sont revus au mieux tous les deux ans, parfois tous les six mois. On se rejoue le match collectivement – la famille, l'enfant et les professionnels qui s'en occupent ; on rejoue une remise en tension du retour, ou non. Cela m'évoque un texte de Serge Paugam qui traite du processus de disqualification des parents quand les enfants sont confiés à l'aide sociale en France. Il serait plus simple, lorsque l'accompagnement est durable, de réfléchir en fonction de l'âge du placement. Avant six-sept ans, il est nécessaire, quel que soit le choix – maintien en famille, établissement ou village d'enfants – de s'inscrire dans la durée, le temps d'une certaine structuration. Psychiquement et médicalement, connaître des liaisons-déliaisons vers trois ans est très destructeur. La situation est moins destructrice à d'autres moments de l'évolution de l'enfant. Les outils sont mûrs sur le plan psychologique, clinique et sur le plan de la capacité d'accompagnement, mais des ajustements en fonction de l'âge sont nécessaires sur le plan du droit.

En France, l'autorité parentale est vue de façon patrimoniale. Évoquant la famille, nous rappelons qu'il y a au minimum l'autorité parentale, le lien de filiation, la qualité du lien et la rencontre. Tout cela va ensemble, certes pas toujours très bien. On ne peut réfléchir en termes de famille ou pas famille. Il faut analyser la nature des liens, la façon de respecter l'autorité parentale, considérer la façon dont la rencontre peut mettre à mal la qualité du lien. Il ne faut surtout pas avoir de réponse a priori. Et il faut se poser collectivement ces questions à chaque fois.

Le modèle de SOS Villages d'enfants se présente sous la forme d'une dizaine de maisons, soit regroupées, soit diffuses. Par exemple, un lotissement est constitué de vingt ou trente maisons, dont dix relèvent du village d'enfants, la maison d'à côté sera celle d'un voisin ordinaire. À cela, s'ajoute la maison commune constituée d'une équipe d'éducateurs spécialisés, de psychologues, de chefs de service, d'animateurs, d'éducateurs scolaires, puisque nous mettons en oeuvre un programme fort d'éducation et de soutien à la scolarité.

L'idée est que les enfants vivent dans cette maison, au village. Nous essayons de faire en sorte qu'ils aient des figures d'attachement qui ne soient pas uniques, et que le village constitue pour eux une constellation d'attachements possibles. Ils y trouveront leur étoile polaire, qui sera la maison commune, leur fratrie, la mère SOS, un éducateur de la maison commune – cela leur appartient. De notre côté, nous nous assurons que les enfants puissent créer et vivre des liens qui leur permettent de fonder, progressivement, leur propre capacité d'empathie et d'attachement, primordiale à leur grandissement.

Il existe dix-sept villages en France, auxquels se sont adossés progressivement des dispositifs complémentaires. Vous parliez d'accueil d'urgence ; nous l'appelons « service d'accueil familial immédiat ». Il y a là une petite nuance parce que nous apparaissons en second rideau même si, dans certains villages, nous accueillons des enfants pour une mission de diagnostic. Au moment cathartique de la crise familiale, il est une bonne chose de pouvoir accueillir la fratrie, ensemble : le petit à trois ans, la soeur dix et le frère quatorze. Il faut agir rapidement, dans les deux ou trois jours. En général, les enfants sont séparés. À SOS Villages, la fratrie est accueillie ensemble.

Le rythme de travail est légèrement différent. Nous ne nous plaçons pas dans la même logique d'engagement d'un attachement de la part des professionnels. Pour autant, ils se relaient, chacun travaillant quinze jours. L'équipe comprend des psychologues. À « J + 3 » ou « J + 30 », des bilans sont réalisés afin de rencontrer rapidement la famille, comprendre la situation, trouver un tiers digne de confiance, un relais dans la famille élargie qui peut être une alternative. Si une alternative durable à la famille se présente, nous déterminons la nature des liens et voyons si nous pouvons préconiser le maintien conjoint de la fratrie. Enfin, nous avançons une préconisation que nous souhaitons voir acceptée par le département.

Quatre villages aujourd'hui bénéficient de ce dispositif et un nouveau village ouvre actuellement sur la base de ce dispositif.

L'objectif des maisons des familles vise à bien accueillir les familles qui ont des droits d'hébergement – il y en a quelques-unes. Bien les accueillir ne consiste pas à faire rencontrer les parents et les enfants dans un bureau. Dans la vie, on ne se retrouve jamais dans un bureau à discuter face à face avec ses enfants : on fait quelque chose, on s'éloigne un peu des autres et c'est ainsi que l'on arrive à se parler, à vivre quelque chose, par exemple en cuisinant. Les maisons servent au minimum à cela. Mais le plus important est d'avoir un personnel dédié, une personne qui accompagne la relation. On parle de visites en présence d'un tiers, qui peut être divers. Ce peut être le psychologue. Dans les maisons des familles, un temps d'éducateur ou de psychologue est dédié à la visite.

On promeut l'idée qu'il faut préserver ce qui fonctionne encore dans la famille, y compris en cas de confinements longs. Des jeunes restent cinq à six ans en village d'enfants. On n'est pas obligé de parler de retour dès que la situation s'améliore. En revanche, on essaie de stabiliser ce sur quoi le père ou la mère peut être mis en compétence. Comme je le disais précédemment, en France, on a une appréhension patrimoniale de l'enfant. Dès que quelque chose va un peu mieux, la machine s'emballe, on parle de levée de placement, pour se rendre compte ensuite qu'il est difficile pour les parents et les enfants de revivre ensemble.

Pour les adolescents, il existe des espaces de transition et des programmes de renforcement des familles. Il s'agit de mesures de milieu ouvert, de mesures préventives qui interviennent très en amont d'une mesure ASE, qui vont du soutien et de l'accompagnement à la parentalité jusqu'à des mesures de type actions éducatives en milieu ouvert renforcé.

L'axe singulier de SOS Villages d'enfants consiste à accompagner ce type de mesures par un très fort taux d'encadrement : un éducateur pour six mesures maximum. Sur la question de l'intensité, nous avons essayé de ne pas créer de consultations de nos éducateurs. Ils n'ont pas de bureaux, ils sont principalement en famille. Si nous parlons avec une famille d'une difficulté d'endormissement de l'enfant, il arrive que nous nous rendions chez la famille à 21 heures à deux, trois ou quatre reprises. Peut-être que l'enfant, sa famille et nous-mêmes arriveront « à bricoler » quelque chose qui sera une solution pérenne. J'ai dit « ensemble », c'est aussi « pour et avec ». Nous travaillons pour l'enfant, avec l'enfant, posant la question de sa participation. Il faut aussi parfois travailler avec sa famille. Ce « pour et avec » est très important : il faut que nous travaillions aussi pour et avec l'ASE, pour nos professionnels et avec eux.

Les quatre programmes éducatifs sont : Pygmalion ; puis un programme autour de la réussite scolaire ; le programme d'épanouissement par le sport ; enfin, l'espace national de consultation des jeunes, qui nous tient particulièrement à coeur et dont la présidente est notre directrice générale.

Des jeunes représentent chaque village dans des conseils de vie et un espace meta fonctionne au niveau national. Un jeune de chaque village travaille pendant des mandatures de deux ans et participe du fonctionnement de l'association. Ces jeunes ont produit, parmi d'autres, une « enquête progrès » à destination des parents ainsi qu'un guide et, l'année dernière, un film sur les questions du respect de l'intimité.

Les documents qu'ils produisent deviennent des outils qui s'imposent à tous : directeurs, chefs d'établissement, etc. Ils sont construits avec des jeunes, tant il est vrai qu'il faut sortir du témoignage. Dans ces espaces, il faut se donner des moyens. C'est ainsi que nous travaillons avec une troupe de théâtre et utilisons différents autres supports qui font monter en compétence les jeunes dans leur capacité à participer – sans quoi on les assigne toujours aux témoignages et à l'unique témoignage. Si un jeune homme participait à notre rencontre d'aujourd'hui, il faudrait, comme nous, qu'il ait préparé son propos et qu'il ait compris les enjeux, sans quoi on réassigne tant les parents que les enfants à la place qu'on veut bien leur laisser.

S'agissant des enjeux globaux, cela fait des années – et la dimension internationale de la fédération nous y aide beaucoup – que nous recherchons les moyens pour que l'arborescence des protections de l'enfance, ici ou ailleurs, soit la Convention internationale des droits de l'enfant. On peut continuer à vouloir des textes, mais il en existe en France. Les lois de 2002, 2007 et 2016 forment un ensemble législatif plutôt positif. Il en va de même pour distinguer les actes usuels et non usuels. Nous disposons de références. Il conviendrait plutôt de travailler sur les leviers et les freins pour déterminer ce que nous avons pu ou non dépasser.

Selon nous, la référence est la Convention internationale des droits de l'enfant, dans ses quatre grands principes : non-discrimination, vie et survie développement, intérêt supérieur de l'enfant et participation. Lorsque l'on monte un nouveau projet, il convient de s'interroger sur les éléments discriminants. S'agissant d'un nouveau projet SOS Villages d'enfants, il faut se demander, en fonction de l'âge moyen des enfants, si on discrimine. Il faut anticiper le fait que ce projet participera d'un meilleur développement, relever la possibilité d'être en capacité de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, en anglais the best interests of the child, autrement dit les meilleurs intérêts de l'enfant. Les termes « intérêts supérieurs » ont d'ailleurs posé un vrai problème. Nous nous sommes dit que certains étaient donc supérieurs à d'autres. Face aux droits humains, hommes, femmes, enfants, personne n'est supérieur à l'autre. Il convient donc de prendre en compte les meilleurs intérêts de l'enfant au moment où la situation intervient et se poser la question de la participation.

Il est essentiel de faire participer l'enfant, de l'entendre dans toutes les décisions et lui permettre d'élaborer son avis. Nous nous imposons cette démarche. À l'échelle d'une organisation, c'est difficile, cela prend des années. Marc Chabant parlait de formation. Nous avons organisé une formation avec le Conseil de l'Europe, la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE), le centre national de la fonction publique territoriale (CFNPT). Nous avons construit un module intitulé « Approche par les droits en protection de l'enfance », qui réunit des groupes d'une quinzaine de personnes : un magistrat, un éducateur, une mère SOS, un éducateur d'une autre association, etc. Tous sont légitimes et, pendant deux jours et demi, ils réinterrogent leurs pratiques au regard des quatre grands principes. Le dernier jour, un module d'une demi-journée est organisé, qui a été co-construit avec des jeunes. À une époque, nous avions proposé à des jeunes anciennement accompagnés de participer à l'élaboration de cette formation. Les jeunes Français ont décidé de construire eux-mêmes un modèle qui est devenu la pépite de cette formation. Il permet à chacun de réinterroger sa place et fonctionne comme un grand parapluie sous lequel se logent les différentes orientations, psychanalytiques entre autres.

Nous pensons nécessaire de renforcer la prévention, de prendre en compte l'enfant dans sa globalité et ses différents droits. Bien évidemment, nous défendons le modèle des villages d'enfant. C'est extraordinaire. Mais il est avant tout nécessaire que chaque département soit en mesure d'offrir un panel de solutions. Un prescripteur, un juge pour enfants, doit comprendre, grâce à l'éducateur ASE et à la famille, qu'un outil spécifique est nécessaire pour cet enfant. Comment mettre en place les quatre droits et les lignes directrices, c'est-à-dire le principe de nécessité et le principe d'adéquation, si le département n'est pas doté d'un panel de solutions ? On voit bien, de fait, que c'est discriminant.

Une offre diversifiée est tout aussi nécessaire, qui pose la question de la formation des travailleurs sociaux.

Un focus étroit doit être réalisé sur l'accompagnement à la sortie. Lors d'une levée de placement d'un enfant de huit ans, comment accompagner ces enfants qui ont vécu plusieurs années dans une maison ? Le déchirement d'avec la famille peut être dur, mais il faut aussi penser au déchirement d'avec le lieu de type familial. Des transitions s'opèrent, et surtout la transition à l'âge adulte que l'on sait de moins en moins accompagner en raison de la sortie à l'âge de 18 ans. Néanmoins, la majorité doit être maintenue à 18 ans. En France et en Europe, l'âge moyen de décohabitation d'un jeune se situe à 24 ans, 24 ans marquant la fin de la jeunesse. Nous sommes dans l'impensé s'agissant des 18-21 ans, sur lesquels il faut vraiment travailler. On plaide et on avance avec nos équipes pour conserver le fil, éviter les sorties sèches et être présents en cas de coup dur.

La sortie doit être repoussée.

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