Intervention de Dr Laurent Chauvaud

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des affaires étrangères

Dr Laurent Chauvaud, directeur de recherche au CNRS :

Je fais partie de ceux qui participent au miracle de l'IPEV et des scientifiques qui sont, grâce à l'IPEV, régulièrement amenés en Antarctique et en Arctique. Je veux vous présenter quelques grands principes qui régissent le fonctionnement des écosystèmes côtiers et les enjeux de l'écologie côtière qui sont propres à l'Arctique et à l'Antarctique, avec des différences assez notables et des points très similaires.

Une première photographie vous montre qu'à Brest, un peu à Marseille aussi, et dans quelques laboratoires français, nous avons des compétences pour la plongée scientifique sous la glace. Cette photo est prise juste à côté de la base Dumont d'Urville, pas très loin du bateau « Astrolabe » que vous a présenté Jérôme tout à l'heure. C'est évidemment cette glace qui est au centre d'un jeu, il faut le comprendre tout de suite. La glace de mer, la banquise, les icebergs, conditionnent le fonctionnement de ce système par une action mécanique, d'abord. Les icebergs qui se promènent ont tendance à broyer une partie de la faune qui se trouve autour de la base Dumont d'Urville – lorsque nous ne sommes pas à une trop grande profondeur – ou à transporter des espèces. C'est un vecteur de bactéries, de vers marins ou de méduses, et ainsi de suite. Quelques groupes s'accrochent à ces radeaux flottants et font le tour de l'Antarctique assez régulièrement. Cette glace conditionne la lumière, la chaleur, le climat et la vie en-dessous. La relation biodiversité et climat passe par la glace. C'est via la glace qu'il faut réfléchir. À Brest, nous avons développé quelque savoir-faire en termes de biochimie, pour décrypter les cycles de la matière sous la glace qui impliquent de la biologie ; on parle du phytoplancton, des algues qui sont dites « épontiques », qui vivent sous la glace ou servent à un réseau trophique qui nous intéresse et qui est en train de changer drastiquement.

Je vous propose de parler de cette vie sous la glace et de choses qui sont reconnues comme extrêmement étonnantes à l'échelle de la planète, avec des curiosités incroyables. Surtout, comment doit-on considérer une écologie doublement nouvelle parce que le fonctionnement de ces écosystèmes est en train de changer rapidement ? Les cycles à l'intérieur de ces systèmes sont eux-mêmes en train de changer. Les espèces sont en train de changer, leur régime alimentaire est en train de changer, et nous nous attendons à des mouvements importants dans les années à venir. La deuxième nouveauté est nettement moins surprenante quand on s'intéresse à la recherche. Les méthodes développées en écologie côtière polaire sont en train de se modifier en se mariant de plus en plus profondément avec les sciences de l'ingénieur. Je vous invite à lire cet article qui a été écrit par un Français, qui vous donne le nombre de publications « CC », pour « changement climatique », et la biodiversité en vert. Vous voyez qu'il y a une énorme proportion des articles relatifs au climat depuis le milieu des années 2005-2006. La quantité de publications sur le changement climatique a, en effet, nettement augmenté par rapport à celle sur la biodiversité en général. Les fonds ont vraiment été attribués à ce changement climatique, beaucoup plus qu'au changement lié à la biodiversité. En Arctique comme en Antarctique, cela va poser une difficulté puisque les deux sont intimement liés. Le point intéressant dans cet article, c'est que, si vous regardez la manière dont la presse internationale parle du changement climatique, le nombre de fois où on en parle par rapport au nombre de fois où on parle de biodiversité et de modification de la biodiversité, vous remarquez qu'il n'y a pas de tendance à la hausse. Nous avons quelque chose de très stable sur la courbe verte en bas. La presse internationale parle de biodiversité de façon constante depuis 1990 contrairement au changement climatique qui est très corrélé à la survenance d'un événement. La raison essentielle est liée au fait que la perception des journalistes et du grand public de la biodiversité est très locale. On s'attend à des changements locaux, en Arctique par exemple, alors que le changement climatique est vu comme quelque chose d'extrêmement global. Il se trouve qu'en milieu polaire, ce que je viens de vous dire est faux, c'est bien quelque chose qui va être à l'échelle d'un océan et de mers entières.

Si l'on s'intéresse à ce que font les scientifiques et ce qu'ils doivent faire en océanographie polaire, c'est dans un cadre d'enjeux climatiques. L'océan est un objet d'étude complexe. Un écosystème côtier reste un objet complexe, au moins aussi complexe qu'un corps humain. Cela nécessite que l'approche ou la façon d'étudier les milieux polaires ou l'océan en général soit extrêmement pluridisciplinaire. Il ne viendrait jamais à l'idée de construire un hôpital avec uniquement un service de cardiologie. Il faut absolument avoir un service d'hématologie ou de radiologie dans le même hôpital, à côté des urgences, pour que l'on réussisse à comprendre comment fonctionne le corps humain, surtout si ce corps est malade.

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