Intervention de Dr Laurent Chauvaud

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des affaires étrangères

Dr Laurent Chauvaud, directeur de recherche au CNRS :

L'ouverture de la glace sur trois mois peut paraître courte. Je voudrais noter que les bateaux et les histoires de navigation et d'ouverture du passage du Nord-Est et les chiffres qui sont donnés n'incluent pas forcément les bateaux qui sont utilisés pour le tourisme. Il faut séparer cela et essayer d'imaginer qu'arrivent en Arctique massivement en milieu côtier des Australiens, des Chinois, et qu'ils débarquent à hauteur de deux ou trois cents personnes dans des écosystèmes fragiles. Nous l'échantillonnons avec les Danois au nord-est du Groenland, il n'y a jamais eu de peuples autochtones là-bas, il fait mille fois trop froid. Les conditions sont trop dures pour qu'il y ait des populations humaines installées.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en écologie un événement peut intervenir de manière très ponctuelle et avoir des conséquences durables. Ainsi, la gelée qui a eu lieu en Bretagne durant l'hiver 1963-1964, au-delà de moins 20 degrés, a fait disparaître le poulpe de la région pendant cinquante ans. L'évènement dure quinze jours et vous en voyez encore les effets cinquante ans après. Il n'y a pas besoin que l'évènement dure un an pour que nous ayons une nouvelle répartition des espèces, les cartes étant rebattues complètement. Un ouragan qui dure deux jours, deux jours plus tard, votre écosystème a complètement changé. Un bateau qui passe, même pendant un mois, même pendant deux mois, avec des touristes qui font du bruit, peut avoir des effets sur un invertébré, une coquille Saint-Jacques, un pétoncle qui se reproduit pendant cette période. Dans ce cas, c'est pendant cette période-là qu'il ne faudrait pas faire de bruit. Ce n'est pas parce que cela ne dure pas longtemps que ce n'est pas très grave.

Pour le magnétisme, je vous ai parlé de transfert. On nous pose souvent la question en France, en liaison avec l'installation de champs éoliens et de transport d'électricité, de l'impact des champs magnétiques sur les invertébrés, les coquilles Saint-Jacques, les homards, les espèces à intérêt commercial. Nous sommes prêts à transférer ce savoir dans les régions polaires. Mais ce n'est pas facile à faire. Cela paraît simple, mais ce n'est pas très simple de mesurer l'impact d'un champ magnétique sur le comportement d'une « bestiole » migratrice. Si vous nous en donnez les moyens, il est possible de transférer cela en milieu polaire.

Quand on parle de la valeur et du côté brevetable de la biodiversité, de ces gènes ou d'enzymes, ou quand on essaye d'imaginer des choses qui sont applicables à la médecine ou à l'industrie de la chimie – c'est ce que l'on imagine –, je vous invite à réfléchir au fait que nous ne pouvons pas éternellement dire que nous sommes capables de chiffrer les biens et services que la nature nous rend en termes d'euros au mètre carré. Ce n'est pas possible, et il y a une raison intrinsèque à cela, c'est que c'est très dépendant de nos connaissances. Je vous donne un exemple. La coquille Saint-Jacques est le plat festif des Français à Noël. Quand vous réfléchissez à la valeur de la rade de Brest, vous dites : « Il y a tant de coquilles Saint-Jacques au mètre carré, je vais vous calculer combien cela rapporte parce qu'il y a des emplois derrière. » Nous faisons ce chiffrage avec les économistes, on vous fournit un chiffre. Je travaille depuis vingt ans sur le fait que la coquille Saint-Jacques est comme un arbre. Nous développons l'idée que cet animal est finalement une archive et enregistre la température de l'eau de mer avec une précision médicale à l'échelle du jour. Nous sommes même descendus à Saint-Pierre-et-Miquelon à l'échelle de dix minutes. Cela veut dire qu'il y a des animaux qui enregistrent la température de l'eau de mer toutes les dix minutes pour nous. Vous n'avez pas besoin de mettre un thermomètre dans l'eau. Il y a des thermomètres partout sur la planète que sont les pétoncles, les coquilles Saint-Jacques, et les invertébrés en général. Immédiatement, votre plat festif est devenu un thermomètre qui a une valeur scientifique qui n'est plus mesurable. Vous nous demandez comment ont évolué les propriétés de l'eau ? Vous avez un animal qui répond à cette question, à laquelle nous ne pouvions pas répondre avant. Sa valeur vient de changer. Cela devient aussi absurde de poser la question : « Quelle est la valeur de cette coquille Saint-Jacques ? » que de poser celle de la valeur de la Joconde. Elle est absolue. Elle est infinie. Vous pouvez étendre cette idée à l'ensemble de la biodiversité. Cela dépend tellement de nos connaissances qu'il faut arrêter de se poser cette question. Il faut intégrer des concepts un peu plus complexes en termes de valeurs.

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