Intervention de Jean-Pierre Farandou

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 15h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Pierre Farandou :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux et honoré de me présenter devant vous afin de soumettre ma candidature à votre vote.

Le Président de la République ayant proposé mon nom pour prendre la responsabilité de la nouvelle SNCF, je souhaite vous faire part de ma vision.

Je sais qu'au-delà de l'actualité législative, les mobilités en général, et le secteur ferroviaire en particulier, représentent pour vous, comme pour chaque élu, une question politique centrale, sensible au quotidien. Cette sensibilité est forte et touche tous les territoires : j'en ai conscience, aussi bien comme citoyen que comme chef d'entreprise, lorsque j'observe ce qui se passe en France et dans le monde.

Si je connais votre attachement à la SNCF et les attentes que vous nourrissez à son égard, je vous sais également attentifs au service rendu. Je mettrai toute mon énergie à garantir la qualité et l'efficacité, et ce chaque jour de mon mandat.

Permettez-moi de partager avec vous quelques éléments de mon parcours. Je suis né le 4 juillet 1950 à Talence, en Gironde. À la sortie de l'École des mines de Paris, et après avoir accompli mon service militaire dans l'armée de l'air, je suis entré en 1981 à la SNCF.

J'ai fait tous les métiers du transport – aiguilleur, conducteur de train, régulateur –, passant par toutes les étapes du management opérationnel – chef d'équipe, chef d'établissement, directeur régional, directeur général des transports en commun lyonnais. J'ai lancé trois TGV : le TGV Nord en 1993, le Thalys en 1996 et le TGV Méditerranée en 2001. J'ai été directeur-adjoint des ressources humaines lors de la négociation sur les 35 heures. Au sein du comité exécutif de la SNCF, j'ai créé SNCF Proximités, la branche des trains de la vie quotidienne. Depuis sept ans, je suis président-directeur général de Keolis, spécialiste du transport urbain.

J'ai passé un tiers de ma carrière à l'extérieur de l'établissement public SNCF, dont cinq ans à l'étranger. J'ai été à deux reprises président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP). J'ai aussi assuré la présidence de l'Orchestre national d'Île-de-France et de l'Union des points d'information et de médiation multiservices (PIMMS).

J'ai le service public, la mobilité et les territoires chevillés au corps.

Après avoir mis en perspective la nouvelle SNCF, je vous dirai les engagements que je veux prendre vis-à-vis de l'État, des Français et des cheminots, ainsi que l'orientation que j'entends donner à l'entreprise, à ce moment si particulier de son histoire et, plus généralement, du ferroviaire.

La mission du futur président de la SNCF doit être considérée au regard des décisions politiques récentes et futures, mais aussi des urgences qui caractérisent notre époque.

La détermination politique de l'État et du Parlement a marqué la réforme qui donnera naissance à la nouvelle SNCF. Dès le premier jour de son existence, l'entreprise devra être consciente tant de la transformation à opérer que des engagements à tenir.

L'État et le Parlement ont pris acte de la nécessité de moderniser le système ferroviaire. Je salue leur rôle dans l'impulsion de cette dynamique. Le Parlement y a pris sa part dès 2014 en créant SNCF Réseau, puis en adoptant le nouveau pacte ferroviaire en 2018. La reprise de dette, qui vous sera proposée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, constituera la prochaine étape importante de cet engagement des pouvoirs publics.

L'État et le Parlement ont voulu une nouvelle SNCF unifiée, car l'efficacité du système ferroviaire français est durablement liée à la synergie entre le gestionnaire d'infrastructures et l'opérateur principal du réseau, la SNCF. Cela concernera des choix techniques majeurs comme le système d'exploitation et d'espacement des trains, la planification et l'exécution des travaux ou encore l'information en temps réel des voyageurs.

Garant de l'unité de la nouvelle SNCF, je veillerai aussi, bien sûr, au strict respect des règles françaises et européennes en matière d'égalité entre les opérateurs pour l'accès au réseau et, plus largement, aux facilités essentielles.

À nous, dirigeants de l'entreprise, de faire notre part du travail avec lucidité, pragmatisme et ambition.

Ouverture à la concurrence ; changement des statuts juridiques et passage du statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC) à celui de société anonyme ; reprise de la dette ; évolution du statut social des personnels et arrêt des recrutements statutaires au 1er janvier 2020 : ces mesures ne sont pas de simples évolutions technocratiques, elles marqueront à jamais l'histoire du secteur ferroviaire et de la SNCF. Il s'agit d'une étape déterminante pour le groupe et pour les mobilités en France.

Le Président de la République a fixé le cap : la SNCF doit devenir la championne mondiale des mobilités du XXIe siècle. Nous devons désormais conduire cette transformation sans oublier notre responsabilité, qui est de nous montrer dignes de la confiance des élus et de la société. Nous devons répondre à cet enjeu politique et économique déterminant pour notre avenir.

Nous avançons avec lucidité et pragmatisme. Par le passé, la SNCF a déjà accompagné les grandes transformations de la société, comme le passage d'une économie industrielle à une économie de services ou l'urbanisation et la métropolisation des territoires.

Les transports de la vie quotidienne ont été ma priorité, aussi bien à la SNCF où j'ai créé la direction SNCF Proximités, que chez Keolis où j'ai lancé d'ambitieux projets de mobilité, en France et à l'étranger.

Quand on pense à la SNCF, on pense souvent aux trains et voyageurs en France. En réalité, la SNCF est un fleuron que nous exportons dans 120 pays, tant sur les marchés du transport de voyageurs que de la logistique. Le groupe réalise un chiffre d'affaires de 33 milliards d'euros, dont un tiers à l'international, il compte 270 000 collaborateurs, dédiés à 100 métiers. Fort de ce que je vis chez Keolis, je maintiendrai et renforcerai cette ambition.

Le ferroviaire représente environ 50 % du chiffre d'affaires du groupe SNCF, l'autre moitié étant réalisée dans le transport urbain – Keolis est le premier exploitant de métros automatiques dans le monde –, dans le transport routier de marchandises – Geodis est le quatrième logisticien européen –, ou encore dans le numérique – Oui.sncf est le premier e-commerçant de France.

Parmi les grands succès de la SNCF, il convient de citer le train express régional (TER), remarquable exercice de décentralisation, le Transilien, malgré la complexité de son exploitation, ainsi que les investissements massifs de ces dernières années pour la remise en état du réseau ferré national.

Je tiens à associer à ces réussites les présidents précédents qui m'ont particulièrement marqué : M. Louis Gallois, Mme Anne-Marie Idrac et, bien sûr, M. Guillaume Pepy, que je salue et remercie d'avoir replacé le client au coeur de notre action.

La naissance de la nouvelle SNCF survient dans un contexte spécifique, marqué d'abord par l'urgence environnementale, dont la prise de conscience est inédite. Cela nous dépasse et nous oblige envers la planète.

Je souhaite que la nouvelle SNCF décline, pour ce qui la concerne, les objectifs de développement durable que la France s'est fixés. Nous sommes déjà en mouvement : SNCF Réseau est la seule compagnie ferroviaire au monde à avoir levé plus de 5 milliards d'euros d'obligations vertes, les fameux « green bonds ».

La deuxième urgence concerne les territoires. Parler des territoires revient à affirmer que l'opposition, classique ces dernières années, entre grandes lignes et petites lignes, entre « mass transit » et lignes de desserte fine du territoire n'a plus cours. Les différences qui existent entre ces lignes doivent porter sur les méthodes d'exploitation, non sur l'importance qu'on leur accorde. Les territoires ont un droit à la différence, qui ne doit en aucun cas les priver d'un service ferroviaire ou de mobilité efficace.

La troisième urgence est d'ordre économique et social. L'ouverture généralisée à la concurrence et la reprise de la dette par l'État imposent que nous fassions rapidement un effort d'efficacité pour renouer avec la compétitivité et équilibrer le système ferroviaire français.

Cette exigence économique comprend nécessairement un volet social : il ne faut pas opposer l'un à l'autre, mais marcher sur les deux jambes de l'efficacité économique et du nouveau pacte social entre la SNCF et ses salariés.

Il est urgent de transformer la SNCF en nouvelle SNCF. Je souhaite incarner et accompagner l'entreprise dans la construction d'un regard neuf et sans tabou sur elle-même : les sept années que je viens de passer chez Keolis me permettent d'apporter une vision lucide et bienveillante sur ce qu'il convient de faire évoluer.

Nous devons ouvrir collectivement une ère nouvelle. La SNCF appartient à notre patrimoine et doit symboliser toutes nos ambitions en matière de mobilité. Elle doit rendre aux Français ce que chacun d'entre eux lui a donné. Ce que je souhaite, c'est une nouvelle SNCF au service des Français et des territoires.

J'appelle de mes voeux une SNCF utile, car c'est là notre valeur cardinale. Une utilité environnementale, pour concourir aux engagements de la France en matière de réduction d'émissions de dioxyde de carbone et atteindre la neutralité carbone dès 2035 ; une utilité servicielle, pour proposer aux Français le haut niveau de qualité de service ferroviaire qu'ils sont en droit d'attendre.

La nouvelle SNCF doit être plus connectée, plus proche et plus efficiente : je souhaite qu'elle concilie les attentes du client – qu'il soit voyageur, collectivité territoriale ou chargeur – et le sens du service public.

Les valeurs du service public et de l'intérêt général s'imposent plus que jamais. J'estime que l'intérêt général doit servir l'intérêt économique, et inversement. Améliorer notre compétitivité économique est indispensable pour mieux soutenir le service public.

J'en viens au contenu de mes engagements.

Il convient d'abord de respecter les fondamentaux qui constituent nos racines. Ils sont essentiels, je me permets de les rappeler : sécurité des circulations et du personnel ; performance du réseau ; ponctualité ; précision de l'information fournie aux voyageurs.

Au-delà, mon premier engagement concerne le client. Celui-ci a droit à un service et à une attention plus personnalisés. Les voyageurs attendent de la nouvelle SNCF qu'elle soit plus ouverte et plus accessible, notamment en termes de prix ; ils veulent une expérience de service plus adaptée à leur personne.

La nouvelle SNCF doit jouer un rôle moteur pour l'ensemble des mobilités. Keolis a ainsi proposé plusieurs innovations en matière de service qui simplifient la vie des clients. Au-delà de la continuité de service, nous devons créer une continuité de mobilité en utilisant toutes les solutions disponibles sur le marché – celles de la SNCF bien sûr, mais aussi celles des autres acteurs. La question n'est pas de savoir ce que la SNCF a pu proposer, mais quelle offre de mobilité la nouvelle SNCF sera en mesure de construire.

Penser au client revient à penser à tous les clients. Pour les chargeurs et le fret, l'enjeu n'est pas seulement commercial : il s'agit aussi de contribuer à une économie décarbonée.

Je m'engage aussi à répondre au défi climatique et à rester proche des territoires. L'équation est simple : il faut donner l'envie de train, choisir la façon la plus directe de lutter pour le climat et permettre un développement durable en conjuguant mobilité et protection de la planète.

La SNCF constitue intrinsèquement une partie de la réponse au changement climatique. Nous devons continuer à faire mieux, c'est-à-dire plus écologique et plus local. Nous devons viser la neutralité carbone, tout en tenant compte des contraintes économiques maîtrisées. Cela se traduira par la construction de programmes innovants. Nous entendons ainsi entretenir les voies sans abîmer les sols : le glyphosate cessera d'être utilisé en 2021.

Pour davantage de proximité encore, je suis la voie tracée par le Premier ministre et m'engage à dialoguer avec tous les territoires.

Mon troisième engagement a trait aux salariés : il nous faut construire un nouveau pacte social. En tant que président de l'UTP, j'ai négocié en 2016 certains points importants de la convention collective nationale de la branche ferroviaire, comme l'organisation du travail. La branche doit désormais finaliser les chapitres relatifs à la classification et à la rémunération pour l'ensemble des salariés des entreprises relevant de ce secteur.

Comme tout groupe industriel, la SNCF voit, sous l'effet notamment de la révolution numérique, ses métiers confrontés à des évolutions majeures. Nous ne connaissons pas aujourd'hui la moitié des métiers qui seront exercés dans vingt ans. Le nouveau pacte social doit garantir à chacun une place et des perspectives à long terme. Il doit également donner envie de rejoindre la nouvelle SNCF.

Mon quatrième engagement porte sur l'efficacité économique et financière. En sept ans, j'ai fait progresser le chiffre d'affaires de Keolis de 70 % ; la marge a doublé et la dette du groupe est désormais sous contrôle.

La nouvelle SNCF devra tenir ses engagements vis-à-vis de l'État et respecter la trajectoire de retour à l'équilibre du système ferroviaire en 2022. C'est la contrepartie du désendettement massif – 35 milliards d'euros de reprise de dette – décidé par l'État ; c'est aussi la condition nécessaire de sa compétitivité.

Pour ce faire, nous devrons développer les recettes – davantage de clients, et plus de clients satisfaits –, réduire les coûts d'exploitation et optimiser les investissements – la priorité sera donnée aux investissements productifs et à ceux qui améliorent le service.

Plusieurs leviers permettront cette transformation : la culture de la performance individuelle et collective, l'efficacité industrielle, l'innovation et le digital mis au service de tous. La révolution numérique est omniprésente ; à nous de la maîtriser pour dépasser la fracture numérique, qui recoupe souvent une fracture territoriale. La mobilité durable sera au coeur de cette transformation.

Pour atteindre l'excellence que je vise, il n'y a pas de temps à perdre. Les cycles économiques n'ont jamais été aussi courts et les concurrents aussi agressifs. Nous ferons de l'adaptation de notre service au changement des modes de vie une obsession permanente.

Voyons clair, soyons lucides ! Si, demain, elle offre les services dont ils ont besoin, les voyageurs – même ceux dont les yeux sont aujourd'hui rivés sur l'ouverture à la concurrence – choisiront la nouvelle SNCF.

Si, demain, elle est capable de répondre de façon compétitive aux enjeux climatiques du secteur du transport de marchandises et de la logistique, les chargeurs choisiront la nouvelle SNCF.

Si, demain, elle n'oppose pas petites et grandes lignes mais offre à un prix raisonnable une réponse globale aux besoins de mobilité dans toute leur variété, les territoires choisiront la nouvelle SNCF.

Si, demain, elle est reconnue pour sa haute capacité d'innovation, partenaires industriels, PME et startups choisiront la nouvelle SNCF.

Je me présente devant vous pleinement conscient de la responsabilité qui m'incombera pour mener cette transformation. Le courage politique dont a fait preuve le Parlement engage la nouvelle SNCF à concrétiser rapidement son projet au service des Français et des territoires.

Pour mener à bien cette transformation, je ne serai pas seul dans l'exercice de ma présidence : la SNCF se dirige avec les cheminots, l'ensemble des salariés d'aujourd'hui et de demain et leurs représentants syndicaux, avec les clients qui vivent la SNCF au quotidien et leurs associations, avec les élus, nationaux, régionaux et locaux et les territoires dans leur diversité, avec nos partenaires et nos fournisseurs.

Si vous m'y invitez, madame la présidente, je rendrai compte chaque année devant votre commission de l'avancement de cette transformation en nouvelle SNCF. Nous pouvons la mener à bien – nous le devons à chaque Français.

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