Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 10 octobre 2019 à 9h00
Violences au sein de la famille — Après l'article 1er

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le sujet est très important, puisqu'il s'agit de préciser à quels types de couple peuvent s'appliquer les ordonnances de protection.

Monsieur le rapporteur, je ne partage pas votre opinion, selon laquelle les normes civiles comporteraient des « trous dans la raquette », pour reprendre votre expression. Il me semble que la jurisprudence pourvoit à ces définitions, mais peut-être n'aurons-nous pas le même avis sur le sujet.

L'objectif des différents amendements est de couvrir toutes les situations : les couples qui vivent ensemble, ceux qui viennent de se séparer, ceux qui sont séparés depuis longtemps, ceux qui n'ont pas vécu ensemble, etc. Cependant, les propositions qui ont été faites, pour certaines d'entre elles en tout cas, risquent d'aller à l'encontre de cet objectif, en créant de la confusion et en déstabilisant des notions connues et établies, notamment par la restriction du champ de la notion de couple, tel qu'il est défini par la jurisprudence civile.

Comme vous le souligniez dans l'amendement que vous aviez initialement déposé, monsieur le rapporteur, le concubinage est défini à l'article 515-8 du code civil comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité ». Mais la jurisprudence apprécie cette définition avec une grande souplesse et l'élargit à de nombreuses situations de fait. Les juges aux affaires familiales délivrent ainsi des ordonnances de protection aux couples qui ne cohabitent pas. Vous l'avez d'ailleurs vous-même souligné lorsque vous avez dit que 13 % des ordonnances de protection prononcées en 2016 ne mentionnaient pas de divorce, pas de dissolution de PACS, pas de décohabitation, mais seulement une séparation du couple. La jurisprudence donne donc à la notion de couple une acception large, qui permet de s'adapter à tout type de relation sentimentale.

Dans leurs décisions, les juges constatent et retiennent que le concubinage est un statut juridique qui recouvre des réalités très diverses, présentant toutes les formes non organisées de la vie commune : sans cohabitation et sans communauté de vie, avec la seule existence de relations stables et continues, relation de couple sans partage à temps complet d'un même domicile, union reconnue en l'absence de cohabitation véritable, etc. Les arrêts des cours d'appel reflètent cette diversité des situations et la conception souple et large adoptée par le juge français. Le code civil, à l'article 515-8, consacre cette position, confirmée par la Cour de cassation.

Cette conception jurisprudentielle revient à l'étymologie du terme « concubinage », qui signifie « communauté de lit », laquelle doit être évidemment distinguée d'une communauté de vie, entendue comme une cohabitation. Au-delà des décisions judiciaires, le code de l'action sociale et des familles retient également une appréciation large du couple, puisque la circonstance selon laquelle l'un des membres réside à l'étranger ne suffit pas à considérer celui qui réside en France comme célibataire.

Il n'y a donc, me semble-t-il, pas de difficulté juridique sur ce point : l'ordonnance de protection est déjà applicable à tout type de relation sentimentale, quelle que soit sa nature. Il faut veiller, mesdames et messieurs les députés, à ce que nos écritures, lorsqu'elles n'ajoutent rien au droit existant, ne remettent pas en cause une jurisprudence établie, souple et protectrice, quelles que soient la réalité et les formes de la vie de couple.

Partant de cette situation jurisprudentielle, j'avais émis un avis favorable sur l'amendement no 119 , initialement déposé par M. le député Peu ; je concède en effet que le texte présente un déséquilibre, puisque l'article 515-9 du code civil évoque « les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin ». Vous estimiez important, monsieur le député, que la loi précise que la cohabitation n'était pas une condition de l'ordonnance de protection et que celle-ci pouvait donc être délivrée après la séparation d'un couple. La rédaction que vous proposiez faisait écho à celle qui figure dans le code pénal, raison pour laquelle j'avais pensé émettre un avis favorable à votre amendement, le préférant en quelque sorte à ceux de M. le rapporteur et à celui de Mme Boyer, qui présentaient les difficultés que je viens d'évoquer devant vous.

Si mon avis est favorable sur l'amendement no 119 , il ne l'est pas sur le sous-amendement no 176 . En effet, vous proposez la formule – je suis un peu confuse, mais j'espère que tout le monde suit –...

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