Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Nous ne portons pas de jugement sur la situation financière des collectivités territoriales, nous livrons de simples constats, et en particulier celui que cette situation est meilleure aujourd'hui qu'elle ne pouvait l'être hier. C'est un fait objectif, qui s'explique de différentes manières : les dotations de l'État qui ont arrêté de baisser, voire qui ont légèrement augmenté, la fiscalité locale très dynamique, ou encore les décisions de l'État qui pèsent moins aujourd'hui sur les budgets des collectivités territoriales. L'addition de ces facteurs a produit une amélioration globale, même si, ici ou là, il reste des situations critiques.

Si nous exprimons une forme de préoccupation, c'est que nous considérons que la situation financière des collectivités territoriales peut encore s'améliorer, ainsi que l'envisage la loi de programmation, qui table sur une forte contribution positive du solde des APUL au solde de l'ensemble des APU (administrations publiques), mais que nous constatons néanmoins, en 2019, une évolution des dépenses d'investissement et de fonctionnement plus importante que ne l'avait anticipé le Gouvernement. Les collectivités utilisent leurs marges de manoeuvre supplémentaires pour investir davantage ou pour desserrer la maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, et ce malgré des efforts de gestion inédits, qui montrent que chacun a pris conscience de la nécessité de maîtriser davantage les dépenses de fonctionnement.

J'en profite pour indiquer à Mme Rubin qu'il n'y a pas toujours de corrélation entre l'augmentation des crédits et l'amélioration du service rendu. C'est toute la question de la performance et de l'efficience des politiques publiques. D'où l'intérêt de s'interroger sur les autres moyens de répondre aux nombreux besoins exprimés par les citoyens, qui sollicitent les élus.

Nous avertissons donc que les prévisions de la loi de programmation pourraient ne pas se réaliser dès lors que les collectivités territoriales choisissent d'utiliser les marges qu'elles ont dégagées pour augmenter leurs dépenses. C'est ce qui se passe pour la sécurité sociale, puisque le report dans le temps du retour à l'équilibre compromet, ou à tout le moins retarde, le respect des objectifs inscrits dans la loi de programmation.

Pour ce qui concerne les régions, sans non plus porter de jugement, nous constatons que la fusion n'a pas entraîné d'économies mais plutôt une hausse des dépenses. Certaines sont liées à la transition, d'autres sont plus pérennes, comme celles qui correspondent à l'augmentation des régimes indemnitaires ou à l'alignement par le haut de certains critères d'intervention des politiques publiques. Ces dépenses pérennes continueront de peser sur les budgets des collectivités territoriales, mais nous estimons qu'il existe des marges d'efficacité. Le premier bilan que nous dressons ne peut donc pas être considéré comme définitif. On peut penser qu'une fois passée la période de transition, certaines régions prendront des dispositions pour exercer pleinement leurs compétences et s'efforcer de mieux maîtriser l'évolution de leurs dépenses, notamment de fonctionnement.

Pour ce qui concerne la circulaire du Premier ministre sur la maîtrise des normes, nous avons constaté un impact moins fort des décisions de l'État sur les budgets 2018, voire 2019. Même s'il est difficile de quantifier la part attribuable à cette circulaire dans cette baisse, sa mise en oeuvre coïncide néanmoins avec la forte diminution du nombre de décrets relevant du pouvoir réglementaire. Cette circulaire a donc vraisemblablement produit des effets, sachant que, dans les dix-huit mois ayant suivi l'application de la règle du « 2 pour 1 », 32 décrets autonomes ont été publiés qui ont eu une incidence sur les collectivités territoriales, contre 150 sur la même période, avant la publication de la circulaire. Sur le plan quantitatif, l'évolution est donc significative ; sur le plan qualitatif, des progrès ont également été enregistrés. Il importera d'apprécier par la suite cette évolution dans le temps, pour s'assurer que le phénomène est durable.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la clarification de la répartition des compétences. En matière de mobilité, le transfert des transports scolaires interurbains des départements aux régions a renforcé la cohérence de l'action de ces dernières. Conformément au principe du transfert par bloc de compétences, nous suggérons donc d'examiner la possibilité de transférer aux régions le réseau routier national non concédé, voire les routes départementales – ce qui était d'ailleurs envisagé dans les premières versions de la loi – pour poursuivre ce mouvement.

La transition écologique pourrait également être de la responsabilité des régions, même si la recentralisation annoncée des aides surfaciques du deuxième pilier de la PAC ne va pas nécessairement dans ce sens. Les régions ont la responsabilité du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), elles sont déjà fortement mobilisées en matière de développement économique, de mobilité, d'agriculture et elles ont une compétence en matière de logement, autant de domaines qui participent des politiques publiques impliquées dans la transition écologique.

Dans le domaine de la santé, il y a également des pistes à explorer, de nombreux départements s'étant d'ailleurs déjà saisis de la question à travers l'implantation de maisons de santé et le recrutement de médecins.

En matière d'éducation, le transfert des gestionnaires des collèges et des lycées, réclamé par les régions et les départements pourrait apporter plus de cohérence à l'action de ces collectivités ; elles pourraient ainsi avoir la charge de procurer au corps enseignant l'outil nécessaire aux activités pédagogiques.

L'enjeu plus général est que, très souvent, le transfert de compétences ne se fait pas jusqu'au bout et que, lorsque l'État transfère une compétence, il peut en conserver une partie. Il en est de même pour le transfert de compétences des communes à l'intercommunalité. De fait, la loi NOTRe n'a pas parfaitement clarifié la répartition des compétences entre collectivités, ou entre l'État et les collectivités.

En ce qui concerne les politiques publiques partagées, ce n'est pas l'objet du rapport, mais nous avons montré dans de précédents travaux que c'est parce que la situation financière de l'État est contrainte qu'il propose parfois aux collectivités territoriales de partager la dépense. Quand il le fait, les collectivités territoriales le sollicitent sur de nouvelles demandes – je pense notamment au tracé de lignes TGV ou à la création de gares supplémentaires –, ce qui peut parfois renchérir les coûts et, dans le même temps, affaiblir la pertinence même de l'investissement réalisé.

Les compétences et les politiques partagées ne signifient donc pas toujours allocation optimale des ressources, même si cela permet parfois de débloquer des investissements que l'État ne pourrait pas assumer seul. D'où l'intérêt d'une clarification plus forte des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Le Gouvernement a d'ailleurs proposé qu'il soit davantage tenu compte des transferts de compétences, notamment en matière de développement économique et de transports, afin d'éviter les doublons. C'est l'objet d'une circulaire publiée cet été pour recentrer les services de l'État sur leurs propres compétences et laisser les leurs aux services des régions. Il reste néanmoins à l'État beaucoup d'efforts à faire.

En ce qui concerne la contractualisation, le bilan, même s'il est encore loin d'être définitif, est positif. Des questions demeurent quant à son périmètre : nous recommandons à l'État qu'il puisse élargir ce périmètre aux budgets annexes et qu'il soit plus transparent au sujet du retraitement de certaines dépenses opéré par l'administration. Sur ce point, la réponse du Premier ministre n'est pas complètement satisfaisante lorsqu'il considère que les collectivités territoriales n'ont pas obligatoirement à comprendre la façon dont les services de l'État traitent ces dépenses. Il reste donc des marges de progrès pour améliorer la transparence et la lisibilité des dispositifs.

Sans un dispositif clair, qui couvre l'ensemble du périmètre d'action des collectivités, il nous est très difficile de dresser un tableau comparatif des régions. C'est le cas, par exemple, avec les fonds européens, que certaines régions incluent dans leur budget de fonctionnement, tandis que d'autres les considèrent comme de l'investissement, ce qui rend les choses incompréhensibles. Là non plus, la réponse du Premier ministre n'est absolument pas satisfaisante, et s'abriter derrière la libre administration des collectivités territoriales n'est pas un bon argument. La libre administration des collectivités territoriales s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Or il s'agit là de problèmes de comptabilité, et ce n'est pas porter atteinte au principe de libre administration que de demander aux collectivités d'avoir des principes clairs en matière de comptabilité.

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