Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Il n'appartient pas à la Cour de porter une appréciation politique sur une réforme. Le Parlement est souverain et nous ne pouvons qu'apprécier les conséquences d'une réforme, en évaluer les impacts après sa mise en oeuvre. La Cour n'a ainsi pas d'appréciation à porter sur la décision de ramener le nombre de régions de vingt-deux à treize. Cela relève de la responsabilité politique, tout comme la suppression de la taxe d'habitation. Ce que nous pourrons apprécier, lorsque vous aurez décidé de la suppression de la taxe d'habitation, ce sont ses impacts après quelques années. Il n'entre pas dans les missions de la Cour de faire des études d'impact pour les réformes en cours. Je ne serai donc d'aucune utilité dans votre débat présent sur la réforme de la fiscalité locale.

Sur deux sujets que vous avez soulevés, des travaux sont en cours. Je viendrai vous les présenter lorsqu'ils seront terminés. Les chambres régionales travaillent sur les mineurs non accompagnés, et une évaluation de la politique de la ville est engagée, à partir des travaux des chambres régionales et de la Cour. Ces travaux vous seront présentés plutôt en 2020 qu'en 2019.

S'agissant de la nouvelle compétence GEMAPI, les chambres régionales n'ont pas encore effectué de travaux. Ce sujet méritera d'être étudié, étant entendu qu'il faut avoir suffisamment de recul pour pouvoir apprécier les conséquences de l'exercice d'une nouvelle compétence par une collectivité territoriale.

Les EPT n'ont pas non plus été étudiés par la formation interchambres. Il a seulement été précisé que les EPT d'Île-de-France n'entraient pas dans le champ de la contractualisation. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à votre question, mais la chambre régionale d'Île-de-France aura vraisemblablement à s'exprimer sur ce sujet à l'avenir.

Madame Bonnivard, nous sommes conscients de la diversité des situations s'agissant de l'augmentation des dépenses de fonctionnement dans les régions fusionnées. Nous faisons apparaître les différences et nous apportons les données sans porter d'appréciation particulière.

Entretenons-nous une suspicion permanente ? J'invite à lire nos rapports, ceux des chambres régionales et ceux de la Cour, en totalité ; ils contiennent souvent des éléments positifs. En se contentant d'en prendre connaissance par des articles de presse ou des reportages, la vision en est forcément déformée. Ce que vous avez dit n'est pas objectif et ne correspond absolument pas à l'état d'esprit des magistrats des chambres régionales ni de la Cour.

Lorsque nous exprimons des inquiétudes, nous jouons notre rôle. J'ai le regret de vous dire que pour l'année 2019, par exemple, nos craintes relatives à l'augmentation des dépenses se sont vérifiées. En 2018, celle-ci était de 0,4 % pour l'ensemble des collectivités – et même moins 0,4 % pour celles qui faisaient l'objet de la contractualisation. Aujourd'hui, l'accroissement des dépenses de fonctionnement atteint 2,2 %, et 2,6 à 2,7 % pour les collectivités engagées dans la contractualisation. Quand nous disons que les efforts de gestion peuvent ne pas être constants d'une année sur l'autre, j'ai le regret de vous dire que cela se vérifie.

Suspectons-nous pour autant les élus locaux de ne pas tenir leurs engagements ? Non. Nous constatons seulement les faits, et nous notons d'ailleurs les efforts de gestion. Nous avons dit que la maîtrise de l'ensemble des dépenses des collectivités locales est beaucoup plus forte aujourd'hui qu'elle a pu l'être hier, qu'il y a une prise de conscience de la part de l'ensemble des acteurs publics de la nécessité de mieux maîtriser les dépenses de fonctionnement. Les citoyens, d'ailleurs, ne se contentent pas de regarder le bilan ; ils le comparent au niveau des impôts, à l'efficacité et à l'efficience des investissements – dont certains peuvent conduire à réduire les coûts de fonctionnement. Nous essayons d'avoir un regard objectif, dépourvu de suspicion a priori. Reste qu'en regardant la loi de programmation telle qu'elle nous a été présentée, nous constatons des écarts qui concernent aussi bien les collectivités territoriales que la sécurité sociale ou l'État. Encore une fois, dans le passé, lorsque nous avons exprimé des craintes, elles se sont vérifiées – mais le pire n'est pas toujours certain, évidemment.

Nous reconnaissons publiquement que la tâche des élus n'est pas toujours facile. Ils sont confrontés à des demandes, parfois contradictoires, de la part de nos concitoyens, qui souhaitent voir certains besoins satisfaits sans que les impôts augmentent. Nous connaissons ces contraintes, et les magistrats des chambres régionales en ont pleinement conscience. Cela dit, nous constatons l'existence, pour l'État comme pour les collectivités territoriales, de marges d'amélioration de la maîtrise des dépenses, notamment de fonctionnement. En particulier, dans le poste des dépenses de personnel, toute dérogation à la durée du travail de 35 heures peut représenter des équivalents temps plein.

Comparaison n'est pas toujours raison entre l'État et les collectivités territoriales puisque ces dernières, au contraire de l'État, ne peuvent emprunter que pour leurs dépenses d'investissement. Pour l'État, c'est différent. D'ailleurs, une grande partie de sa dette est le fruit de dépenses courantes, de dépenses de fonctionnement. L'État, pendant très longtemps, a aussi compensé à la sécurité sociale certaines dépenses supplémentaires résultant de décisions ou de votes du Parlement.

L'effort de maîtrise de la dépense et de respect des engagements doit concerner autant l'État et la sécurité sociale que les collectivités territoriales, ce dont, me semble-t-il, elles sont de plus en plus conscientes. Nous avons reconnu, d'ailleurs, ces deux dernières années, qu'elles avaient contribué positivement au solde de l'ensemble des administrations publiques. Ça ne fait pas toujours les gros titres des journaux, mais nous le disons régulièrement, le plus objectivement possible.

La contractualisation a suscité beaucoup de questions. Nous avions invité l'exécutif à améliorer la qualité du dialogue avec les élus locaux, et à cesser, notamment, de réduire uniformément les dotations de l'État. C'est la « contractualisation » qui a été retenue. Ce dispositif peut être amélioré, tant en ce qui concerne son périmètre que son degré de transparence. Nous formulons des propositions en ce sens, dès lors que le mécanisme pourrait être pérennisé, mais cela s'inscrit dans le cadre plus général des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Ce n'est pas remettre en cause, me semble-t-il, la libre administration des collectivités territoriales que d'énoncer des règles d'évolution de la dépense, dans la mesure où, en vertu de la Constitution, la libre administration s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Un cadre peut donc être défini. Nous avons, d'ailleurs, recommandé à plusieurs reprises qu'une loi de financement des collectivités territoriales puisse être instaurée, qui permette la tenue d'un débat au Parlement sur des objectifs et des règles fixés aux collectivités territoriales.

Je ne suis pas en mesure de répondre aux questions de M. Morel-À-L'Huissier – mais il le sait – sur l'atteinte à l'identité régionale. Je sortirais de mon rôle si je portais une appréciation à cet égard.

Nous avons remis un premier bilan de la phase d'expérimentation de la certification des comptes locaux à la commission des Finances, mais je crois que l'ensemble des parlementaires en a eu connaissance par le biais d'un rapport du ministère de l'Économie et des finances. Je suis, bien sûr, à votre disposition pour commenter ce bilan intermédiaire, sachant que l'expérimentation se poursuivra encore quelques années – vous avez souhaité une durée assez longue pour que nous puissions formuler des propositions à partir du travail réalisé. Vingt-cinq collectivités sont concernées par l'expérimentation, qui sera réellement effective à partir de l'année prochaine, s'agissant de la certification en tant que telle.

Les conclusions qu'on en tirera ne vaudront d'ailleurs sûrement pas, on a commencé à le dire, pour toutes les collectivités territoriales. De fait, la certification est un exercice lourd, qui peut être intéressant pour des collectivités locales de grande taille. Pour celles de dimension plus réduite, d'autres solutions pourraient contribuer à une plus grande fiabilité, une sincérité accrue des comptes locaux. Une annexe au rapport comporte des développements sur les marges de progression permettant d'améliorer très sensiblement la fiabilité des comptes, d'après un travail réalisé par les chambres régionales sur le sujet.

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