Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter l'édition 2019 de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le PLFSS 2020, qui sera déposé sous peu sur le bureau de votre assemblée. Pour vous présenter nos travaux, je suis venu accompagné de Denis Morin, président de la sixième chambre, de Michèle Pappalardo, présidente de chambre et rapporteure générale de la Cour, de Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport, et d'Antoine Imberti, auditeur, rapporteur général-adjoint.

La sécurité sociale est une institution-clef sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales. Elle mobilise, à ce titre, des montants financiers très élevés. Ainsi, en 2018, les régimes de sécurité sociale ont versé près de 480 milliards d'euros de prestations, soit environ 21 % de notre richesse nationale. Quand on prend également en compte les retraites complémentaires, l'assurance chômage, les aides au logement, ainsi que les prestations de solidarité financées par l'État et les départements, les prestations sociales représentent 28 % de notre produit intérieur brut et la moitié de nos dépenses publiques.

Le niveau de protection sociale dont bénéficient nos concitoyens est, en moyenne, très élevé par rapport à celui de la plupart des pays européens. En 2018, l'assurance maladie a, par exemple, pris en charge plus de 78 % des dépenses de santé des Français, ce qui place notre pays dans la fourchette haute du financement public des dépenses de santé au sein de l'Union européenne. Autre exemple, grâce à notre système de retraites, le taux de pauvreté des retraités dans notre pays est de 8 %, contre 14 % pour la population française prise dans son ensemble.

Toutefois, vous le savez, la sécurité sociale connaît depuis de trop nombreuses années une situation financière fragilisée et les performances de notre système de protection sociale ne sont pas toujours à la hauteur des efforts consentis pour le financer.

Les travaux que nous publions nous conduisent, année après année, à analyser la trajectoire financière des comptes sociaux. Ils visent aussi à formuler des recommandations et à esquisser des pistes de réforme pour parvenir à un équilibre financier durable et à une efficacité renforcée dans l'emploi des ressources de la sécurité sociale. C'est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore dans un contexte, vous le savez, qui diffère sensiblement de celui dans lequel nous nous trouvions l'année dernière.

Le rapport que nous vous présentons formule trois constats.

Premier constat : alors qu'elle s'approchait de l'équilibre financier l'année dernière, la sécurité sociale s'en éloigne désormais brutalement, ce qui constitue une rupture avec la trajectoire de redressement poursuivie depuis 2011.

Deuxième constat : pour que la sécurité sociale soit durablement à l'équilibre, il convient de ramener l'évolution de ses dépenses à un niveau compatible avec celle de ses recettes, ce qui suppose notamment de maîtriser plus efficacement ses postes de dépenses les plus dynamiques.

Enfin, troisième et dernier constat : pour maîtriser l'évolution des dépenses et mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, il est possible de mobiliser plus activement l'ensemble des marges d'efficience de notre système de protection sociale.

Au travers de ces trois constats, la Cour exprime un message simple et essentiel : alors que le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale s'éloigne, au moins provisoirement, il existe des réserves d'économies et d'efficience pour atteindre un équilibre durable, tout en améliorant l'efficacité et l'équité de notre système de protection sociale.

Je vais à présent détailler nos constats devant vous. Je commencerai par l'appréciation que porte la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale en procédant d'abord à un bref rappel historique.

Depuis les années 1990, la sécurité sociale a toujours été en déficit, à l'exception d'une brève rémission au début des années 2000. Avant la récession de 2009, son déficit atteignait près de 9 milliards d'euros. En 2010, au plus fort de la crise, il a atteint un niveau inédit de près de 30 milliards d'euros. Ce déficit a ensuite été réduit de manière continue, jusqu'à parvenir pratiquement à l'équilibre en 2018.

L'année dernière en effet, le déficit de l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été ramené à 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard pour le régime général et le FSV, qui sont les principales composantes de la sécurité sociale.

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 que vous avez adoptée fin 2018 prévoyait pour cette année 2019 le retour de la sécurité sociale à l'équilibre financier, pour la première fois depuis 2001. La sécurité sociale devait dégager les années suivantes des excédents croissants, permettant d'atteindre simultanément trois objectifs : d'abord, un équilibre financier durable ; ensuite, l'amortissement par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), d'ici à 2024, de la partie de la dette sociale qui reste aujourd'hui financée par des emprunts de trésorerie de court terme émis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Dans cet objectif, des recettes de contribution sociale généralisée (CSG) devaient être transférées à la CADES ; et, troisième objectif, le rééquilibrage des relations financières de la sécurité sociale avec l'État, par la réaffectation de recettes de TVA à ce dernier.

Toutefois, en quelques mois, la donne a radicalement changé, rendant désormais caduc ce scénario très favorable et, ce, alors même que la conjoncture économique de notre pays ne s'est pas fondamentalement dégradée depuis l'année dernière.

Le PLFSS 2020 présenté il y a quelques jours par le Gouvernement prévoit, en effet, un déficit de 5,4 milliards d'euros pour le régime général et le FSV en 2019, soit un écart de 5,5 milliards par rapport à la prévision de la LFSS 2019. En 2020, d'après ce texte, ce déficit ne se réduirait que légèrement, à 5,1 milliards d'euros.

Surtout, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est désormais reporté au mieux à 2023, c'est-à-dire après la présente législature. Une grande partie de l'effort interviendrait d'ailleurs après 2022. Dans le rapport, nous avons matérialisé sur un graphique ce décalage entre le solde prévisionnel résultant de la LFSS 2019, représenté en pointillés bleus, et celui résultant du PLFSS 2020, en pointillés rouges.

En conséquence, les trois objectifs que j'ai mentionnés il y a quelques instants ne seront pas atteints. Ainsi, faute de retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale et compte tenu de cette nouvelle trajectoire, la dette sociale diminuera moins vite que prévu. La rétrocession de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l'État et le transfert de CSG à la CADES n'auront pas lieu non plus. Et, du fait de l'accumulation des déficits, la dette sociale maintenue à l'ACOSS pourrait atteindre 30 milliards d'euros à la fin de l'année 2019 et près de 46 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, sans solution supplémentaire d'amortissement. Un nouvel échéancier de remboursement et d'extinction de la dette maintenue à l'ACOSS doit donc être défini.

À quoi cet écart aussi massif – de 5,5 milliards d'euros – par rapport à la prévision de la LFSS 2019 tient-il ? Il est dû à deux facteurs de poids équivalent.

Pour moitié, le dérapage de la trajectoire de retour à l'équilibre de la sécurité sociale traduit les mesures d'urgence économiques et sociales adoptées fin 2018, à la suite du mouvement dit des « gilets jaunes ». Pour 2019, leur impact sur les comptes sociaux est évalué à 2,7 milliards d'euros. Ce montant comprend l'effet du rétablissement du taux de CSG de 6,6 % pour une partie des retraités et l'avancement au 1er janvier 2019 de l'exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, prévue à l'origine au 1er septembre. Le Gouvernement a choisi de financer ces mesures par la dette et les dispositions de la LFSS 2019 et du PLFSS 2020 écartent leur compensation par l'État.

D'autres facteurs, sans lien avec ces mesures d'urgence, pèseront toutefois aussi sur le déficit 2019, à hauteur de 2,8 milliards d'euros. Ils tiennent à des corrections significatives des hypothèses d'évolution des dépenses et des recettes par rapport à celles retenues par la LFSS 2019.

Côté recettes, la masse salariale, qui constitue l'assiette des trois quarts du financement de la sécurité sociale, augmentera finalement moins que prévu : sa hausse atteindrait 3 %, au lieu de 3,5 %, ce qui engendrera 1 milliard d'euros de recettes en moins. De leur côté, les dépenses, constituées pour l'essentiel de prestations sociales, continueraient à accélérer : à périmètre constant, elles augmenteraient de 2,5 % en 2019, après 2,4 % en 2018 et 2 % en 2017, alors que la LFSS 2019 prévoyait au contraire un ralentissement à 2,1 %. De ce décalage, il résulterait 1,4 milliard d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à celles prévues par la LFSS 2019.

Cette analyse devra bien sûr être confirmée par les résultats complets de l'exécution financière 2019, que la Cour certifie. Mais, déjà, il est assez évident que le déficit 2019 sera principalement structurel, c'est-à-dire indépendant des effets de la conjoncture économique. Or, tant que la sécurité sociale n'aura pas atteint un équilibre structurel, elle ne connaîtra pas d'équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques, grâce auquel les déficits de certaines années provoqués par une dégradation de la conjoncture économique sont compensés par les excédents des années où elle est favorable. C'est pourtant le seul moyen d'éviter la constitution d'une dette sociale durable. Je rappellerai aussi qu'en 2018, nos concitoyens ont acquitté près de 16 milliards d'euros de prélèvements sociaux pour financer les remboursements d'emprunts qu'opère la CADES et les intérêts qu'elle verse sur les emprunts encore non remboursés.

Comment, alors, parvenir à un équilibre structurel de la sécurité sociale ?

S'agissant des recettes, vous considérez que le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires rend difficilement envisageable une nouvelle augmentation. À taux global inchangé ou en baissant les prélèvements obligatoires, la Cour estime qu'il existe des marges pour améliorer la cohérence des prélèvements sociaux, affectée par les multiples exemptions et exonérations qui leur sont appliquées, ce que l'on appelle les « niches sociales ».

La Cour évalue l'impact des niches sociales sur les recettes de la sécurité sociale à plus de 90 milliards d'euros par an. Cet impact est principalement compensé par l'État. Bien entendu, il s'agit là d'un impact financier brut. La suppression des niches sociales n'engendrerait pas en soi 90 milliards d'euros de recettes supplémentaires car elle aurait nécessairement des effets défavorables sur l'emploi, qui rétroagiraient sur les recettes de la sécurité sociale.

Ces niches recouvrent des dispositifs hétérogènes. À titre principal, elles intègrent 52 milliards d'euros d'allégements généraux de cotisations sociales, qui visent à réduire le coût du travail et à stimuler l'emploi. Elles comprennent aussi des exemptions d'assiette ainsi que des exonérations ciblées qui bénéficient à certains secteurs d'activité, zones géographiques ou publics particuliers. Or le renforcement continu des allégements généraux ces dernières années ne s'est pas accompagné d'une réduction des exonérations ciblées, ce qui aurait pourtant été logique.

En outre, les allégements généraux n'ont pas été intégrés aux taux de cotisation, ce qui renvoie l'image d'un prélèvement social beaucoup plus élevé qu'il ne l'est effectivement. Souhaitable dans son principe, l'intégration des allégements généraux aux taux de cotisation de droit commun, ce que l'on appelle la « barémisation » des allégements généraux, comporte cependant des préalables. En effet, les incidences des allégements généraux sur l'emploi, sur la compétitivité des entreprises ainsi que sur la distribution des salaires, sont discutées, compte tenu notamment du profil de ces allégements en fonction des niveaux de salaires. Il conviendrait donc de poursuivre les évaluations visant à les objectiver.

La Cour recommande aussi d'évaluer les effets des exemptions d'assiette et des exonérations ciblées selon des méthodes plus robustes afin de supprimer ou de fermer à de nouveaux bénéficiaires les dispositifs qui s'avèrent inefficaces. Dans l'attente de telles évaluations, il conviendrait de réduire dans le temps le poids financier des dispositifs dont l'efficacité est incertaine, en gelant leurs paramètres de calcul ou de plafonnement.

Comme je l'évoquais quelques instants plus tôt, l'enjeu principal du retour de la sécurité sociale à un équilibre financier durable concerne les dépenses. C'est donc sur elles que se concentre l'essentiel de nos observations.

Pour que la sécurité sociale connaisse un équilibre structurel, l'évolution des dépenses ne devrait pas dépasser la croissance potentielle de la richesse nationale, qui détermine l'évolution des recettes sociales sur le moyen terme. Or, depuis le début des années 2000, les dépenses de sécurité sociale ont presque toujours augmenté plus vite que cette croissance potentielle.

Cette augmentation trop rapide des dépenses sociales par rapport à la capacité de notre économie à les financer à taux constant de prélèvements obligatoires, ne concerne pas à un même degré toutes les dépenses. Nous abordons dans notre rapport trois postes particulièrement dynamiques : les retraites, les transports de malades et les indemnités journalières pour arrêt de travail pour maladie.

Je commencerai par les retraites. Cette année, la Cour s'est penchée sur un aspect particulier de notre système : les départs à la retraite à taux plein avant l'âge légal, ou à l'âge légal mais sans la durée d'assurance requise.

Dans le débat actuel sur l'avenir de notre système de retraite, ce sujet est majeur. Au début de la décennie, un départ à la retraite sur trois en France se faisait de manière anticipée. En 2017, cela a été le cas d'un départ sur deux. Ces départs anticipés ont beaucoup augmenté, sous l'effet principalement des retraites anticipées pour carrière longue, dont les règles ont été assouplies en 2012. Surtout, ils ont un coût élevé pour notre système de protection sociale, évalué à près de 14 milliards d'euros en 2016.

En 2018, le flux des départs anticipés pour carrière longue, qui sont fonction de la durée d'assurance, s'est inversé, pour la première fois depuis 2010, sous l'effet de l'allongement de la durée requise par la réforme des retraites de 2014. Afin de conforter cette évolution, la Cour préconise de stabiliser durablement les règles des retraites anticipées pour carrière longue. En outre, le périmètre des catégories actives dans la fonction publique devrait continuer à être réexaminé.

Alors que peu d'assurés partent aujourd'hui à la retraite de manière progressive, il conviendrait aussi de privilégier à l'avenir les transitions souples de l'emploi vers l'inactivité plutôt que les ruptures complètes d'activité à un âge ou au terme d'une durée d'assurance donnés. En outre, la Cour recommande d'inciter financièrement les employeurs à mieux prévenir la pénibilité du travail, en modulant les cotisations qui financent le compte professionnel de prévention de la pénibilité au travail (C2P).

Puisqu'il est question de retraites, et dans le but d'alimenter vos réflexions, je vous rappellerai également que nous vous avons remis en juillet dernier un rapport sur les régimes spéciaux de retraite de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières. Je suis d'ailleurs intervenu devant votre commission pour en présenter les principaux résultats. La Cour demeure bien sûr à votre disposition dans la suite de vos travaux.

Je reviens au rapport dont il est question aujourd'hui et souhaite à présent évoquer les dépenses d'assurance maladie.

Le rythme d'évolution des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), a été nettement réduit depuis le milieu de la décennie, et cet objectif est respecté année après année. Selon toute vraisemblance, tel sera également le cas cette année. Toutefois, certains postes de dépenses connaissent une véritable dérive. Cette année, la Cour s'est penchée sur deux d'entre eux : les transports de patients et les indemnités journalières pour maladie.

Les dépenses de transport de patients financées par l'assurance maladie sont dépourvues de mécanismes de régulation efficaces et pèsent à hauteur de 5 milliards d'euros sur les comptes de l'assurance maladie. À périmètre constant, elles ont augmenté de 4 % en 2018. Les établissements de santé sont à l'origine de plus de 60 % de ces dépenses mais n'en assument qu'une part limitée sur leurs budgets. Il existe bien des quotas départementaux de véhicules de transport mais ils ont souvent été dépassés dès leur instauration en 1995. Ils n'ont pas été régulièrement actualisés depuis lors et ne couvrent toujours pas les taxis conventionnés. Les coûts moyens de transport diffèrent aussi grandement entre les départements fortement urbanisés, selon la place relative des modes de transport les plus coûteux – les ambulances et les taxis conventionnés – et ceux qui le sont moins, comme les véhicules sanitaires légers.

Face à ces constats, la Cour préconise deux évolutions.

La première consiste à mener à son terme le transfert au budget des établissements de santé du financement des dépenses de transport de patients, qui concerne aujourd'hui uniquement les trajets internes aux établissements ou entre établissements. Ce transfert devrait concerner en tout premier lieu les trajets domicile-structure de soins pour les séances de dialyse.

La seconde évolution est de faire de l'appréciation indépendante par le médecin de l'incapacité ou des déficiences du patient le seul critère de la prescription des transports alors que les multiples critères en vigueur prennent aujourd'hui notamment en compte le lieu où les soins seront prodigués alors même qu'ils ne sont pas toujours justifiés médicalement.

Les indemnités journalières pour arrêts de travail liés à une maladie sont elles aussi des dépenses particulièrement dynamiques : elles ont augmenté de 4,4 % en 2018. Si les dépenses d'indemnisation se contentaient de suivre les effectifs de salariés et les rémunérations qui leur sont versées, elles ne soulèveraient pas de difficulté mais elles augmentent beaucoup plus vite que la masse salariale ! Cet écart ne résulte pas seulement de la participation accrue à l'activité économique de salariés dont les réformes des retraites conduisent à reporter la fin d'activité, il s'explique aussi par un allongement général de la durée moyenne des arrêts de travail.

La Cour préconise donc de responsabiliser les trois parties prenantes des arrêts de travail pour maladie : les employeurs, dont les conditions de travail peuvent contribuer à la demande d'arrêts ; les assurés, qui sollicitent des arrêts ; les médecins, qui les prescrivent.

Ainsi, la mise à la charge des employeurs d'une part accrue du financement des arrêts de travail pour maladie, à niveau inchangé d'indemnisation globale pour les salariés, pourrait être étudiée. Un jour de carence d'ordre public qui ne serait indemnisé ni par l'assurance maladie, ni par les employeurs, ni par les assurances privées pourrait être instauré pour les salariés comme c'est déjà le cas pour les fonctionnaires. Enfin, une minorité de médecins prescrivent beaucoup plus de journées d'arrêts de travail que leurs confrères, à patientèle comparable.

L'assurance maladie tente de faire évoluer les pratiques par des démarches de persuasion, avec des effets limités. La Cour estime que la dématérialisation obligatoire des prescriptions d'arrêts de travail par les médecins, que la loi « santé » de juillet 2019 vient d'instaurer, devrait s'accompagner d'une obligation de motivation par les médecins des arrêts qui dépassent les durées préconisées par la Haute Autorité de santé pour les pathologies courantes. Des conséquences financières seraient alors tirées à l'encontre des médecins qui dépasseraient, sans justification, ces durées de manière significative et durable.

Les enjeux que je viens d'évoquer ne sont pas que financiers, ils soulèvent aussi des questions d'équité entre les parties prenantes de la protection sociale, qu'elles en bénéficient ou bien qu'elles contribuent à son financement. Ainsi, les assurés qui partent à la retraite de manière anticipée par rapport à l'âge légal au titre d'une carrière longue n'ont pas, en moyenne et pour ce que l'on en sait, une espérance de vie inférieure à la moyenne des assurés. Il en va de même pour les départs anticipés dans la fonction publique au titre d'une catégorie active.

Par ailleurs, la dynamique des dépenses de transport de patients a pour corollaire les ressources plus limitées consacrées aux transports de personnes âgées ou handicapées de leur domicile aux établissements médico-sociaux. La hausse des arrêts de travail pour maladie s'accompagne de transferts de charges entre les différents secteurs d'activité suivant l'importance relative des arrêts, laquelle varie grandement.

J'en viens au dernier aspect de nos travaux de cette année, qui concerne l'organisation et le fonctionnement de nos systèmes de santé et de protection sociale.

Les technologies numériques sont un puissant vecteur de transformation de la relation de service des caisses de sécurité sociale démarches sur internet à partir d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un smartphone. Cependant, cette transformation reste incomplète.

Au-delà de la généralisation de l'offre de services numériques à toutes les démarches des assurés, des objectifs nouveaux ou plus ambitieux devraient être fixés aux caisses de sécurité sociale pour l'accompagnement des assurés à l'utilisation des outils numériques et pour le développement des échanges à distance sur rendez-vous avec des agents des caisses de sécurité sociale. Ces caisses doivent aussi améliorer l'accessibilité des accueils téléphoniques et la qualité des réponses apportées aux appels et aux courriels des assurés. Il y a quelques marges de progrès en la matière.

Concrétiser ces progrès très attendus permettrait aux caisses de déléguer plus largement l'accueil physique à des partenaires – je pense notamment aux maisons France services qui vont succéder aux maisons de services au public. Les demandes des personnes à mobilité réduite et les situations complexes qui appellent une expertise particulière seraient alors traitées à distance dans de meilleures conditions qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Le développement des usages du numérique peut simplifier les démarches des assurés, en leur évitant de devoir produire les mêmes documents ou d'effectuer les mêmes démarches auprès de plusieurs organismes sociaux. Il doit aussi contribuer au paiement à bon droit des prestations sociales.

Sur ce point, un enjeu essentiel porte sur l'utilisation à court terme par les caisses d'assurance maladie et par les caisses d'allocations familiales des données, de salaires, de prestations sociales, rassemblées dans la base des ressources mensuelles mise en place en vue de permettre, à compter de 2020, le calcul des aides au logement en fonction des revenus de l'année en cours.

Ces données peuvent en effet permettre de réduire les erreurs, en faveur ou au détriment des assurés, ainsi que les fraudes qui affectent les prestations versées au titre du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité, des pensions d'invalidité et la reconnaissance du droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

La Cour souligne aussi l'existence d'un important potentiel d'économies au titre des indemnités journalières, trop souvent affectées par des erreurs ou par des délais anormalement longs de versement, du fait de processus de gestion sous-optimaux de l'assurance maladie. En utilisant les données de la base des ressources mensuelles, les caisses de sécurité sociale pourront par ailleurs mieux accompagner les assurés, en détectant des situations de non-recours aux droits.

Cette nécessaire amélioration de l'accompagnement des assurés, la Cour la souligne cette année pour un domaine insuffisamment suivi de notre système de protection sociale : les pensions d'invalidité.

Depuis son instauration pour les salariés en 1945, l'assurance invalidité a peu évolué et ses implications humaines et financières ne sont pas assez prises en compte. La Cour préconise donc de mieux accompagner les personnes invalides – 820 000 environ – vers l'emploi et leurs droits sociaux. Elle recommande ainsi de lisser le plafonnement du cumul entre revenus d'activités et pensions d'invalidité pour les personnes invalides qui travaillent, dans la mesure où le plafonnement au niveau de salaire précédant immédiatement la mise en invalidité pénalise aujourd'hui les reprises d'activité des assurés les plus modestes. Elle suggère aussi de verser aux personnes invalides les plus proches de l'emploi les pensions pour une durée définie, renouvelable en fonction de leur état de santé et d'identifier celles qui ont besoin d'un suivi particulier sur les plans médical, social et professionnel.

Par ailleurs, l'ensemble des médecins-conseils de l'assurance maladie gagnerait à évaluer l'état d'invalidité à partir d'un référentiel national homogène et pertinent. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Là encore, nous soulignons qu'il existe un enjeu d'équité pour les assurés.

Les enjeux d'efficience concernent aussi notre système de santé.

À la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique, la Cour a souhaité examiner deux activités de soins qu'elle régit : les greffes d'organes et l'assistance médicale à la procréation. Bien entendu, il ne s'agit pas pour la Cour de prendre position sur des questions éthiques qui n'ont rien à voir avec ses attributions. En revanche, il nous est apparu utile de porter à votre connaissance et à celle de nos concitoyens les points forts mais aussi les faiblesses qui peuvent exister aujourd'hui dans l'organisation et le fonctionnement de ces activités.

Développer les greffes d'organes est en soi un enjeu d'efficience pour notre système de santé. Il y en a eu 5 781 en 2018. Nous le savons tous, les greffes sauvent des vies. Pour les patients qui connaissent une insuffisance rénale terminale, elles sont par exemple à la fois plus efficaces et moins contraignantes que les séances de dialyse. Elles sont aussi moins onéreuses. Même si la France est bien placée au niveau international en matière de prélèvements et de transplantations d'organes, la file des patients en attente d'une greffe s'allonge et le nombre de greffes a baissé en 2018.

Il convient donc plus que jamais de chercher à surmonter l'appréhension d'une partie des familles à l'égard du prélèvement d'organes sur l'un de leur proche décédé et de favoriser le développement du don de reins entre vivants. La Cour recommande aussi de mieux structurer et sécuriser les différents segments de la chaîne de la greffe.

L'assistance médicale à la procréation, quant à elle, permet un nombre croissant de naissances : 25 614 en 2017, soit 3,3 % du total des naissances. Cependant, de plus en plus de couples se tournent vers l'étranger pour réaliser leur projet de conception d'enfants. En effet, les dons d'ovocytes, bien qu'en augmentation, ne couvrent aujourd'hui qu'une partie des besoins ; pour leur part, les dons de sperme les couvrent tout juste.

Indépendamment de ces constats, le taux de succès des tentatives de fécondation in vitro (FIV) en France se situe seulement dans la moyenne européenne et présente d'importantes disparités entre centres clinico-biologiques. Dans le cadre bioéthique en vigueur, les prises en charge d'actes médicaux et biologiques par l'assurance maladie devraient mieux prendre en compte les enjeux d'efficience de l'assistance médicale à la procréation. Il conviendrait ainsi de mieux apprécier le bénéfice de l'insémination relativement à la FIV. Par ailleurs, la nomenclature des actes biologiques doit être actualisée plus rapidement afin de suivre le progrès des techniques dans le cadre bioéthique en vigueur.

J'en viens à un dernier sujet, qui concerne les rôles respectifs de la médecine hospitalière et de la médecine de ville dans la prise en charge des besoins de nos concitoyens.

Dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de l'an dernier, la Cour avait souligné le caractère inachevé du virage ambulatoire de notre système de santé, freiné à la fois par la stagnation de la part des séjours à l'hôpital sans nuitée en médecine, contrairement à la chirurgie, où cette part augmente, et l'inorganisation de la médecine de ville. Dans son rapport public annuel paru début février, la Cour a, dans le même sens, souligné le fait qu'un passage aux urgences hospitalières sur cinq pourrait être évité si les besoins correspondants étaient couverts, comme ils le devraient, par la médecine de ville.

Comme vous le savez, les pouvoirs publics ont, à travers le plan « Ma Santé 2022 » et la loi de juillet dernier sur l'organisation et la transformation de notre système de santé, fixé des orientations visant à mieux structurer le premier recours aux soins. Le Gouvernement prévoit notamment la création d'hôpitaux locaux de proximité et le renforcement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui doivent notamment mieux prendre en charge les soins non programmés.

II nous est apparu qu'une pièce manquait à ce jour dans l'action de réorganisation de l'offre de soins au niveau territorial engagée par les pouvoirs publics : les actes et consultations externes. Ce que j'évoque ici, ce n'est pas l'activité libérale de certains praticiens hospitaliers mais les actes et consultations réalisés par ces derniers dans des conditions de droit commun. Il s'agit d'une activité hybride : elle est effectuée à l'hôpital mais ne donne pas lieu à des séjours hospitaliers ; les tarifs sont pour l'essentiel ceux des actes et consultations en ville. Cette activité représente 11 % du total des consultations médicales dans notre pays et progresse plus vite que celle de ville, tout en ayant un caractère financièrement déséquilibré pour les hôpitaux. Elle reste cependant insuffisamment suivie par le ministère de la santé.

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