Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15

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La réunion

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Mardi 8 octobre 201

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze

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Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Denis Morin, président de la sixième chambre, et de Mme Michèle Pappalardo, rapporteure générale de la Cour.

Nous ouvrons avec eux nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, dont la première lecture se déroulera, selon les étapes habituelles, dans notre assemblée.

Ce jeudi à 16 heures, nous entendrons les ministres qui nous présenteront le texte. J'ai bien conscience que ce n'est pas le moment idéal pour cette audition traditionnelle mais, en accord avec le rapporteur général, nous avons estimé que c'était sans doute la moins mauvaise solution. Le projet de loi sera adopté en Conseil des ministres mercredi mais les ministres concernés devaient chacun faire face à des contraintes : Mme Buzyn reste jusqu'à jeudi en début d'après-midi à Lyon pour participer à la sixième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme tandis que M. Darmanin est retenu par la discussion de la première partie du projet de loi de finances (PLF) en séance publique à partir de lundi après-midi. Au demeurant, je crois qu'il n'aurait pas été souhaitable que cette réunion ait lieu après l'expiration du délai de dépôt des amendements fixé à 17 heures vendredi. Voilà pourquoi, après avoir écarté plusieurs solutions qui ne nous paraissaient pas acceptables, nous avons pensé qu'il n'était pas déraisonnable que cette réunion ait lieu jeudi après-midi. Cette date présente deux avantages : nous donner la possibilité d'entendre les ministres eux-mêmes et permettre aux commissaires qui le souhaiteraient de regagner leur circonscription dans la soirée.

Comme le veut la coutume, cette audition tiendra lieu de discussion générale. C'est pourquoi je tiens à rappeler dès aujourd'hui que le régime des interventions des membres de la commission sera quelque peu différent, conformément à la solution retenue l'an dernier par le bureau de la commission que je vous propose de reconduire. Après le rapporteur général et les rapporteurs pour avis, les représentants des groupes auront la parole pour 5 minutes chacun. Ensuite, les autres commissaires pourront intervenir 1 minute chacun. L'examen des articles et des amendements se déroulera en commission les mardi 15 et mercredi 16 octobre prochains. Enfin, la discussion en séance publique aura lieu du mardi 22 au vendredi 25 octobre et éventuellement le lundi 28, en vue d'un vote solennel le mardi 29.

La Cour est tenue par les dispositions des articles L.O. 132-3 du code des juridictions financières et L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale de transmettre chaque année au Parlement et au Gouvernement, avant la mi-octobre, un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Cette année, la Cour a aménagé le calendrier de remise de ses travaux : dès le 20 juin dernier, elle a présenté le premier volet de ce rapport consacré à la situation financière de la sécurité sociale en 2018. Le second volet, rendu public ce matin et immédiatement transmis à l'ensemble des commissaires, s'attache aux perspectives financières de la sécurité sociale en 2019 et au cours des années suivantes, et s'intéresse plus particulièrement aux thèmes des niches sociales, des revenus de remplacement, de l'efficience du système de santé et des relations entre les caisses et les assurés.

Je vous remercie, monsieur le Premier président, d'être venu nous présenter ce rapport dès aujourd'hui.

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter l'édition 2019 de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le PLFSS 2020, qui sera déposé sous peu sur le bureau de votre assemblée. Pour vous présenter nos travaux, je suis venu accompagné de Denis Morin, président de la sixième chambre, de Michèle Pappalardo, présidente de chambre et rapporteure générale de la Cour, de Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport, et d'Antoine Imberti, auditeur, rapporteur général-adjoint.

La sécurité sociale est une institution-clef sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales. Elle mobilise, à ce titre, des montants financiers très élevés. Ainsi, en 2018, les régimes de sécurité sociale ont versé près de 480 milliards d'euros de prestations, soit environ 21 % de notre richesse nationale. Quand on prend également en compte les retraites complémentaires, l'assurance chômage, les aides au logement, ainsi que les prestations de solidarité financées par l'État et les départements, les prestations sociales représentent 28 % de notre produit intérieur brut et la moitié de nos dépenses publiques.

Le niveau de protection sociale dont bénéficient nos concitoyens est, en moyenne, très élevé par rapport à celui de la plupart des pays européens. En 2018, l'assurance maladie a, par exemple, pris en charge plus de 78 % des dépenses de santé des Français, ce qui place notre pays dans la fourchette haute du financement public des dépenses de santé au sein de l'Union européenne. Autre exemple, grâce à notre système de retraites, le taux de pauvreté des retraités dans notre pays est de 8 %, contre 14 % pour la population française prise dans son ensemble.

Toutefois, vous le savez, la sécurité sociale connaît depuis de trop nombreuses années une situation financière fragilisée et les performances de notre système de protection sociale ne sont pas toujours à la hauteur des efforts consentis pour le financer.

Les travaux que nous publions nous conduisent, année après année, à analyser la trajectoire financière des comptes sociaux. Ils visent aussi à formuler des recommandations et à esquisser des pistes de réforme pour parvenir à un équilibre financier durable et à une efficacité renforcée dans l'emploi des ressources de la sécurité sociale. C'est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore dans un contexte, vous le savez, qui diffère sensiblement de celui dans lequel nous nous trouvions l'année dernière.

Le rapport que nous vous présentons formule trois constats.

Premier constat : alors qu'elle s'approchait de l'équilibre financier l'année dernière, la sécurité sociale s'en éloigne désormais brutalement, ce qui constitue une rupture avec la trajectoire de redressement poursuivie depuis 2011.

Deuxième constat : pour que la sécurité sociale soit durablement à l'équilibre, il convient de ramener l'évolution de ses dépenses à un niveau compatible avec celle de ses recettes, ce qui suppose notamment de maîtriser plus efficacement ses postes de dépenses les plus dynamiques.

Enfin, troisième et dernier constat : pour maîtriser l'évolution des dépenses et mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, il est possible de mobiliser plus activement l'ensemble des marges d'efficience de notre système de protection sociale.

Au travers de ces trois constats, la Cour exprime un message simple et essentiel : alors que le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale s'éloigne, au moins provisoirement, il existe des réserves d'économies et d'efficience pour atteindre un équilibre durable, tout en améliorant l'efficacité et l'équité de notre système de protection sociale.

Je vais à présent détailler nos constats devant vous. Je commencerai par l'appréciation que porte la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale en procédant d'abord à un bref rappel historique.

Depuis les années 1990, la sécurité sociale a toujours été en déficit, à l'exception d'une brève rémission au début des années 2000. Avant la récession de 2009, son déficit atteignait près de 9 milliards d'euros. En 2010, au plus fort de la crise, il a atteint un niveau inédit de près de 30 milliards d'euros. Ce déficit a ensuite été réduit de manière continue, jusqu'à parvenir pratiquement à l'équilibre en 2018.

L'année dernière en effet, le déficit de l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été ramené à 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard pour le régime général et le FSV, qui sont les principales composantes de la sécurité sociale.

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 que vous avez adoptée fin 2018 prévoyait pour cette année 2019 le retour de la sécurité sociale à l'équilibre financier, pour la première fois depuis 2001. La sécurité sociale devait dégager les années suivantes des excédents croissants, permettant d'atteindre simultanément trois objectifs : d'abord, un équilibre financier durable ; ensuite, l'amortissement par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), d'ici à 2024, de la partie de la dette sociale qui reste aujourd'hui financée par des emprunts de trésorerie de court terme émis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Dans cet objectif, des recettes de contribution sociale généralisée (CSG) devaient être transférées à la CADES ; et, troisième objectif, le rééquilibrage des relations financières de la sécurité sociale avec l'État, par la réaffectation de recettes de TVA à ce dernier.

Toutefois, en quelques mois, la donne a radicalement changé, rendant désormais caduc ce scénario très favorable et, ce, alors même que la conjoncture économique de notre pays ne s'est pas fondamentalement dégradée depuis l'année dernière.

Le PLFSS 2020 présenté il y a quelques jours par le Gouvernement prévoit, en effet, un déficit de 5,4 milliards d'euros pour le régime général et le FSV en 2019, soit un écart de 5,5 milliards par rapport à la prévision de la LFSS 2019. En 2020, d'après ce texte, ce déficit ne se réduirait que légèrement, à 5,1 milliards d'euros.

Surtout, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est désormais reporté au mieux à 2023, c'est-à-dire après la présente législature. Une grande partie de l'effort interviendrait d'ailleurs après 2022. Dans le rapport, nous avons matérialisé sur un graphique ce décalage entre le solde prévisionnel résultant de la LFSS 2019, représenté en pointillés bleus, et celui résultant du PLFSS 2020, en pointillés rouges.

En conséquence, les trois objectifs que j'ai mentionnés il y a quelques instants ne seront pas atteints. Ainsi, faute de retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale et compte tenu de cette nouvelle trajectoire, la dette sociale diminuera moins vite que prévu. La rétrocession de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l'État et le transfert de CSG à la CADES n'auront pas lieu non plus. Et, du fait de l'accumulation des déficits, la dette sociale maintenue à l'ACOSS pourrait atteindre 30 milliards d'euros à la fin de l'année 2019 et près de 46 milliards d'euros à la fin de l'année 2022, sans solution supplémentaire d'amortissement. Un nouvel échéancier de remboursement et d'extinction de la dette maintenue à l'ACOSS doit donc être défini.

À quoi cet écart aussi massif – de 5,5 milliards d'euros – par rapport à la prévision de la LFSS 2019 tient-il ? Il est dû à deux facteurs de poids équivalent.

Pour moitié, le dérapage de la trajectoire de retour à l'équilibre de la sécurité sociale traduit les mesures d'urgence économiques et sociales adoptées fin 2018, à la suite du mouvement dit des « gilets jaunes ». Pour 2019, leur impact sur les comptes sociaux est évalué à 2,7 milliards d'euros. Ce montant comprend l'effet du rétablissement du taux de CSG de 6,6 % pour une partie des retraités et l'avancement au 1er janvier 2019 de l'exonération des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, prévue à l'origine au 1er septembre. Le Gouvernement a choisi de financer ces mesures par la dette et les dispositions de la LFSS 2019 et du PLFSS 2020 écartent leur compensation par l'État.

D'autres facteurs, sans lien avec ces mesures d'urgence, pèseront toutefois aussi sur le déficit 2019, à hauteur de 2,8 milliards d'euros. Ils tiennent à des corrections significatives des hypothèses d'évolution des dépenses et des recettes par rapport à celles retenues par la LFSS 2019.

Côté recettes, la masse salariale, qui constitue l'assiette des trois quarts du financement de la sécurité sociale, augmentera finalement moins que prévu : sa hausse atteindrait 3 %, au lieu de 3,5 %, ce qui engendrera 1 milliard d'euros de recettes en moins. De leur côté, les dépenses, constituées pour l'essentiel de prestations sociales, continueraient à accélérer : à périmètre constant, elles augmenteraient de 2,5 % en 2019, après 2,4 % en 2018 et 2 % en 2017, alors que la LFSS 2019 prévoyait au contraire un ralentissement à 2,1 %. De ce décalage, il résulterait 1,4 milliard d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à celles prévues par la LFSS 2019.

Cette analyse devra bien sûr être confirmée par les résultats complets de l'exécution financière 2019, que la Cour certifie. Mais, déjà, il est assez évident que le déficit 2019 sera principalement structurel, c'est-à-dire indépendant des effets de la conjoncture économique. Or, tant que la sécurité sociale n'aura pas atteint un équilibre structurel, elle ne connaîtra pas d'équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques, grâce auquel les déficits de certaines années provoqués par une dégradation de la conjoncture économique sont compensés par les excédents des années où elle est favorable. C'est pourtant le seul moyen d'éviter la constitution d'une dette sociale durable. Je rappellerai aussi qu'en 2018, nos concitoyens ont acquitté près de 16 milliards d'euros de prélèvements sociaux pour financer les remboursements d'emprunts qu'opère la CADES et les intérêts qu'elle verse sur les emprunts encore non remboursés.

Comment, alors, parvenir à un équilibre structurel de la sécurité sociale ?

S'agissant des recettes, vous considérez que le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires rend difficilement envisageable une nouvelle augmentation. À taux global inchangé ou en baissant les prélèvements obligatoires, la Cour estime qu'il existe des marges pour améliorer la cohérence des prélèvements sociaux, affectée par les multiples exemptions et exonérations qui leur sont appliquées, ce que l'on appelle les « niches sociales ».

La Cour évalue l'impact des niches sociales sur les recettes de la sécurité sociale à plus de 90 milliards d'euros par an. Cet impact est principalement compensé par l'État. Bien entendu, il s'agit là d'un impact financier brut. La suppression des niches sociales n'engendrerait pas en soi 90 milliards d'euros de recettes supplémentaires car elle aurait nécessairement des effets défavorables sur l'emploi, qui rétroagiraient sur les recettes de la sécurité sociale.

Ces niches recouvrent des dispositifs hétérogènes. À titre principal, elles intègrent 52 milliards d'euros d'allégements généraux de cotisations sociales, qui visent à réduire le coût du travail et à stimuler l'emploi. Elles comprennent aussi des exemptions d'assiette ainsi que des exonérations ciblées qui bénéficient à certains secteurs d'activité, zones géographiques ou publics particuliers. Or le renforcement continu des allégements généraux ces dernières années ne s'est pas accompagné d'une réduction des exonérations ciblées, ce qui aurait pourtant été logique.

En outre, les allégements généraux n'ont pas été intégrés aux taux de cotisation, ce qui renvoie l'image d'un prélèvement social beaucoup plus élevé qu'il ne l'est effectivement. Souhaitable dans son principe, l'intégration des allégements généraux aux taux de cotisation de droit commun, ce que l'on appelle la « barémisation » des allégements généraux, comporte cependant des préalables. En effet, les incidences des allégements généraux sur l'emploi, sur la compétitivité des entreprises ainsi que sur la distribution des salaires, sont discutées, compte tenu notamment du profil de ces allégements en fonction des niveaux de salaires. Il conviendrait donc de poursuivre les évaluations visant à les objectiver.

La Cour recommande aussi d'évaluer les effets des exemptions d'assiette et des exonérations ciblées selon des méthodes plus robustes afin de supprimer ou de fermer à de nouveaux bénéficiaires les dispositifs qui s'avèrent inefficaces. Dans l'attente de telles évaluations, il conviendrait de réduire dans le temps le poids financier des dispositifs dont l'efficacité est incertaine, en gelant leurs paramètres de calcul ou de plafonnement.

Comme je l'évoquais quelques instants plus tôt, l'enjeu principal du retour de la sécurité sociale à un équilibre financier durable concerne les dépenses. C'est donc sur elles que se concentre l'essentiel de nos observations.

Pour que la sécurité sociale connaisse un équilibre structurel, l'évolution des dépenses ne devrait pas dépasser la croissance potentielle de la richesse nationale, qui détermine l'évolution des recettes sociales sur le moyen terme. Or, depuis le début des années 2000, les dépenses de sécurité sociale ont presque toujours augmenté plus vite que cette croissance potentielle.

Cette augmentation trop rapide des dépenses sociales par rapport à la capacité de notre économie à les financer à taux constant de prélèvements obligatoires, ne concerne pas à un même degré toutes les dépenses. Nous abordons dans notre rapport trois postes particulièrement dynamiques : les retraites, les transports de malades et les indemnités journalières pour arrêt de travail pour maladie.

Je commencerai par les retraites. Cette année, la Cour s'est penchée sur un aspect particulier de notre système : les départs à la retraite à taux plein avant l'âge légal, ou à l'âge légal mais sans la durée d'assurance requise.

Dans le débat actuel sur l'avenir de notre système de retraite, ce sujet est majeur. Au début de la décennie, un départ à la retraite sur trois en France se faisait de manière anticipée. En 2017, cela a été le cas d'un départ sur deux. Ces départs anticipés ont beaucoup augmenté, sous l'effet principalement des retraites anticipées pour carrière longue, dont les règles ont été assouplies en 2012. Surtout, ils ont un coût élevé pour notre système de protection sociale, évalué à près de 14 milliards d'euros en 2016.

En 2018, le flux des départs anticipés pour carrière longue, qui sont fonction de la durée d'assurance, s'est inversé, pour la première fois depuis 2010, sous l'effet de l'allongement de la durée requise par la réforme des retraites de 2014. Afin de conforter cette évolution, la Cour préconise de stabiliser durablement les règles des retraites anticipées pour carrière longue. En outre, le périmètre des catégories actives dans la fonction publique devrait continuer à être réexaminé.

Alors que peu d'assurés partent aujourd'hui à la retraite de manière progressive, il conviendrait aussi de privilégier à l'avenir les transitions souples de l'emploi vers l'inactivité plutôt que les ruptures complètes d'activité à un âge ou au terme d'une durée d'assurance donnés. En outre, la Cour recommande d'inciter financièrement les employeurs à mieux prévenir la pénibilité du travail, en modulant les cotisations qui financent le compte professionnel de prévention de la pénibilité au travail (C2P).

Puisqu'il est question de retraites, et dans le but d'alimenter vos réflexions, je vous rappellerai également que nous vous avons remis en juillet dernier un rapport sur les régimes spéciaux de retraite de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières. Je suis d'ailleurs intervenu devant votre commission pour en présenter les principaux résultats. La Cour demeure bien sûr à votre disposition dans la suite de vos travaux.

Je reviens au rapport dont il est question aujourd'hui et souhaite à présent évoquer les dépenses d'assurance maladie.

Le rythme d'évolution des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), a été nettement réduit depuis le milieu de la décennie, et cet objectif est respecté année après année. Selon toute vraisemblance, tel sera également le cas cette année. Toutefois, certains postes de dépenses connaissent une véritable dérive. Cette année, la Cour s'est penchée sur deux d'entre eux : les transports de patients et les indemnités journalières pour maladie.

Les dépenses de transport de patients financées par l'assurance maladie sont dépourvues de mécanismes de régulation efficaces et pèsent à hauteur de 5 milliards d'euros sur les comptes de l'assurance maladie. À périmètre constant, elles ont augmenté de 4 % en 2018. Les établissements de santé sont à l'origine de plus de 60 % de ces dépenses mais n'en assument qu'une part limitée sur leurs budgets. Il existe bien des quotas départementaux de véhicules de transport mais ils ont souvent été dépassés dès leur instauration en 1995. Ils n'ont pas été régulièrement actualisés depuis lors et ne couvrent toujours pas les taxis conventionnés. Les coûts moyens de transport diffèrent aussi grandement entre les départements fortement urbanisés, selon la place relative des modes de transport les plus coûteux – les ambulances et les taxis conventionnés – et ceux qui le sont moins, comme les véhicules sanitaires légers.

Face à ces constats, la Cour préconise deux évolutions.

La première consiste à mener à son terme le transfert au budget des établissements de santé du financement des dépenses de transport de patients, qui concerne aujourd'hui uniquement les trajets internes aux établissements ou entre établissements. Ce transfert devrait concerner en tout premier lieu les trajets domicile-structure de soins pour les séances de dialyse.

La seconde évolution est de faire de l'appréciation indépendante par le médecin de l'incapacité ou des déficiences du patient le seul critère de la prescription des transports alors que les multiples critères en vigueur prennent aujourd'hui notamment en compte le lieu où les soins seront prodigués alors même qu'ils ne sont pas toujours justifiés médicalement.

Les indemnités journalières pour arrêts de travail liés à une maladie sont elles aussi des dépenses particulièrement dynamiques : elles ont augmenté de 4,4 % en 2018. Si les dépenses d'indemnisation se contentaient de suivre les effectifs de salariés et les rémunérations qui leur sont versées, elles ne soulèveraient pas de difficulté mais elles augmentent beaucoup plus vite que la masse salariale ! Cet écart ne résulte pas seulement de la participation accrue à l'activité économique de salariés dont les réformes des retraites conduisent à reporter la fin d'activité, il s'explique aussi par un allongement général de la durée moyenne des arrêts de travail.

La Cour préconise donc de responsabiliser les trois parties prenantes des arrêts de travail pour maladie : les employeurs, dont les conditions de travail peuvent contribuer à la demande d'arrêts ; les assurés, qui sollicitent des arrêts ; les médecins, qui les prescrivent.

Ainsi, la mise à la charge des employeurs d'une part accrue du financement des arrêts de travail pour maladie, à niveau inchangé d'indemnisation globale pour les salariés, pourrait être étudiée. Un jour de carence d'ordre public qui ne serait indemnisé ni par l'assurance maladie, ni par les employeurs, ni par les assurances privées pourrait être instauré pour les salariés comme c'est déjà le cas pour les fonctionnaires. Enfin, une minorité de médecins prescrivent beaucoup plus de journées d'arrêts de travail que leurs confrères, à patientèle comparable.

L'assurance maladie tente de faire évoluer les pratiques par des démarches de persuasion, avec des effets limités. La Cour estime que la dématérialisation obligatoire des prescriptions d'arrêts de travail par les médecins, que la loi « santé » de juillet 2019 vient d'instaurer, devrait s'accompagner d'une obligation de motivation par les médecins des arrêts qui dépassent les durées préconisées par la Haute Autorité de santé pour les pathologies courantes. Des conséquences financières seraient alors tirées à l'encontre des médecins qui dépasseraient, sans justification, ces durées de manière significative et durable.

Les enjeux que je viens d'évoquer ne sont pas que financiers, ils soulèvent aussi des questions d'équité entre les parties prenantes de la protection sociale, qu'elles en bénéficient ou bien qu'elles contribuent à son financement. Ainsi, les assurés qui partent à la retraite de manière anticipée par rapport à l'âge légal au titre d'une carrière longue n'ont pas, en moyenne et pour ce que l'on en sait, une espérance de vie inférieure à la moyenne des assurés. Il en va de même pour les départs anticipés dans la fonction publique au titre d'une catégorie active.

Par ailleurs, la dynamique des dépenses de transport de patients a pour corollaire les ressources plus limitées consacrées aux transports de personnes âgées ou handicapées de leur domicile aux établissements médico-sociaux. La hausse des arrêts de travail pour maladie s'accompagne de transferts de charges entre les différents secteurs d'activité suivant l'importance relative des arrêts, laquelle varie grandement.

J'en viens au dernier aspect de nos travaux de cette année, qui concerne l'organisation et le fonctionnement de nos systèmes de santé et de protection sociale.

Les technologies numériques sont un puissant vecteur de transformation de la relation de service des caisses de sécurité sociale démarches sur internet à partir d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un smartphone. Cependant, cette transformation reste incomplète.

Au-delà de la généralisation de l'offre de services numériques à toutes les démarches des assurés, des objectifs nouveaux ou plus ambitieux devraient être fixés aux caisses de sécurité sociale pour l'accompagnement des assurés à l'utilisation des outils numériques et pour le développement des échanges à distance sur rendez-vous avec des agents des caisses de sécurité sociale. Ces caisses doivent aussi améliorer l'accessibilité des accueils téléphoniques et la qualité des réponses apportées aux appels et aux courriels des assurés. Il y a quelques marges de progrès en la matière.

Concrétiser ces progrès très attendus permettrait aux caisses de déléguer plus largement l'accueil physique à des partenaires – je pense notamment aux maisons France services qui vont succéder aux maisons de services au public. Les demandes des personnes à mobilité réduite et les situations complexes qui appellent une expertise particulière seraient alors traitées à distance dans de meilleures conditions qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Le développement des usages du numérique peut simplifier les démarches des assurés, en leur évitant de devoir produire les mêmes documents ou d'effectuer les mêmes démarches auprès de plusieurs organismes sociaux. Il doit aussi contribuer au paiement à bon droit des prestations sociales.

Sur ce point, un enjeu essentiel porte sur l'utilisation à court terme par les caisses d'assurance maladie et par les caisses d'allocations familiales des données, de salaires, de prestations sociales, rassemblées dans la base des ressources mensuelles mise en place en vue de permettre, à compter de 2020, le calcul des aides au logement en fonction des revenus de l'année en cours.

Ces données peuvent en effet permettre de réduire les erreurs, en faveur ou au détriment des assurés, ainsi que les fraudes qui affectent les prestations versées au titre du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité, des pensions d'invalidité et la reconnaissance du droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

La Cour souligne aussi l'existence d'un important potentiel d'économies au titre des indemnités journalières, trop souvent affectées par des erreurs ou par des délais anormalement longs de versement, du fait de processus de gestion sous-optimaux de l'assurance maladie. En utilisant les données de la base des ressources mensuelles, les caisses de sécurité sociale pourront par ailleurs mieux accompagner les assurés, en détectant des situations de non-recours aux droits.

Cette nécessaire amélioration de l'accompagnement des assurés, la Cour la souligne cette année pour un domaine insuffisamment suivi de notre système de protection sociale : les pensions d'invalidité.

Depuis son instauration pour les salariés en 1945, l'assurance invalidité a peu évolué et ses implications humaines et financières ne sont pas assez prises en compte. La Cour préconise donc de mieux accompagner les personnes invalides – 820 000 environ – vers l'emploi et leurs droits sociaux. Elle recommande ainsi de lisser le plafonnement du cumul entre revenus d'activités et pensions d'invalidité pour les personnes invalides qui travaillent, dans la mesure où le plafonnement au niveau de salaire précédant immédiatement la mise en invalidité pénalise aujourd'hui les reprises d'activité des assurés les plus modestes. Elle suggère aussi de verser aux personnes invalides les plus proches de l'emploi les pensions pour une durée définie, renouvelable en fonction de leur état de santé et d'identifier celles qui ont besoin d'un suivi particulier sur les plans médical, social et professionnel.

Par ailleurs, l'ensemble des médecins-conseils de l'assurance maladie gagnerait à évaluer l'état d'invalidité à partir d'un référentiel national homogène et pertinent. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Là encore, nous soulignons qu'il existe un enjeu d'équité pour les assurés.

Les enjeux d'efficience concernent aussi notre système de santé.

À la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique, la Cour a souhaité examiner deux activités de soins qu'elle régit : les greffes d'organes et l'assistance médicale à la procréation. Bien entendu, il ne s'agit pas pour la Cour de prendre position sur des questions éthiques qui n'ont rien à voir avec ses attributions. En revanche, il nous est apparu utile de porter à votre connaissance et à celle de nos concitoyens les points forts mais aussi les faiblesses qui peuvent exister aujourd'hui dans l'organisation et le fonctionnement de ces activités.

Développer les greffes d'organes est en soi un enjeu d'efficience pour notre système de santé. Il y en a eu 5 781 en 2018. Nous le savons tous, les greffes sauvent des vies. Pour les patients qui connaissent une insuffisance rénale terminale, elles sont par exemple à la fois plus efficaces et moins contraignantes que les séances de dialyse. Elles sont aussi moins onéreuses. Même si la France est bien placée au niveau international en matière de prélèvements et de transplantations d'organes, la file des patients en attente d'une greffe s'allonge et le nombre de greffes a baissé en 2018.

Il convient donc plus que jamais de chercher à surmonter l'appréhension d'une partie des familles à l'égard du prélèvement d'organes sur l'un de leur proche décédé et de favoriser le développement du don de reins entre vivants. La Cour recommande aussi de mieux structurer et sécuriser les différents segments de la chaîne de la greffe.

L'assistance médicale à la procréation, quant à elle, permet un nombre croissant de naissances : 25 614 en 2017, soit 3,3 % du total des naissances. Cependant, de plus en plus de couples se tournent vers l'étranger pour réaliser leur projet de conception d'enfants. En effet, les dons d'ovocytes, bien qu'en augmentation, ne couvrent aujourd'hui qu'une partie des besoins ; pour leur part, les dons de sperme les couvrent tout juste.

Indépendamment de ces constats, le taux de succès des tentatives de fécondation in vitro (FIV) en France se situe seulement dans la moyenne européenne et présente d'importantes disparités entre centres clinico-biologiques. Dans le cadre bioéthique en vigueur, les prises en charge d'actes médicaux et biologiques par l'assurance maladie devraient mieux prendre en compte les enjeux d'efficience de l'assistance médicale à la procréation. Il conviendrait ainsi de mieux apprécier le bénéfice de l'insémination relativement à la FIV. Par ailleurs, la nomenclature des actes biologiques doit être actualisée plus rapidement afin de suivre le progrès des techniques dans le cadre bioéthique en vigueur.

J'en viens à un dernier sujet, qui concerne les rôles respectifs de la médecine hospitalière et de la médecine de ville dans la prise en charge des besoins de nos concitoyens.

Dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de l'an dernier, la Cour avait souligné le caractère inachevé du virage ambulatoire de notre système de santé, freiné à la fois par la stagnation de la part des séjours à l'hôpital sans nuitée en médecine, contrairement à la chirurgie, où cette part augmente, et l'inorganisation de la médecine de ville. Dans son rapport public annuel paru début février, la Cour a, dans le même sens, souligné le fait qu'un passage aux urgences hospitalières sur cinq pourrait être évité si les besoins correspondants étaient couverts, comme ils le devraient, par la médecine de ville.

Comme vous le savez, les pouvoirs publics ont, à travers le plan « Ma Santé 2022 » et la loi de juillet dernier sur l'organisation et la transformation de notre système de santé, fixé des orientations visant à mieux structurer le premier recours aux soins. Le Gouvernement prévoit notamment la création d'hôpitaux locaux de proximité et le renforcement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui doivent notamment mieux prendre en charge les soins non programmés.

II nous est apparu qu'une pièce manquait à ce jour dans l'action de réorganisation de l'offre de soins au niveau territorial engagée par les pouvoirs publics : les actes et consultations externes. Ce que j'évoque ici, ce n'est pas l'activité libérale de certains praticiens hospitaliers mais les actes et consultations réalisés par ces derniers dans des conditions de droit commun. Il s'agit d'une activité hybride : elle est effectuée à l'hôpital mais ne donne pas lieu à des séjours hospitaliers ; les tarifs sont pour l'essentiel ceux des actes et consultations en ville. Cette activité représente 11 % du total des consultations médicales dans notre pays et progresse plus vite que celle de ville, tout en ayant un caractère financièrement déséquilibré pour les hôpitaux. Elle reste cependant insuffisamment suivie par le ministère de la santé.

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Dans le cadre de la transformation du système de santé, la place des actes et consultations externes dans l'offre de soins devrait être mieux définie en fonction des enjeux d'accès aux soins et d'efficience des organisations hospitalières au lieu de découler, comme c'est le cas aujourd'hui, des seules décisions autonomes des hôpitaux. À cet égard, lorsque l'offre libérale de ville est insuffisante, les actes et consultations externes à l'hôpital peuvent utilement la compléter. Lorsque l'offre de ville est abondante et les dépassements d'honoraires limités, l'offre hospitalière a moins d'utilité.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je voudrais conclure cette présentation sur un dernier message. Faire revenir la sécurité sociale à un équilibre financier durable, éviter que la dette sociale ne se reconstitue au détriment des générations futures apparaît nécessaire et possible : nous donnons à voir, cette année encore, de nombres pistes de réformes en ce sens.

Derrière les chiffres, derrière l'éloignement brutal du retour à l'équilibre des comptes sociaux, il y a un enjeu essentiel pour notre pays : sauvegarder la fonction centrale de solidarité que remplit la sécurité sociale pour nos concitoyens.

Je vous remercie et me tiens, avec les magistrats qui m'entourent, à votre disposition pour répondre à vos interrogations

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Monsieur le Premier président, je tiens à saluer comme chaque année la qualité du rapport de la Cour des comptes, qui permet d'éclairer la représentation nationale tant sur les comptes de 2019 que sur un grand nombre de politiques publiques portées par la sécurité sociale. La publication avant l'été de votre analyse des comptes 2018 va également contribuer à nourrir très largement notre réflexion au moment du vote de la première partie du PLFSS.

Le premier point que je souhaite évoquer est le spectaculaire retournement de la situation financière depuis le vote de la LFSS 2019. Le rapport que vous présentez parle à juste titre de « rupture ».

Cette rupture est due pour moitié à une rectification des hypothèses macroéconomiques. Il faut donner acte au Gouvernement de son souci pour la sincérité des budgets que nous votons. Les nouvelles hypothèses ont été validées par le Haut Conseil des finances publiques que vous présidez. Vous évoquez le rôle joué par l'évolution de la masse salariale, qui augmente moins que prévu. Ne peut-on y voir une sorte d'effet d'aubaine lié pour une part au versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat ? Il semblerait, d'après les données de l'ACOSS, qu'il y ait eu un léger infléchissement de la masse salariale au moment où celle-ci a été attribuée alors même que le dispositif législatif prévoyait qu'elle ne pouvait en aucun cas se substituer à une augmentation des salaires. Comme cette prime, par définition, n'est pas accompagnée de cotisations, ne pourrait-on prévoir un dispositif assurant une compensation à la sécurité sociale si le même phénomène de glissement entre salaire et prime est observé ?

L'autre moitié interroge davantage, puisqu'elle est le produit de 2,7 milliards d'euros de non-compensations nouvelles, qui viennent s'ajouter aux quelque 2 milliards de non-compensations déjà prévues par la LFSS 2019, dans un contexte qui était alors celui du retour des excédents de la sécurité sociale. Les années à venir s'annoncent à peine meilleures, et ce, bien que le Gouvernement semble avoir sagement renoncé à plusieurs milliards de transferts dans les années à venir, vers l'État, comme vers la CADES.

Dans ces conditions, deux questions me semblent absolument devoir être posées, au moment d'aborder l'examen du PLFSS 2020, aussi bien pour la commission des comptes sociaux que nous sommes, que pour le technicien des finances publiques que vous êtes, monsieur le Premier président.

Le principe de non-compensation, défendu par M. Christian Charpy et M. Julien Dubertret, qui pouvait à la limite se défendre en période d'excédents, vous semble-t-il pertinent à l'heure du retour du « trou » de la sécurité sociale ? Ma deuxième question est le corollaire de la première : la sécurité sociale est-elle en mesure, financièrement et juridiquement, de supporter les stocks de dette qu'induit nécessairement la trajectoire de retour à l'équilibre en 2023 ? N'aurait-il pas été plus prudent de les confier à l'État, qui empruntait encore à – 0,25 % à dix ans, il y a seulement quelques jours ?

Enfin, je finis par m'interroger sur la valeur du principe légal de compensation des allégements introduit par la « loi Veil » de 1994. La LFSS 2019 semble avoir acté des non-compensations, sans que nous les ayons explicitement votées. Je pense par exemple à la réduction du forfait social, dont la non-compensation n'apparaît pas dans la lettre du texte de 2019, mais dont je m'aperçois qu'on en tient quand même compte dans les tableaux d'équilibre des comptes entre État et sécurité sociale, ce qui veut dire qu'on n'a même plus besoin de voter le dispositif pour qu'il soit entériné. Je ne vous cache pas que la stricte application de la « loi Veil » est pour moi une question de responsabilité vis-à-vis des comptes sociaux. C'est aussi une question de transparence vis-à-vis du Parlement.

Vous présentez, dans votre rapport, une évaluation de l'efficacité des niches sociales et vous commencez par souligner l'ampleur récemment prise par ces dispositifs. Compte tenu de l'augmentation récente des allégements généraux, l'actuel PLFSS estime le coût total des niches sociales à 66,4 milliards d'euros, dont 52 milliards d'euros d'allégement général. Vous recensez même 90 milliards d'euros de niches sociales brutes pour 2019, en complétant les dispositifs habituellement présentés à l'annexe 5 du PLFSS. Au-delà du point de vue – que je partage – selon lequel l'information du Parlement et des citoyens sur ces dispositifs devrait être grandement améliorée, vous soulignez que nous manquons cruellement d'évaluations sur l'efficacité des niches sociales et vous mentionnez à ce titre la réduction de 1,8 point de cotisation famille sur les salaires jusqu'à 3,5 SMIC et de 6 points sur les cotisations salariales maladie jusqu'à 2,5 SMIC. Quel est, d'après vos estimations, l'impact de ces réductions sur la création ou le maintien de l'emploi, ainsi que sur la compétitivité des entreprises françaises ? Recommanderiez-vous la concentration de ces réductions sur les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC, par exemple ?

Votre rapport explore plusieurs pistes pour améliorer la soutenabilité et l'équité des revenus de remplacement versés par la sécurité sociale, en s'intéressant notamment à la problématique récurrente des indemnités journalières, mais aussi à celle moins connue des pensions d'invalidité, qui font d'ailleurs l'objet de mesures dans le PLFSS 2020. On est frappé, en regardant votre tableau, par la durée des arrêts maladie dans le secteur du soin et du social : ce n'est pas pour nous étonner, quand on connaît le niveau de tension qui peut exister dans les établissements de santé et la difficulté, voire la dureté de certains métiers, à cause du travail de nuit, des horaires à rallonge et des problèmes organisationnels. Il faut absolument prendre en compte les spécificités du milieu de la santé.

Vous soulignez également que les dépenses d'invalidité connaissent une croissance dynamique de 4,9 % par an au régime général. Paradoxalement, il n'existe aucun véritable pilotage de la politique d'invalidité, ni aucun système de régulation de ces dépenses. Pour enrayer leur croissance, vous préconisez notamment le développement d'une politique active contre la désinsertion professionnelle pour les personnes en invalidité. Dans quelles proportions ces actions permettraient-elles de réaliser des économies ? Quelles seraient par ailleurs les réformes structurelles à engager pour mieux réguler le système actuel de l'invalidité ? L'intégration des pensions d'invalidité à l'ONDAM, que vous suggérez, est-elle réaliste ?

Vous dressez un bilan inédit de sept des principaux dispositifs permettant de partir à la retraite de manière anticipée. Vous démontrez qu'en 2017, ces dispositifs ont permis à 400 000 de nos concitoyens de partir plus tôt, ce qui représente quand même un départ à la retraite sur deux. Leur impact financier n'est pas négligeable, puisqu'ils auraient représenté un coût de près de 14 milliards d'euros pour les finances publiques en 2016. Or vous soulignez que ces dispositifs ne sont pas toujours justifiés, notamment en ce qui concerne le périmètre des catégories actives. Du point de vue de l'équité, comment envisagez-vous la possible intégration des dispositifs qui ont vocation à perdurer dans le système universel à venir ?

Vous préconisez également un certain nombre de réformes dans le domaine des transports sanitaires, et je crois que le texte que nous allons examiner traite de cette question. J'aimerais, enfin, vous poser une question sur la lutte contre les fraudes dans le domaine social. Les auditions des différentes caisses tendent à montrer que les objectifs posés dans les conventions d'objectifs et de gestion en matière de lutte contre les fraudes sont systématiquement atteints, et même avant la fin de l'exercice annuel. Cela montre qu'il doit être possible de rendre cette lutte plus efficace, si nous renforçons les moyens des caisses concernées. La Cour s'est-elle penchée sur cette question épineuse, qui revient souvent dans le débat parlementaire ?

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Monsieur le Premier président, nous sommes réunis aujourd'hui, comme chaque année, pour la présentation de votre rapport, qui est notre boussole budgétaire. Notre réunion prolonge celle de la Commission des comptes de la sécurité sociale, qui s'est tenue le 30 septembre à Bercy, et à laquelle j'ai assisté, avec le rapporteur général.

L'année dernière, nous vous avions auditionné dans un contexte un peu différent, puisque nous vivions une époque de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale : le climat était alors prospectif et serein. Depuis, de nombreux événements ont modifié la donne, notamment les mesures d'urgence économiques et sociales prises en réponse au climat social tendu de l'hiver dernier. Cela nous amène donc à revoir nos prévisions.

Vous faites état, dans votre rapport, d'un déficit de 5,5 milliards d'euros, dans l'hypothèse où l'État ne compenserait pas les mesures d'urgence qui ont été votées. Le groupe La République en Marche sera amené à se positionner sur les règles de compensation lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Jeudi, nous pourrons interroger le ministre de l'action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, et la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, sur ces questions de fond, qui auront de fortes répercussions politiques.

Au-delà de l'inquiétude que peut causer cette situation imprévue, je tenais à souligner le respect de l'ONDAM en 2019. Nous pouvons remercier l'ensemble des professionnels de santé, qu'ils appartiennent au secteur médico-social, qu'ils travaillent à domicile ou dans le secteur hospitalier : tous, au quotidien, oeuvrent à la rationalisation des moyens et au perfectionnement de l'organisation. Je tiens, à cet égard, à souligner le grand intérêt de votre proposition n° 3 de créer un ONDAM spécifique pour la dette des établissements publics de santé. Il y aurait en effet une incohérence à respecter l'ONDAM sans surveiller l'endettement des établissements publics de santé. Mais je crois que l'incohérence serait double, si l'on ne prenait pas en compte la multiplication par deux des indemnités journalières d'arrêt de travail dans le secteur de la santé. Cela doit nous interpeller et j'insiste sur la considération spéciale que nous devons avoir, dans le prochain PLFSS, pour les personnels qui travaillent dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à domicile.

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Monsieur le Premier président, je vous remercie, au nom du groupe Les Républicains, pour ce rapport exhaustif. Je me concentrerai essentiellement sur le problème budgétaire. Vous confirmez un déficit du régime général et du FSV de 5,4 milliards d'euros pour l'année 2019 et de 5,1 milliards pour l'année 2020. Cette situation est due pour l'essentiel aux mesures prises à la suite de la crise des « gilets jaunes ». Le rapporteur général a bien noté la rupture totale avec la « loi Veil » de 1994, qui prévoyait la compensation intégrale des exonérations sociales par l'État.

Le retour à l'équilibre n'est plus envisagé avant 2023, au mieux, et vous pointez également des difficultés, s'agissant de la croissance et de la masse salariale. Dans ce contexte, le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale vous semblent-ils sincères ?

Le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale a relevé une surexécution sur le poste du médicament pour l'année 2018 d'environ 400 millions, sur un total d'environ 1,7 milliard. L'ampleur de cette surexécution m'amène à m'interroger sur la sincérité de la construction de la loi de finances passée.

Jugez-vous suffisantes les mesures d'économies, notamment celles qui entrent dans le champ de l'ONDAM ? On les estime à 4,2 milliards d'euros, dont près de 1,5 milliard pour le médicament, ce qui risque de mettre à mal l'industrie du médicament en France. Compte tenu de toutes ces données, la perspective de voir la dette sociale apurée en 2024 vous semble-t-elle toujours crédible ?

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Monsieur le Premier président, je vous remercie, au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, pour cette présentation. Votre rapport comporte des pistes intéressantes pour réduire les dépenses liées au transport des malades et aux indemnités journalières. Notre rapporteur général en a fait une bonne analyse et je n'y reviens pas. Pour ma part, je souhaite revenir à votre rapport de juin 2019, qui mettait en avant la nécessité d'un budget pluriannuel de la sécurité sociale, en vue d'une meilleure efficacité. En effet, les fluctuations budgétaires, année après année, aggravent l'absence de visibilité de l'ensemble des acteurs du système de santé.

Étonnamment, la santé est l'un des seuls secteurs qui soit soumis au suivi infra-annuel de l'exécution des dépenses et des recettes. Vous constatez même, concernant les établissements de santé, les limites des prévisions d'exécution, ce qui amène à reconsidérer les mérites de la régulation infra-annuelle pratiquée par ces établissements. Les établissements hospitaliers ne prennent connaissance du montant des ressources qui leur sont allouées pour l'année en cours qu'à la fin de cette même année. Comment expliquer que les politiques de santé s'inscrivent dans une logique pluriannuelle, à l'instar de la stratégie « Ma Santé 2022 », alors que les établissements et les professionnels de santé n'ont aucune visibilité infra-annuelle ? Le décalage entre ces modes de régulation limite la capacité des acteurs à agir avec efficacité et cohérence. Quelles sont, selon vous, les dispositions les plus urgentes à mettre en oeuvre pour donner une visibilité financière à l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des professionnels du médicament, ou des acteurs du secteur hospitalier, public, à but non lucratif ou privé ? Le PLFSS 2020 prévoit une garantie pluriannuelle de financement pour les hôpitaux de proximité : c'est une proposition intéressante. Pourrait-on étendre cette visibilité à d'autres établissements ?

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Monsieur le Premier président, je vous remercie, au nom du groupe Socialistes et apparentés, pour la qualité de votre rapport. Avec 5,5 milliards d'euros de déficit, ce gouvernement a tout de même réussi le rare prodige de creuser un déficit, alors même que le contexte économique reste favorable, ce même gouvernement qui prédisait le retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale en 2019. Je rappelle que la précédente majorité, en cinq ans, avait ramené le déficit de 18 milliards en 2012 à 1,8 milliard en 2017. Comment ne pas s'indigner de certains choix du Gouvernement, notamment l'absence de compensation par l'État de la baisse des recettes de la sécurité sociale, due à l'exonération des cotisations sociales qu'il a décidée ? Comme le dit si bien votre rapport, il faut arrêter les économies structurelles en dépenses.

Comment ne pas s'indigner, encore, devant la désindexation des retraites et des prestations sociales ? Et le pire, c'est que ce creusement du déficit de plus de 5 milliards d'euros n'est pas lié à des mesures à la hauteur des besoins de l'hôpital public et des EHPAD ! Ce déficit arrive au pire moment, puisque la crise dans les services des urgences se propage, que le mécontentement dans la population enfle et que le sentiment d'injustice est de plus en plus partagé. Le fait qu'un hôpital public soit en vente dans l'ouest de la France montre que l'on abîme notre sécurité sociale, que ce gouvernement a décidé de détricoter, en dépit de ses voeux pieux et de ses déclarations de bonnes intentions.

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Monsieur le Premier président, vous évaluez précisément, dans votre rapport annuel, la dégradation des comptes sociaux, dont nous avions pourtant voté l'an dernier le retour à l'équilibre. Le groupe UDI, Agir et Indépendants ne pouvait que saluer ce retour à l'équilibre après dix-huit ans de déficit, même si nous regrettions, dans le même temps, la cure de rigueur demandée à l'hôpital et à la chaîne du médicament, au risque de dégrader leur capacité d'innovation en santé. Par ailleurs, nous avons soutenu les mesures de rectification de la loi portant mesures d'urgence économiques et sociales, qui constituait une réponse nécessaire à la colère et au sentiment d'injustice que traversait le pays.

En raison à la fois de ces mesures d'urgence et de moindres recettes fiscales et sociales, les soldes prévisionnels pour 2019 et 2020 vont à nouveau basculer dans le rouge, aux alentours de 5 milliards d'euros. Cela conduit évidemment à s'interroger sur les marges de manoeuvre réelle dont nous disposons dans la perspective du financement de la dépendance. Nous considérons que ce n'est pas à la sécurité sociale, dont les caisses sont aujourd'hui mieux gérées, de supporter la totalité de l'effort, et qu'il revient à l'État de prendre sa part. Pourriez-vous nous donner votre éclairage sur ce point ?

Par ailleurs, j'aimerais vous interroger plus particulièrement sur la pertinence du maintien de l'ONDAM comme outil de régulation des dépenses de notre système de santé. Cet outil, calculé annuellement, sans stratégie à moyen terme, définit des objectifs d'économies que l'on pourrait qualifier d'aveugles. Il ne tient pas compte, par ailleurs, des inégalités territoriales de santé, une réalité sanitaire que les crédits du Fonds d'intervention régional (FIR) ne parviennent que très imparfaitement à compenser. L'ONDAM hospitalier est particulièrement malmené par rapport à celui de la médecine de ville : il souffre du maintien du mécanisme de réserve, soit 0,3 % de l'ONDAM. Cette mise en réserve est ensuite utilisée pour compenser les dépassements des autres secteurs. Cela interroge sur la sincérité de l'ONDAM et des sous-ONDAM soumis à la sagesse du Parlement.

Le rapport de la Task force de Jean-Marc Aubert sur la réforme des modes de financement et de régulation réalisé dans le cadre de l'élaboration de la stratégie « Ma Santé 2022 » considère par ailleurs qu'il est important de donner une visibilité pluriannuelle aux acteurs sur l'évolution des financements, afin que ces derniers puissent réaliser les investissements ou les adaptations nécessaires. Il note également que le manque de visibilité pluriannuelle nuit au pilotage de l'activité. Pourriez-vous nous donner votre avis sur ce point ?

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Monsieur le Premier président, les Français tombent trop souvent malades, se soignent trop longtemps et partent trop tôt à la retraite : c'est un peu le sens de votre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

En gardien de l'orthodoxie budgétaire, vous êtes dans votre rôle quand vous demandez de faire des économies. Mais faire des économies n'est pas un projet politique. Ici, faire des économies, c'est moins rembourser les soins, et moins longtemps, moins indemniser les malades et repousser l'âge de départ à la retraite.

En défenseurs de l'intérêt général, nous sommes dans notre rôle, en vous disant que ce n'est pas la direction que nous devons prendre. En effet, monsieur le Premier président, si votre rapport se concentre sur le coût budgétaire des soins, le groupe La France insoumise s'attache, lui, à analyser le coût social de l'absence de soins, de l'abandon d'une partie grandissante de la population. Combien coûte le malheur, monsieur le Premier président ? Chaque année, près d'un Français sur deux déclare désormais renoncer aux soins pour des raisons financières.

C'est la raison pour laquelle nous sommes, comme certains de nos collègues, favorables à la suppression de l'ONDAM, cet indicateur sur la base duquel le Gouvernement impose une nouvelle cure d'austérité de 4 milliards d'euros à notre sécurité sociale : 4 milliards d'euros en moins pour les soins aux plus fragiles, pour les hôpitaux ; 4 milliards d'euros en moins pour les EHPAD, les structures d'accueil, les enfants en situation de handicap. Pourtant, les alertes sont nombreuses. Pour les comprendre, il faut rencontrer ces personnels soignants qui sont en grève depuis des mois pour réclamer de meilleures conditions d'accueil à l'hôpital, ou être dans la rue, comme aujourd'hui, avec ces salariés et ces retraités qui sont mobilisés pour demander plus de moyens dans les EHPAD.

Toutefois, vous avez raison, monsieur le Premier président, de souligner que le déséquilibre financier de notre système de protection sociale est dû avant tout à la décision de l'État de ne pas compenser les exonérations de cotisations sociales. L'État fait payer aux assurés le coût de ses décisions politiques, il se permet de les culpabiliser et n'assume pas ses choix. Il s'agit sans aucun doute d'une astuce pour préparer le terrain à la prochaine réforme des retraites. Vous auriez pu rappeler aussi le fléau de la fraude patronale aux cotisations sociales, qui représente 7 à 9 milliards d'euros chaque année. S'y attaquer paraît bien plus utile que la traque aux prétendus fraudeurs de prestations sociales ou à la chasse aux économies de bouts de chandelles.

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Monsieur le Premier président, j'ai lu votre rapport avec attention et je dois dire que vos conclusions me semblent un peu étonnantes, même si, en réalité, elles ne le sont pas tant que cela, puisqu'elles tendent vers un objectif : la maîtrise des dépenses sociales, pour rétablir les comptes de la sécurité sociale. Vous avez passé plusieurs thèmes à la moulinette austéritaire, comme les retraites ou les arrêts de travail : vous préconisez ainsi de limiter les indemnités journalières, au détriment des droits des salariés. Or le travail va mal dans notre pays : nous en avons des exemples chaque jour. Et cette maltraitance a un coût : notre système de soins paie la maltraitance qu'il produit lui-même. Vous proposez de transférer la totalité des dépenses de transport sanitaire à des hôpitaux déjà exsangues. Or ces dépenses résultent à la fois des fermetures de lits et de services, dont je rappelle qu'elles ont aussi un coût carbone, de la création des groupements hospitaliers de territoire et du virage ambulatoire, qu'il aurait sans doute fallu chiffrer.

Votre appréciation est focalisée sur les dépenses, mais vous ne proposez jamais d'actionner le levier des recettes. Et la sécurité sociale s'appauvrit, car elle est confrontée à une crise de financement, accentuée par le fait que l'État décide de financer des mesures de pouvoir d'achat avec les recettes de la sécurité sociale, sans compenser les pertes : les exonérations de cotisations ont atteint des sommes astronomiques. Vous dénoncez l'ampleur des niches sociales, sans forcément en tirer les conséquences en termes de ciblage ou de contreparties, ce qui, d'une certaine façon, excuse le creusement volontaire du « trou » de la sécurité sociale. Nous pensons qu'il est nécessaire de mettre un terme à cette hémorragie : les 22 milliards d'allégements de charges du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et les 26 milliards d'allégements généraux ne sont-ils pas une forme de gaspillage ? Vous avez vous-même évoqué leurs effets sur la masse salariale.

Enfin, avez-vous chiffré le coût de la dégradation de la prise en charge de la santé par nos hôpitaux, les effets de la dette des hôpitaux, le coût de la maltraitance institutionnelle ? Notre système est-il en état d'absorber le nouveau choc proposé par le PLFSS ?

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Certains des commentaires qui ont été formulés n'appellent pas d'observations de ma part, car je ne veux pas aller sur le terrain politique. Ce que je crois, c'est que le rapport est trop récent pour que vous l'ayez lu dans le détail. Et je suis convaincu que lorsque vous l'aurez fait, nombre de vos commentaires vous paraîtront totalement injustifiés.

La Cour de comptes s'intéresse évidemment aux recettes de la sécurité sociale. Pour voir si un budget est en équilibre, il faut analyser à la fois les recettes et les dépenses : nous avons donc examiné les unes et les autres et formulé un certain nombre de recommandations sur les unes et sur les autres. Certains d'entre vous nous ont prêté des intentions qui ne correspondent pas du tout à la réalité des recommandations que nous faisons et j'espère que la lecture attentive de notre rapport permettra de corriger certaines appréciations.

J'ajoute que nous raisonnons par rapport à des objectifs qui sont votés par le Parlement : la Cour des comptes ne peut pas raisonner qu'à partir des décisions qui ont été prises légitimement par les représentants de la nation, élus au suffrage universel. C'est en fonction de ces objectifs que nous raisonnons.

J'en viens aux questions qui m'ont été posées. Vous m'interrogez sur la sincérité du projet qui vous est présenté : vous savez qu'il n'appartient pas à la Cour des comptes d'apprécier la sincérité d'un projet. Cela relève des prérogatives du Conseil constitutionnel. Il peut nous arriver de noter des éléments d'insincérité, notamment lorsqu'ils sont nombreux : nous l'avons fait par le passé. Nous n'avons pas noté d'éléments d'insincérité dans le projet qui vous est présenté, si ce n'est, dans le budget de l'État, les éléments que l'on repère classiquement. Je rappelle néanmoins que le Haut Conseil des finances publiques a considéré que les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement étaient soit réalistes, soit raisonnables, et que le schéma de finances publiques global proposé était en cohérence avec ces hypothèses macroéconomiques, même si nous avons par ailleurs noté que ces projets s'éloignent des objectifs définis dans la loi de programmation de 2018. Nous sommes dans notre rôle en le constatant.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question de la compensation – ou de la non-compensation – par l'État et de l'application d'un certain nombre de principes définis notamment dans la « loi Veil ». Je rappelle que la « loi Veil » est une loi ordinaire et que ses dispositions peuvent toujours être modifiées par une autre loi. Chaque année, vous pouvez modifier certaines règles, même si la Cour des comptes a souvent appelé à une plus grande stabilité, dans le temps, des critères implicites qui conduisent à proposer au Parlement de compenser des pertes de recettes pour la sécurité sociale. Nous sommes effectivement favorables à une plus grande stabilité, mais la non-compensation n'explique pas tout : une part du déficit constaté ne relève pas de la décision de non-compensation de l'État.

C'est le rôle de votre commission des affaires sociales que de s'intéresser au déficit de la sécurité sociale, et c'est l'objet du rapport que je vous présente. Mais on peut aussi avoir une approche plus globale du déficit des comptes publics : que ce déficit soit celui de l'État ou de la sécurité sociale ne change rien. Vous, vous raisonnez spécifiquement sur la sécurité sociale, et la commission des finances, elle, raisonne à partir du budget de l'État, mais il faut aussi raisonner toutes administrations publiques confondues pour apprécier les déséquilibres de nos comptes publics.

S'agissant des recettes et des niches sociales, nous constatons effectivement une augmentation des mesures d'allégements généraux de cotisations sociales au cours des dernières années. Nous avons essayé de les chiffrer : elles sont de l'ordre de 90 milliards d'euros. Tous ces dispositifs dérogatoires n'étant pas recensés dans l'annexe 5 présentée par le Gouvernement, nous avons essayé de les recenser de manière exhaustive. Certains de ces dispositifs dérogatoires font parfois l'objet d'une évaluation négative, d'autres ne sont pas évalués : il importe donc de les évaluer de façon plus systématique. Ce travail d'échenillage pourrait mettre au jour des marges de manoeuvre et dégager des recettes supplémentaires pour la sécurité sociale. Cela fait plusieurs années que nous invitons le Gouvernement et le Parlement à faire ce travail sur les niches sociales.

S'agissant des dépenses, nous constatons qu'il existe des marges d'économies et d'efficience. Notre préoccupation est double : elle vise à la fois l'équilibre de la sécurité sociale et l'équité. Les économies, à partir du moment où elles ne remettent pas en cause la qualité des soins et l'accès aux soins, peuvent aider à sauvegarder le régime de sécurité sociale et contribuer à plus d'équité. En effet, certaines dépenses ne sont pas médicalement justifiées et d'autres font apparaître des inégalités : c'est notamment le cas des systèmes de retraite, qui se caractérisent par leur très grande hétérogénéité. Nos concitoyens, du reste, ne comprennent pas toujours ces différences de situation. Nous mettons sur la table un certain nombre de propositions, dans le double but d'équilibrer davantage la sécurité sociale et de garantir l'équité.

Nous avons toujours considéré que les déficits de la sécurité sociale sont une anomalie : ce sont des dépenses de transfert, des dépenses courantes, des dépenses de fonctionnement. Il ne nous semble pas légitime de financer par l'emprunt des dépenses qui concernent les générations actuelles et qui, d'une certaine façon, n'ont pas à être financées par les générations futures, lesquelles ont suffisamment de problèmes devant elles, avec les questions de la dépendance ou des retraites, qui sont encore loin d'être résolues. Nous sommes l'un des rares pays au monde à accepter un déficit durable de la sécurité sociale et nous pouvons mettre fin à cette situation, si nous travaillons à la fois sur les recettes et sur les dépenses. Sur le plan des recettes, il convient de rationaliser l'ensemble des régimes dérogatoires et, sur le plan des dépenses, d'utiliser les marges d'efficience qui apparaissent, dans le secteur du transport sanitaire, par exemple.

Je dirai encore un mot de la dette. La CADES fait son travail et un certain nombre de recettes lui sont affectées pour réduire la dette sociale. Le problème, c'est que, parallèlement, la dette portée par l'ACOSS augmente. Elle sera de l'ordre de 30 milliards à la fin de l'année 2019 et on estime qu'elle atteindra près de 46 milliards à la fin de l'année 2022, ce qui est problématique, puisqu'on est en train de reconstituer une dette sociale. Il est vrai que les taux d'intérêt sont extrêmement avantageux aujourd'hui, mais il faudra tout de même rembourser ce qui a été emprunté. Il me semble que les emprunts devraient surtout être destinés aux dépenses d'investissement ou à celles qui peuvent augmenter la croissance potentielle du pays, plutôt qu'à des dépenses de transfert ou de fonctionnement. La question de l'équilibre des comptes sociaux reste tout à fait d'actualité.

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Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Nous avons fait un état des lieux assez précis du passage du quasi-équilibre de l'année dernière aux 5 milliards de déficit de cette année, et je rappelle que l'explication principale n'est pas la non-compensation par l'État. L'explication principale, c'est la correction d'hypothèses économiques qui étaient très favorables l'année dernière sur la masse salariale. Le débat qui consiste à savoir si la prime de fin d'année s'est ou non substituée à du salaire – qui aurait donné lieu à des cotisations – est sans objet, puisque ce point est toujours présenté, dans les hypothèses de l'an dernier, comme dans celles de cette année, comme accessoire dans le calcul. On est donc bien à champ constant.

Le second point qui nous a beaucoup frappés, c'est l'accélération forte de l'évolution de la dépense sociale – elle a été retracée dans l'un des graphiques. Globalement, la dépense sociale, tous champs confondus, c'est-à-dire sur une masse de 500 milliards, a connu une progression d'un point par an, ce qui représente tout de même 5 milliards de dépenses supplémentaires chaque année, par rapport au point bas de 2015 ou 2016. C'est cette accélération qui explique, en grande partie, le creusement du déficit.

S'agissant des dispositions de la « loi Veil », comme le Premier président l'a dit, ce qu'une loi fait, une autre loi peut le défaire. Si la « loi Veil » s'était appliquée dans sa pureté, le débat sur la compensation de l'anticipation de la mesure d'exonération sur les heures supplémentaires au mois de janvier pourrait effectivement se poser – cela représente 1,5 milliard d'euros. Je rappelle aussi qu'au cours des cinq années précédentes, l'État a surcompensé à la sécurité sociale. Dans ses versements annuels cumulés, il a apporté 4 milliards de plus que ce qu'il aurait dû verser au titre de la compensation des exonérations de charges. Cela a permis d'éviter de creuser la dette sociale, mais il y a eu cet apport supplémentaire. La Cour avait d'ailleurs écrit en 2016 que, dans ces conditions, il n'était pas absurde de se poser la question d'un retour à meilleure fortune pour l'État lui-même. Elle a validé cette démarche, avant même que le débat soit ouvert par le PLF et le PLFSS de l'an dernier.

Le fait de déplacer le stock de dette actuel de la sécurité sociale vers l'État ne changerait pas grand-chose aux conditions de financement, puisque l'ACOSS et la CADES, pour la part consolidée de la dette, se financent dans les mêmes conditions que l'État, c'est-à-dire à des taux négatifs à court terme, et même jusqu'à dix ans. En revanche, il est clair que la question se posera de l'avenir de la dette flottante de l'ACOSS : vous avez rappelé, monsieur le Premier président, que, dans la trajectoire actuelle, elle pourrait atteindre 46 milliards d'euros en 2022.

La disparition de la CADES est acquise : ses équipes ont d'ailleurs été transférées à l'Agence France Trésor depuis déjà quelques années. Il faudra s'interroger sur le devenir des ressources annuelles de la CADES : les 16 milliards que vous avez évoqués, monsieur le Premier président, de CSG et de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), et les 2 milliards annuels du Fonds de réserve pour les retraites, qui, de fait, pourraient être disponibles pour couvrir une partie de la dette flottante de l'ACOSS, année après année. Il existerait d'autres manières d'utiliser ces ressources : les idées ne manquent jamais, quand il s'agit de faire des dépenses – il va de soi que les dépenses sont justifiées dans le secteur médico-social.

S'agissant des niches sociales, nous n'avons pas fait de travaux d'évaluation de l'impact des exonérations de charges : bien nous en a pris, car c'est un sujet assez complexe. Nous n'en disons rien dans le rapport, mais je ferai un seul commentaire : tous ces sujets ont normalement été pesés, lorsque la bascule du CICE sur les allégements généraux de charges a été opérée. La question s'est posée de savoir dans quel segment de revenus on maximisait l'effet emploi. Tout cela a donné lieu à de nombreuses études. Ce qui est souhaitable, en tout cas, si l'on veut que ces dispositifs aient un effet réel sur l'emploi, à travers l'allégement du coût du travail, c'est qu'il y ait une certaine stabilité dans le paramétrage de ces dispositifs. Changer un paramètre tous les ans, c'est le meilleur moyen de manquer son effet. Je livre cette réflexion à la représentation nationale.

Sur le sujet des départs anticipés à la retraite, nous avons été étonnés de l'impact des sept dispositifs principaux, hors régimes spéciaux de retraite, qui permettent de partir à la retraite avant l'âge de 62 ans, ou à l'âge de 62 ans même lorsque les conditions de durée de cotisation ne sont pas remplies : un départ sur deux est anticipé aujourd'hui, contre un sur trois il y a cinq ans. Cet élément, qui a son importance dans la perspective de la réforme des retraites, plaide pour une convergence vers un système unique.

La situation de départ est assez divergente suivant les régimes spéciaux : l'âge moyen de départ à la retraite est de 55 ans à la RATP, 56 ans à la SNCF et 63,1 ans dans le régime général. Or cet écart de sept ou huit ans n'entraîne pas d'écart correspondant en espérance de vie : dans le cadre d'une démarche de convergence, cela peut évidemment poser question.

Nous avons travaillé sur ce sujet en mettant en avant d'une part l'invalidité, qui ouvre droit à la retraite à 62 ans pour des contingents annuels de 130 000 personnes, mais aussi les catégories actives dans la fonction publique – ces dernières relèvent d'un classement qui, pour certains corps ou certains emplois, est parfois très ancien, à tel point d'ailleurs que l'on a parfois du mal à retrouver les emplois éligibles à la catégorie active, notamment dans les collectivités territoriales –, ainsi que les carrières longues, dispositif de 2003 ajusté à plusieurs reprises.

Si nous avons fait cette photographie, c'est bien entendu pour illustrer l'hétérogénéité de la situation de départ : celle-ci rend toute réforme ayant un objectif de convergence particulièrement difficile à gérer, et nécessite par conséquent des délais.

Monsieur Véran, nous n'avons pas travaillé sur le thème de la lutte contre la fraude : nous lui consacrerons l'année prochaine un chapitre dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. En outre, un rapport parlementaire est en préparation sur ce sujet. Nous avons en revanche bouclé nos travaux sur la vieillesse, qui sont disponibles pour la représentation nationale puisque nos observations définitives seront transmises aux parlementaires qui le souhaitent. Nous sommes également en train d'achever nos travaux sur la maladie ; il nous restera à traiter de la famille, avant de faire une synthèse l'année prochaine.

Concernant la visibilité pluriannuelle de l'ONDAM, peu de politiques publiques offrent une visibilité aussi large que celle figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale. La progression de l'ONDAM pluriannuelle est fixée à l'avance – 2,5 % en 2019, 2,3 % à partir de 2020 –, ce qui implique un effort d'économie plus important pour 2020 si l'on veut tenir l'objectif. Cela étant, cette trajectoire pluriannuelle fixée jusqu'en 2023 donne des éléments de référence assez solides.

Par ailleurs, la Cour a appelé à plusieurs reprises à ne pas multiplier les découpages de l'ONDAM en sous-objectifs, qui rendent le pilotage beaucoup trop compliqué et nécessitent de documenter les transferts d'un sous-objectif vers un autre : c'est le cas des dépenses de soins de ville qui sont prescrites à l'hôpital. Il ne serait pas inutile d'approfondir ce sujet extrêmement difficile en éclairant davantage l'impact financier de ces transferts.

Nous avons également rappelé l'année dernière à quel point le mode de régulation classique de l'ONDAM depuis 2010, fondé sur la mise en réserve des dotations budgétaires destinées à l'hôpital, était à revoir, considérant que cela faisait peser des contraintes trop fortes sur les établissements publics de santé. Étant très attachés au respect global de l'ONDAM, nous avons appelé à ce que la mise en place de dispositifs de régulation dans les autres segments de l'ONDAM, en particulier en médecine de ville. J'avais d'ailleurs répondu ici même, l'année dernière, à des questions sur des accords prix-volume : nous souhaitons leur développement au-delà du strict champ actuel des biologistes, sur le modèle de ce qui se fait pour les biologistes ou pour les médicaments.

De la même manière, cette année, le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale met l'accent sur deux sujets difficiles : la régulation des transports sanitaires et la régulation des arrêts de travail. Nous évoquons toute la palette des instruments de régulation, allant du contrôle des médecins prescrivant beaucoup à l'éventuelle mise en place d'un ticket modérateur pour les assurés sociaux.

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Je veux apporter deux précisions. Nous avons effectivement répondu à une demande formulée par le Premier ministre sur la fraude fiscale et nous consacrerons un chapitre à la fraude aux cotisations sociales.

Sur le sujet, qui n'est pas facile, des allégements généraux de cotisations, un certain nombre d'enquêtes et d'évaluations ont été réalisées, notamment sur l'allégement général dégressif jusqu'à 1,6 SMIC : pour la plupart, elles concluent à un effet positif significatif sur l'emploi. Au-delà de 1,6 SMIC, en revanche, les évaluations sont moins probantes car elles font apparaître des résultats contrastés. Or, s'il n'y a pas d'effet positif sur l'emploi, on peut s'interroger sur la pertinence de ces dispositifs dérogatoires. Nous recommandons donc de demander des évaluations supplémentaires dans le but de parvenir à une rationalisation de ces dispositifs dérogatoires.

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Mon intervention porte sur la cinquième partie du rapport, dédiée au dispositif actuel de départ anticipé à la retraite, dont vous soulignez le nombre trop important de bénéficiaires et le coût, à savoir 14 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour 2016.

L'un de ces dispositifs, le compte professionnel de prévention, également appelé le C2P, vise à prendre en compte les incidences du travail sur l'état de santé des personnes. Le C2P constitue donc une véritable mesure de justice sociale puisqu'il se concentre sur la nature même des tâches effectuées dans l'emploi. Aussi, dans la perspective de la réforme à venir, de quels leviers disposons-nous pour garantir une véritable prise en compte de la pénibilité dans les critères de départ anticipé à la retraite, tout en réduisant la multiplicité des dispositifs et leur impact budgétaire ? Et sans recréer une usine à gaz !

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Dès les premières pages du rapport, vous indiquez que « Le transfert de recettes de CSG à la CADES devait permettre à cet organisme de reprendre jusqu'à 15 milliards d'euros de déficits dont le financement est assuré par des emprunts à court terme émis par l'ACOSS ; le solde des déficits financés par l'ACOSS – soit 8 milliards d'euros environ – devait être amorti par les excédents du régime général et du FSV. Ce scénario [...] est désormais caduc. »

Selon le PLFSS 2020, le déficit du régime général et du FSV atteindra 5,4 milliards en 2019. Dès lors, je souhaite vous interroger sur l'une des hypothèses du financement de la perte d'autonomie des personnes âgées. Le rapport Libault suggère de profiter de l'extinction de la dette sociale en 2024 pour poursuivre au-delà de cette date la perception de la contribution du règlement à la dette sociale, la CRDS, payée par les Françaises et les Français. Je souhaiterais savoir si cette hypothèse est encore crédible aujourd'hui.

Ma seconde question porte sur les greffes d'organes. Vous consacrez un long chapitre à ce sujet dans votre rapport et je m'en réjouis. Néanmoins, nous constatons qu'en 2018, le nombre de prélèvements et donc de greffes d'organes a fortement diminué. Cette diminution des prélèvements est souvent due à un refus de la famille d'autoriser le prélèvement quand le patient n'a pas fait connaître son souhait de son vivant. Or, actuellement, il ne peut qu'inscrire son refus sur un registre. Il convient d'analyser ce phénomène et de s'interroger, peut-être dans le cadre d'un rapport, sur l'amendement de notre collègue Jean-Louis Touraine lors de l'examen de la loi santé, amendement que j'avais soutenu et qui prévoyait que le patient n'ayant pas fait part de son refus était automatiquement donneur ; cet amendement me paraît peu appliqué.

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Vous avez abordé le sujet des niches sociales : votre rapport laisse entrevoir que la rationalisation de ces dispositifs d'exonération et d'exemption reste un chantier à mener. S'agissant de la compensation financière par l'État des pertes de recettes pour la sécurité sociale, si la Cour laisse apparaître que celle-ci est majoritairement appliquée, notamment en ce qui concerne les allégements généraux, elle note également que des dérogations au principe de compensation sont désormais mises en oeuvre pour des montants significatifs ; c'est d'ores et déjà le cas en 2019 pour 1,6 milliard d'euros. Le PLFSS 2020 semble apporter d'ailleurs son lot en la matière.

Par ailleurs, la Cour précise que l'annexe 5 au projet de loi de financement de la sécurité sociale ne fournit pas de bilan complet des compensations assurées par l'État, ne portant que sur les seules compensations prenant la forme d'une dépense inscrite au budget de l'État, qui sont minoritaires. De ce fait, nous n'avons pas à ce jour un état précis des compensations effectuées par l'État. Celles-ci sont-elles effectives ? Si elles ne le sont pas, dispose-t-on d'une estimation des pertes de recettes pour les organismes de sécurité sociale ? Selon vous, cela relève de la consolidation des comptes de la nation : je rappelle simplement que les comptes sociaux sont financés par le travail, tandis que les comptes de l'État sont financés par la solidarité nationale. Une exonération pensée pour la solidarité ne doit pas être payée par le travail.

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Ma question porte sur le chapitre V de votre rapport, intitulé « Partir plus tôt à la retraite : des dispositifs nombreux et inégalement justifiés, une redéfinition nécessaire », et plus particulièrement sur votre proposition de responsabiliser les employeurs dans la prévention des risques professionnels et de la pénibilité du travail à l'origine de départs anticipés à la retraite, en finançant la totalité des dépenses de retraites pour incapacité permanente et celles liées au compte professionnel de prévention par des cotisations distinctes.

La création de cotisations distinctes supportées par l'employeur vise-t-elle à couvrir un nouveau risque systémique du ou des secteurs spécifiques concernés entraînant une pénibilité de travail lourde, et donc à généraliser les départs anticipés ? Comment son caractère vertueux pourrait-il être mis en oeuvre ?

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Ma question concerne l'indemnité journalière. Je suis étonnée de votre préconisation visant à réduire les dépenses injustifiées ou évitables liées aux conditions de gestion des indemnités. C'est un montant considérable : 300 millions d'euros selon votre rapport. J'aimerais savoir si vous aviez déjà repéré ce point dans vos rapports antérieurs, si vous avez constaté une amélioration dans la gestion de cette prestation et quelles en sont les explications : à l'heure de l'informatique et du croisement des fichiers, cela est en effet difficilement compréhensible. Avez-vous des explications objectives sur ce point et pouvons-nous espérer une amélioration de ce dispositif à l'avenir ?

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Dans son rapport annuel de 2019, la Cour des comptes fait un constat : « les améliorations organisationnelles mises en oeuvre depuis 2014 à l'hôpital n'ont pas porté tous leurs effets, faute d'un partage des tâches avec la ville ». Le rapport pointe notamment un mode de financement qui n'encourage pas l'articulation entre la médecine de ville et l'hôpital. Le financement des urgences repose aujourd'hui principalement sur le nombre de passages que comptabilise le service, le forfait « accueil et traitement des urgences » (ATU) associé au « forfait annuel urgences » (FAU), complexe, favorisant notamment les actes simples et non urgents. Le mode de financement ne répond plus aux enjeux auxquels sont confrontés nos services d'urgence.

Dans le cadre de la mission que je mène sur la refondation de nos services d'urgence, le levier financier est l'une des solutions essentielles pour changer les organisations et infléchir la pression que fait subir l'augmentation constante du nombre de passages par an dans les services d'urgence. Dans ce cadre, pouvez-vous étayer la proposition de la Cour des comptes de réformer la tarification des services d'urgence en privilégiant l'efficience et le développement d'un modèle économique et tarifaire ouvert sur la ville ? Ce serait là une hypothèse tout à fait intéressante dans le cadre des discussions à venir sur le prochain PLFSS.

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Depuis le 1er janvier 2018, la protection sociale des travailleurs indépendants, auparavant gérée par le Régime social des indépendants (RSI), est confiée au régime général de la sécurité sociale. Une période transitoire de deux ans est prévue : le transfert de la gestion de l'assurance maladie des organismes conventionnés du RSI aux caisses primaires d'assurance maladie s'achèvera en 2020.

Dans le cadre du suivi des PLFSS précédents, et en prévision de la fin de la période transitoire, je souhaiterais connaître le bilan des dépenses générées et des bénéfices constatés par cette fusion du RSI et du régime général, étant donné les irrégularités soulevées par la Cour des comptes en 2017. J'aimerais une analyse comparée de ces différentes années.

Par ailleurs, dans quelle mesure diriez-vous que cette réforme permet d'assurer une meilleure prise en charge des personnes concernées ?

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Dans le rapport d'application que j'ai rédigé avec Olivier Véran sur l'application de la LFSS 2019, nous avons pointé le trop grand retard apporté à la publication des décrets juste avant la pause estivale et l'incertitude juridique entourant certains chantiers importants du fait du retard pris. Comment contrer cette situation, où chaque décret qui manque à l'appel prive de force juridique les articles d'une loi que nous sommes chaque année amenés à examiner et à voter dans des délais contraints ?

À titre d'illustration de ces difficultés concrètes, nous avions appelé l'attention de notre commission sur l'application de l'article 65, relatif aux autorisations temporaires d'utilisation, qui permettent de renforcer l'accès précoce de certains patients aux médicaments et aux dispositifs médicaux innovants. Sur ce sujet, les décrets ont pris beaucoup de retard : quel est votre point de vue sur cette question ? Comment garantir une application de la loi dans des délais rapides ?

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Je vous remercie pour ce rapport extrêmement éclairant, en particulier sur l'évolution des pensions de retraite qui affecte les finances de la sécurité sociale.

Je souhaite vous interroger sur le dispositif de carrières longues, qui permet de déroger à l'âge légal de départ à la retraite, fixé à 62 ans. Les assouplissements apportés à ce dispositif en 2012 ont conduit à multiplier par six ces départs, qui sont passés de 30 000 en 2009 à 180 000 en 2017. En clair, les résultats escomptés des réformes de recul d'âge ont été freinés par l'augmentation des départs anticipés.

Vous préconisez, à juste titre, le développement du mécanisme de retraite progressive. Or ce dispositif n'est ouvert qu'aux salariés du privé. La liste des emplois relevant des catégories actives pour les affiliés à la caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers n'a pas été revue et actualisée depuis trente ans : pensez-vous qu'un élargissement de la retraite progressive au secteur public contribuerait à l'amélioration des finances de la sécurité sociale ?

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Je tiens à vous remercier pour ce rapport, même si nous ne l'avons reçu que ce matin, donc relativement tard pour une analyse approfondie.

Alors que les comptes devaient revenir dans le vert cette année, les mesures d'urgence économiques et sociales prises pour répondre à la crise des « gilets jaunes » ont creusé le déficit de la sécurité sociale. Ces exonérations de charges restent à l'heure actuelle non compensées par l'État, et la sécurité sociale en fait les frais. Au lieu de terminer en excédent, la sécurité sociale va donc replonger en 2019, avec 5,4 milliards de déficit. Le retour à l'équilibre du régime général et du FSV est ainsi reporté à 2023. L'ensemble des caisses de sécurité sociale ont émis un avis défavorable sur les orientations du PLFSS. Quelles mesures d'économies structurelles en dépenses préconisez-vous de mettre en place à moyen et long termes pour sortir de la spirale infernale du déficit ?

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La Cour mentionne dans son rapport que certains effets de seuil constituent des freins au retour sur le marché du travail des personnes en situation d'invalidité. Dans son rapport de septembre 2010, L'invalidité et l'inaptitude dans le régime général, la Cour préconisait déjà la modernisation du statut de l'invalidité et la création d'un « dispositif commun d'intéressement et d'accompagnement au retour à l'emploi ».

Pour l'année 2020, l'article 55 de l'avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit un certain nombre de mesures concernant les modifications du statut de l'invalidité, telles que la revalorisation de l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) et l'amélioration des possibilités de cumul entre revenus d'activité et pensions d'invalidité, afin d'inciter à une reprise de l'activité professionnelle. Pensez-vous, monsieur le Premier président, que ces mesures vont dans le sens de vos préconisations et, dans le cas contraire, quelles seraient vos recommandations ?

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Chaque année, vous rendez un rapport exhaustif et construit, proposant un diagnostic et des axes de progression. Le Parlement lit toujours avec attention ces travaux nécessaires à l'évaluation du fonctionnement des dépenses sociales.

Vous évoquez dans ce rapport l'accès au droit, les fragilités du système et les objectifs des organismes sociaux en matière de lutte contre les fraudes. Quelles pistes proposez-vous pour renforcer l'effectivité de l'accès au droit, éviter les erreurs de bonne foi mais aussi lutter efficacement contre les fraudes externes et internes ? Les objectifs de moyens et de contrôle vous semblent-ils répondre à ces enjeux ?

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J'aimerais vous interroger sur une niche sociale au coeur de notre engagement politique pour l'emploi : les contrats d'apprentissage, qui représentent un peu plus de 1 milliard d'euros en 2017. Les petites entreprises déplorent une augmentation du coût de l'apprentissage – 1 000 à 2 000 euros par an et par apprenti –, visant tout particulièrement les jeunes les plus âgés. Force est de constater que ces derniers ont beaucoup de mal à trouver un employeur : ne serait-il pas judicieux de simplifier et d'alléger les règles en matière de rémunération et d'assiette sociale des apprentis ? Cela pourrait à la fois encourager l'apprentissage des plus âgés et limiter le coût des dépenses publiques en la matière.

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En 2018, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi la trajectoire de réduction engagée depuis 2011. La LFSS 2019 avait prévu un retour à l'équilibre à partir de 2019 ; toutefois, à peine quelques mois plus tard, cette perspective est déjà compromise. Au lieu de terminer en excédent, la sécurité sociale va donc replonger en 2019, à hauteur de 5,4 milliards d'euros de déficit, en raison des mesures d'urgence annoncées fin 2018 en réponse au mouvement des « gilets jaunes », privant ainsi la sécurité sociale d'importantes recettes. Si, par le passé, l'État avait l'habitude de compenser toute nouvelle exonération de charges, il n'a rien prévu cette fois-ci, laissant la facture à la pleine charge de la sécurité sociale et donc aux générations futures.

Ma question porte sur le chapitre IX concernant la procréation médicalement assistée (PMA). Ce déficit est structurel ; je m'interroge donc sur les dépenses supplémentaires que pourrait générer l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Alors que la PMA, aujourd'hui limitée aux problèmes d'infertilité, est déjà à l'origine d'une part croissante des naissances, sous l'effet de la hausse tendancielle de l'âge moyen à la procréation, une ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires contribuera à accroître ce phénomène. Or nous savons que les personnes ayant recours à la PMA entrent dans un parcours comportant une série de consultations, d'actes biologiques et cliniques, accompagnés pour la FIV d'un séjour hospitalier pour prélèvement d'ovocytes.

Selon votre estimation, le coût d'une naissance issue d'une insémination artificielle s'élève à 7 088 euros en moyenne, et celui d'une naissance issue d'une FIV à 13 849 euros. À cela vient s'ajouter le recours à des soins transfrontaliers, financés par l'assurance maladie, qui déjà ne cessent de croître en raison de la pénurie d'ovocytes. Que préconise la Cour des comptes en cas d'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires ?

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Je souhaite poser trois questions très simples. La première concerne la fameuse prime aux salariés du privé, dont 5 millions ont bénéficié pour une somme moyenne de 400 euros. Le fait qu'elle soit cette année obligatoirement liée à une politique d'intéressement ne créera-t-il pas une diminution très forte de cette prime ? Cela aura naturellement des conséquences pour le budget de la sécurité sociale car l'État n'a pas compensé cette année : ce sera donc autant de compensations en moins l'année prochaine.

Ma deuxième question porte sur le financement de l'indépendance. Le rapport de M. Dominique Libault évoque des besoins de financement de l'ordre de 9 milliards d'euros à l'horizon 2030, dont 6,5 milliards dès 2024. Pensez-vous que la piste de la CRDS pourrait être explorée pour assurer le financement de la dépendance ? Son utilisation poserait-elle un problème constitutionnel ? Faut-il un nouvel outil ? Quel véhicule faut-il emprunter ?

Enfin, troisième question, concernant les fraudes sociales, souvent évoquées, quels éléments d'ordre constitutionnel, législatif et réglementaire faudrait-il mettre en place pour pouvoir enfin lutter plus efficacement contre ces fraudes sociales ?

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Concernant la question de la compensation ou non par l'État, il n'appartient pas à la Cour des comptes d'avoir un point de vue : c'est vous qui le décidez. Les dérogations au principe de compensation de la « loi Veil » résultent en fait de dispositions des lois de financement de la sécurité sociale que vous votez et qui peuvent écarter l'application de ce principe dans des cas d'espèce.

En revanche, le fait que l'État ne compense pas n'explique pas la totalité du déficit supplémentaire de la sécurité sociale. Nous avons indiqué que l'estimation de la masse salariale était optimiste, avec les répercussions sur les rentrées de cotisations sociales. De plus, la dépense a augmenté beaucoup plus qu'anticipé – 2,5 % au lieu de 2,1 % –, ce qui contribue au déséquilibre de la sécurité sociale.

Nous appelons de nos voeux une plus grande stabilité dans vos critères implicites qui conduisent à proposer au Parlement des compensations ou des non-compensations de pertes de recettes pour la sécurité sociale. Cela nous paraît tout à fait souhaitable. L'absence de règles claires et le changement des règles au fil du temps altèrent la lecture de l'évolution du solde de la sécurité sociale et contraint de ce fait à des retraitements pour pouvoir l'apprécier correctement.

Concernant le rapport Libault, il est certain que la nouvelle trajectoire financière de la sécurité sociale à partir de 2019 change la donne. On peut penser que cela ne pose pas de difficultés sur le plan constitutionnel : si la dette portée par la CADES s'éteint, il est tout à fait possible de supprimer cette recette ou de l'utiliser pour autre chose, comme le suggère le rapport Libault. Il ne m'appartient pas de dire le droit en la matière mais je ne vois pas quelle serait la difficulté constitutionnelle, à partir du moment où la raison d'être de la CADES n'existe plus.

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes

Concernant la C2P, il s'agit d'un instrument qui, d'un point de vue financier, est aujourd'hui assez réduit – quelques dizaines de millions d'euros. Cela étant, la tendance de fond est probablement à l'accroissement. Dans cette perspective, il est apparu utile à la Cour d'appeler l'attention sur l'intérêt d'une modulation du financement de la C2P. Cette modulation, qui a existé jusqu'en 2017, a été remplacée par une majoration des taux de cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), si bien que le signal adressé à certains employeurs, ou quand le financement AT-MP est mutualisé au niveau du secteur d'activité, a totalement disparu dès lors que seule une petite fraction s'ajoute au taux brut de cotisation, qui n'est même pas visible sur la fiche de paie.

Nous avons donc recommandé de distinguer les cotisations finançant le C2P des cotisations AT-MP proprement dites de façon à isoler le facteur pénibilité, et de revenir par ailleurs à une modulation de façon à sensibiliser les employeurs à l'intérêt d'une prévention accrue de la pénibilité du travail, ainsi qu'à l'insertion dans l'activité de salariés dont on sait que l'âge est appelé à augmenter.

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Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Monsieur Lurton, vous avez souligné que le schéma financier de l'année dernière était dorénavant caduc. La sécurité sociale doit revenir à l'équilibre comme prévu et dégager des excédents pour que, d'une part, une partie de ces excédents soit fléchée à nouveau vers l'État, à hauteur de 5 milliards, et une autre partie soit fléchée à titre complémentaire vers la CADES pour apurer la totalité de la dette flottante. Tout cela est complètement terminé puisque la trajectoire est tout à fait différente. Vous avez donc parfaitement raison d'analyser le sujet de cette façon.

M. Vigier s'est interrogé sur le sort de la CRDS. Il est évident que l'on aura encore besoin de la CRDS pour apurer le solde de la dette. Dans la trajectoire actuelle, cela représente 46 milliards en 2022, voire plus si la trajectoire ne se confirme pas ou est moins bonne que prévu. Il faudra bien que les 16 milliards aujourd'hui acquittés par les actifs pour financer les dépenses de leurs aînés soient maintenus pour solder cette grande période d'endettement de la sécurité sociale qui a commencé en 1996 et aura au total porté sur plus de 280 milliards d'euros.

Dans le chapitre que nous avons consacré au difficile sujet des greffes, nous avons montré l'écart croissant malheureusement entre le nombre annuel de greffes, qui a baissé en 2018 – les premières données sur 2019 ne sont pas très bonnes non plus – et l'augmentation forte du nombre de patients en liste d'attente : au cours des six ou sept dernières années, ils sont passés de 10 000 à 16 000, pour 6 000 greffes pratiquées. En conséquence, environ 600 patients en liste d'attente décèdent chaque année avant d'avoir pu accéder à la greffe, ce qui n'est quand même pas négligeable.

Nous avons également été frappés par les réticences des familles : les taux de refus de prélèvements sont d'ailleurs extrêmement variables d'un département ou d'une région à l'autre. Les familles peuvent effectivement s'opposer à un prélèvement car les textes le permettent. Dans cette hypothèse, les équipes médicales hésitent, et on peut les comprendre, à passer outre. La réglementation est déjà très ouverte : le principe est bien celui du prélèvement, sauf opposition. Je rappelle d'ailleurs que dès que ce texte a été adopté, nombre de nos concitoyens se sont inscrits dans le registre des refus, qui était jusqu'alors peu utilisé. Mais il y a clairement une difficulté à mettre en oeuvre cette réglementation, plus que dans d'autres pays. Ainsi, en Espagne, dont on peut penser que la tradition est proche de la nôtre, le refus de prélèvement est beaucoup moins répandu que dans notre pays. Cet écart croissant entre le nombre de greffes pratiquées chaque année et le nombre de nos concitoyens en liste d'attente est l'illustration d'une vraie difficulté : pour la population en liste d'attente, cela renvoie aux défaillances bien connues des politiques de prévention de santé publique dans ce pays, qui ont continué à marquer leurs limites.

Concernant les niches sociales, le débat est permanent entre la Cour des comptes et la direction de la sécurité sociale, d'un côté, et l'État, avec la direction de la législation fiscale, de l'autre, pour déterminer ce qui relève de la norme et ou de l'exception. Ce débat est souvent invoqué par les administrations pour ne pas faire figurer dans les documents d'information à l'attention des parlementaires l'ensemble des dispositifs qui, de notre point de vue, constituent une exonération à la règle de droit commun en matière fiscale et en matière sociale.

Nous en avons d'ailleurs débattu dans le cadre de la préparation de ce chapitre avec le ministère. Nous lui avons soumis un certain nombre de corrections techniques, qui ont été acceptées. L'annexe 5 sera plus fiable, plus précise cette année qu'elle ne l'était les années précédentes. Il reste quelques débats de fond, ainsi qu'une défaillance générale de l'évaluation de ces dispositifs ; cela vaut aussi pour les exonérations fiscales.

Malgré tout, 90 milliards d'euros, et même, si l'on prend en compte l'ensemble des régimes complémentaires, probablement un peu plus de 100 milliards – ce qui inclut, il faut le rappeler, 52 milliards d'euros au titre de la réduction du coût du travail, une niche qui a en soi une justification économique ancienne, puisqu'elle compte aujourd'hui une trentaine d'années – constituent une masse justifiant des évaluations récurrentes.

Nous avons, en la matière, un regret : même lorsque des évaluations négatives ont été menées, les conséquences n'en ont pas été tirées, comme nous le signalons dans le chapitre en question, au travers de plusieurs cas.

S'agissant des départs anticipés en retraite et de la pénibilité au travail, Jean-Pierre Viola, rapporteur général de ce rapport, a répondu à la question de M. Belkhir Belhaddad.

Pour répondre aux questions posées par Mme Jeanine Dubié sur la gestion des indemnités journalières, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) dispose aujourd'hui – et cela nous rassure – d'un plan en cours d'exécution qui prévoit de développer très fortement le numérique. Nous avons également pointé, dans le rapport sur la certification des comptes, une grande partie des difficultés liées au paiement à bon droit de cette prestation : nous y signalons cet enjeu de l'ordre de 800 millions à 1 milliard d'euros.

Vous avez raison de le souligner : à l'époque du numérique et de la déclaration sociale nominative (DSN), la numérisation doit s'accélérer, car c'est une condition capitale pour, sans même parler des fraudes, éviter des erreurs dans la liquidation des prestations ainsi que pour verser des prestations en se basant sur des données de revenus des allocataires contemporaines et non anciennes. Or de telles données sont automatiquement fournies par la DSN – et non pas déclarées, car chaque déclaration implique un risque d'erreur, intentionnelle ou non.

Je signale que la base mensuelle de ressources, dont le principe a été validé pour 2020par la loi, permettra, pour toute une série d'allocations, et notamment pour les allocations logement, de sortir enfin de ce débat récurrent sur les indus, incompréhensibles pour nos concitoyens, depuis au moins une trentaine d'années.

Cette base permettra également de sécuriser les conditions d'attribution d'un certain nombre de prestations de solidarité – RSA, CMU-C – et même de répondre au non-recours à celles-ci qui caractérisent beaucoup d'entre elles. En effet, leur complexité dissuade parfois un certain nombre de nos concitoyens d'en solliciter le bénéfice.

Il faut donc mettre l'accent sur la numérisation : le plan de la CNAM que j'ai évoqué et qui est en cours de déploiement répond à cet objectif.

Il faut aussi simplifier la réglementation, à chaque fois que cela est possible. J'appelle à cet égard votre attention sur les conditions d'exonération du ticket modérateur pour les transports sanitaires en cas d'hospitalisation : 140 possibilités existent en la matière ! On peut donc difficilement reprocher au médecin de ne pas être capable, à l'occasion d'une consultation, de cocher parmi ces 140 cases celle qui convient. On peut certainement faire beaucoup plus simple.

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Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes

En réponse à la question posée par M. Thierry Michels sur l'article du PLFSS 2020 concernant la réforme de l'invalidité, la Cour avait effectivement déjà souligné, en 2011, que ce risque professionnel, reconnu en 1945, avait très peu évolué. Cette absence d'évolution a perduré, puisque c'est finalement dans le PLFSS 2020 que figure ce qui constitue, par certains aspects, le début d'une réforme relativement importante. Selon l'analyse que l'on peut en faire, si le PLFSS comporte quelques dispositions législatives en la matière, la plupart des points évoqués dans l'exposé des motifs renvoient en réalité à des dispositions réglementaires à traduire. C'est notamment le cas de la revalorisation du minimum social de l'invalidité, l'ASI, dont la Cour souligne le décrochage important par rapport au minimum vieillesse et l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

Par ailleurs, et cela correspond à l'une de nos recommandations, il s'agit de lisser l'effet de seuil lié au cumul entre pension d'invalidité et revenus professionnels, dans la mesure où il s'avère pénalisant, notamment pour les faibles rémunérations ainsi que pour les carrières heurtées précédant la mise en invalidité : cela bloque en quelque sorte l'acquisition de revenus professionnels par reprise ou augmentation de l'activité.

Par conséquent, selon les informations dont nous disposons, mais il reviendra à vos interlocuteurs ministériels de le préciser, l'effet de lissage serait important et irait donc plutôt dans le sens de la recommandation de la Cour en la matière.

Cela étant, toutes nos recommandations ne sont pas épuisées. Nous proposons en particulier, s'agissant des invalides de catégorie 1, c'est-à-dire les plus proches de l'emploi, d'accorder la prestation pour une période définie, qui puisse évidemment être renouvelée en fonction de l'état de la personne concernée, alors qu'aujourd'hui l'ouverture des droits a lieu sans réexamen de la situation, sauf si la personne invalide le sollicite, par exemple pour faire constater une aggravation de son état de santé.

D'autres réformes de gestion sont indispensables, en particulier l'homogénéisation des critères de reconnaissance de l'invalidité dont la Cour souligne les disparités départementales extrêmement fortes au sein du service médical de l'assurance maladie.

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Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

M. Thomas Mesnier a, quant à lui, évoqué la question de l'ambulatoire et en particulier la réforme de la tarification d'urgence.

Rien ne concerne, dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale qui vous est présenté aujourd'hui, l'encombrement des urgences. Nous avons néanmoins travaillé sur ce sujet dans le cadre du rapport public annuel 2019. Nous y montrons que la réponse n'a pas été suffisante, même si toute une série de solutions ont été apportées au problème, tant concernant la gestion interne des services d'urgence, ce qui a débouché sur des progrès – très clairement, la création de postes de gestionnaires de lits constitue une innovation efficace pour assurer la fluidité du parcours de soins –, qu'en termes tarifaires. En la matière, la réforme engagée a une portée plus large que le simple financement des urgences : la tarification au parcours, longtemps restée dans les limbes, est ainsi appliquée à chaque fois que cela est possible. Enfin, il y a le succès du virage ambulatoire, dont il était question depuis une dizaine d'années en France – contre, il est vrai, quelque trente-cinq ans au Canada... Il est en tout cas heureux que nous ayons fini par nous y intéresser de près.

La solution réside dans la mise en place de ces instruments permettant de mieux structurer le premier recours et d'offrir à nos concitoyens, dans la majeure partie des territoires, une capacité de prise en charge d'actes simples, éventuellement au sein des hôpitaux de proximité – ce qui renvoie au thème du chapitre consacré aux actes et consultations externes – mais également, et c'est le plus fréquent, en ville. À cet égard, l'achèvement très positif des négociations conventionnelles concernant les communautés professionnelles territoriales de santé ainsi que le début du déploiement– dont la CNAM nous a confirmé qu'il était extrêmement encourageant – de ces nouveaux modes d'exercice sont des éléments très favorables.

Nous aurons réussi le virage ambulatoire lorsque nous observerons enfin une stabilisation de la fréquentation des urgences ainsi que le déploiement de prises en charge alternatives, à chaque fois que celles-ci sont justifiées.

Il me paraît difficile de continuer à répéter que 80 % de nos concitoyens se rendant aux urgences n'y ont pas leur place, puisque 80 % des accès à ces services ne donnent pas lieu à autre chose qu'à des actes médicaux simples et qu'ils ne sont évidemment pas suivis d'une hospitalisation. Qui peut leur en faire grief, en effet, si aucune autre solution ne s'offre à eux dans certains territoires ? Ils savent qu'il s'agit d'un lieu de soins ouvert en permanence, qui pratique généralement le tiers payant et où ils pourront rencontrer généralistes, spécialistes, urgentistes, et faire effectuer toute une série d'actes médicaux simples en biologie et en radiologie. Peu de structures de soins n'offrent aujourd'hui d'alternative à cette offre dans les territoires, l'hôpital restant assez présent y compris au centre même d'un certain nombre de déserts médicaux.

Il faut parier sur le déploiement de toutes ces actions menées depuis quelques années et qui ont été renforcées l'an dernier au profit du virage ambulatoire, et d'une prise en charge en ville à chaque fois que cela est possible, souhaitable et nécessaire afin de désengorger les urgences.

Aucune référence n'est faite sur la fusion entre le RSI et le régime général dans notre rapport, même si nous suivons évidemment ce sujet de très près, notamment sous l'angle de la certification des comptes. Il s'agit en effet d'un point de vigilance absolue pour le certificateur qu'est la Cour des comptes. Nous sommes plutôt rassurés sur les conditions de l'intégration du RSI. Nous avons prévu d'en dresser un bilan dans le prochain rapport : madame Catherine Fabre, vous me voyez donc désolé de ne pas pouvoir vous apporter dès aujourd'hui d'autres éléments de réponse. Nous suivons en outre très précisément les flux financiers correspondants, ce qui nous amène d'ailleurs à nous coordonner avec les commissaires aux comptes, ce qui est souhaitable, mais pas toujours facile.

Monsieur Perrut, je ne sais pas si la Cour a beaucoup de choses à dire sur les conditions d'application de la loi : peut-être le Conseil d'État en aurait-il davantage. Effectivement, nombre de décrets tardent à être pris, ce qui par définition nuit aux conditions de mise en oeuvre de la loi.

Le forfait accueil et traitement des urgences (ATU) constitue par ailleurs un sujet compliqué. L'ATU est une bonne chose car il faut, dans certains cas, pouvoir accéder rapidement à des traitements innovants, je pense par exemple à l'hépatite C. Dans d'autres cas, en revanche, il importe de ne pas trop se presser. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé doit aussi, précisément, se montrer vigilante quant aux conditions d'accès au marché d'un certain nombre de médicaments. Certains d'entre eux peuvent, en effet, avoir des effets pervers, indésirables, voire des effets indésirables graves. Il est donc très important qu'au moment de l'accès au marché, c'est-à-dire de l'attribution de l'autorisation de mise sur le marché, le régulateur ait été en mesure de vérifier, notamment en recourant à tous les essais cliniques souhaitables, la pertinence d'un médicament et de sa mise sur le marché.

Il faut par conséquent trouver un équilibre : le cas particulier de l'ATU est difficile, ce qui explique l'hésitation tant dans les conditions d'application de la loi que dans la prise de ses décrets d'application.

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Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La question des décrets d'application concerne effectivement les parlementaires dans les relations qu'ils entretiennent avec un gouvernement.

Si je me remémore quelques souvenirs de fonctions anciennes, lorsque les rapporteurs généraux, ou les rapporteurs d'autres commissions publient leur rapport sur le suivi d'une loi adoptée, et donc sur la prise de décrets d'application, le rythme de publication de ceux-ci connaît généralement une accélération, juste avant cette publication. C'est là une pression utile : d'où, d'ailleurs, l'intérêt de rapports réguliers, étant entendu que des progrès ont semble-t-il été accomplis dans la promulgation plus rapide des décrets d'application. Il reste parfois encore quelques points durs...

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Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

Madame Vignon, vous avez rappelé, comme nous l'avons fait cette année dans le rapport, l'ampleur des sept dispositifs relatifs aux départs anticipés en retraite, qui représentent un départ sur deux.

Effectivement, l'âge moyen de départ en retraite s'élève progressivement dans notre pays, mais par définition moins vite que si ces dispositifs n'existaient pas. Nous avons légèrement dépassé 62 ans, très loin de la situation que l'on constate dans les pays voisins, qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Italie ou, a fortiori, du Royaume-Uni. Vous avez raison, la question du réexamen du classement des corps ou des emplois en catégories actives au sein des fonctions publiques mérite d'être posée, pas forcément en vue de remettre en cause des droits, mais a minima afin d'actualiser ces données.

Peut-être faut-il, dans certains cas, se montrer plus exigeant. Je rappelle à cet égard que la réforme du statut des infirmières en 2010 a remis en cause, en prévoyant évidemment un droit d'option, le bénéfice du classement en catégorie active en permettant l'accès à la catégorie A. Les infirmières ont d'ailleurs opté à parité entre les deux possibilités offertes. Des évolutions peuvent par conséquent intervenir : elles se gèrent, même si ce n'est pas toujours aussi simple.

Probablement pour des raisons de coût, nous n'avons pas proposé d'étendre les retraites progressives à la fonction publique. En outre, au sein de celle-ci, le départ en retraite est régi par la limite d'âge, qui constitue, vous le savez, un couperet absolu. Il s'agit d'une variable agissant selon les cas soit de façon très précoce, dans le cas d'un classement en catégories actives, soit de façon plus tardive.

Madame Valentin, vous avez posé les conditions de l'équilibre durable de la sécurité sociale. Je rappelle les grands fondamentaux de la position de la Cour : pas de déficit justifié en matière de dépenses de transfert et de fonctionnement. Le débat peut avoir lieu, en revanche, lorsqu'il s'agit de financer des investissements préparant l'avenir du pays, en particulier dans les pays européens dont les comptes sont revenus à meilleure fortune, ce qui ne correspond pas tout à fait à notre situation, ni, évidemment, à celle de notre sécurité sociale.

La Cour a toujours eu une expression très ferme sur la nécessité absolue de piloter les comptes sociaux au voisinage de l'équilibre sur un cycle économique. Nous espérons que la question se posera de savoir comment atteindre un tel objectif. Une réflexion devra être menée en la matière lorsque cette grande période de trente années de déficit – 280 milliards d'euros progressivement remboursés – sera derrière nous.

Nous évoquons une piste dans notre rapport : si l'on veut maintenir les comptes sociaux à l'équilibre, il ne faut pas que les dépenses évoluent plus vite que les recettes. Si l'on veut formuler les choses de façon plus compliquée : il ne faut pas que l'évolution des dépenses soit plus rapide que notre croissance potentielle. Tout le problème est de savoir comment piloter un système de solidarité aussi étendu que le nôtre – 500 milliards d'euros, 650 milliards d'euros au total de dépenses sociales et de solidarité – dans un contexte qui n'est plus celui des Trente Glorieuses. Notre système a en effet vu le jour lorsque notre croissance s'élevait à 3 % par an, alors que notre potentiel est aujourd'hui de l'ordre de 1 % : c'est forcément plus compliqué. On peut s'en sortir en orientant massivement les ressources publiques vers la sécurité sociale : c'est ce que l'on fait depuis vingt ans. Si la part des prélèvements obligatoires d'État n'a en effet cessé de baisser et celle des prélèvements obligatoires sociaux d'augmenter, viendra un moment où même cette orientation montrera ses limites. Le débat relatif à la compensation ou pas par l'État en est l'illustration.

La Cour des comptes ne voit donc comme seule solution que de poser la question d'une maîtrise équitable des dépenses. Elle parvient à montrer à cet égard qu'à travers la lutte contre les désorganisations, les absences de qualité et les inefficiences générales, qui peuvent exister ici ou là, des marges de manoeuvre existent avant de se poser la question de la révision des droits.

Sur les fragilités du système, madame Grandjean, qu'il s'agisse d'erreurs ou de fraudes, elles sont substantielles et évidemment pas toujours faciles à chiffrer, même si c'est plus facile concernant les premières, pour lesquelles nous disposons d'ailleurs d'indicateurs qui figurent dans le rapport de certification des comptes de l'État. Y figurent notamment des indicateurs de risques résiduels attachés au processus de liquidation d'un certain nombre de prestations : s'il n'existe pas vraiment d'équivalent pour la maladie, il en existe pour la famille. Cette dernière branche maîtrise bien ses risques, en effet, et déploie une politique active de maîtrise de ceux-ci. Or c'est moins le cas des branches maladie et vieillesse, ce qui explique certaines erreurs et, sans doute, des fraudes. La réponse réside véritablement, comme je l'ai indiqué, dans le numérique, la DSN et la simplification.

M. Dominique Da Silva a posé une question relative à l'apprentissage : nous ne proposons nullement de remettre en cause les exonérations sociales attachées à celui-ci, chacun étant bien conscient qu'il s'agit d'une politique absolument prioritaire. Nous suggérons d'évaluer l'impact de ces exonérations. On peut cependant faire le pari qu'à l'issue d'une évaluation de celles attachées au contrat d'apprentissage, il serait considéré comme positif et que, dans cette hypothèse, nous ne proposerions pas de remettre en cause cette niche sociale. Il existe, en revanche, d'autres dispositifs aux impacts moins évidents.

Sur la PMA, madame Corneloup, nous nous sommes effectivement interrogés sur le point de savoir si nous devions lui consacrer un chapitre dans le contexte de révision des lois relatives à la bioéthique. Nous avons tracé une limite très stricte pour ne pas prendre position sur ce qui ne constitue pas le métier de la Cour, c'est-à-dire sur la question de savoir s'il faut par exemple étendre ou non le bénéfice de telle ou telle technique. Il appartient au Gouvernement et aux parlementaires de fixer les conditions d'une telle extension, à travers leurs travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous n'instillons même pas l'idée que l'analyse médico-économique du secteur permettrait de justifier, d'une manière ou d'une autre, qu'on ne peut pas procéder à une telle extension.

Nous notons simplement que les conditions de prise en charge sont aujourd'hui variables d'un centre à l'autre, sans que l'information fournie aux patients ou aux patientes soit toujours pertinente, qu'il existe en France un recours plus systématique que dans d'autres pays à l'insémination artificielle, avec notamment pour les cinquième et sixième tentatives remboursées par l'assurance maladie une perte de chance pour les couples concernés. Cet élément pose question dans le cadre bioéthique mais nous en sommes restés très strictement à une analyse du système et des 300 millions d'euros qui lui sont aujourd'hui affectés – j'ai découvert ce montant en lisant le chapitre concerné.

Nous avons surtout relevé des inégalités et des écarts dans la prise en charge, ce qui est finalement très caractéristique de notre système de santé et qui prévaut également en matière de PMA. En tout cas, nous ne voulons nullement, à travers aucun diagnostic, interférer avec le débat en cours.

Pour information, dans le cadre actuel, le nombre de naissances au moyen d'une PMA s'élève à 20 000 par an, soit 3 % des naissances ; il a augmenté d'un point en vingt ans. De notre point de vue, un tel résultat reste assez modeste : il faut espérer que la proportion de naissances qui lui sont dues progresse, car malheureusement, dans beaucoup de cas, le recours à la PMA n'est pas couronné de succès.

J'en viens enfin aux différentes questions posées par M. Vigier, auxquelles vous avez déjà pour partie répondue, monsieur le Premier président. Je ne reviendrai donc pas sur les fraudes sociales ni sur le rôle de la CRDS dans le financement de la dépendance. Pourquoi pas, en effet, si une telle ressource est disponible en 2024 ? On peut cependant avoir quelques doutes sur ce point. Si la dette sociale s'élève à 46 milliards d'euros en 2022, la réponse sera, à l'évidence, non, et il faudra trouver une autre recette. Si elle était entièrement remboursée, on pourrait même envisager de rendre aux Français cette contribution, qui a été mise en place en 1996 : cela équivaudrait à une baisse de prélèvements obligatoires pas totalement inutile compte tenu niveau de ces derniers.

Monsieur le député, je ne sais pas répondre à votre question sur l'impact des dernières décisions annoncées par le Gouvernement sur le lien entre la prime et une politique d'intéressement : il est effectivement probable que, du coup, celle-ci sera dans certains cas moins favorable, et que dans d'autres elle ne sera tout simplement pas versée. Cette prime n'étant cependant pas assujettie à cotisations sociales, cette évolution ne devrait pas modifier en quoi que ce soit le débat portant sur la compensation ou non entre l'État et la sécurité sociale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me reste, messieurs, à vous remercier vivement pour votre rapport et vos réponses à nos questions.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17 heures 15

Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Belkhir Belhaddad, Mme Gisèle Biémouret, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Albane Gaillot, Mme Carole Grandjean, M. Jean-Carles Grelier, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Mireille Robert, M. Aurélien Taché, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, M. Jean-Louis Touraine

Assistaient également à la réunion. – M. Éric Alauzet, Mme Cendra Motin