Intervention de Sébastien Jumel

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 18h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel, rapporteur pour avis :

Avant toute chose, je souhaiterais remercier M. Fabien Roussel, et l'associer à mes propos. Membre de la commission des finances, il a conduit à mes côtés – ou vice versa – le rapport que je présente aujourd'hui.

Nous examinons le budget consacré à l'industrie dans un contexte bien particulier, marqué par les drames sociaux. Les difficultés de l'aciérie Ascoval ou la mise en liquidation judiciaire d'Arjowiggins justifient à elles seules le zoom que nous avons décidé. Nous connaissons tous dans nos territoires des entreprises industrielles forcées de cesser leur activité. Les chiffres de l'Institut national de la statistique économique et des études économiques (INSEE), parus en juillet, montrent que l'activité de l'industrie manufacturière ralentit par rapport aux années précédentes, de façon plus marquée que pour le reste de l'économie. Il y a donc une forme d'urgence à agir davantage pour soutenir nos industries.

La semaine dernière, le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, a évoqué le « risque d'un déclassement productif », rappelant que la France est le pays de l'Union européenne qui a le plus délocalisé ses productions dans les vingt dernières années – les trente dernières années, aurait-il pu dire. Le décalage entre cette prétendue prise de conscience du Gouvernement et les actions qu'il mène semble important. Aucune décision fiscale ne sera prise avant le PLF pour 2021. Pourquoi attendre encore ? Dans le PLF pour 2020, le budget alloué à l'industrie n'est pas non plus cohérent avec ce discours du ministre, et il n'est pas à la hauteur des enjeux.

Nous nous sommes concentrés sur les crédits de l'action n° 23 du programme 134, qui rassemble les financements des actions de soutien à la politique industrielle, soit 315 millions d'euros environ. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le président, la hausse apparente des crédits de cette action est essentiellement due à l'augmentation – automatique – des quotas carbone des sites électro-intensifs, passés de 8 euros par tonne en janvier 2018 à 25 euros par tonne à la fin de l'année 2018. Ce dispositif, je le rappelle, ne fait que compenser la répercussion des quotas carbone sur le prix de l'électricité. Il n'est donc pas suffisant pour accompagner pleinement le secteur industriel dans cette transition environnementale pourtant nécessaire, urgente et attendue.

Les autres dépenses d'intervention en faveur de l'industrie du programme 134 sont en baisse, de 13,3 % par rapport aux crédits votés l'an dernier. Les actions de politique industrielle, que l'administration centrale pilote et met en oeuvre, sont supprimées. Ces aides soutenaient des opérations initiées par les filières professionnelles, plus particulièrement en faveur des petites et moyennes entreprises. Je regrette que le transfert aux régions de compétences en matière économique dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, se traduise dans le même temps par un désengagement de l'État d'actions qui favorisent pourtant la compétitivité de la France.

Une forte incertitude règne aussi quant au possible désengagement de l'État du financement de la gouvernance des pôles de compétitivité au profit des régions. Lors de son discours au congrès des régions de France, le Premier ministre a confirmé le transfert des crédits de l'État aux régions dès 2020. Néanmoins, aucune compensation financière n'est aujourd'hui prévue pour les régions. Il faut donc que l'exécutif clarifie sa position à ce sujet.

Les crédits qui permettent de lutter contre la non-conformité à la réglementation des produits commercialisés sur le marché français ne sont pas suffisants. De trop nombreux produits non conformes aux réglementations nationales et européennes parviennent encore à pénétrer notre marché, ce qui pose évidemment problème à nos entreprises. Les dotations budgétaires des centres techniques industriels (CTI) et des comités professionnels de développement économique (CPDE) sont eux aussi en baisse par rapport à la loi de finances pour 2019 alors qu'un rapport récent remis au Gouvernement, corédigé par une députée, Mme Anne-Laure Cattelot, membre de la majorité, réaffirme le rôle essentiel des CTI et des CPDE dans l'accompagnement de notre tissu industriel.

Quant aux dépenses fiscales, elles sont encore trop élevées, d'autant que nombre d'entre elles, comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), méritent d'être évalués car elles ne produisent pas les effets promis. Pour toutes ces raisons, je me vois contraint de donner un avis défavorable au budget consacré à l'industrie, tel qu'il nous est présenté.

Avec M. Fabien Roussel, nous avons choisi de centrer la partie thématique de ce rapport sur le soutien que l'État apporte aux entreprises industrielles en difficulté. L'État dispose d'un nombre important de dispositifs pour soutenir ces entreprises. Malgré cela, il n'est pas en situation de venir en aide aux entreprises fragilisées, dont il juge le projet industriel intéressant, voire stratégique et viable dans la durée, ce qui est une façon de répondre à votre question, Monsieur le président.

Nous avons en particulier étudié les prêts du fonds de développement économique et social (FDES), que l'État accorde pour venir en aide à des entreprises fragilisées ou en difficulté avérée, bien qu'elles disposent de perspectives de résultats et d'un marché. L'enveloppe de prêts que peut accorder l'État a fortement baissé par rapport à 2014.

Ce sont les taux d'intérêt associés à ces prêts d'usuriers, du moins exorbitants de droit commun, qui avaient motivé M. Fabien Roussel à les étudier. D'après les auditions que nous avons menées, ces taux pourraient aller jusqu'à près de 20 %, alors qu'ils sont décidés par la puissance publique. Cela signifie que l'État prête de l'argent à des entreprises qui éprouvent des difficultés à se financer sur le marché privé, à des taux supérieurs ou égaux à ceux du marché. Étant extrêmement élevés, ces taux rendent plus difficile le retournement des entreprises.

La principale raison pour laquelle l'État prête à des taux aussi élevés tient aux règles européennes : l'État doit prêter aux mêmes conditions que les prêteurs privés impliqués dans le tour de table. Or la France manque de banques et de fonds d'investissement privés proposant des taux relativement bas, qui permettraient à l'État de s'aligner sur des conditions plus efficaces, plus pertinentes, plus proches des intérêts des entreprises. Il paraît donc utile que l'État favorise l'émergence de nouveaux acteurs sur lesquels il pourra s'appuyer pour venir en aide aux industries en difficulté. Il faut à tout prix éviter que nos industries ne tombent entre les mains des fonds d'investissement vautours, les LBO (pour leverage buy out, rachat avec effet de levier) qui, vous le savez, lorsqu'ils s'attaquent à une entreprise, siphonnent, vendent par appartement et démantèlent des pans entiers de notre savoir-faire dans les territoires.

La première piste consiste à créer un label identifiant des fonds de retournement responsables respectant des conditions strictes en matière de sauvegarde de l'emploi, de responsabilité environnementale et de maintien de l'activité en France. Le fonds de retournement labellisé comme responsable serait alors assuré de la participation financière de l'État à ses côtés, en cas d'investissement dans une entreprise en difficulté.

Deuxième piste : nous suggérons de créer un fonds public-privé de retournement. Vous demandez, Monsieur le président, quelle serait l'utilité de ce fonds ? Je rappelle que cette idée n'est pas nouvelle. Un certain Emmanuel Macron, ministre de l'économie, l'avait même été évoquée, en 2015. L'idée serait de mettre en place un fonds abondé par l'État, les grandes entreprises et le secteur bancaire. Ce fonds se différencie des fonds privés, comme des fonds LBO, qui suivent une logique purement spéculative. Nous reprenons donc cette idée, qui n'est pas politiquement correcte, mais je prends ce risque, avec la caution de M. Fabien Roussel. (Sourires.)

Troisième piste : il s'agit de prévoir des fonds spécialisés par filière, qui viendraient en aide aux entreprises fragilisées. L'idée serait de s'inspirer du fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), créé en 2009 et utile pendant la crise de 2008 à 2009, qui avait laminé le secteur, une fois les donneurs d'ordre placés en difficulté.

Vous avez raison, Monsieur le président, l'État ne peut pas tout, toujours, partout. Nous pensons toutefois que l'État ne peut pas rien et qu'il ne doit pas être spectateur. Il faut définir des critères précis pour son intervention, centrer l'argent public sur les entreprises susceptibles d'être retournées, qui portent un projet s'inscrivant dans une stratégie industrielle déterminée, même lorsque l'on décide que le secteur est stratégique, simplement pour la souveraineté de l'État.

Ce rapport insiste sur la nécessité d'élaborer une stratégie industrielle offensive, permettant d'identifier les filières structurantes pour l'avenir de l'industrie française. La décision de sauver certaines entreprises ou certains secteurs ne peut ni prétendre dépendre des pressions médiatiques, ni être prise par les opérateurs financiers, sans aucune vision industrielle.

Dans ce rapport, nous présentons également certaines propositions, pour rassurer davantage les fournisseurs et les créanciers susceptibles d'apporter à une entreprise en difficulté des capitaux, lui permettant de poursuivre son activité. Pour rassurer les créanciers qui prêtent aux entreprises en difficulté, il paraît essentiel de préserver le dispositif de Bpifrance, peut-être en le rendant plus réactif et plus efficace, pour qu'il puisse garantir jusqu'à 70 % des prêts du secteur bancaire aux entreprises fragilisées. Avec M. Fabien Roussel, nous avons déposé un amendement en ce sens.

Pour rassurer les fournisseurs d'une entreprise en difficulté, il paraît opportun de revoir quelque peu l'ordre des privilèges appliqués lors de la liquidation de l'entreprise. Aujourd'hui, vous le savez, les fournisseurs étant souvent remboursés en dernier, ils sont donc presque certains, en cas de difficulté de leur client, de ne pas se voir rembourser leurs créances. En cas de mise en liquidation effective de l'entreprise cliente, ils se trouvent à leur tour en difficulté. Cela crée un effet papillon pour tout un secteur ou un territoire. La réforme du droit des sûretés, prévue par voie d'ordonnance en 2021, gagnerait vraiment à aborder cette question.

En conclusion, j'espère que les différentes propositions pragmatiques qu'offre ce rapport permettront d'ouvrir une réflexion sur la manière d'améliorer l'efficacité des moyens dont dispose l'État pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Il faut, d'une certaine manière, passer du renoncement productif au redressement productif, voire à la reconquête industrielle. Telle est l'ambition de ce rapport.

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