Intervention de Richard Lioger

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Lioger, rapporteur pour avis :

C'est la troisième année consécutive que j'ai la responsabilité de ce rapport et c'est un plaisir, en tant qu'universitaire, de constater que ce gouvernement traite bien la recherche et qu'il a bien compris les enjeux qui y étaient attachés en termes de développement économique.

Il y a plus d'une vingtaine d'années, l'anthropologue Bruno Latour publiait un ouvrage de référence sur le métier de chercheur, réaffirmant la place centrale du scientifique dans la société. Il illustrait par des anecdotes parfois amusantes le poids de la bureaucratie dans la journée type d'un chercheur de laboratoire. Indéniablement, le monde de la recherche offre plusieurs facettes, même si l'actualité se fait régulièrement l'écho de réussites brillantes consacrées par des prix Nobel et autres récompenses ainsi que par les classements internationaux.

En matière spatiale, les performances réalisées par l'Europe sous l'impulsion de la France sont remarquables. Savez-vous que le nombre d'utilisateurs du système de géolocalisation européen Galileo, dont tous vos smartphones sont sans doute équipés, vient de dépasser le milliard de personnes ?

Au-delà de ces succès de grande ampleur, il y a le travail discret de dizaines de milliers de personnels scientifiques qui s'appliquent à utiliser au mieux les outils qu'on leur donne pour faire progresser leur domaine de connaissance. Sur ce point, ne cachons pas que les moyens matériels et humains ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Certains organismes de recherche en sont aujourd'hui à recruter des personnels permanents ayant cumulé deux voire trois contrats de recherche postdoctoraux, ce qui porte la moyenne d'âge du premier emploi à 35 ans !

Face à la situation parfois délicate que rencontraient certains organismes il y a encore quelques années, l'État se devait de réagir, ce qu'il a fait depuis deux ans. Les crédits de paiement de la mission « Recherche et enseignement supérieur » sont portés à 28,68 milliards d'euros, ce qui représente une hausse de plus de 500 millions d'euros par rapport à 2019. La hausse cumulée des crédits de la mission est supérieure à 1,7 milliard d'euros pour la période 2018-2020, soit une progression de plus de 6 % en trois ans. Et je tiens ici à saluer les efforts du Gouvernement pour que le budget consacré à la recherche n'ait pas à souffrir des impératifs de maîtrise des dépenses publiques.

Dans cet ensemble, la recherche spatiale reste le premier secteur bénéficiaire de cette dynamique. Au travers des crédits alloués au Centre national d'études spatiales (CNES), principal opérateur du programme 193, la France accroît de nouveau sa contribution à l'Agence spatiale européenne de plus de 200 millions d'euros et devrait avoir intégralement remboursé sa dette vis-à-vis de l'agence à la fin de l'année prochaine.

Pour répondre à votre question sur les chances de notre pays de maintenir son rang dans la compétition internationale, Madame la Présidente, je dirai que son poids au niveau européen lui permettra d'accélérer la mise en oeuvre de projets cruciaux tels que la fusée Ariane 6 ou le moteur partiellement réutilisable Prometheus. Les responsables du CNES, lors d'une audition, m'ont confirmé que le premier vol d'Ariane 6 restait programmé pour le second semestre 2020 et que les premiers essais à feu de Prometheus pourraient avoir lieu à la même période. J'ai également noté avec satisfaction que cet organisme avait parfaitement saisi les enjeux de la nouvelle économie de l'espace. Le CNES n'hésite plus aujourd'hui à engager les projets de coopération avec des acteurs non traditionnels. C'est le cas, par exemple, du partenariat conclu cette année avec la start-up française Kinéis dans le domaine de l'internet des objets. Je reste donc très confiant sur la capacité de l'Europe à retrouver assez rapidement une position éminente sur le marché mondial.

S'agissant du programme 172, qui regroupe la plupart des grands organismes de recherche nationaux, la stabilité des crédits de paiement – 6,94 milliards d'euros –, s'explique principalement par l'achèvement du rattrapage des capacités d'intervention de l'Agence nationale de la recherche opéré en 2018 et 2019. Hors ANR, les crédits du programme continuent d'augmenter de 121,5 millions d'euros. En dépit de cette progression, une incertitude demeure quant aux dotations qui seront effectivement allouées aux organismes en cours de gestion. Selon les éléments qui m'ont été communiqués lors des auditions, un taux de mise en réserve de 4 % au lieu de 3 % pourrait être appliqué aux crédits du programme 172, hors titre 2, ce qui est un peu inquiétant. Ce mécanisme réduirait sensiblement la marge de manoeuvre dont dispose le ministère pour couvrir les besoins ponctuels des organismes en cours d'exercice. J'appelle, dès lors, le Gouvernement à ne pas recourir à un tel coup de rabot. Il serait de nature à pénaliser les activités nucléaires du CEA et les grands plans de santé de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Enfin, comme l'an dernier, mon rapport s'est intéressé aux mécanismes de valorisation de la recherche publique mis en place dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Cette année, j'ai plus spécialement examiné les sociétés d'accélération du transfert de technologies, les fameuses SATT. En dépit des critiques auxquelles elles ont dû faire face, ces structures apparaissent comme les mieux positionnées dans les écosystèmes locaux pour permettre la mise en relation des universités et des acteurs privés.

Ce dispositif monte en puissance : en deux ans, de 2016 à 2018, les 13 SATT ont accompli presque autant qu'au cours de leurs premières années d'existence. Elles ont aujourd'hui à leur actif la création de 278 start-up et le dépôt de 2 352 brevets. À mon sens, il existe encore deux principaux obstacles à leur pleine affirmation au sein de la recherche publique. Le premier réside dans l'objectif de rentabilité qui leur a été assigné à moyen terme : de l'avis général, il génère de nombreux effets pervers. Le second tient à leur positionnement vis-à-vis des établissements et des organismes publics lorsque ces sociétés sont chargées partiellement ou intégralement de valoriser les résultats de travaux de recherche effectués en commun.

Le dispositif de gestion de l'innovation en copropriété tel qu'il a été présenté au cours des auditions est, de toute évidence, extrêmement complexe. À cet égard, je salue les perspectives de simplification, ouvertes notamment par la loi PACTE, qui allégeront les procédures de désignation souvent très lourdes de ce que l'on appelle le mandataire unique.

J'achèverai mon intervention en évoquant l'avenir à plus long terme de la recherche française. Le Premier ministre a engagé une large concertation reposant sur trois groupes de travail afin de préparer une loi de programmation pluriannuelle de la recherche particulièrement attendue. Ces groupes de travail, auxquels ont participé trois de nos collègues – Cédric Villani, Philippe Berta et Francis Chouat –, ont fondé leurs réflexions sur le constat que le rattrapage budgétaire opéré depuis deux ans par le Gouvernement ne saurait être suffisant. Il convient d'insuffler une nouvelle dynamique si l'on veut que notre pays mette son effort de recherche au même niveau que nos partenaires allemands, soit 3 % du PIB. C'est précisément l'objectif recherché par les trois groupes de travail, comme ils l'ont souligné dans les conclusions audacieuses qu'ils ont rendues au Premier ministre le 23 septembre dernier.

Le premier groupe de travail, consacré aux appels à projets compétitifs, a mis l'accent sur le rôle central que devrait jouer dans ce domaine l'ANR. Celle-ci serait dotée de moyens supplémentaires suffisamment importants pour que le taux de succès des projets déposés en France soit aligné sur les standards européens et que les financements alloués garantissent un rehaussement du fameux « préciput », cher à Mme Amélie de Montchalin, à 30 % voire 40 %, contre aujourd'hui seulement 11 %, de manière à permettre une réelle prise en charge des coûts indirects, qui sont supportés aujourd'hui par les établissements hébergeurs.

Le deuxième groupe de travail, centré sur les questions de ressources humaines, propose d'améliorer l'attractivité des entités publiques de recherche en offrant aux jeunes chercheurs des voies de recrutement diversifiées et des rémunérations plus élevées que celles qui prévalent aujourd'hui en France. Nous savons bien que les grilles salariales de la fonction publique ne contribuent pas à attirer les meilleurs chercheurs.

Le troisième groupe de travail, qui s'est penché sur l'innovation, insiste sur la nécessité de renforcer les moyens alloués aux diverses structures de recherche partenariales et surtout sur la nécessité de faciliter la mutualisation des activités de valorisation au travers d'un label unique, le « pôle universitaire d'innovation ».

Sans préjuger à ce stade des arbitrages qui seront rendus par le Premier ministre, j'estime que les réflexions menées par ces groupes de travail sont stimulantes et que les recommandations formulées, notamment celles relatives à l'ANR, sont de nature à donner à la recherche française une place encore plus importante que celle qu'elle occupe dans notre économie.

Enfin, je tiens à souligner la richesse exceptionnelle que constitue l'apport des directeurs d'organisme de recherche et des présidents d'université. La France peut s'enorgueillir d'avoir à la tête de sa recherche des gens d'une très grande qualité qui ont le sens de l'intérêt public chevillé au corps.

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