Intervention de Cyrille Isaac-Sibille

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 9h35
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrille Isaac-Sibille, rapporteur :

J'ai l'honneur de présenter une proposition de loi visant à créer des points d'accueil pour soins immédiats. J'en suis heureux car je travaille sur ce texte depuis un an.

La proposition de loi est issue d'une expérimentation menée dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a été évaluée et discutée avec des syndicats de médecins généralistes, les fédérations hospitalières, les unions régionales de professionnels de santé, la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), et son directeur général, M. Nicolas Revel, ainsi qu'avec le ministère des solidarités et de la santé.

Ensemble, nous avons trouvé un équilibre, qui a obtenu un large consensus, au bénéfice des patients et des médecins généralistes. Ce processus m'a conduit à rédiger un amendement de réécriture, que je vous ai adressé il y a quelques jours.

Avant toute chose, je souhaite remercier les députés de tous bords, qui ont pris contact avec moi au cours des dernières semaines pour affiner ensemble cette proposition de loi. Bien que je l'aie construite avec le Gouvernement, j'ai cependant découvert ce matin un sous-amendement du porte-parole du groupe La République en Marche, qui met à mal tout le travail réalisé en commun. Ce partenaire de la majorité me place dans une situation inattendue, laquelle, je l'avoue, m'a quelque peu décontenancé.

Je suis donc heureux que nous soyons réunis en commission ce matin pour construire ensemble une réponse à la demande pressante des Français en matière de soins immédiats nécessitant un petit plateau technique.

Venons-en au sujet de la proposition de loi. Si, en sortant de cette pièce, vous trébuchez – je ne vous le souhaite pas –, vous serez peut-être contraints de soigner une petite plaie et une douleur à la cheville, qui vous empêchera de vous déplacer. Que ferez-vous alors ? Je suis certain que vous vous êtes tous retrouvés dans cette situation, pour vous-même ou pour un enfant ou un membre de votre famille. Vous aurez besoin d'une radio, pour éliminer l'hypothèse d'une fracture, et d'un médecin disposant d'un matériel stérile de petite chirurgie, pour coudre trois points. Inévitablement, vous serez orienté vers un service d'urgence.

Cette proposition de loi vise à mettre à la disposition des médecins généralistes de votre territoire, lors de leur garde, un plateau technique pour qu'ils puissent réaliser ces soins – radiographies, biologie, matériel stérile – sans vous obliger à passer par les urgences.

Chacun sait que les services d'urgences sont aujourd'hui sursollicités. Nous sommes passés de 10 millions de passages annuels aux urgences au milieu des années 1990 à plus de 21 millions en 2017. Ce phénomène met en évidence une demande de plus en plus importante de soins non programmés, qui est due à divers facteurs, tels que le vieillissement de la population, la désertification, ainsi que l'exigence, de la part des patients, d'une réponse immédiate en termes de diagnostic ou de prise en charge globale.

Les enquêtes qui ont été menées ces dernières années par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) montrent que près de 60 % des patients se rendent souvent aux urgences non parce qu'ils sont dans un état d'urgence vitale ou même grave, mais parce que les soins y sont plus accessibles, plus proches ou parce qu'ils y trouvent la possibilité de réaliser des examens complémentaires rapidement.

C'est donc majoritairement pour des raisons qui tiennent au fait que la médecine de ville ne répond pas, comme ils le souhaiteraient, à leur demande – elle n'en a pas les outils –, que les patients se rendent aux urgences, sachant que, finalement, les heures d'attente qu'ils y passeront seront autant de temps de gagné par rapport au circuit ambulatoire normal. Dans ce circuit, ils sont obligés de prendre plusieurs rendez-vous successifs sur leur temps de travail pour consulter généraliste, biologiste, radiologue, spécialiste, puis, de nouveau, le généraliste. Ces rendez-vous seront nécessairement étalés sur plusieurs semaines, avant qu'ils obtiennent une réponse définitive à leurs questions, qu'un diagnostic soit posé et un traitement défini. C'est précisément la raison pour laquelle, comme le disent les rapports les plus récents, tels celui de Thomas Mesnier ou de la Cour des comptes, les services d'urgences assurent de plus en plus de soins non programmés, qui ne relèvent pas de leur mission.

Cette situation n'est pas sans conséquences sérieuses, et je n'ai pas besoin d'insister sur l'état d'engorgement des services d'urgences dont les personnels sont au bord de l'épuisement, nous le constatons tous les jours dans nos circonscriptions, ni sur le surcoût important pour l'assurance maladie que cela représente. Le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé doivent y répondre aujourd'hui même, notamment en inscrivant des mesures dans le PLFSS.

Je vous renvoie à mon rapport pour les détails financiers, mais les écarts entre une prise en charge par une consultation en médecine de ville et une prise en charge dans un service d'urgences sont très importants. La Cour des comptes estime à ce titre que 20 % des patients des urgences devraient en fait être accueillis par une médecine de ville mieux organisée et dotée des outils idoines. Le montant de la dépense indue apparaît considérable, de l'ordre de plusieurs dizaines voire centaines de millions d'euros annuels.

Des solutions ont bien sûr été tentées pour améliorer les choses et renforcer l'offre de soins non programmés de ville. Je pense à l'ouverture des maisons de santé pluriprofessionnelles, des maisons médicales de garde ou des hôpitaux de proximité. Malgré ces efforts, la prise en charge non programmée en ville reste toujours « insuffisante et disparate », pour reprendre les termes de notre collègue Thomas Mesnier dans son rapport, tandis que la Cour des comptes juge que leur impact est « incertain », notamment compte tenu de l'absence de plateau technique.

La question du plateau technique est une des raisons pour lesquelles les généralistes peuvent difficilement répondre à la demande des patients car ils n'ont plus, dans leurs cabinets, les matériels de stérilisation ou l'équipement pour poser un plâtre, pratiquer de petites interventions chirurgicales, ou être en coordination immédiate avec un équipement d'imagerie ou de biologie.

C'est là toute l'ambition, certes modeste, de cette proposition de loi, qui, par son agilité et sa souplesse, contribuera à apporter des réponses rapides aux attentes de nos concitoyens en labellisant des structures déjà existantes, qui disposent d'un plateau technique. Le label « Point d'accueil pour soins immédiats » (PASI) identifiera clairement ces établissements, pour mailler le territoire d'une offre non programmée, graduée.

Des expérimentations ont été faites, notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes, où des structures de ce type existent, dans lesquelles des médecins généralistes reçoivent sans rendez-vous, dans une plage horaire déterminée, par exemple de 9 heures à 22 heures, des patients dont l'état nécessite des soins immédiats, sans urgence vitale, et sans hospitalisation. Des actes de premier recours y sont pratiqués grâce à un plateau technique léger, et les patients peuvent avoir accès rapidement à des examens complémentaires, biologiques ou radiologiques, ou être dirigés vers un spécialiste ou un hôpital, si le premier examen effectué montre que l'état du patient le justifie.

Avant de défendre cette proposition devant vous ce matin, j'ai tenu plusieurs auditions et réunions avec des acteurs de terrain ainsi qu'avec le Gouvernement. C'est ce qui m'a amené à déposer un amendement de nouvelle rédaction de l'article 1er, car j'ai entendu les remarques très pertinentes qui ont été faites sur le texte initial. Cet amendement a reçu l'accord de tous, y compris du Gouvernement.

Il y a quelques mois, nous avons adopté la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui a notamment pour ambition de poursuivre une dynamique de décloisonnement entre les différentes parties prenantes – médecine de ville, hôpital, secteurs médico-social, public et privé –, pour tendre vers un exercice plus ouvert, pluriprofessionnel et coordonné. Il y a une ambition forte, de la part du Gouvernement de mettre de la souplesse dans le fonctionnement de notre système de santé et de privilégier les initiatives de terrain.

Dans cette optique, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont appelées à prendre une importance croissante. Jusqu'à récemment, leur développement a été modeste, notamment par manque de soutien, mais les choses sont en train de changer depuis la signature de l'accord conventionnel interprofessionnel, en juin dernier, pour lequel des financements importants sont prévus – quelque 400 millions d'euros selon les informations que m'a confirmées M. Nicolas Revel.

Les CPTS s'organiseront d'elles-mêmes, sur une base de volontariat, à l'initiative des professionnels de santé dans les territoires, pour proposer une offre de soins coordonnée. Progressivement, elles pourront s'associer avec d'autres acteurs, tels que les établissements de santé ou les hôpitaux de proximité.

Tout cela prendra un peu de temps. Les CPTS seront en place dans deux ans ; les projets territoriaux de santés (PTS) verront le jour d'ici à trois ou quatre ans. L'intérêt de cette proposition de loi est d'apporter une réponse immédiate et graduée, et de suivre l'évolution des CPTS et des PTS.

Au terme de l'accord conventionnel, les CPTS doivent assumer trois missions socles, au premier rang desquelles l'accès des patients aux soins, notamment l'amélioration de la prise en charge des soins non programmés.

Nous sommes donc au coeur du sujet. Le dispositif prévoit que la création et le fonctionnement des PASI figurent dans les PTS des CPTS. Afin de répondre à la demande pressante de nos concitoyens et de leur fournir un service médical complet, pour que les PASI soient créés immédiatement, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) pourra prendre l'initiative de labelliser une telle structure, en attendant de créer une CPTS, puis un PTS.

Cette labellisation par les directeurs d'ARS respectera un cahier des charges, qui sera défini par arrêté du ministre des solidarités et de la santé. Le document prévoira notamment que les PASI disposent ou ont accès à des plateaux techniques d'imagerie et de biologie à proximité. Labellisation et non plus autorisation : voilà pourquoi nous avons réécrit l'article 1er, afin d'introduire plus de souplesse, pour reconnaître l'initiative des acteurs de terrain dont nous soulignons la vocation à porter ce type de structure.

S'agissant du plateau technique, la nouvelle rédaction proposée est également plus souple que la rédaction initiale, sans doute trop restrictive, car elle imposait aux établissements autorisés à ouvrir un PASI d'exercer les activités de biologie et de radiologie sur place. Nous sommes convenus qu'il était suffisant d'indiquer qu'il fallait que les PASI puissent disposer de plateaux techniques à proximité, ou d'y avoir accès, sans que ceux-ci ne soient nécessairement dans leurs murs, ce qui aurait été trop restrictif.

Afin de garantir la pérennité de la structure, une période de cinq ans est introduite, qui correspond à la durée des futurs contrats relatifs aux CPTS, lesquels seront signés par l'ARS et la CNAM.

Quelques garanties ont également été ajoutées pour les patients, en ce qui concerne la tarification. L'amendement de rédaction que je vous propose prévoit en conséquence que les PASI pratiquent le tiers payant, qu'ils ne peuvent pas facturer de dépassement d'honoraires et que, dans l'hypothèse où l'état de santé du patient justifie qu'il soit orienté vers une autre structure, une information soit donnée à celui-ci sur les tarifs qui y sont pratiqués.

Comme je vous le disais, cet amendement de rédaction est le fruit de toutes les auditions menées et de mes rencontres ces derniers jours, notamment avec le Gouvernement. Nous en avons pesé les termes mot pour mot. Les échanges avec le Gouvernement, qui ont été constants, ont permis d'aboutir à une rédaction qui emporte l'adhésion de tous. Ce matin même, un courriel des fédérations hospitalières me réitérait son soutien, en me souhaitant bonne chance pour défendre la proposition de loi.

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