Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 16h50
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Quelques mots d'abord sur la relation avec nos partenaires européens et l'Iran. Les propos tenus m'étonnent un peu parce que nous sommes en pleine relation de confiance et de clarté avec nos principaux partenaires européens sur l'Iran, en particulier avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne qui sont, comme nous, signataires du JCPoA. Nous sommes ensemble pour tenter des efforts de désescalade, ensemble sur la sécurité du Golfe, nous sommes ensemble sur Instex qui n'est pas mort puisque les premières opérations commerciales vont avoir lieu dans les semaines qui viennent : il y avait un problème de réciprocité et d'interlocuteurs iraniens pour permettre les premières transactions mais nous sommes toujours dans cette logique. Et nous sommes aussi ensemble pour essayer de maintenir des canaux de discussion avec les autorités iraniennes. Il n'y a donc pas de distorsion entre nous et nos partenaires européens que nous tenons régulièrement informés de nos propres actions et réciproquement. Nous informons aussi le Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne d'un certain nombre d'initiatives que nous pouvons prendre. Mais je dois dire que les efforts de désescalade que nous avons tentés, que le Président de la République a tentés à plusieurs reprises, n'ont pas abouti pour toute une série de raisons. En particulier parce qu'il y a eu de la part des autorités iraniennes des ruptures dans le dispositif du JCPoA. Tous les deux mois, il y a une encoche supplémentaire si bien qu'on s'interroge aujourd'hui, je le dis très clairement, sur la mise en oeuvre du mécanisme de règlement des différends qui est prévu dans le traité. Étant donné la succession d'actions prises par les autorités iraniennes qui sont progressivement en rupture avec le contenu du JCPoA, la question se pose. Nous sommes toujours favorables à une désescalade, et nous avons tenté plusieurs initiatives qui n'ont pas abouti et qui sont aujourd'hui un peu en retrait, dans la mesure où nous avons des Français qui sont emprisonnés. Par ailleurs, nous avons pu constater de la part des autorités iraniennes des attaques régionales qui ont été menées, y compris contre l'Arabie saoudite, vous vous en souvenez.

Parallèlement, je constate avec vous l'ampleur des manifestations qui ont lieu aujourd'hui en Iran, et qui, indirectement, ne favorisent pas la mise en oeuvre d'une politique de désescalade à laquelle on pourrait éventuellement associer les États-Unis. Puisque la logique de pression maximale qui a été engagée, et qui n'est pas la nôtre, semble leur donner raison, en raison du comportement à la fois du Guide suprême et du Président Hassan Rohani à l'égard des manifestants. Nous sommes dans cette situation compliquée dans laquelle nous tenons toujours à reprendre des initiatives de désescalade, à mettre en oeuvre l'accord de Vienne… Je suis très heureux que M. Lecoq parle du nucléaire, parce que cela fait partie aussi de la mise en oeuvre du traité de non-prolifération. Nous maintenons notre vigilance et notre détermination et nous souhaitons que les autorités iraniennes puissent saisir les mains tendues lorsqu'elles se tendent. Par ailleurs, nous avons condamné très clairement la très grave répression des manifestations menée par les autorités iraniennes.

En ce qui concerne l'Indo-Pacifique, le périmètre, c'est l'ensemble du Pacifique et de l'océan Indien, et pour nous, les acteurs majeurs en sont l'Australie, l'Inde et le Japon. C'est avec eux que nous travaillons avec une double préoccupation : d'abord le maintien de la stabilité et de la paix, ensuite, la promotion des biens communs mondiaux, c'est-à-dire l'ensemble des enjeux climatiques et la préservation de la biodiversité. Nous avons nommé un envoyé spécial sur ces questions, qui est aussi en relation avec Singapour et avec les pays africains de l'Est pour créer cet espace de stabilité, de paix, de lutte contre les trafics et de promotion des biens communs mondiaux.

S'agissant des interrogations de l'Ukraine, le fait que la Russie rejoigne le Conseil de l'Europe est une chance pour le respect des droits des citoyens et des valeurs européennes. Le Conseil de l'Europe, c'est aussi la Cour européenne des droits de l'homme et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est la possibilité pour les citoyens russes de disposer d'un recours judiciaire. Il vaut mieux que la Russie soit dedans que dehors. C'est ce qu'on a expliqué au Président Zelensky et je crois que cela commence à être compris, même si des interrogations s'expriment quant à notre position à ce sujet.

Monsieur Dumont, quand j'ai dit « plus de politique » à propos du Sahel, cela veut évidemment dire pas de partition du Mali, pas de modification de frontières. Vous parlez d'Ansar Dine : c'est l'un des groupes de la mouvance d'Iyad Ag Ghali parmi d'autres. Il y a aussi Al-Mourabitoune et quelques autres. Ce sont des groupes terroristes qui sévissent dans une partie du Mali et il n'y a pas de négociations avec eux et toujours pas de volonté de notre part d'accompagner quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une partition du Mali. C'est donc au contraire de plus de politique dont nous avons besoin – je crois que je l'ai dit avec force parce que j'en suis totalement convaincu –, afin que les autorités maliennes réaffirment l'intégrité, l'unité du Mali et qu'elles se rassemblent autour des objectifs. Nous sommes aussi là pour cela.

S'agissant des pays baltes, l'Estonie en particulier, si précisément nous pouvons parler clairement concernant l'OTAN, c'est bien parce que nous remplissons totalement nos engagements, y compris en Estonie. Nous sommes maintenant en Lettonie, où nous assurons une présence militaire qu'on appelle la Présence avancée renforcée (eFP). Nous sommes aussi présents dans le ciel, parce que nous assurons la police du ciel à tour de rôle dans la région. Nous sommes là pour assurer nous-mêmes la sécurité des Estoniens. Et les Estoniens, du coup, nous aident au Sahel. Mais, au préalable, c'est nous qui étions présents, j'en ai quelques souvenirs, y compris avec nos blindés. Nous étions là, nous sommes toujours là. Et c'est parce qu'on remplit nos engagements qu'on peut parler fort. Sinon, effectivement, la parole n'a pas de sens. Et on le fait ailleurs ; d'une certaine manière, on le fait aussi en Afrique, pour assurer la sécurité des Européens.

La question qui a été posée par le Président de la République sur l'OTAN est venue à un moment où il y avait tout de même de grosses interrogations. Moi-même, j'ai parlé, devant vous dans l'hémicycle, de trouble. Il est vrai que c'est dans une autre configuration, puisque ce n'est pas l'Alliance qui intervient dans le Nord-Est syrien, mais la coalition, même si l'OTAN est un tout petit peu présente dans la formation. Mais quand celui qui assure le leadership de l'Alliance – la même Alliance que nous ! – dit « je renonce » et que par ailleurs un autre membre de la même Alliance dit « je vais attaquer » ceux qui étaient nos alliés dans la lutte contre le terrorisme, eh bien, on commence à s'interroger. Donc, j'ai parlé de trouble et le Président de la République a estimé qu'il fallait qu'on se repose la question de la qualité du lien transatlantique, de l'efficacité de la couverture sécuritaire qu'il représente et de la nécessité d'affronter dans un échange la nouvelle donne des grandes questions de sécurité. Telle est la question, que l'on ne peut se poser que si nous sommes nous-mêmes engagés.

Dans notre relation avec l'OTAN, nous sommes solidaires, nous connaissons notre histoire, nous connaissons la sensibilité de ces pays – l'Estonie, la Lituanie, mais aussi ceux qui sont à proximité de la mer Noire – et nous sommes extrêmement vigilants pour faire en sorte que la sécurité des uns et des autres puisse être assurée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons qu'il y ait une réflexion sur la refondation de l'OTAN. Moi, l'impression que j'ai eue en parlant avec mes collègues, c'est que notre interrogation, notre trouble sont compris. Certains ne veulent pas le faire, mais il faut se poser la question de notre sécurité et de la manière dont l'Europe peut assumer elle-même sa propre sécurité dans le lien transatlantique et peut être plus forte. Je pense que le débat ne fait que commencer ; il faut l'ouvrir dans la sérénité et aussi dans le respect d'un certain nombre de principes et la volonté d'assurer la sécurité de nos pays, de nos populations.

À propos de Hong Kong, ce qui est clair c'est que le vote de dimanche dernier a marqué un revers pour les autorités de Pékin. La participation a été de plus de 70 % et les choix des électeurs pour les partis démocratiques ont été très massifs. Mais ce ne sont que des élections de district, équivalant à nos élections municipales. Le vote pour la ou le chef de l'exécutif n'interviendra qu'en 2022 avec un collège électoral plus vaste comprenant d'autres acteurs que ceux qui viennent d'être élus. Mais ce résultat montre que le discours qui est tenu par Pékin sur la rupture entre l'opinion et les manifestants n'est pas juste. Il nous permet aussi de rappeler nos exigences concernant le maintien, à la fois de la loi fondamentale de 1997 et aussi du principe « un pays, deux systèmes ». Nous nous sommes exprimés très clairement sur le sujet et à plusieurs reprises publiquement comme dans les conversations que le président la République a eues avec le Président Xi, à la fois publiques et dans une configuration plus restreinte. Nous disons les choses telles qu'elles sont.

J'ai vu comme vous l'article sur l'affaire de Balhaf, au Yémen ; et je mène une investigation pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer. Ce sujet fera l'objet d'une vérification complète de ma part, sachez-le bien. Pour le reste, la situation au Yémen n'est quand même pas très saine. Vous avez reçu M. Martin Griffiths, envoyé spécial des Nations unies au Yémen et il y a des éléments plutôt positifs aujourd'hui. Je trouve que M. Griffiths fait des efforts importants : nous sommes à un moment où il est possible d'agir, à la fois parce que les Émiriens ont permis une unification au sud, et aussi parce qu'on voit bien que l'Arabie saoudite souhaite pouvoir sortir de ce guêpier. Toute la question, c'est le poids que l'Iran mettra pour convaincre ses alliés et aussi agir.

On fait état de certains actes de guerre et il y en a de très nombreux, y compris des actes de guerre des Houthis contre des pays voisins, ce qui n'est quand même pas bien, monsieur David. Vous le savez mais, malheureusement, vous n'en parlez jamais. Moi, je suis obligé de parler de tout, y compris des attaques des Houthis contre l'Arabie saoudite, parfois contre des aéroports. Tout cela montre qu'il faut une solution politique.

J'ai bien noté tous les sujets que vous avez évoqués, monsieur El Guerrab mais je ne répondrai évidemment pas à tout ce qui a trait à votre circonscription.

Simplement, à propos du franc CFA, l'initiative, la responsabilité, sont africaines. Vous le savez, le président ivoirien Alassane Ouattara a été mandaté par ses pairs de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) pour faire des propositions. Nous, nous sommes disponibles. C'est aux Africains de dire s'ils veulent et comment ils veulent créer leur propre monnaie et je suis convaincu que lorsque le Président de la République se rendra à Abidjan, au mois de décembre, cela fera l'objet de discussions.

Concernant le rôle de la diaspora, vous étiez avec moi à MEETAfrica (Mobilisation européenne pour l'entrepreneuriat en Afrique) à Dakar, et nous avons pu nous rendre compte ensemble de l'apport de la diaspora militante, dès lors qu'elle se mobilise en faveur de projets concrets. Cela faisait plaisir à voir, à entendre et à constater. Cette mobilisation est un bon signe pour les pays dans lesquels cela se produit : j'aimerais qu'ils soient un peu plus nombreux.

Madame Autain, vous souhaitez qu'il y ait un débat sur l'intervention militaire au Sahel, je l'ai bien noté… Pour le Chili, je n'avais pas l'information que vous avez donnée, mais j'en avais une autre, qui va certainement vous intéresser : le président Piñera a souhaité savoir comment le Grand débat s'est passé en France. C'est le seul sujet dont j'ai été saisi pour l'instant, mais c'est à mon avis une bonne démarche. Nous n'avons pas aujourd'hui de coopération en matière de police avec ce pays, sauf dans la lutte contre les stupéfiants : voilà ce que je peux vous répondre.

Monsieur Lecoq, nous avons condamné l'expulsion de M. Shakir avec beaucoup de fermeté. Concernant les colonies, notre position n'a pas changé d'un iota et ne changera pas. On l'a dit, on l'a répété, je le dis ici à chaque fois, à chaque séance ; je commencerai encore mes prochains propos en vous redisant mon attachement à la résolution des Nations unies qui le dit. Donc la position de la France n'a pas bougé du tout. Par ailleurs, j'ai quelques raisons d'être un peu optimiste pour M. Laurent Fortin comme pour Mme Marion Cambounet. Je ne peux pas en dire plus.

Sur le nucléaire, notre position est extrêmement claire : nous sommes pour la suppression de toutes les armes nucléaires. Mais tous ensemble ! Nous sommes pour le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires), mais également pour l'élimination des armes nucléaires, et pour que cette élimination se fasse en commun, avec l'ensemble des acteurs car nous n'entendons absolument pas renoncer à assurer notre sécurité dans un tel mouvement. Nous avons au fur et à mesure des années réduit notre capacité nucléaire au strict minimum sécuritaire pour nous. Elle est aujourd'hui un outil essentiel de notre sécurité par rapport à d'autres puissances nucléaires. Donc, oui, nous sommes d'accord avec le pape François en ce qui concerne le désarmement nucléaire, mais il faut que tout le monde le fasse en même temps : la Chine, la Russie, etc.

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