Intervention de Bruno Studer

Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Studer, rapporteur :

Merci à tous pour le soutien que vous apportez à cette initiative. C'est l'occasion pour nous d'avoir une discussion sur un sujet qui en appelle forcément d'autres, puisque, dès lors qu'on tire un fil, la pelote se déroule à l'infini ; tout l'enjeu de cette proposition de loi est donc d'ébaucher un cadre, dans les limites juridiques qu'impose le statut des plateformes tel qu'il est fixé par le droit européen.

Parmi les sujets connexes auxquels nous touchons émerge la question de la viralité, largement responsable du succès que connaissent les vidéos auxquelles nous nous intéressons. La quête incessante des « like », qui incite à poster toujours davantage, renvoie chacun à sa responsabilité individuelle lorsqu'il décide de partager des vidéos faisant apparaître des enfants, avec cette question : cela en vaut-il la peine ?

De nombreuses questions ont porté sur l'applicabilité des mesures proposées, sur la mise en oeuvre du contrôle et sur l'instance qui en aurait la charge. La proposition de loi offre aux associations de protection de l'enfance un outil supplémentaire pour leur permettre de saisir soit l'autorité administrative, soit la justice, et permettre au juge ainsi saisi de rendre des décisions qui, jusqu'à présent, n'avaient pas de base légale.

Ainsi, l'article 1 étend aux enfants apparaissant dans des vidéos diffusées sur internet le régime des enfants du spectacle. L'article 4, quant à lui, entend développer la coopération entre les plateformes et les associations pour leur permettre d'élaborer, sous l'égide du CSA, des chartes régissant les « zones grises » où la protection de l'enfance est en jeu. L'idée est donc que tous ceux qui sont en charge de la protection de l'enfance, les associations, puis, au niveau administratif les préfets et les directions départementales de la cohésion sociale, et enfin le juge, disposent d'outils leur permettant de travailler.

Certes, Madame Meunier, la tâche est lourde. D'où le recours aux décrets – c'est l'objet de l'article 3 –, qui devront déterminer les seuils critiques. Pour fixer ces derniers, il est nécessaire de disposer d'une connaissance du phénomène plus fine que celle que nous pouvons avoir, puisque, en tant que députés, nous n'avons pas les moyens de réaliser d'étude d'impact. C'est la raison pour laquelle nous renvoyons la définition de ces seuils au pouvoir réglementaire. Il s'agit de pouvoir se saisir des cas les plus lourds, que ce soit au regard des revenus générés ou du nombre d'heures de vidéos postées sur les réseaux sociaux. Il était important en effet de retenir des critères alternatifs pour parer, par exemple, aux cas où les heures de vidéos sont importantes mais ne rapportent pas grand-chose. Quant au choix du décret, il a été guidé par le fait que ce dernier a l'avantage de pouvoir être modifié beaucoup plus rapidement que la loi, dont le rôle est d'abord de fixer un cadre général. La tâche des pouvoirs publics ne sera donc pas simple, mais vous m'accorderez que, dès lors qu'on parle de régulation du net, rien n'est simple.

Madame Kuster, vous avez raison, ces vidéos sont en quelque sorte le téléachat du XXIe siècle. Les enfants y font la promotion de produits, comme il en était vendu à la télévision dans ce type d'émissions. C'est donc le même travail, et il s'agit ici de l'encadrer, avec cette difficulté que, si dans certains cas la relation de travail est facilement démontrable, dans d'autres, ce n'est pas le cas, notamment lorsque le réalisateur de la vidéo ne semble avoir donné aucune consigne à l'enfant filmé.

Madame Petit, il faut en effet aller plus loin. Nous pourrons travailler ensemble en vue de la séance, mais nous en rediscuterons lorsque vous présenterez votre amendement.

Madame Ressiguier, le terme « promptement » est celui qui figure dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Il est possible d'être plus précisément exigeant dans le cas de contenus terroristes ou pédopornographiques, qui sont manifestement illicites mais, dans le cas qui nous occupe, c'est plus compliqué, et nous sommes tenus de nous en tenir à ce type d'indication. Nous pourrons cependant, si vous le souhaitez, discuter d'amendements à cette formulation.

Madame Tolmont, je suis très sensible à votre proposition concernant l'information des enfants sur le droit à l'effacement. Nous pourrions examiner la question ensemble afin de proposer un amendement allant dans ce sens.

Monsieur Brotherson, les plateformes que nous avons auditionnées ont semblé prêter une oreille attentive à l'idée de s'engager avec nous dans la lutte contre le travail des enfants. Reste à espérer que cela se traduira concrètement dans les faits, grâce notamment aux dispositions que je vous propose d'adopter.

Quant aux enfants, nous n'avons malheureusement pas pu les rencontrer. Nous avons pu en revanche auditionner les vidéastes, notamment la Guilde des vidéastes, qui fédère ces nouveaux acteurs, globalement très demandeurs d'un cadre dans lequel ils puissent s'inscrire.

Cela m'amène à répondre à M. Pancher que tout le monde n'est pas nécessairement d'accord pour subir de nouvelles contraintes mais que, globalement, les parents y sont favorables et que les plateformes ne doivent pas perdre de vue le fait qu'elles tirent de ces activités un tiers de leurs revenus, ce qui les oblige à prendre leurs responsabilités, même si nous sommes conscients des limites juridiques de cette obligation.

S'agissant des enfants qui agissent comme des acteurs autonomes – car nous savons tous que certains mineurs sont inscrits sans autorisation parentale – je rappelle que l'âge minimum pour s'inscrire sur une plateforme vidéo est fixé en France à 15 ans et qu'il faut être âgé d'au moins 16 ans pour disposer d'une carte bancaire – si un mineur de moins de 16 ans parvient à ouvrir un compte sur internet avec une carte bancaire sans l'aval de ses parents, cela ne peut donc être imputable qu'à un manque de vigilance de ces derniers.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'encadrer l'exploitation commerciale des enfants de moins de 16 ans. Nous avons choisi de privilégier la pédagogie à la sanction, ce qui est le sens de l'article 3, qui pose le principe de la déclaration auprès de l'autorité administrative. Je me dois de préciser néanmoins que cela ne vaut que pour cette zone grise encore mal couverte par le droit du travail ; dès lors, au contraire, qu'il est avéré que l'on a affaire à du travail dissimulé, c'est l'article premier, plus protecteur, qui s'applique.

C'est, me semble-t-il, toute l'innovation de ce dispositif combiné, qui tente de s'adapter à la manière dont internet rebat les cartes et nous oblige à revoir entièrement notre conception intellectuelle et juridique du travail.

Madame Provendier, je propose que nous travaillions ensemble d'ici la séance sur la question du traitement des données personnelles à des fins commerciales. Vous avez déposé un amendement en ce sens, mais il risque de tomber. Cela étant, peut-être le président vous permettra-t-il d'en dire quelques mots.

Madame Bazin-Malgras, interdire les pratiques dont nous parlons comporte un risque d'inconstitutionnalité. Certes, l'intérêt supérieur de l'enfant est également un principe constitutionnel et conventionnel – nous avons fêté il y a peu l'anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant –, mais, en l'espèce, poser une interdiction qui ne concerne pas vraiment le travail illicite nous placerait hors du cadre constitutionnel. D'où le choix que nous avons fait. Je vous rappelle néanmoins que le travail des enfants est interdit, sauf dérogation ; si dérogation il y a, celle-ci doit être clairement lisible, car internet n'est pas un espace de non-droit.

Monsieur Pancher, pour des questions de recevabilité financière, nous n'avons pas pu inscrire l'action du CSA ou de la future ARCOM dans le texte, mais nous travaillons avec le Gouvernement à un dispositif s'inspirant de celui que j'avais proposé dans la loi relative à la manipulation de l'information et dans lequel le CSA exercerait sa surveillance sur l'action des plateformes. Le rôle du régulateur devrait donc être précisé d'ici la séance.

En ce qui concerne le droit à l'oubli, l'article 5 a surtout vocation à poser le débat que vous avez bien voulu nourrir de vos questions. Nous sommes, là encore, dans une zone grise, et nous n'avons pas beaucoup de marge de manoeuvre pour contraindre les plateformes. Néanmoins, je pense qu'il faut faciliter les démarches permettant aux enfants de demander le retrait d'une vidéo de la plateforme où elle a été postée, même si cela ne garantit pas son effacement total.

Madame Descamps enfin, ces dispositions auraient parfaitement leur place dans le projet de loi sur l'audiovisuel mais, dans l'attente et ne sachant pas de quoi l'avenir sera fait, nous avons voulu qu'elles soient déjà dans les tuyaux. Par ailleurs, il nous semble important que ce sujet puisse faire l'objet d'un véritable débat entre nous et d'un vote public de notre assemblée, d'autant que, comme l'a rappelé Bertrand Sorre, la France est à l'avant-garde des pays de l'OCDE en matière de protection des enfants contre l'exploitation commerciale de leur image sur les plateformes.

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