Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis, rapporteur :

Je vous remercie de vos remarques plutôt positives sur notre proposition de transposition – petite boutade à l'intention d'Olivier Marleix : j'ai rarement entendu de sa part une intervention aussi peu de droite…

En ce qui concerne le calendrier, nous voulons que les discussions sur la transposition de la directive s'engagent dès à présent car, à cette heure, aucun travail n'a été amorcé, en tout cas à ma connaissance et à celle des associations. Si le travail a bel et bien commencé, je m'inquiète de n'avoir reçu de la part du Gouvernement aucune réponse aux demandes d'audition que je lui ai envoyées pour préparer nos travaux. Nous aurons plus d'éléments sans doute le 26 mars, quand le texte sera examiné dans l'hémicycle. Au passage, que la transposition incombe à la Garde des sceaux et au ministère de la Justice a été salué par tout le monde. La question n'est pas secondaire pour beaucoup de lanceuses et lanceurs d'alerte et d'associations, compte tenu du tropisme à ne voir que du côté de Bercy et de la matière économique et financière, et à oublier les autres domaines, même si les initiatives parlementaires les ont remis dans la discussion à l'occasion de la loi Sapin.

En soi, la coconstruction, ne me pose pas de problème, monsieur Waserman. Je note quand même qu'en dehors des miens, aucun amendement n'a été déposé sur mes propositions de loi pour notre débat en commission. Je vous invite à en proposer en vue de la séance – pour une fois, nous avons un peu de temps pour y réfléchir et en discuter, y compris avec le Gouvernement. Je ne voudrais pas mettre la majorité en difficulté, aussi tairai-je ce que la Garde des sceaux m'avait répondu lorsque je lui ai demandé, en octobre dernier, quand débuteraient les travaux sur les lanceurs d'alerte – ce n'était pas une réponse satisfaisante. Lorsque je les ai auditionnées, les personnes chargées de recevoir les alertes au sein des services du Défenseur des droits m'ont dit que celui-ci n'avait pas été associé à une quelconque réflexion. Je suis sûr que cela va être fait, mais pour l'instant ce n'est pas le cas. Il va falloir accélérer le processus, et tant mieux si telle est l'intention de tout le monde ici.

Pour mettre un peu d'insoumission dans ma prise de parole, on pourrait se demander où est la cohérence quand, d'un côté, on supprime les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui étaient une voie interne permettant de lancer l'alerte dans le monde du travail, de manière pacifique et sans que cela repose sur un individu en particulier et que, de l'autre côté, on renforce les droits des lanceurs d'alerte…

En ce qui concerne l'indemnisation, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions n'est peut-être pas l'idéal, mais elle a le mérite d'exister et de fonctionner. Par ailleurs, comme le disait Paul Molac, l'enjeu est de fournir un dédommagement plutôt qu'une rémunération.

Cette remarque me permet de faire le lien avec le caractère désintéressé de l'action du lanceur d'alerte. On a du mal à dissocier l'alerte de la personnalité qui la lance, ce qu'il faut pourtant faire. Même si l'on précisait que le désintéressement était uniquement d'ordre économique, on ne résoudrait pas le problème. La notion de bonne foi me paraît suffisante. Pour prendre le cas de Denis Breteau, d'avoir dénoncé des faits à la SNCF l'a naturellement mis dans une situation difficile sur le plan professionnel : il a été mis de côté, puis, à l'issue d'une procédure interne, l'entreprise lui a proposé une rupture conventionnelle, avec à la clé une somme d'argent pour l'encourager à partir. Or, dans le cadre de la procédure judiciaire, son employeur s'est appuyé sur cette proposition pour démontrer que Denis Breteau n'était pas aussi désintéressé qu'il le prétendait. N'ajoutons pas à la perversité. La notion de désintéressement est, en réalité, un obstacle de plus sur une route qui en est déjà parsemée. Il en va de même avec la loi transposant la directive sur le secret des affaires. C'est un motif de plus soulevé par ceux qui cherchent à éviter l'alerte. Par ailleurs, elle crée des régimes de protection différents selon le statut de celui qui doit en bénéficier. Nous manquons de recul sur la question, car le contentieux commence seulement à émerger, notamment du fait du refus de communication de certains documents par l'intermédiaire de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), sous couvert du secret des affaires – sans compter les autres personnes qui ne se plaignent pas par cette voie, et dont nous n'aurons connaissance que bien plus tard.

En ce qui concerne les entreprises de moins de 50 salariés, là aussi il faut « mettre les pieds dans le plat », notamment en raison du phénomène de sous-traitance. Dans le domaine du nucléaire, par exemple, pour un certain nombre de tâches bien précises, la sous-traitance mériterait que l'on garantisse aux salariés un circuit de l'alerte interne en plus de celui de l'alerte externe et de la divulgation publique. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), que nous avons interrogés sur le sujet, ne nous ont toujours pas fait de retour ; nous devrions recevoir des éléments d'ici à la séance.

Je suis content que vous saluiez la création d'une inspection – je proposerai par voie d'amendement de supprimer l'adjectif « générale », pour éviter toute confusion avec les organes internes d'inspection rattachés au Premier ministre et aux différents ministères. C'est un moyen de renforcer la capacité du Défenseur des droits d'expertiser les alertes, de suivre les individus, mais aussi d'exercer des missions d'audit et de conseil, notamment pour mettre en place les circuits d'alerte interne aux collectivités locales et aux entreprises.

Les dernières statistiques qui nous ont été transmises par les services du Défenseur des droits font état de 264 alertes, dont 63 % dans le cadre de relations de travail. Ce pourcentage illustre en creux la part des alertes environnementales et sociales qui n'entrent pas, le plus souvent, dans les relations de travail ; elles sont reçues par la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement. J'ai d'ailleurs tenu à auditionner l'ancienne sénatrice Marie-Christine Blandin, qui en a été à l'origine, pour essayer de coordonner les choses. Son avis a été très utile et va dans le sens de ce que nous proposons.

Quant au débat entre transposition et surtransposition, pour ma part, je m'en tiens strictement à la directive, dont le considérant 104 énonce : « La présente directive introduit des normes minimales et les États membres devraient pouvoir adopter ou maintenir des dispositions qui sont plus favorables à l'égard de l'auteur de signalement ». Il s'agit clairement d'une invitation à ne pas s'en tenir au caractère minimaliste du texte européen.

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