Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du secrétaire d'État de l'Europe et des affaires étrangères :

Merci de vos contributions, questions et suggestions.

Mme Anne Genetet a évoqué la prise de conscience suscitée par le COVID-19 et la nécessité d'une indépendance stratégique. Il est intéressant de voir un certain nombre d'entrepreneurs considérer la sécurité de leur approvisionnement aussi importante que leurs coûts de production et engager un effort de relocalisation. Bérangère Abba a signalé récemment un cas dans son département de la Haute-Marne et vous évoquiez le cas de Sanofi. De façon générale, la nouvelle Commission ne craint plus de prononcer des mots naguère tabous ou perçus à Bruxelles comme sulfureux. Le commissaire Thierry Breton se fait le héraut et le chantre de la politique industrielle, idée très française. Un certain nombre de projets industriels communs sont lancés avec bonheur entre États européens. Je pense à la production de batteries, de semi-conducteurs et à d'autres secteurs stratégiques. Désormais, des expressions comme « souveraineté numérique dans la protection des données » ont cours dans le vocabulaire bruxellois. Tout cela participe de cette prise de conscience et, au-delà, d'actions concrètes.

Mme Bérengère Poletti a souligné la nécessité de réinventer la politique commerciale commune. Au sein de la commission du commerce international (INTA), le terme de réciprocité n'est plus un gros mot mais fait désormais partie du logiciel commun – je parle sous le contrôle de la présidente qui a suivi cela de très près, il y a quelques années. De même, la notion d'intérêt stratégique est beaucoup mieux prise en compte. Nous avons ainsi abouti sur la question du contrôle des investissements stratégiques et nous allons essayer de progresser sur celle des outils liés aux marchés publics.

En matière de propriété intellectuelle, nous avons vu les États-Unis obtenir des concessions de la part de la Chine dans l'accord de phase 1. Dans le cadre du sommet de Leipzig, notre enjeu est d'obtenir une avancée comparable. C'est important pour les Européens, faute de quoi l'accord États-Unis-Chine se ferait sur notre dos et nous connaîtrions des conditions de concurrence moins favorables que celles des entrepreneurs américains. Le meilleur respect de la propriété intellectuelle fait partie de notre feuille de route. C'est pourquoi, de façon générale, en liant cela à la contrefaçon, nous avons été heureux d'obtenir un accord politique avec nos amis chinois sur les indications géographiques. Cela permettra de défendre un certain nombre d'appellations, d'éviter que soient commercialisés en Chine des produits qui « s'apparentent à, qui portent le nom de, mais n'en sont pas ». Un premier pas a été fait.

Le président Waserman a cité l'intégration de l'accord de Paris comme clause essentielle des accords commerciaux. D'évidence, cela crédibilisera une démarche. Quand on parle de convergence des politiques commerciales et environnementales, cela n'est pas du marketing, cela doit se traduire dans la vraie vie. Un pas décisif a été franchi.

Concernant le Mercosur, le Président de la République a indiqué clairement que la France n'était pas en état de ratifier le texte. Nous avons néanmoins lancé, conformément au souhait exprimé par la commission et la présidente, le processus de création d'une commission indépendante sur l'étude d'impact dont nous aurons les résultats dans les prochaines semaines. D'un point de vue politique, nous avons été rejoints par les Autrichiens, puisque le Chancelier a annoncé que l'Autriche n'était pas non plus en mesure de ratifier le texte. Par ailleurs, du côté des Pays-Bas, pays pourtant traditionnellement libre-échangiste, les débats intenses qui ont eu lieu au sujet du CETA ont abouti à une réflexion sur la façon de conclure ces accords commerciaux. Tant mieux ! Cela signifie qu'une prise de conscience s'est fait jour sur la nécessité de passer du libre-échange au juste échange.

M. Alain David a demandé ce que les accords de nouvelle génération pouvaient apporter en matière sanitaire, sociale ou agricole. Les accords commerciaux doivent être aussi des leviers pour cranter avec nos partenaires un certain nombre d'éléments en matière sociale et environnementale. Je prendrai le cas concret du Vietnam. Grâce à cet accord, nous avons obtenu que le Vietnam ratifie les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), notamment celle relative à la liberté syndicale. J'estime que c'est un progrès. Grâce à notre discussion commerciale, nous avons pu faire avancer le volet social dans ce pays. De même, avec la Corée du Sud, nous avions signé en 2011 un accord sur un certain nombre de clauses sociales relatives au droit du travail. La Corée n'ayant pas ratifié toutes les conventions de l'OIT, nous avons décidé d'engager le processus de règlement des différends parce que nous considérions que notre partenaire n'était pas au rendez-vous de l'ensemble des engagements qu'il avait pris. Par conséquent, ces accords commerciaux peuvent tirer très concrètement vers le haut.

M. M'jid El Guerrab a insisté sur la nécessité du lien à établir avec nos voisins et partenaires de la Méditerranée. À cet égard, le Président de la République a lancé la dynamique du sommet des deux rives, qui implique les sociétés civiles, ce qui est très important. Il sera d'ailleurs de nouveau réuni en juillet prochain, en Mauritanie. Au-delà de l'aspect purement commercial, c'est un processus vertueux. Je note que la démarche de nos amis et voisins du Maghreb n'est pas totalement unifiée. De l'Union du Maghreb arabe, nous connaissons à la fois l'existence et les limites de fonctionnement.

Bien que le sujet de l'AEFE ne soit pas commercial, il me tient à coeur, comme à un certain nombre d'entre vous, représentant les Français établis hors de France. En annonçant avec Jean-Yves Le Drian le plan de réengagement auprès de l'AEFE, nous avons donné des gages, sous la forme de 25 millions d'euros supplémentaires en base à partir de 2020 et de la baisse du prélèvement forfaitaire qui est passé de 9 % à 6 %. J'ai souhaité, et j'ai mené ce combat jusqu'au matin même de la conférence de presse, que les parents d'élèves soient davantage associés aux évolutions du réseau, en leur donnant plus de place dans le conseil d'administration de l'AEFE, par le doublement de leur représentation et en leur communiquant davantage d'éléments budgétaires en amont au sein des établissements, afin que leur voix soit mieux entendue et prise en compte. Nous veillerons d'ailleurs à faire passer le message à l'AEFE et au réseau selon lequel l'inflation mondiale est en hausse de 3,5 % et qu'il ne faut pas aller au-delà, car cette revalorisation pèse ensuite sur les familles qui produisent déjà souvent de gros efforts pour scolariser leurs enfants.

Mme Aina Kuric s'est interrogée sur le poids de l'Union européenne comme acteur commercial après le départ du Royaume-Uni. Nous restons tout de même très forts. Nous représentons vingt-sept pays et plus de 450 millions d'habitants. En revanche, le Royaume-Uni, risque d'éprouver la difficulté d'avoir à négocier des accords commerciaux en agissant désormais seul. Certes, Boris Johnson a annoncé de manière tonitruante des discussions avec les États-Unis et de nombreux partenaires partout dans le monde, mais il n'en reste pas moins qu'il est plus difficile d'obtenir des concessions lorsque vous pesez 60 millions d'habitants que lorsque vous en pesez 450 millions. Nous restons forts. D'ailleurs, l'agenda assez dense des discussions et des dialogues avec un certain nombre de pays de l'ASEAN et de l'Indo-Pacifique montre que l'Europe reste attractive.

Mme Valérie Thomas a évoqué le lien avec le continent africain et les négociations des accords post-Cotonou. De fait, elles ont pris un peu de retard, d'où la prorogation jusqu'à la fin de l'année, en raison d'un certain nombre d'éléments sur lesquels, nous, Européens, ne sommes pas prêts à transiger. Je pense à des éléments sociétaux vécus ou ressentis différemment en Europe et en Afrique, et au sujet desquels nous souhaitons continuer à défendre nos valeurs. Il y a un certain nombre d'acquis.

On s'oriente vers une nouvelle architecture reposant sur un socle commun aux trois zones – Afrique, Caraïbes et Pacifique –, mais comportant un pilier propre à chacune. Nous avons insisté sur le maintien d'un pilier Caraïbes et Pacifique, parce que la France est l'un des rares pays de l'Union européenne, après le départ du Royaume-Uni, à entretenir des liens forts avec ces zones. Nous avons des territoires ultramarins, ce qui fait aussi la force de la France, véritable « pays monde », comme le dit régulièrement le Président de la République. Dans cette stratégie de dialogue avec le continent africain, nos relations reposent désormais davantage sur une logique de partenaires d'égal à égal, qui s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne du dernier sommet tenu à Abidjan fin 2017. La nouvelle stratégie qui a été actée ce matin comporte plusiuers partenariats – sur la transition écologique et l'accès à l'énergie, sur la transformation numérique, sur une croissance et des emplois durables, sur la paix et la gouvernance, sur la migration et la mobilité. – sur lesquels nous allons travailler selon une philosophie plus moderne et respectueuse des identités de chacun.

M. Jean-Claude Bouchet a parlé du processus de mise en oeuvre provisoire d'un certain nombre d'accords commerciaux. C'est le cas du CETA qui est entré en vigueur provisoirement en septembre 2017 puisque les parlements sont amenés à se prononcer au fur et à mesure. Il est clair que ces accords mixtes comportent une partie commerciale de compétence purement européenne. Cette entrée en vigueur provisoire est possible parce qu'elle ne requiert pas formellement d'autorisation au-delà de celles du Parlement européen et du Conseil des ministres. En revanche, le volet investissement n'entrera pas en vigueur tant que l'ensemble des parlements ne se sera pas prononcé. Cela fait quand même plusieurs décennies que le volet commercial est de compétence purement européenne. Une démocratie européenne est à l'oeuvre par la désignation de nos représentants au Parlement européen mais cela nécessite un éclairage toujours plus approfondi des parlements nationaux en amont lorsque les accords ne sont pas mixtes, tout comme lorsqu'ils le sont.

Madame Marion Lenne, pour m'être rendu récemment à Genève auprès de nos compatriotes qui y résident, je sais combien vous êtes investie, votre engagement régulier m'ayant d'ailleurs été rapporté. Vous le savez, nous souhaitons la conclusion de cet accord-cadre institutionnel entre l'Union européenne et la Suisse. Nous sommes dans l'attente des résultats de la votation du 17 mai prochain, dont nous en espérons une issue favorable. Pour le reste, Jean-Yves Le Drian rencontrera, dans les prochains jours, le conseiller fédéral pour les affaires étrangères qui sera en déplacement en France. Je vous invite à saisir le ministre au cours de son audition cet après-midi car sa rencontre avec le conseiller fédéral sera un moment important du dialogue franco-suisse.

Rodrigue Kokouendo a évoqué les polémiques que peuvent parfois engendrer les accords de libre-échange. L'exemple du Vietnam montre bien la prise en compte des dimensions environnementale et sociale. Quant aux mécanismes de sanctions, l'Europe est crédible non seulement lorsqu'elle négocie, mais aussi quand elle fait respecter la signature qui engage tout le monde. Je citais l'exemple de la Corée du Sud. Il ne faut pas avoir peur d'activer les mécanismes de règlement des différends. La mise en place du directeur général adjoint de la direction générale du commerce en charge du suivi des accords permettra d'être plus attentif encore au respect scrupuleux de la parole donnée par nos partenaires.

M. Buon Tan a relevé combien l'ASEAN est une zone clé ; si on la replace dans le contexte de la croissance mondiale, elle est en croissance forte. Il n'y aurait que des intérêts à conclure un accord de bloc à bloc, mais des nuances politiques entre les différents États de l'ASEAN ne l'ayant pas rendu possible, nous nous sommes engagés dans une démarche d'accord pays par pays qui a permis d'obtenir récemment l'accord avec Singapour et l'accord avec le Vietnam. Nous allons continuer, parce qu'il s'agit d'un débouché majeur. Pour l'instant, nous le faisons un par un, mais nul doute que, de façon globale, des intérêts président à un dialogue stratégique UE-ASEAN.

Éric Girardin m'a interrogé sur l'effet des mesures américaines sur la filière viticole française. Je suis allé à la rencontre des acteurs de la filière au Salon de l'agriculture la semaine dernière. La prise en charge des frais de promotion est augmentée, le taux de subvention passant de 50 % à 60 %, cumulable avec une aide nationale. De plus, au niveau français, j'incite le monde vitivinicole à utiliser l'assurance prospection, mécanisme très intéressant pour démarcher de nouveaux marchés, et à un coût faible depuis la réforme du dispositif. Par ailleurs, lors de sa réunion plénière du 11 mars, le Parlement européen se prononcera afin de donner plus de flexibilité aux programmes de promotion. Ces programmes devant parfois être validés en amont, des filières se sont positionnées sur les États-Unis et il faut les aider à se repositionner sur d'autres géographies. La flexibilité offerte pour ce faire sera plus grande.

Enfin, il convient de montrer au commissaire à l'agriculture l'effet des fonds de compensation sur la filière agriculture. De ce point de vue, deux échéances majeures se dessinent : le Conseil agriculture et pêche, qui se réunit le 24 mars – mon collègue Didier Guillaume plaidera naturellement la cause – et quelques jours plus tard, les 26 et 27 mars, le Conseil européen. Là non plus, il ne faudra pas hésiter, compte tenu des enjeux, à remettre les pieds dans le plat.

Mme Nicole Le Peih a traité des études d'impact. Je ne me répéterai pas, je dirai oui, comme précédemment. Pour le suivi de la filière des filières agricoles sensibles, notre méthodologie est éprouvée et nous allons poursuivre en ce sens.

M. Pierre Cabaré, dont je sais le rôle en tant que président du groupe d'amitié France-Kazakhstan, a insisté sur la conférence ministérielle à Noursoultan. Qu'en attendons-nous, sinon de progresser enfin sur la négociation sur la pêche, par l'encadrement d'un certain nombre de subventions, et sur la pêche dite illégale. Il est quand même un comble que cette pêche ne soit pas encore totalement encadrée ! Il importe également de progresser sur des sujets structurels pour l'OMC comme la définition de règles adaptées au xxie siècle pour les subventions industrielles et les notifications. D'où le travail réalisé à l'échelon européen avec d'autres partenaires, mais qu'il faut faire porter et endosser par d'autres. Il convient aussi de débloquer tout ce qui a trait à l'organe d'appel, même si nous avons notre dispositif intérimaire.

De façon générale, je suis très attaché au développement de nos relations avec cette zone de l'Asie centrale. J'ai eu l'occasion d'y faire une tournée l'année dernière et le Président de la République a accepté la proposition qui lui était faite d'instaurer un dialogue stratégique « un plus cinq », France et pays d'Asie centrale, qui se sont réunis pour la dernière fois en 2016, alors que d'autres pays européens sont beaucoup plus actifs que nous. Nous tiendrons donc une réunion ministérielle d'ici à la fin du premier semestre, qui sera suivie d'une réunion de chefs d'État et de gouvernement, regroupant la France et les cinq pays d'Asie centrale. D'un point de vue stratégique, aux confins et de la Russie et de la Chine, il s'agit d'un espace particulièrement important.

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