Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 15h00
Justice pénale des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Troisième observation, la législation française est l'une des plus répressives d'Europe. Près de la moitié des sanctions prononcées à l'égard des mineurs sont des peines, alors que les mesures éducatives, compte tenu des principes internationaux, devraient être majoritaires. Hormis la Grande-Bretagne, la France est le pays européen qui incarcère le plus les mineurs. Rappelons-nous des propos de Robert Badinter, selon lesquels l'emprisonnement lui-même est « un mal plutôt qu'un remède ». Ce constat négatif d'un emprisonnement excessif valide d'autant plus l'objectif, que je partage, de la loi de 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui vise à le limiter. Mais cette observation ne signifie pas pour autant que notre groupe porte un regard systématiquement négatif sur les lieux de privation de liberté. Citons ainsi le quartier des mineurs du centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, qui fonctionne bien, grâce à une structure adaptée et des surveillants pénitentiaires accomplissant un travail spécifique remarquable d'accompagnement, digne d'être salué.

Quatrième observation, le texte reprend des recommandations importantes qui figuraient dans notre rapport d'information, comme la procédure permettant de mettre en place une mesure éducative au plus près de la commission des faits et la fixation de la responsabilité pénale à l'âge de 13 ans. Quant à la question du discernement, nous aurons l'occasion d'en débattre.

En revanche, d'autres attentes subsistent.

La spécialisation du parquet, qui passe par le renforcement de la formation des magistrats, doit être absolument garantie.

M. le garde des sceaux en a parlé, le juge des enfants ou le tribunal pour enfants n'ont pas à prononcer ou à prolonger la détention provisoire d'un enfant ou d'un adolescent ; c'est au juge des libertés et de la détention qu'il revient de le faire. Certes, ce dernier n'est pas spécialisé dans la justice des enfants, mais les mineurs ne sauraient avoir moins de droits que les majeurs et ce double regard est important.

Si l'audience unique constitue une procédure rapide et appréciée des parquets, y recourir doit demeurer exceptionnel. Des amendements vous seront proposés afin de conforter ce caractère exceptionnel, d'autant que nous avions constaté, dans le cadre de la mission d'information, qu'aucune statistique ne permettait d'apprécier la portée de l'audience unique, ni ses effets du point de vue des exigences de l'ordonnance de 1945. Les professionnels que nous avons rencontrés sont inquiets de la réforme, vous le savez, car ils redoutent le manque de souplesse de la procédure. Les magistrats, comme les avocats, veulent assurer le suivi du travail entrepris avec les mineurs qu'ils connaissent, et ils craignent de ne plus pouvoir préserver cet accompagnement, en raison du flux des dossiers.

Par réalisme et au regard des moyens nouveaux à mettre en place, nous proposons de reporter au 30 juin 2021 – et non plus au 1er octobre – la date d'entrée en vigueur du nouveau code. Ce geste est attendu par les professionnels, tous s'accordant à dire qu'ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour mettre en oeuvre cette énième réforme de la justice. Il me semble de bonne politique de leur permettre d'être rassurés sur ce point, en leur laissant le temps de voir arriver les ressources humaines et les moyens matériels et informatiques annoncés ; convenir avec eux de la mise en oeuvre d'une réforme ne me paraît pas excessif.

En conclusion, je rappellerai ce que nous savons tous : la justice des mineurs ne se résume pas à un code. Même si le travail législatif que nous sommes en train d'accomplir est essentiel, la justice des mineurs repose avant tout sur l'engagement des professionnels, auxquels notre société doit dire sa reconnaissance. La justice des mineurs est tout autant une question de parcours, qui implique de se préoccuper de l'enfant dans de multiples directions et domaines, en particulier, comme je l'avais dit en commission des lois, l'éducation et le décrochage scolaire.

Pour conclure, je citerai Jacques Toubon, ancien défenseur des droits, qui tint un discours de responsabilité : « Vouloir charger la justice de tout ce que la société n'est pas capable de faire par ailleurs, c'est assurer à la fois l'échec de la société et celui de la justice. C'est plus spécialement le cas quand il s'agit de la justice pénale des mineurs. » Je souscris à ses propos et c'est dans cet état d'esprit que le groupe Socialistes et apparentés débattra d'un texte qu'il ne considère pas, je le répète, comme un renoncement à l'esprit de l'ordonnance de 1945.

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