Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • corps
  • prison
  • pénitentiaire
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 23 septembre 2021

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont je suis membre, en vue d'identifier ce que l'on a appelé, lors d'une réunion préparatoire, « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ». Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation qui va vous être précisé par notre rapporteure. La semaine dernière, nous avons auditionné le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) ainsi que les principaux organismes publics français et européens de contrôle et d'inspection. Nous venons d'achever une table ronde réunissant des organisations syndicales des personnels de surveillance, des personnels d'insertion et de probation, et des personnels administratifs et techniques, et nous nous apprêtons à visiter plusieurs centres pénitentiaires : la prison de la Santé et les Baumettes la semaine prochaine, puis d'autres dans les semaines suivantes.

L'un de vos trois syndicats siège à la commission administrative paritaire des directeurs des services pénitentiaires, le deuxième à la commission administrative paritaire des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation, et le troisième dans les deux commissions administratives, étant précisé que le SNEPAP FSU – Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire FSU –, auditionné ce matin, a préféré ne pas participer à la présente table ronde, afin d'éviter les redites.

Les deux attentes de la commission d'enquête pour cet après-midi sont les suivantes : recueillir un diagnostic général de chacun d'entre vous sur le fonctionnement des prisons, les conditions de travail des personnels et les relations entre ces derniers et les détenus ; identifier les revendications spécifiques de vos deux corps.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'intitulé de cette commission d'enquête a pu heurter quelques membres du personnel pénitentiaire. J'ai eu moi-même deux conversations téléphoniques avec des directeurs de prison de l'Isère, mon département, à ce sujet. L'administration pénitentiaire n'est en aucun cas visée. Nous sommes conscients du travail exceptionnel effectué par les directions et les agents. Il s'agit plutôt de trouver les moyens et leviers pour vous aider à accomplir cette tâche ardue.

Nous devons principalement identifier la cause de la surpopulation chronique dans les prisons depuis des décennies, ainsi que son impact sur vos missions au quotidien, notamment le traitement de la radicalisation, la réponse pénale et son efficacité ainsi que les dispositifs de réinsertion. S'ajoute le sujet des délinquants mineurs. L'ensemble de ces points nous conduisent à évoquer le sujet du parc immobilier, des ressources humaines à disposition, des conditions de détention et des conditions de travail. Nous nous posons également la question de l'encellulement individuel, forme de graal que nous ne parvenons pas à conquérir, du moins pas partout.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Sébastien Nicolas, Mmes Célia Pouget, Flavie Rault et Laura Soudre prêtent successivement serment.)

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

La politique pénitentiaire n'est certes pas parfaite, mais elle est portée par des hommes et des femmes qui ont beaucoup donné au cours des quarante dernières années pour faire évoluer l'administration, dont l'évolution est sans pareille. Il convient de mesurer, à l'échelle de l'histoire, le travail réalisé. Nous sortons en outre d'une crise sanitaire majeure qui a épuisé tout le monde, impactant énormément les personnels pénitentiaires. L'épidémie a d'ailleurs été considérablement maîtrisée dans nos structures, en dépit de certaines prévisions : aujourd'hui, on meurt 23 fois moins de la covid en prison qu'à l'extérieur. Nos collègues et nous-mêmes avons donc été surpris par le choix du titre de cette commission d'enquête.

Diagnostiquer des pistes d'amélioration de la politique pénitentiaire suppose d'appréhender au préalable un certain nombre de points. La politique pénitentiaire est en permanence aux prises avec des injonctions contradictoires. Priver des individus de liberté au pays des droits de l'homme représente un défi quotidien pour les personnels pénitentiaires. Comme nos collègues des forces de l'ordre, nous avons l'impression que, lorsque nous travaillons dans un sens, on nous reproche de ne pas travailler dans l'autre, et inversement. Cela explique le caractère contradictoire de nombreuses mesures concrètes que nous devons appliquer dans les établissements.

Nous travaillons avec des moyens très limités. Ce matin, j'ai participé à une visioconférence avec le garde des sceaux, qui nous annonçait pour la seconde année un budget bien supérieur à ce que la loi de programmation et de réforme pour la justice avait prévu, ce dont nous nous félicitons. Nous verrons comment ce budget sera réparti sur les différents postes. Force est de constater que nous partons néanmoins avec un certain retard qui nous a empêchés de rénover à hauteur suffisante notre parc immobilier, dont chacun s'accorde à dire qu'une part est vétuste et l'autre insuffisante. Cela ne nous a pas permis non plus de travailler suffisamment au recrutement et à la fidélisation des personnels pénitentiaires, toutes catégories confondues.

Si ces moyens sont limités, c'est parce que nous éprouvons des difficultés à obtenir un soutien des activités pénitentiaires au plus haut niveau de l'État. La prison constitue en effet rarement la priorité d'un gouvernement, ce qui s'est malheureusement répercuté sur les arbitrages budgétaires. À titre d'exemple, lorsque l'administration pénitentiaire a repris en 2011 la mission d'extraction judiciaire, il nous a été accordé 800 équivalents temps plein (ETP) pour une mission préalablement calibrée pour 2 500 ETP par les services de police et de gendarmerie. L'administration pénitentiaire ne peut par conséquent faire aucun miracle face à ses nouvelles missions.

Je crois que la politique pénitentiaire n'est pas défaillante. Il s'agit plutôt du manquement plus global d'une société qui a tendance à se désintéresser de ses prisons.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je rappelle que cette mission concerne bien les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire et non de l'administration pénitentiaire. Nous sommes là, politiquement, pour essayer de résoudre ces difficultés et, je vous cite, « diagnostiquer des pistes d'amélioration ». Notre objectif est donc de nous rassembler sur le fond de cette commission d'enquête et de régler les problèmes de la politique pénitentiaire, dont nous portons, nous, politiques, la responsabilité des éventuels manquements.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Je partage la quasi-totalité des propos de M. Nicolas. Ce qui m'inquiète, quand je lis l'intitulé de la commission d'enquête, c'est le fait que l'on puisse se tromper de sujet avec la question de l'administration pénitentiaire et de la surpopulation pénale en particulier. Si l'on souhaite se confronter à cette problématique ainsi qu'à ce que sont, par ricochet, les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire, il faut en premier lieu creuser la question de la politique pénale menée depuis plusieurs années et réfléchir aux impacts de celle-ci sur l'administration pénitentiaire et la surpopulation.

Nous pouvons souligner plusieurs incohérences dans notre politique pénale. Tout d'abord, le système de justice rapide et notamment des comparutions immédiates favorise la surpopulation. Ce système présente sans aucun doute un grand intérêt. Mais selon moi, nous devons faire face à une machine qui s'est complètement emballée, notamment dans les grosses juridictions, entraînant de très nombreuses incarcérations, aussi bien pour les détentions provisoires que pour les peines, souvent de courte durée. Nous devons donc nous repencher sur cette organisation afin de vérifier si elle est justement calibrée et de mesurer ses impacts.

Cela m'amène à intervenir sur le sens des courtes peines de prison, sujet abordé par le SNDP depuis de nombreuses années, en particulier depuis la réforme pénale de 2014. Nous défendons toujours la même position, à savoir que ces courtes peines ont peu de sens compte tenu du manque de moyens à notre disposition et de la surpopulation. Nous ne sommes pas en mesure de donner du contenu comme nous le souhaiterions. Le système d'application des peines implique une sortie des personnes avant même que nous ayons pu travailler avec elles. Ces courtes peines représentent finalement des parenthèses au cours desquelles il ne se passe rien, sinon parfois du négatif – désocialisation, violence, radicalisation. Nous pensons que les courtes peines doivent représenter une exception. Le principe serait que pour des peines inférieures à six mois, une personne ne soit pas passible d'incarcération.

Nous devons réfléchir à de vraies alternatives, sur le fond et pas seulement sur la forme. En effet, au niveau politique, on ne se pose jamais la question du contenu donné aux aménagements de peine. Que fait-on quand on est en semi-liberté ? Que fait-on lorsqu'on porte un bracelet ? Quelle est la signification pour nous-mêmes et pour nos concitoyens ? Avec quels moyens ? Il existera toujours malheureusement des échecs d'aménagements de peine, en particulier pour certaines personnes ne pouvant accéder à l'autonomie requise. Dans ce type de situation, nous devons nous pencher sur le sens donné aux périodes de détention courtes et sur les moyens renforcés à mettre en œuvre. Ces périodes seraient ainsi l'occasion de proposer un accompagnement très intensif aux personnes qui seraient dans l'incapacité de mener à bien une peine alternative.

La réforme récente sur la réorganisation judiciaire se traduit par un empilement de systèmes parfois contradictoires, donnant lieu à une situation illisible à la fois pour nos concitoyens, pour les professionnels et pour les personnes condamnées : réductions de peine supplémentaire, retraits du crédit de réduction de peine, aménagements de peine, etc. Nous sommes par conséquent dans l'incapacité de prévoir la durée de détention des personnes, et nous ignorons donc quel temps va nous être imparti pour pouvoir travailler avec elles. Cette situation impossible génère une absence totale de pédagogie et d'anticipation. Le système doit être complètement remis à plat, au profit de la création d'une organisation simple et lisible qui nous permettrait de travailler efficacement avec les personnes. Nous défendons en outre la quasi-systématicité de la progressivité des peines, à savoir d'une alternative à l'incarcération venant clore, le cas échéant, une période d'incarcération.

Régler l'ensemble de ces difficultés réglerait du même coup une grande partie des problèmes de l'administration pénitentiaire et de surpopulation.

Ce que je considère comme l'échec des politiques pénales des dernières années est l'absence de considération par le pouvoir politique. Une politique pénale, comme d'ailleurs une politique pénitentiaire, est une politique qui se conduit. Nous sommes pour notre part très rodés à la politique du changement. Je crois qu'il faut appliquer cette même logique à nos collègues magistrats. Il existe un véritable tabou sur l'existence d'une politique pénale qui serait contraignante pour ces derniers, ou qui serait tout simplement pilotée par eux, en vertu de leur indépendance. Les tribunaux, les juridictions, ne sont pas équipés pour conduire ces changements, ainsi que nous savons le faire dans nos services. Par conséquent, les magistrats et les personnels des tribunaux ne s'approprient pas les nouvelles réformes, qui ne sont donc pas appliquées, sans même qu'il soit question de savoir si elles sont bonnes ou mauvaises. C'est un vrai sujet, sur lequel le tabou doit être levé.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Je vais essentiellement parler de la place et du rôle des SPIP, les services pénitentiaires d'insertion et de probation , méconnus de la majeure partie du grand public. Service déconcentré de l'administration pénitentiaire à compétence départementale œuvrant sous mandat judiciaire, créé en 1999, le SPIP intervient à tous les stades de la condamnation : en amont, pendant et après. Sa mission première est de prévenir la récidive et d'accompagner les personnes vers une réinsertion à travers un accompagnement individualisé. L'intervention du SPIP s'effectue en milieu ouvert – pour les deux tiers des personnes actuellement suivies par la justice – comme en milieu fermé. La réflexion sur le contenu des peines de probation revêt une importance particulière. Nos attentes portent sur trois axes d'amélioration et de travail au sein des politiques publiques pénitentiaires.

Il s'agit en premier lieu de la question très ambitieuse des moyens exigés par la prévention de la récidive. Jusqu'à présent, aucun organigramme n'a été établi dans les SPIP, donc aucun ratio de référence calibrant le nombre de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation – CPIP –, de directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – DPIP –, de personnels administratifs, d'assistantes sociales, de psychologues nécessaires pour la prise en charge d'un public. Ce travail est actuellement en cours et, en vingt ans, n'a donc toujours pas été finalisé par l'administration. De ce fait, le ratio attendu par les règles européennes de probation de soixante personnes placées sous main de justice suivies par un CPIP n'est pas atteint, loin de là. Si aucune base n'est établie, il sera difficile d'être en mesure de travailler sur le contenu des prises en charge.

Je voudrais également alerter sur le manque de DPIP, le manque de réflexion sur les missions, le manque de vision stratégique sur le repositionnement et le manque de valorisation du métier de DPIP, alors qu'il s'agit d'un enjeu crucial pour établir les SPIP au cœur d'une politique publique, au niveau départemental notamment. En 2006, la Cour des comptes constatait, dans un rapport intitulé « Garde et réinsertion – La gestion des prisons », l'insuffisance de cette réflexion institutionnelle à travers « la faiblesse de l'encadrement au sein des SPIP » et « l'absence de perspective réelle d'évolution pour ceux ayant accepté de devenir directeur départemental ou adjoint ». Par ailleurs, « la faible attractivité du statut des chefs de service d'insertion et de probation, au regard des responsabilités qui leur incombent, est à l'origine d'importantes difficultés de recrutement ». Aujourd'hui, les difficultés perdurent à travers le problème de fidélisation au sein des postes.

Après les moyens humains, il convient d'aborder les moyens budgétaires. Vous avez évalué la politique immobilière des établissements pénitentiaires. Il est également nécessaire d'évaluer celle des SPIP. Si l'on souhaite développer les peines alternatives, il est indispensable de disposer de locaux adaptés à la prise en charge en milieu ouvert, pourtant bien souvent trop vétustes et trop petits, qui ne permettent ni la mise en œuvre d'actions collectives ni l'accueil de partenaires au plus près des besoins des personnes suivies. Certains SPIP mettent donc plus de dix ans à voir aboutir un projet de déménagement, quand ils ne sont pas relégués très loin des centres-villes.

Nous regrettons un manque de coordination avec les différents acteurs influant sur la réponse pénale, à savoir les autorités judiciaires et les pouvoirs publics. Nous déplorons que certaines peines ayant vu le jour, telle la contrainte pénale, n'aient pas été prononcées en nombre suffisant pour leur permettre d'exister en tant que telles, en dépit du travail du contenu effectué par l'administration pénitentiaire. La loi de programmation et de réforme pour la justice a fait fleurir les peines d'incarcération de moins de six mois, qui viennent encombrer les maisons d'arrêt, rendant quasi impossible tout le travail de préparation à la sortie sur ces courtes peines, et mettant ainsi une pression sur les transferts pour des établissements pour peine. Par ailleurs, on note une faiblesse du recours à la détention provisoire avec le développement de l'ARSE – assignation à résidence avec surveillance électronique –, mettant en évidence le besoin de coordination avec les juges d'instruction, notamment en matière de pédagogie sur la technicité. J'alerterai sur le projet de loi que vous allez examiner prochainement et les effets potentiellement contre-productifs de la disparition du crédit de réduction de peine.

Sur le plan de la coordination avec les pouvoirs publics, étant entendu que l'administration ne peut pas tout faire seule, la politique publique se doit d'être volontariste. Il existe encore de nombreux freins à l'insertion en prison : la réalisation d'une pièce d'identité, certaines préfectures refusant de se rendre dans les établissements pénitentiaires avec le dispositif mobile ; la précarité de l'accès aux soins, avec un manque de praticiens spécialisés, en particulier en psychiatrie ; la difficulté à faire entrer le droit commun et l'accès aux droits sociaux, avec une fracture entre les établissements pénitentiaires n'ayant pas accès au numérique, malgré le développement du tout-numérique pour l'accès aux services publics.

La réflexion sur la politique pénitentiaire est encore nécessaire. La politique de transfèrement du fait de la surpopulation carcérale est une politique de gestion de flux et ne peut malheureusement pas se baser sur l'évaluation de la personne suivie en détention, sur l'évaluation de son parcours d'insertion et sur la stabilité de ce dernier.

Lorsqu'une personne détenue est inscrite dans un parcours personnalisé d'accompagnement à l'insertion professionnelle – PPAIP –, cette inscription n'est pas bloquante pour un transfert, du fait de la pression qui pèse sur les établissements, transfert qui vient briser des dynamiques et rendre difficile la préparation à la sortie. Quelle coordination s'effectue avec les pouvoirs publics quand un centre pénitentiaire est créé dans une zone rurale en tant qu'établissement de désencombrement, notamment pour développer une offre d'hébergement d'urgence ou en centre d'hébergement et de réhabilitation sociale – CHRS –, afin que le projet soit adapté à la ruralité des secteurs concernés ?

La place du SPIP est peut-être sous-estimée dans ce rôle de coordination des pouvoirs publics. Nous avons un vrai rôle à jouer au niveau départemental, en lien avec les préfectures, pour affirmer une politique publique de prévention de la récidive, assurer une continuité entre milieu ouvert et milieu fermé qui vienne à terme améliorer la réponse pénale et permettre une désinflation du nombre de personnes en détention. L'enjeu de la radicalisation illustre cette nécessité de coordination avec les préfectures et les services de renseignement intérieur.

Enfin, la question de l'évaluation des peines de probation, à travers la contribution de la recherche universitaire en particulier, mériterait d'être soutenue.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Contrairement à ce qui est de rigueur dans les établissements pour peine, où vous avez la possibilité d'adapter le nombre de personnes incarcérées au nombre de places initialement fixées, en maison d'arrêt, vous n'êtes pas les seuls prescripteurs, les juges vous adressant des personnes condamnées que vous êtes contraints d'accueillir. Il existe néanmoins certaines expériences portant sur la régulation carcérale, telle celle de Vars.

Vous avez abordé le problème de l'appropriation des réformes par les magistrats. Comment avancer sur ce sujet pour le moins épineux, sachant que, de votre côté, vous vous êtes toujours attachés à adapter le système carcéral aux exigences du législateur ou à celles du gouvernement ? Vous parliez d'accompagnement à la conduite du changement. Disposez-vous d'un accompagnement spécifique sur ces sujets-là ? Pourrait-on imaginer qu'un organe judiciaire, en toute indépendance, se dote également d'un protocole d'accompagnement qui l'aiderait à adopter et à mettre en pratique ces nouvelles réformes le plus rapidement possible, afin d'aboutir à un changement effectif ?

J'aimerais en outre que l'on reprenne les thèmes du parc immobilier et des ressources humaines, à travers notamment une esquisse de l'évolution historique dans ces domaines.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillons M. Alexandre Bouquet, qui vient de rejoindre la visioconférence.

(M. Alexandre Bouquet prête serment.)

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Je ne partage pas tout à fait l'opinion de Mme Abadie sur l'indépendance des magistrats, non pas sur le principe, mais sur ses contours. Il me semble que cette indépendance porte sur la décision de la meilleure peine possible dans le cadre de l'arsenal législatif dont il dispose. Depuis plusieurs années, les magistrats, sans doute malgré eux, procèdent à une confiscation du système pénal tel qu'il est voté par les assemblées. Or, ne pas appliquer un texte et continuer de prononcer de manière massive des peines inférieures à six mois ne constitue pas une question d'indépendance, mais de non-application de ce qui devrait l'être.

Nous pouvons tout à fait imaginer des réformes pénales dont les magistrats devraient se saisir, y compris en tenant compte du principe d'indépendance. Il existe, me semble-t-il, une véritable différence de culture professionnelle entre un certain nombre de corps de fonctionnaires, notamment ceux de l'administration pénitentiaire, très hiérarchisée, et le corps des magistrats, évoluant dans un cadre qui l'est beaucoup moins. Cette organisation nous est pourtant très utile lorsque nous devons mener à bien une politique qui implique un changement important dans nos structures. Nous savons donc conduire des politiques de changements massifs. Nous disposons également d'outils de contrôle, de mesure et d'analyse des évolutions. Ce n'est pas le cas dans les institutions judiciaires. On recense très peu de personnel administratif dans les tribunaux, alors qu'il pourrait mener à bien le type de tâches que je viens d'évoquer. Dans les institutions judiciaires, les fonctions politiques sont largement privilégiées par rapport aux fonctions administratives.

Nous proposons depuis plusieurs années déjà la création d'un secrétariat d'État à la question pénitentiaire au ministère de la justice, non pas pour accéder aux hautes sphères du pouvoir, mais parce que nous estimons pouvoir contribuer à notre ministère et à l'ensemble de la fonction publique en termes de culture professionnelle. De nombreux magistrats sont d'ailleurs insatisfaits de la façon dont ils sont obligés d'exercer leur profession, sans voir les moyens que l'on peut leur proposer.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Les liens entre les SPIP et les services d'application des peines doivent normalement être revus dans le cadre d'orientations générales, mais c'est en réalité très difficile dans la mesure où les points de vue divergent. Dans des services d'application des peines dotés de nombreux magistrats, la question de l'indépendance prend souvent le pas, au détriment du contenu des mesures, des procédures et des protocoles à mettre en place. Néanmoins, comme le montre l'exemple de la contrainte pénale, certaines juridictions ont signé des protocoles avec les services d'application des peines, pour définir des profils adaptés à ce type de peine, à travers un travail d'évaluation de ce qui n'avait pas fonctionné avec d'autres peines. Cela est donc envisageable dans d'autres juridictions, mais nécessite souvent d'aller bousculer des identités professionnelles de part et d'autre, et d'y consacrer du temps, de l'énergie et des moyens.

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

Dans certains secteurs, le directeur de la maison d'arrêt ainsi que le procureur de la République et les juridictions de jugement vont s'entendre sur la nécessité de mettre l'accent sur la problématique de la surpopulation pénale, tandis que, dans d'autres, le procureur estime que ça ne le concerne pas.

S'agissant des leviers possibles, certaines vieilles idées tournent en boucle, comme celle d'un numerus clausus visant à fermer de façon autoritaire l'accès aux prisons et inciter les magistrats à faire sortir pour faire entrer.

Je souhaiterais vous en soumettre un autre, évoqué je crois par Mme Soudre. Les magistrats méconnaissent les travaux réalisés par les SPIP et ont une confiance limitée dans les procédures alternatives à l'incarcération. Quand un magistrat est indépendant, se moque de la situation de surencombrement des établissements, a sa propre vision de la politique pénale et ne connaît pas le SPIP, toutes les conditions sont réunies pour générer un encombrement pénitentiaire. Un réel travail doit être effectué pour faire sauter ces verrous.

Permalien
Célia Pouget, membre de la commission administrative paritaire, élue SNP PD FO

Les évènements récents liés à la crise sanitaire ont mis en exergue d'énormes différences d'un territoire à l'autre sur la gestion des flux, la gestion des sorties, la gestion du taux d'occupation, alors même que l'on disposait d'un certain nombre d'outils de régulation, de sortie ou même d'apaisement. Juste avant cette crise, on constatait déjà que la possibilité de déléguer au chef d'établissement les permissions de sortie était mise en place dans certains territoires, mais pas dans d'autres, alors que la loi le permet. Nous pourrions débattre de l'utilité de déléguer à un directeur une décision qui était auparavant judiciaire, mais peu importe, cela permet de désengorger le circuit d'application des peines grâce à certaines décisions relativement simples à mettre en œuvre. La gestion des problématiques de trafic et de violence ne peut en outre être effectuée qu'en partenariat avec le procureur de la République, au même titre que la réflexion sur l'évolution des politiques pénitentiaires.

Permalien
Alexandre Bouquet, secrétaire national du SNDP CFDT

Je ne voudrais pas que nous donnions l'impression d'accabler les services d'application des peines. La sortie de prison, qui leur incombe, est importante pour nous, mais il convient également de réfléchir à l'entrée en prison. Les juridictions de jugement, elles aussi, doivent être associées à cet effort.

Le nombre de DDSE – détentions à domicile sous surveillance électronique – prononcées comme peines autonomes, en vertu de la loi de mars 2019, est assez faible. Derrière cette question se pose celle du sens de la peine. Le politique devrait en effet s'intéresser à ce sujet du point de vue du magistrat : quelle est sa perception, à quoi condamne-t-il une personne lorsqu'il prononce six mois d'emprisonnement ? S'agit-il d'une mise au ban de la société ? Il faudrait le cas échéant l'exprimer clairement, ce qui est politiquement incorrect aujourd'hui. Est-ce réellement une façon de préparer la réinsertion, de lutter contre la récidive ou une mesure intermédiaire ? Si l'on considère l'incarcération comme une mise au ban de la société, il faut l'accepter complètement, et nous, administration pénitentiaire, nous suivrons. Mais il faut également accepter que cette vision ne présente aucun intérêt productif, dans la mesure où l'on est conscient qu'une peine de deux à quatre mois n'aura a priori que peu d'impact sur la remobilisation de la personne détenue et sur sa capacité à mener une vie plus responsable.

Ce n'est évidemment pas la position du SNDP, mais la question mériterait d'être approfondie. En effet, nous nous retrouvons tiraillés entre, d'un côté, des magistrats de l'application des peines – heureusement, pour une large part, proactifs dans leur fonction –, qui jugent préférable car plus utile de faire sortir de détention certaines personnes, et, de l'autre côté, des juridictions de jugement de plus en plus à juge unique, qui se posent à mon sens beaucoup moins la question. C'est donc peut-être aux politiques qu'il incombe, à travers la loi, de rappeler ce qu'est une peine d'emprisonnement, même très courte.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Un travail de pédagogie et des rencontres régulières avec les avocats est nécessaire. En raison de l'accumulation des réformes pénales, ces derniers ont un rôle à jouer. Dans les maisons d'arrêt, le taux d'encombrement est issu de la détention provisoire. L'avocat peut demander la liberté sous la forme de l'ARSE. Bien souvent, les contraintes proviennent d'une méconnaissance de la technicité de l'ARSE, qui est pourtant assez simple. Reste évidemment la question des moyens de pouvoir assurer le contrôle de cette surveillance électronique. Il existe donc à ce niveau aussi un levier à activer, même si cela est plus difficile dans la mesure où il serait exercé par des professionnels libéraux.

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

Afin d'illustrer par des chiffres les propos de Mme Soudre, selon les statistiques du ministère, en 2020, sur un total de 21 000 détenus prévenus, on recense seulement 340 ARSE et 5 ARSEM – assignations à résidence sous surveillance électronique mobile. Quand on observe les chiffres à l'échelle européenne, on s'aperçoit que la France condamne peu à la prison, mais incarcère beaucoup. Il semble que nous entretenions en effet un rapport pathologique avec la détention provisoire, qui, je le rappelle, concerne des personnes présumées innocentes.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Il faudrait sérieusement se pencher sur le nombre de détentions provisoires générées dans le cadre des procédures de renvoi des comparutions immédiates, qui engendrent un flot d'arrivants dans les maisons d'arrêt pour des durées extrêmement courtes, pour finalement aboutir à des alternatives à l'incarcération, et par conséquent au préalable à une mise en détention provisoire sans intérêt ou à des condamnations à des peines courtes, engendrant à nouveau des questions sur le sens de la peine. Nous retrouvons massivement ces détentions provisoires dans le cadre des procédures criminelles, mais également pour ces infractions que l'on peut qualifier de secondaires, qui justifieraient un mode de jugement quelque peu allégé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il faudrait donc réussir à bâtir des passerelles entre les professionnels et, s'agissant des avocats, peut-être, leur proposer une fois par an de passer une journée avec les agents chargés de la pose des bracelets afin qu'ils réalisent le caractère surmontable de la technicité.

Certains déplorent une certaine baisse d'exigence dans les concours à cause du nombre décroissant de candidats. Quelles en sont les conséquences sur l'accomplissement de vos missions ?

Permalien
Célia Pouget, membre de la commission administrative paritaire, élue SNP PD FO

On pourrait faire le parallèle des organigrammes des SPIP avec ceux de nos établissements qui sont très anciens, datant pour certains de l'ouverture de ces établissements, alors que les missions des personnels, notamment des personnels en tenue, ont énormément évolué. Cela entraîne des problèmes quotidiens dans la gestion des personnes détenues, car le ratio est insuffisant : un surveillant pour 60 à 150 détenus en fonction de la configuration et de l'ancienneté de la structure. Or de nouvelles missions apparaissent. Nous sommes confrontés aux sujets de la radicalisation, de l'observation et de la préparation à la sortie.

D'un point de vue qualitatif, nous sommes plus ou moins attractifs en fonction du moment. Au-delà du statut des métiers, il faut s'interroger sur leur lisibilité. Si l'on demande aujourd'hui à un citoyen lambda à quoi sert un surveillant pénitentiaire, il ne saura pas répondre. C'est d'ailleurs difficile pour nous de le faire facilement et simplement. Par conséquent, les candidats aux concours sont peu nombreux et beaucoup de cadres quittent l'administration pénitentiaire. Ceci est lié aux rapports entre notre statut et nos contraintes, qui peut s'avérer usant au bout d'un certain nombre d'années, d'où une envie de changer de poste via des passerelles vers d'autres administrations.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Parmi les personnels d'encadrement, notamment dans le corps des DPIP, les statuts sont complètement en décalage avec ce que sont devenues les missions. Ce décalage très important porte sur les contraintes d'une part, et le statut et les avantages indemnitaires d'autre part. Il serait important de s'interroger quant à l'adéquation des statuts avec les missions des cadres de demain.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

La question de la capacité de recrutement se pose également. Celle-ci s'effectue de façon verticale. Ce sont les directions interrégionales qui gèrent les enveloppes et répartissent les capacités de recrutement des établissements pénitentiaires et des SPIP. Dans les situations de carence en personnel liées à des besoins de remplacement pour congés maternité ou longue maladie, nous avons besoin de recruter des contractuels. Si l'on prend l'exemple de la protection judiciaire de la jeunesse, la déconcentration s'est réalisée jusqu'au niveau territorial, permettant le recrutement de ses propres ressources. Cela pourrait également constituer un levier pour nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez abordé le sujet du ratio entre surveillants et détenus. S'agit-il du nombre de places ou du nombre réel de détenus ?

Permalien
Alexandre Bouquet, secrétaire national du SNDP CFDT

La question ne se pose pas vraiment en ces termes. Les situations sont extrêmement variables d'un établissement à l'autre. Tout dépend de l'ancienneté de ceux-ci et du moment où l'organigramme de référence a été retravaillé. Dans certains établissements comme Fleury-Mérogis, le ratio peut être d'un surveillant pour 130 à 135 personnes détenues physiquement présentes. Il existe des établissements où les taux d'encadrement sont beaucoup plus faibles. Il en existe d'autres, très rares, où la règle est d'avoir deux surveillants au lieu d'un seul par unité de vie.

Pour revenir à la question des ressources humaines, il faut penser à citer les assistantes sociales, présentes en nombre trop peu important, essentiellement en SPIP, où desquels l'accès au droit, la préparation à la sortie et la réinsertion peuvent être rendus très compliqués. La même question se pose pour les psychologues. Notre administration a pris du retard sur leur recrutement, peine à boucler leur statut, alors qu'il s'agit d'une profession très importante compte tenu des publics que nous accompagnons et des professionnels que nous encadrons, qui vivent souvent des situations difficiles, voire de crise.

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

En abaissant considérablement le niveau du recrutement, on accepte des agents que l'on met en danger face à une population pénale extrêmement manipulatrice dans certains établissements. Comment un jeune surveillant ne disposant pas du bagage adéquat, que l'on n'acquiert pas en huit mois à l'ENAP, peut-il accompagner dans un processus de réinsertion une personne détenue ayant un parcours délinquant considérable ? Au-delà des revendications catégorielles parfaitement légitimes de certaines organisations syndicales – amélioration des statuts et augmentation du niveau des indemnisations notamment –, il faut s'intéresser à la question du sens des missions : mission de l'administration pénitentiaire au XXIe siècle, mission du surveillant et mission de l'encadrant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais revenir sur les dispositifs de surveillance électronique. Pourriez-vous en préciser les différents niveaux de contrainte ?

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Les degrés de contrainte varient en fonction du moment dans le parcours judiciaire.

L'ARSE intervient en amont de la condamnation et constitue le pendant de la détention provisoire. Elle n'est donc possible que pour des personnes qui n'ont pas encore été condamnées. L'ARSEM permet une géolocalisation et est essentiellement réservée à un certain type d'infractions, souvent à caractère sexuel ou pédocriminel.

Pendant la période de condamnation, il peut être fait le choix de la DDSE autonome ou DDSE peine, nouveauté de la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019, qui ne correspond pas à un aménagement de peine puisqu'elle est déconnectée de l'incarcération. La personne n'étant pas écrouée, elle ne peut bénéficier du système de crédit de réduction de peine ni de permis de sortir, etc.

Il existe en fait deux types d'aménagement : la DDSE aménagement de peine ou peine aménagée ab initio ; le placement sous surveillance électronique mobile – PSEM –, système de géolocalisation intervenant après la détention, qui constitue une mesure de sûreté donnée pour le temps des crédits de réduction de peine octroyés lors de la détention afin de prévenir le risque de récidive, prononcé pour des personnes dont le niveau de dangerosité est élevé.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Nous pourrions encore étoffer largement cette réponse car, comme je vous l'ai dit précédemment, le système est devenu complètement illisible pour tous. Cela pose problème quant à la signification de la peine. Nos concitoyens ignorent que le fait de porter un bracelet électronique est compatible avec la possibilité de quitter son domicile le matin pour aller travailler et de rentrer chez soi le soir, sur des créneaux parfois extrêmement larges. Ils ignorent également tout du suivi de la personne par les SPIP.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Existe-t-il des passerelles entre la direction pénitentiaire et la direction d'insertion et de probation ?

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

On recense des passerelles à partir du corps des DSP – directeurs des services pénitentiaires – à peu près partout : vers la magistrature, la police, l'hôpital, etc. Les possibilités sont larges et c'est d'ailleurs tout le problème dans la mesure où elles encouragent le départ de nombreux collègues, et où les investissements en termes de formation et d'acclimatation à la pénitentiaire sont perdus. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre l'enrichissement de la carrière du cadre et la nécessité de ne pas vider les administrations des personnels dans lesquels elles ont investi.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

On peut devenir DSP en sortant de la faculté de droit ou de l'ENAP. On peut également prétendre à un emploi fonctionnel à la direction du département d'un SPIP plus rapidement si l'on est DSP que si l'on est DPIP. La durée de passage d'échelon et la durée de carrière ne sont pas les mêmes. Les conditions statutaires d'accès aux emplois fonctionnels sont plus restrictives que pour les DSP. La logique de filière est donc à développer, tout comme la question de l'expertise sur l'insertion et la probation, qui encourage les DPIP à quitter leur corps en raison de l'insuffisance de perspectives satisfaisantes.

La question des passerelles entre en lien avec celle de la grille indiciaire et des possibilités qui lui sont alignées dans l'ensemble de la fonction publique. Il s'agit donc d'un cercle vicieux. Si un DPIP aspire à devenir DSP, il est contraint de repasser par une sélection et par une formation à l'ENAP. Nous regrettons donc l'absence de passerelle ainsi que l'impossibilité de prétendre à un niveau similaire à celui des DSP.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

Votre question correspond à l'un des chevaux de bataille du SNDP : nous défendons depuis plusieurs années la création d'un corps commun de directeurs pénitentiaires qui réunirait les DPIP et les DSP.

La première raison est une raison de fond. Nous pensons que, depuis plusieurs années, nos métiers évoluent, et ce d'autant plus pour les DPIP. Notre public est le même que nous soyons DSP ou DPIP. Du point de vue de la culture professionnelle, nous pouvons nous apporter beaucoup mutuellement.

De façon plus personnelle, pour les agents eux-mêmes, cette fusion devrait se faire par le haut, permettant au moins d'améliorer le statut aujourd'hui tout simplement indécent des DPIP, tout en permettant de continuer à faire évoluer favorablement celui des DSP. Un corps constitué de personnels plus nombreux est également un corps mieux représenté et plus fort. Cela permettrait en outre la diversification et l'enrichissement de nos carrières, de même qu'un certain adoucissement de nos contraintes via une certaine absorption de la mobilité obligatoire.

Cette proposition de fusion avait d'ailleurs été reprise par le rapport Thiriez sur la réforme de la haute fonction publique l'année dernière. Je déplore que cette préconisation ait été balayée d'un revers de main par notre ministère sans aucune explication alors même que la ministre précédente s'était engagée à travailler dans ce sens.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Cette proposition ne fait pas consensus dans la profession. L'intérêt ultime est bien une évolution des deux corps au vu de leurs responsabilités.

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

L'objectif de mon intervention n'est absolument pas de m'opposer aux évolutions catégorielles des autres filières, bien au contraire. Toutefois, le rapport Thiriez incluait au départ les deux corps, laissant finalement de côté les DPIP. L'objectif de ce rapport était de constituer le socle de la réforme de la haute fonction publique. Ses deux premières versions ont été rejetées par Bercy, qui a opéré des choix stratégiques.

Il existe des catégories C, B et désormais A dans la filière surveillance. Ces derniers sont les chefs de service pénitentiaire. Au-dessus dans la hiérarchie se situent les DSP, de catégorie A+. L'organisation de la hiérarchie est différente dans le corps des CPIP, qui se situe dans la catégorie A dite « sociale », c'est-à-dire dépourvue de toute fonction managériale. Ce statut est obtenu sur la base de compétences très particulières en matière d'insertion et de probation.

Permalien
Célia Pouget, membre de la commission administrative paritaire, élue SNP PD FO

J'aimerais soumettre la problématique de la psychiatrie dans les prisons. C'est un sujet très compliqué à la fois dans les maisons d'arrêt et dans les établissements pour peine. Depuis des décennies, le nombre de places en psychiatrie n'a de cesse de chuter. Certains publics souffrent de troubles graves. On aboutit même à des situations paradoxales, où les personnes commettent des faits pendant leur incarcération, produisant des irresponsabilités pénales, des périodes d'hospitalisation sous contrainte et de suspension de peine, mais, in fine, ces personnes poursuivent leur peine. Nous disposons de moyens hospitaliers et en ressources humaines très faibles, complexifiant ainsi la gestion de la question psychiatrique, avec des impacts graves, certaines personnes incarcérées n'ayant pas du tout leur place dans un établissement pénitentiaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce sujet revient effectivement dans toutes les auditions. Le directeur de l'administration pénitentiaire nous indiquait que 30 % des personnes incarcérées présentaient des troubles psychiques. Étant donné que l'on déplore déjà une insuffisance du nombre de psychiatres en ville, la pénurie est d'autant plus flagrante dans les établissements pénitentiaires. Nous ferons ultérieurement le point sur ce sujet au cours de notre commission d'enquête.

Permalien
Alexandre Bouquet, secrétaire national du SNDP CFDT

L'un des items de la commission d'enquête concerne la mesure de l'incapacité grandissante à garantir l'accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie. Il me semble que l'expression « incapacité grandissante » est un peu sévère, car de nombreux dispositifs existent, et les partenaires de l'administration pénitentiaire sont historiquement très nombreux, et le sont de plus en plus, dans le cadre de conventions nationales. Les déclinaisons locales sont certes parfois compliquées, peuvent tenir aux personnes, à l'intervention des conseillers Pôle emploi, des personnels des MDPH – maisons départementales des personnes handicapées –, des missions locales, des CPAM – caisses primaires d'assurance maladie – ou encore des représentants des bailleurs sociaux, aléatoires selon les endroits.

Nous connaissons également une difficulté chronique majeure avec les délivrances des cartes d'identité, en lien avec des problèmes variés : photos, timbres fiscaux, identification de l'institution compétente – préfecture ou municipalité –, recueil des empreintes, volonté d'agents de la préfecture d'être accompagnés dans le parloir par le personnel. Une impulsion nationale aux niveaux administratif et législatif serait utile.

Le sujet de l'accès à internet me paraît encore plus important et plus préoccupant. Il semble illusoire de prétendre pouvoir offrir un accès au droit en dehors d'un accès à internet. Pour n'importe quel citoyen, il est désormais impossible de prendre un rendez-vous avec la Caisse d'allocations familiales, d'échanger avec un bailleur social, d'ouvrir un dossier MDPH, entre autres, sans passer par des applications spécifiques comme FranceConnect. La difficulté est d'ordre réglementaire : même assisté d'un personnel pénitentiaire, le détenu ne dispose d'aucun droit d'accès à internet. C'est d'autant plus problématique qu'avec le temps, l'ensemble de ces administrations et services publics se bureaucratisent et deviennent injoignables par téléphone. La CAF exige par exemple que les détenus appellent pour l'ouverture de leurs droits, ce qui est impossible. Il me semble que ce sujet crucial n'est pas à la main du législateur, mais à celle du pouvoir réglementaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous pouvons intégrer ces deux sujets dans notre commission d'enquête et influer sur les pouvoirs publics.

Permalien
Laura Soudre, secrétaire générale de l'Union nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC)

Les établissements pénitentiaires disposent d'un conseil d'évaluation en lien avec les préfectures : ils y présentent leur activité chaque année. Il est regrettable qu'il n'existe pas d'équivalent au niveau départemental, sachant que le niveau de compétences des SPIP est justement départemental, et que ces dernières doivent faire valoir la politique qu'elles mettent en œuvre en termes de missions de prévention de la récidive, en lien avec les établissements comme avec le milieu ouvert, c'est-à-dire les autorités judiciaires et les différents partenaires du droit commun.

Permalien
Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO)

Lorsqu'on lance un programme immobilier pénitentiaire, on a l'impression que l'on se satisfait d'affirmer qu'il faut plus de places de prison. On est rarement informé des politiques pénitentiaires que ces constructions vont servir. Pour faire le lien avec la psychiatrie, concrètement, sur le plan pénitentiaire, deux options sont possibles : la construction dans les hôpitaux d'unités hospitalières spécialement aménagées – UHSA – ou les structures expérimentales comme celle de Château-Thierry, qui gagneraient à être largement développées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La visite de l'établissement pénitentiaire de Château-Thierry est prévue au programme de la commission d'enquête.

Permalien
Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT)

La psychiatrie se situe en amont et en aval. Si le système de psychiatrie était plus développé en ville, un certain nombre d'incarcérations n'auraient simplement pas lieu, car la justice estimerait qu'elles seraient mieux gérées en psychiatrie qu'en prison. Mais dans les faits, la prison reste le seul endroit où l'on peut placer ces personnes.

Permalien
Alexandre Bouquet, secrétaire national du SNDP CFDT

Je pense qu'il ne faudrait pas davantage de structures comme celles de Château-Thierry, mais plutôt davantage de déclarations d'irresponsabilité pénale au regard de l'état de santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à toutes et à tous. Si vous disposez de documents annexes détaillés, n'hésitez pas à nous les transmettre.

La réunion se termine à seize heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, Mme Maud Gatel, M. Jacques Krabal, Mme Michèle Tabarot

Excusé. - M. Alain David