Intervention de Andrée Taurinya

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndrée Taurinya :

Le 9 juillet dernier, Gérald Darmanin annonçait vouloir rendre possible l'expulsion de « tout étranger ayant commis des actes graves ». Mécontent de voir le ministre traître le doubler par sa droite, le député Ciotti en profite pour déposer le 20 septembre une proposition de loi visant à faciliter l'expulsion des étrangers causant des troubles à l'ordre public. Ce texte ressemble à s'y méprendre à celui que nous examinons aujourd'hui. Notre droite républicaine suit le mouvement de l'exécutif en se mettant à la remorque de l'extrême droite. À la fin, nous savons tous qui sortira renforcé de ces opérations de communication politique.

Contrairement à ce que semble croire le rapporteur, faciliter l'expulsion des étrangers n'aura aucun effet sur le taux d'exécution des OQTF, taux sur lequel une bonne partie de l'hémicycle fantasme. Celui-ci est bas car la France émet un nombre déraisonnable de mesures d'éloignement par rapport à ses voisins européens : leur nombre est passé de 60 000 en 2011 à près de 122 000 en 2021.

Et, pourtant, notre pays n'a pas été submergé par une vague migratoire. Les régions d'Europe qui ont connu les plus fortes hausses relatives de populations immigrées depuis l'an 2000 sont l'Europe du Sud – + 181 % –, les pays nordiques – + 121 % –, le Royaume-Uni et l'Irlande – + 100 % –, l'Allemagne et l'Autriche – + 75 %. Dans ce tableau européen, la France occupe une position très inférieure à la moyenne – + 36 % d'immigrés en l'espace de vingt ans.

Le rapporteur s'étonne qu'un quart des personnes détenues en France soient étrangères. Je l'invite à lire un peu de sociologie de la délinquance afin qu'il comprenne les causes de cette surreprésentation : la déviance est traditionnellement le fait d'hommes jeunes et célibataires, profil majoritaire au sein de la population immigrée ; la sélectivité pénale que l'on observe dans les statistiques cible les plus pauvres en les définissant comme population punissable, les populations immigrées étant les plus précarisées.

Sans grande surprise, je n'ai rien lu dans le texte sur les individus soupçonnés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI), ni sur les dirigeants d'entreprises étrangères coupables de fraude fiscale contre notre pays ou les titulaires de visas dorés. En revanche, le texte propose sans complexe d'expulser un travailleur immigré devenu invalide à la suite d'un accident du travail sur notre sol.

L'enceinte du Palais-Bourbon a été souillée par le racisme il y a deux semaines déjà. Excepté le Rassemblement national, tous les groupes politiques ont fait front à cette occasion, même celui des Républicains. Et voilà que l'on propose un texte qui, dans son exposé des motifs, prête aux personnes étrangères issues de l'immigration africaine le gène de la délinquance.

Une odeur nauséabonde se dégage de ce texte. Mais laquelle ? Celle du congrès des Républicains ! Nous devenons les instruments de politiciens peu scrupuleux qui profitent du règlement de l'Assemblée nationale à une seule fin : résoudre une lutte des places pour la présidence d'un parti, un parti incapable de se situer dans l'opposition parlementaire quand la responsabilité du Gouvernement est mise en cause, soit dit en passant. Qui saura le mieux surenchérir sur le dos des étrangers ? Qui, de M. Ciotti ou M. Retailleau, sortira vainqueur de cette mascarade ? Permettez-moi de dire que la représentation nationale s'en contrefiche. S'il vous fallait une seule raison pour voter contre ce texte, je viens de vous la donner.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion