Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission examine la proposition de loi visant à assouplir les conditions d'expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public (n° 354) (M. Mansour Kamardine, rapporteur).

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La proposition de loi a été déposée par notre collègue Olivier Marleix et plus de soixante cosignataires. Elle vise à élargir les catégories d'étrangers pouvant faire l'objet d'une expulsion pour menace grave à l'ordre public.

En amont de ma prise de parole, je tiens à remercier les services du ministère de l'intérieur, les préfets, l'ambassadeur de France aux Comores, la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour leur participation précieuse à mes travaux, malgré un calendrier très contraint. Il m'a également semblé utile d'entendre des associations. Je regrette qu'elles n'aient pas souhaité donner suite à mon invitation.

Quelques mots, en premier lieu, sur le lien statistique entre la présence d'étrangers sur notre sol et l'insécurité. Je sais le caractère éruptif de ce sujet, mais je suis convaincu qu'il nous appartient d'en prendre la juste mesure pour légiférer efficacement. Pour rappel, la population étrangère représente environ 7,7 % de la population totale vivant en France, mais 27 % des mis en cause en matière d'atteinte à la personne et aux biens, 56 % des mis en cause impliqués dans les vols ou violences dans les transports en commun en 2021 – 70 % en Île-de-France –, 16 % des personnes condamnées, 25 % des personnes détenues sur l'ensemble du territoire – 37 % en Île-de-France et 52 % à Mayotte, l'actualité récente nous le rappelle.

La proportion des étrangers parmi les mis en cause et les détenus a augmenté au cours des dernières années. À gauche, ce lien statistique est nié ou atténué ; à droite, il est fantasmé, amplifié. Notre proposition de loi vise à apporter une première réponse à cet état de fait. Sans rien céder de la tradition d'accueil qui honore notre pays, elle vise à renforcer le dispositif d'expulsion pour menace grave à l'ordre public, en donnant davantage de marges de manœuvre à l'autorité administrative.

L'expulsion est une décision administrative qui peut être prise par le représentant de l'État ou par le ministre de l'intérieur à l'encontre d'un étranger qui représente une menace grave pour l'ordre public. Les étrangers en situation irrégulière comme régulière peuvent faire l'objet d'une telle décision. Si une décision d'expulsion est prise, l'étranger est renvoyé, si nécessaire par la contrainte, hors de France.

Les mesures d'expulsion sont entourées de certaines obligations procédurales qui reconnaissent à l'étranger des garanties substantielles en matière de transmission d'informations et de respect du contradictoire avec l'autorité administrative.

Les articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), que la proposition de loi suggère de faire évoluer, mettent en place un système de protection pour certains étrangers, en fonction de leur situation familiale, de la durée de leur séjour ou de leur état de santé. Seul le ministre de l'intérieur, et non les préfets, peut décider d'une expulsion entrant dans ce cadre. Pour ces étrangers protégés, le niveau de menace permettant de décider de leur expulsion doit être supérieur à celui de la « menace grave pour l'ordre public ». Pour les catégories d'étrangers mentionnés à l'article L. 631-2, la décision d'expulsion doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ». Pour les catégories d'étrangers mentionnés à l'article L. 631-3, la décision ne peut être prise qu'en cas de « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

La proposition de loi met fin à l'ensemble de ces protections, à l'exception de trois d'entre elles : pour l'étranger père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, sous certaines conditions, en application de l'article L. 631-2 ; pour l'étranger qui justifie résider habituellement en France depuis qu'il a atteint l'âge de 13 ans au plus ; pour celui résidant habituellement en France si son état de santé le justifie, en application de l'article L. 631-3.

Pour les autres catégories, la conviction sous-jacente est la suivante : même lorsqu'un étranger dispose de fortes attaches avec la France et qu'il y séjourne depuis un nombre significatif d'années, il doit rester respectueux de l'ordre public s'il souhaite se maintenir sur notre territoire. Les étrangers protégés ont ainsi vocation à basculer dans le régime de droit commun de l'expulsion, celui pour lequel la caractérisation d'une menace grave pour l'ordre public est suffisante.

Je vous donne deux exemples de cas jurisprudentiels de menace grave pour l'ordre public : un étranger ayant fait l'objet d'une peine d'emprisonnement de huit ans pour viol sur une personne vulnérable et présentant un risque sérieux de récidive ; un étranger condamné à trente ans de réclusion criminelle pour l'assassinat de son épouse. La menace grave pour l'ordre public, qui n'est définie par aucun texte et est appréciée indépendamment de l'existence d'une condamnation pénale, ne repose ainsi pas sur des comportements illégaux mineurs, mais suppose un certain seuil de gravité.

Les régimes de protection mis en place par les articles L. 631-2 et L. 631-3 du Ceseda amputent de façon excessive les marges de manœuvre de l'autorité administrative. Cette analyse m'a été confirmée par les préfets et les services du ministère de l'intérieur à l'occasion des auditions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 2016 et 2021, entre 200 et 344 décisions d'expulsion ont été prises chaque année en application des articles L. 631-1 et suivants du Ceseda. En 1996, ce chiffre s'élevait à 1 166.

Parmi ces décisions, en 2021, seulement 33 ont été prises sur le fondement des régimes dérogatoires des articles L. 631-2 et L. 631-3. Le niveau de menace à l'ordre public à caractériser est tellement élevé et spécifique qu'il rend dans la pratique quasiment impossible toute expulsion pour ces catégories d'étrangers protégés.

J'ai conscience que ce seul dispositif ne permettra pas de régler la totalité des difficultés. Perdureront de nombreux obstacles à l'exécution des décisions d'expulsion. Cependant, j'ai acquis la conviction que notre proposition de loi fait un pas en avant significatif en déverrouillant le dispositif de l'expulsion pour menace grave à l'ordre public. Je proposerai par ailleurs plusieurs amendements pour assouplir plus encore ce régime.

Je sais les tensions et clivages que suscite le thème de cette proposition de loi et je formule le vœu que nous parviendrons à un débat raisonné et constructif.

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En l'état de notre droit, la mesure d'expulsion permet, par opposition à l'obligation de quitter le territoire français (OQTF), d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, même lorsqu'il se trouve en situation régulière. Le retrait préalable du titre de séjour n'est donc pas nécessaire.

Toutefois, des réserves de niveau légal, qui ne découlent ni d'obligations constitutionnelles ni d'exigences conventionnelles, bénéficient notamment à l'étranger entré en France avant l'âge de 13 ans, à l'étranger résidant en France depuis plus de dix ans ou encore à l'étranger marié à un conjoint français depuis plus de trois ans.

En l'espèce, il s'agit de supprimer la plupart de ces protections contre les décisions d'expulsion, notamment pour les étrangers mariés avec un conjoint français depuis plus de trois ans, les étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de dix ans, ou encore les titulaires d'une rente d'accident du travail ou d'invalidité de plus de 20 %. Cette proposition ne remet toutefois pas en cause la protection des mineurs de moins de 18 ans, ni celle des étrangers arrivés en France avant l'âge de 13 ans.

Nous vous rejoignons sur le fait que les dispositions en vigueur ne sont pas toujours opérantes. Un trou dans la raquette organise ainsi le phénomène des « ni-ni », ces étrangers qui ne sont ni expulsables, ni régularisables. Ils ne sont pas expulsables car ils sont entrés en France avant l'âge de 13 ans, y résident depuis plus de dix ans ou sont mariés à un conjoint français depuis plus de trois ans. Des verrous législatifs, qu'on désigne par le terme de réserves, font obstacle à leur expulsion. Ils ne sont pourtant pas non plus régularisables car ils poussent l'incivilité jusqu'à la délinquance, ce qui interdit la délivrance d'un titre de séjour.

Mais il ne nous apparaît pas de bonne méthode de supprimer sèchement les réserves d'ordre public les unes après les autres. Nous n'apporterons donc pas notre soutien à ce texte, et rejetterons les amendements qui s'y greffent opportunément.

Toutefois, compte tenu des futurs travaux de notre assemblée sur la question et de l'état perfectible de notre droit, nous étudierons avec vous, si vous en êtes d'accord, l'opportunité d'une réécriture du texte en vue de la séance, dans le sens d'un assouplissement plus proportionné de ces réserves législatives d'ordre public, qui pourraient être subordonnées à des quanta de peine sous le contrôle du juge et sans remise en cause du droit à la vie privée et familiale. Nous poursuivons notre réflexion, notamment dans le cadre d'un groupe de travail interne. Nous vous demandons par ailleurs, au vu de l'importance du sujet, si vous pourriez demander son avis sur cette proposition de loi au Conseil d'État afin d'éclairer nos échanges et nos travaux. En tout état de cause, la protection des mineurs contre l'éloignement ne doit pas être remise en cause.

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Il s'agit d'un sujet épineux qu'il faut dépassionner, mais analyser concrètement car, oui, il y a un lien entre immigration et insécurité. Alors qu'ils représentent 7,4 % de la population en France, les étrangers sont à l'origine de 19 % des actes de délinquance. À Paris, ce chiffre monte à 48 %, et jusqu'à 70 % pour les vols avec violences. Dans les prisons françaises, un détenu sur quatre est un étranger. Après des années de déni, le ministre de l'intérieur lui-même affirme qu'il y a un problème de délinquance étrangère en France, paradoxalement relayé par le Président de la République, recordman de l'immigration légale et illégale.

L'expulsion des délinquants et criminels étrangers, de tous ceux qui représentent une menace est une urgence.

Je ne vais pas multiplier les exemples – on peut les lire régulièrement dans la presse quotidienne régionale – mais nombreux sont les étrangers qui ont violé, qui agressent ou menacent et qui, pourtant, vivent toujours sur notre territoire. Le droit protège bien plus les étrangers qui ont commis des crimes et délits que les victimes.

Pire encore, lorsque l'expulsion est prononcée, après d'innombrables recours, l'OQTF n'est que rarement appliquée. Pendant ce temps, les faits divers sordides et insupportables se multiplient et les citoyens français sont contraints de les subir, tout comme les étrangers vivant régulièrement en France dans le respect de nos lois.

Ce n'est pourtant pas compliqué à comprendre : un étranger en France est par définition un invité. S'il se comporte mal, il doit partir ! Or force est de constater que le droit rend ce principe simple – de bon sens – difficile voire impossible à appliquer. Tout le monde l'a bien compris, même les délinquants et criminels étrangers.

Il faut que cela change ! Il faut fermer le robinet migratoire et expulser systématiquement tout étranger qui contrevient aux lois françaises. Marine Le Pen a notamment proposé de faire inscrire dans la Constitution par voie référendaire le principe selon lequel nul étranger n'a le droit de se maintenir en France ou d'y revenir s'il a commis des actes illégaux ou contraires aux intérêts nationaux. Au regard des mesures nécessaires, le texte qui nous est proposé est insuffisant. Mais c'est un petit pas, dans la bonne direction, celle du retour à l'ordre républicain et d'une nécessaire fermeté de l'État.

À défaut de revoir notre politique migratoire de fond en comble – il faudra le faire tôt ou tard –, nous vous proposons de voter les amendements que nous allons vous soumettre, qui corrigent et complètent la proposition de loi. Limiter drastiquement l'immigration, mettre fin à la logique de l'excuse, cesser la repentance stérilisatrice : voilà la seule piste possible. En attendant de l'emprunter, ce texte va dans la bonne direction. Nous y sommes favorables.

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Votre proposition de loi traite d'un sujet primordial. Un débat, attendu, aura lieu à l'Assemblée nationale le 6 décembre prochain : la politique d'asile et d'immigration de la France est un sujet beaucoup trop important pour être abordé sans recul ou en réaction à des événements d'actualité.

En outre, notamment grâce au travail mené par Marielle de Sarnez, alors présidente de la commission des affaires étrangères, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a permis des avancées considérables : accélération du traitement des demandes d'asile, rééquilibrage de la prise en charge des demandeurs d'asile sur le territoire, nouveaux instruments administratifs pour une meilleure exécution des mesures d'éloignement prononcées par les préfets.

Quatre ans après l'adoption de cette loi, il est nécessaire de lancer un acte II de la politique d'immigration de la France. C'est tout le sens de la réflexion amorcée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, conjointement avec le ministre du travail, du plein-emploi et de l'insertion.

Votre proposition de loi participe à cette réflexion, mais elle est trop précoce pour être adoptée en l'état. Elle réécrit deux articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de supprimer les protections contre les décisions d'expulsion pour les étrangers mariés avec un conjoint français depuis plus de trois ans, les étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de dix ans et les titulaires d'une rente d'accident du travail ou d'invalidité de plus de 20 %. Mais la proposition de loi ne remet pas en cause la protection des mineurs de moins de 18 ans, ni celle des étrangers arrivés en France avant l'âge de 13 ans.

La majorité souhaite, elle aussi, améliorer l'efficacité de la chaîne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière qui causent des troubles à l'ordre public. Mais le groupe Démocrate émet des réserves sur certaines dispositions de votre proposition de loi : la suppression de la protection de certaines catégories de personnes présente des risques juridiques vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit d'expulser un étranger quand cette mesure a pour effet de porter une atteinte excessive au respect de la vie privée et familiale.

En outre, votre proposition de loi risque d'engendrer des difficultés procédurales : les personnes seront difficilement expulsables, mais ne pourront pas non plus bénéficier d'un titre de séjour, compte tenu de leurs actes de délinquance.

Enfin, vous entendez supprimer la protection concernant les étrangers titulaires d'une rente d'accident du travail. Cette disposition va à l'encontre de l'esprit du projet de loi que nous examinerons prochainement, qui prévoit la création d'un titre de séjour pour les métiers en tension. Dans ces métiers, des accidents du travail peuvent survenir, et la mesure que vous proposez constituerait une double peine pour les titulaires de tels titres.

Le sujet mérite une réflexion globale et un travail législatif de fond, loin de la précipitation et des polémiques. Cette semaine, le ministère de l'intérieur et des outre-mer a entamé des consultations en vue de l'examen d'un projet de loi. Nous débattrons donc de ces sujets très bientôt au Parlement. C'est pourquoi les députés du groupe Démocrate voteront contre votre texte.

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Le 9 juillet dernier, Gérald Darmanin annonçait vouloir rendre possible l'expulsion de « tout étranger ayant commis des actes graves ». Mécontent de voir le ministre traître le doubler par sa droite, le député Ciotti en profite pour déposer le 20 septembre une proposition de loi visant à faciliter l'expulsion des étrangers causant des troubles à l'ordre public. Ce texte ressemble à s'y méprendre à celui que nous examinons aujourd'hui. Notre droite républicaine suit le mouvement de l'exécutif en se mettant à la remorque de l'extrême droite. À la fin, nous savons tous qui sortira renforcé de ces opérations de communication politique.

Contrairement à ce que semble croire le rapporteur, faciliter l'expulsion des étrangers n'aura aucun effet sur le taux d'exécution des OQTF, taux sur lequel une bonne partie de l'hémicycle fantasme. Celui-ci est bas car la France émet un nombre déraisonnable de mesures d'éloignement par rapport à ses voisins européens : leur nombre est passé de 60 000 en 2011 à près de 122 000 en 2021.

Et, pourtant, notre pays n'a pas été submergé par une vague migratoire. Les régions d'Europe qui ont connu les plus fortes hausses relatives de populations immigrées depuis l'an 2000 sont l'Europe du Sud – + 181 % –, les pays nordiques – + 121 % –, le Royaume-Uni et l'Irlande – + 100 % –, l'Allemagne et l'Autriche – + 75 %. Dans ce tableau européen, la France occupe une position très inférieure à la moyenne – + 36 % d'immigrés en l'espace de vingt ans.

Le rapporteur s'étonne qu'un quart des personnes détenues en France soient étrangères. Je l'invite à lire un peu de sociologie de la délinquance afin qu'il comprenne les causes de cette surreprésentation : la déviance est traditionnellement le fait d'hommes jeunes et célibataires, profil majoritaire au sein de la population immigrée ; la sélectivité pénale que l'on observe dans les statistiques cible les plus pauvres en les définissant comme population punissable, les populations immigrées étant les plus précarisées.

Sans grande surprise, je n'ai rien lu dans le texte sur les individus soupçonnés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI), ni sur les dirigeants d'entreprises étrangères coupables de fraude fiscale contre notre pays ou les titulaires de visas dorés. En revanche, le texte propose sans complexe d'expulser un travailleur immigré devenu invalide à la suite d'un accident du travail sur notre sol.

L'enceinte du Palais-Bourbon a été souillée par le racisme il y a deux semaines déjà. Excepté le Rassemblement national, tous les groupes politiques ont fait front à cette occasion, même celui des Républicains. Et voilà que l'on propose un texte qui, dans son exposé des motifs, prête aux personnes étrangères issues de l'immigration africaine le gène de la délinquance.

Une odeur nauséabonde se dégage de ce texte. Mais laquelle ? Celle du congrès des Républicains ! Nous devenons les instruments de politiciens peu scrupuleux qui profitent du règlement de l'Assemblée nationale à une seule fin : résoudre une lutte des places pour la présidence d'un parti, un parti incapable de se situer dans l'opposition parlementaire quand la responsabilité du Gouvernement est mise en cause, soit dit en passant. Qui saura le mieux surenchérir sur le dos des étrangers ? Qui, de M. Ciotti ou M. Retailleau, sortira vainqueur de cette mascarade ? Permettez-moi de dire que la représentation nationale s'en contrefiche. S'il vous fallait une seule raison pour voter contre ce texte, je viens de vous la donner.

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Il ne s'agit pas de remettre en cause les fondements de notre pays, terre d'accueil historique, mais bien de rappeler que, si la France est une chance, elle doit se mériter. Non, ce n'est pas un réquisitoire à charge contre les étrangers, mais un mémoire en défense pour protéger les Français, car nous leur devons la sécurité.

Nous devons oser dire qu'un étranger ne peut demeurer sur notre territoire s'il agresse, s'il tue et fait l'objet d'une décision d'éloignement. Cette règle simple doit redevenir un principe cardinal. Il y va de la réussite de notre politique migratoire et sécuritaire, mais surtout de la sécurité et de la crédibilité de la France. Notre pays rajoute des barrières aux expulsions des étrangers ; pire, il ne respecte même plus son propre droit quand il ne fait pas appliquer la loi, malgré des décisions de justice.

D'après les derniers chiffres du ministère de l'intérieur, la France prononce plus de 100 000 OQTF par an, mais seulement 5 % de ces décisions sont exécutées. Les chiffres sont implacables, autant que dangereux… Hier encore, dans mon département, les Alpes-Maritimes, un étranger connu des services de police a tailladé le visage d'un étudiant de 18 ans pour lui arracher son collier, alors qu'il faisait l'objet d'une OQTF depuis le mois d'août. S'il avait été expulsé, cela ne serait jamais arrivé. Faut-il rappeler Lola, Laura et Mauranne à Marseille, le père Olivier Maire en Vendée ? Tous seraient encore là si les expulsions avaient été exécutées.

Mes chers collègues, la non-exécution des OQTF est un scandale qui tue. Combien de Français doivent encore perdre la vie pour que nous réagissions ? Ce sont 40 % des personnes inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions terroristes (Fijait) qui sont de nationalité étrangère et pas moins de 779 000 personnes faisant l'objet d'une OQTF seraient toujours présentes en France. Pourtant, on continue de multiplier les protections pour éviter l'éloignement des étrangers « protégés ». Il faut mettre fin à cette folie, car c'est une véritable bombe à retardement. C'est pourquoi je vous invite à voter ce texte courageux, défendu par les Républicains et notre président de groupe, Olivier Marleix, qui vous propose d'assouplir les conditions d'expulsion des étrangers constituant une menace grave pour notre pays et nos concitoyens.

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Votre proposition de loi, chacun en conviendra, est l'illustration d'une dérive. Ainsi, vous reprenez une marotte servie bien souvent par l'extrême droite, certains étrangers n'étant pas aussi facilement expulsables que vous le souhaiteriez. Et au passage, vous n'oubliez pas de confondre dans l'exposé des motifs mesures d'expulsion, qui concernent les étrangers en situation régulière, et mesures d'éloignement, qui permettent la reconduite à la frontière des étrangers irréguliers.

Même si c'est peine perdue, je voudrais vous rappeler que notre législation s'inscrit dans un cadre : je pense notamment à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à la Constitution, bien sûr, et aux conventions internationales qui ne semblent guère vous embarrasser, puisque vous n'en faites même pas mention. L'article 8 de la Convention européenne garantit « à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale », qu'elle soit française ou étrangère. Le respect de la vie privée et familiale ne fait pas obstacle à la justice et à la sanction. La France a été condamnée plusieurs fois sur le fondement de l'article 8 dans le cadre de mesures d'expulsion prises à l'encontre d'étrangers condamnés, la Cour relevant des atteintes disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi. Aussi, loin de se montrer laxiste en la matière, notre pays sait-il parfois faire preuve d'un zèle incontestable.

Je pourrais également arguer qu'en l'état du droit, la loi rend possible des expulsions si un juge constate la « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ». Ces expulsions sont également possibles pour ceux qui ont été condamnés définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. Votre exposé des motifs est d'ailleurs assez contradictoire, puisque, d'un côté, vous reconnaissez que le juge peut expulser, et quelques alinéas plus loin, vous indiquez que les étrangers « ne peuvent pas être expulsés même s'ils présentent une menace pour la sécurité publique ».

Je pourrais développer plus avant la liste des arguments, mais je doute que ce soit utile, tant votre proposition de loi s'appuie sur des émotions, des faits divers et des flambées médiatiques, qui ne sont jamais bonnes conseillères lorsqu'il s'agit de légiférer sur un sujet sensible, à moins d'assumer pleinement une inspiration populiste.

Enfin, même si vous vous en défendez, votre texte alimente la défiance, pour ne pas dire la méfiance, de l'étranger, et ne pourra pas être lu autrement par celui qui verse déjà dans cette conviction. Personne n'est dupe du lien que vous cherchez à établir entre les étrangers et la criminalité, et le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas lésiné sur les sous-entendus dans l'exposé des motifs. Vous avez notamment largement instrumentalisé des chiffres du ministère de l'intérieur auxquels on peut faire dire beaucoup de choses, car ils sont très pratiques pour construire des raisonnements politiques parfaitement fallacieux. Par exemple, saviez-vous que 52 % des condamnés détenus ont entre 20 et 35 ans ? De quoi déposer des propositions de loi sur la jeunesse délinquante. Saviez-vous que 97 % des condamnés détenus sont des hommes ? De quoi inspirer des propositions de loi qui instaureraient des peines plus fortes pour les hommes que pour les femmes puisqu'à l'évidence, les hommes sont génétiquement délinquants ou criminels.

À la lecture de votre proposition de loi, j'ai tout simplement le sentiment que vous avez égaré votre boussole. À telle enseigne que vous en venez à remettre en question un aménagement réalisé par Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'intérieur. Et, si Nicolas Sarkozy s'est illustré dans bien des domaines, je ne crois pas qu'il l'ait fait par son laxisme à l'égard des étrangers. Évidemment, nous voterons contre ce texte.

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La proposition de loi que nous étudions vise à assouplir les conditions d'expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public. Les décisions qui en découleront doivent être décisives pour l'avenir de notre pays, pour l'évolution du droit, pour la perception de l'état de droit dans l'opinion publique, pour nos concitoyens.

Au nom du groupe Horizons et apparentés, je défendrai la fermeté. La France ne peut continuer de protéger les étrangers qui contreviennent à nos valeurs en perturbant l'ordre public et en menaçant la sécurité. Compte tenu des bouleversements géopolitiques, climatiques et sociétaux, en matière d'immigration, le plus dur est probablement à venir.

Nous serons au rendez-vous des travaux préparatoires à l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, qui cherche un point d'équilibre entre humanité et fermeté.

La fermeté ne peut être dissociée de la précision juridique et du respect de nos engagements constitutionnels et européens. La législation relative à l'expulsion des étrangers trouve son point d'équilibre entre l'absolue nécessité de maintenir l'ordre public sur le territoire et le droit à la vie privée et familiale. C'est le fondement même des protections que vous souhaitez supprimer, alors qu'elles sont indispensables et ne s'appliquent pas dès lors que l'expulsion de l'étranger constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ou en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes.

Bien sûr, la loi doit être précisée, et adaptée aux enjeux actuels et à venir, afin de s'assurer que toute personne qui enfreint les règles élémentaires de notre contrat social peut être expulsée. S'il est urgent d'agir, il est aussi nécessaire de construire un projet cohérent qui respecte nos valeurs et nos engagements. Nous sommes prêts à participer à une réécriture du texte car, en l'état, votre proposition supprime la majeure partie des protections accordées aux étrangers. Nous voterons donc contre.

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Monsieur le rapporteur, de quoi parlez-vous en réalité ? Existe-t-il un vide juridique interdisant les expulsions ? Non. Les chiffres dont vous faites état ne veulent rien dire – comme souvent d'ailleurs – s'ils ne sont pas comparés à d'autres, relatifs par exemple à la ségrégation urbaine, à la concentration de difficultés dans certains territoires, au taux de pauvreté, etc. Le Parlement mérite mieux que des approximations et des slogans un peu creux. Y a-t-il une explosion de la délinquance dans notre pays ? Non. Toutes les statistiques officielles – pas celles de la NUPES – soulignent que la délinquance est globalement stable depuis quinze ans.

La « submersion migratoire » dont font état une célèbre collègue du Rassemblement national, la droite et parfois même la majorité est-elle une réalité ? Non. La proportion d'étrangers vivant dans notre pays a-t-elle augmenté ? Non, on est toujours sous les 10 % depuis les années soixante.

À quoi sert un texte de loi qui ne vient répondre à rien ? Nous ne sommes pas dans l'un des congrès de nos partis politiques. J'ai de l'affection pour les congrès – j'ai milité quelques années au parti socialiste. Mais nous ne sommes pas là pour faire des effets de tribune et nous engager dans une course à la surenchère. Nous sommes au Parlement ; nous devons réagir aux urgences du quotidien et relever les grands défis de l'avenir de notre pays.

Vous me direz, c'est M. Darmanin qui a commencé. Certes, je ne veux pas vous jeter la pierre, mais regardez les amendements du Rassemblement national : une brèche s'ouvre et ils s'engouffrent dedans ! Alors que le réchauffement climatique est là, que les inégalités explosent, que les gens crèvent de faim, ce débat sur l'immigration, lancé par M. Darmanin, va remettre pendant deux à six mois au cœur du débat public les thèmes, et les termes, de l'extrême droite.

Ce n'est pas pour cela que des millions de gens ont fait barrage à Jean-Marie Le Pen en 2002 en votant pour Jacques Chirac. Ce n'est pas non plus pour cela qu'ils ont fait barrage à Marine Le Pen à deux reprises, ce qui a permis à Emmanuel Macron d'être élu et réélu. Pour le bien de notre démocratie, je nous invite à la prudence. En s'engageant dans une course de vitesse, on risque d'aller toujours plus loin dans l'absurde et l'ignoble.

Je finirai par une citation du pape – bien loin de mes références habituelles – qui expliquait que la réponse au défi des migrations contemporaines peut se résumer en quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer. Ces verbes sont beaucoup plus utiles que ceux de votre exposé des motifs, proprement scandaleux.

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La proposition de loi du groupe LR n'a qu'une boussole : il ne s'agit pas de tenter de mieux protéger les habitants de ce pays, de mieux assurer leur sûreté en société et leur tranquillité publique, mais bien de créer un trait d'union entre délinquance et immigration. Les récentes récupérations politiciennes de drames humains ont d'ailleurs engendré colère et nausées chez les familles des victimes, mais aussi chez nos concitoyens.

Cette proposition s'inscrit dans la mouvance qui fait feu de tout bois pour s'aligner sur les propos les plus haineux et les plus simplistes, sur les plateaux de télévision et, désormais, ici. C'est vrai que les membres du Gouvernement – M. Darmanin en tête – ont ouvert la voie puisque ce dernier disait vouloir être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. On peut difficilement faire plus simpliste… Pourtant, le lien entre immigration et délinquance n'a absolument aucune réalité statistique.

Le groupe LR joue à un jeu dangereux. Pendant que M. Darmanin prépare son projet de loi, le groupe prépare son congrès… Le premier se dit favorable à une forme de double peine, propose la suppression de la catégorie protégée des étrangers arrivés sur le sol national avant 13 ans. Le second, logiquement, instrumentalise les chiffres du ministère de la justice et cible précisément dans son exposé des motifs les étrangers venus d'Afrique, prétextant que les détenus et délinquants seraient en majorité issus de ce continent. Quelle sera la prochaine étape ? Des lois différentes pour ceux venus d'Afrique ? Ces chiffres, répétés à l'envi par les droites les plus à droite – on ne sait plus comment il faut les appeler –, sont issus du tableau 4 de la statistique trimestrielle des personnes écrouées en France publiée par le ministère de la justice. Ils ne précisent ni le statut administratif des étrangers, ni s'ils sont en détention provisoire, c'est-à-dire présumés innocents. Ces chiffres doivent en outre être analysés au regard des difficultés sociales importantes de certains territoires, ainsi que de la présence policière, qui y est variable – nous en avons débattu la semaine dernière dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).

Votre proposition de loi est clairement d'affichage et la rigueur n'est pas au rendez-vous, car notre arsenal législatif permet déjà beaucoup : les articles L. 631-1 et suivants du Ceseda autorisent déjà l'autorité administrative à expulser les délinquants étrangers. En outre, la proposition de loi est inutile, car faire partie d'une catégorie dite protégée ne protège pas totalement d'une expulsion qui, assez logiquement, reste possible si elle est proportionnée à la menace que la personne étrangère représente.

Votre seul objectif est bien de créer une suspicion généralisée à l'égard des étrangers. Si elle n'est pas jugulée, une telle escalade risque de générer un climat extrêmement grave de propagation de la haine et de la division. Il faut y mettre un terme. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte.

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Nous avons entendu la thèse selon laquelle immigration et insécurité se recouperaient, puis l'antithèse. J'aimerais insister sur l'aspect historique. La France est, depuis le XIXe siècle, un pays d'immigration. Que serait-elle si un grand nombre de personnes qui n'y sont pas nées n'y permettaient pas à la société de fonctionner ? Nous devons être ouverts, car nous avons besoin de ces personnes. Ne leur faisons pas de mauvais procès et ne nous limitons pas aux aspects négatifs, car les aspects éminemment avantageux – pour tout le monde – sont nombreux.

Il ne faut pas non plus confondre OQTF et délinquance : il y a énormément d'OQTF, mais très peu de délinquants parmi ceux qui en font l'objet. Évitons les amalgames, cher collègue du groupe LR.

La proposition de loi remet en cause certaines protections accordées aux étrangers en fonction de la durée de leur séjour ou de leur statut matrimonial ou familial – par exemple le fait d'être parent d'enfant français –, alors que le droit actuel est proportionné. La double peine a été supprimée en 2003 par un ministre de l'intérieur qui s'appelait Nicolas Sarkozy : votre proposition de la rétablir est incongrue. En outre, les immunités ne sont pas illimitées : on y fait exception en cas de terrorisme. Ainsi, on retrouve ici une dérive de notre droit que je dénonce régulièrement depuis qu'elle est apparue en 2016, et qui consiste à transcrire les lois antiterroristes dans les lois courantes.

Enfin, le texte risque de contredire des conventions bilatérales ou européennes.

Pour toutes ces raisons, une telle loi ne me paraît ni nécessaire ni souhaitable.

Article unique : (art. L. 631-2 et art. L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) Élargissement des catégories d'étrangers pouvant faire l'objet d'une expulsion pour menace grave pour l'ordre public

Amendements de suppression CL1 de Mme Andrée Taurinya et CL2 de M. Benjamin Lucas.

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D'abord, les protections que le texte remet en cause sont déjà très souvent contournées. Ensuite, si les OQTF ne sont pas appliquées, c'est parce que leur nombre a quasiment doublé en dix ans. Enfin, le texte créerait une grave rupture d'égalité devant la loi entre Français et étrangers, ce qui serait dramatique pour notre tissu social. Veut-on consolider les liens sociaux ou nourrir la haine, la division permanente, voire la guerre civile ?

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Ce texte, qui ne répond à aucun besoin de la société ni à aucune urgence, est fondé sur le présupposé d'un lien entre immigration et délinquance que nous contestons. En outre, il est dangereux en raison des effets qu'il produirait dans le débat public, à cause des tensions et des stigmatisations qu'il susciterait. Comme toujours, sous prétexte de lutter contre la délinquance et la criminalité, on suggère qu'il y aurait dans notre pays trop d'exilés et d'étrangers, et on se lance dans une course à l'échalote avec l'extrême droite. Revenons à un débat public apaisé et utile aux Françaises et aux Français.

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Avis défavorable.

Ce qui est dit ne correspond pas du tout à la réalité. J'ai souhaité que nous parvenions à un débat raisonné et constructif ; j'ai été bien servi, notamment à gauche ! Vous ne détenez pas le monopole des statistiques, mes chers collègues ; j'ai celles du ministère de l'intérieur et de différentes préfectures, dont les représentants nous ont fait part de leurs difficultés.

Le texte n'a qu'une ambition : protéger les Français – et par là j'entends, en réalité, tous ceux qui vivent sur notre territoire, y compris en situation irrégulière. Je vais vous faire une petite confidence personnelle. J'ai une fille qui avait prévu d'assister au match le soir de l'attentat au Stade de France, mais qui y a renoncé au dernier moment, pour des raisons que la nature supérieure a souhaitées – dirai-je, moi qui crois en Dieu –, entraînant avec elle tous ses camarades. Les drames qui frappent nos compatriotes peuvent toucher n'importe lequel d'entre nous, ils n'arrivent pas qu'aux autres.

Ce que nous cherchons, au-delà des postures et des impostures, c'est, je le répète, à assurer une protection maximale à tous ceux qui habitent notre territoire. Pour cela, ceux qui commettent des faits graves doivent être reconduits aux frontières.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL7 de M. Laurent Jacobelli.

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Pour rendre le texte plus efficace, nous proposons de supprimer le mot « grave » pour qualifier la menace justifiant l'expulsion d'un étranger. En effet, cette notion est trop limitative. Violer les lois de la République française, qui vous accueille, est en soi de très mauvais augure pour l'intégration éventuelle.

De même, nous souhaitons limiter les très nombreuses restrictions de la possibilité d'expulsion pour ne conserver que le cas où l'expulsion serait empêchée par l'état de santé de la personne ou mettrait sa vie en danger.

Au camp du bien qui nous donne des leçons, j'aimerais dire que, si nous avons chacun notre opinion, nous nous devons de défendre nos concitoyens. Or les députés qui ont présenté les amendements précédents ont manifesté pour qu'un étranger qui a plus de vingt mentions à son casier judiciaire, qui est radicalisé et a été accusé de préparation de crime ne soit pas expulsé ! De quel humanisme parlez-vous donc ? Face à un tel danger, il est temps de réagir.

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Avis défavorable. L'amendement aurait pour conséquence de permettre l'expulsion de tout étranger, même en cas d'infraction mineure. L'excès ne constitue jamais une bonne politique publique. Restons modestes et acceptons de ne reconduire à la frontière que ceux qui commettent des infractions graves.

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CQFD : on ouvre la discussion, l'extrême droite s'y engouffre, la surenchère permanente est annoncée. Dans ce contexte, je ne comprends pas que nos collègues du groupe Renaissance votent contre nos amendements de suppression ! Il est où, le barrage républicain ? Elle est où, la digue ?

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Je précise aux groupes de gauche qui ont voté pour les amendements de suppression qu'ils n'étaient pas assez nombreux contre les seules voix des groupes Rassemblement national et Les Républicains.

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Si vous tenez une comptabilité précise, nous n'allons pas la remettre en cause.

Quand on en vient à retirer le mot « grave » comme le propose l'amendement, c'est que l'on considère qu'un étranger est une menace par essence. Or cette idée n'est plus une opinion : le fait de l'exprimer publiquement constitue un délit – et celui qui commet un délit est un délinquant. Vous prétendez chercher la sécurité de nos concitoyens et la paix sociale, mais un tel amendement produira l'effet exactement inverse.

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL4 et CL5 de Mme Julie Lechanteux.

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Il s'agit de faciliter l'expulsion du territoire des étrangers représentant une menace grave pour notre pays – puisqu'il faut apparemment le préciser, c'est bien d'eux qu'il s'agit, et non des étrangers tout court ; merci de ne pas déformer notre propos.

Il est impossible d'expulser un étranger dangereux s'il justifie participer à l'éducation de son enfant français depuis un an. L'amendement CL4 vise à porter cette durée à trois ans : trop d'étrangers dangereux qui connaissent la loi et savent en jouer font des enfants sans jamais les éduquer ; ces étrangers menaçant l'intégrité de nos concitoyens doivent satisfaire aux conditions les plus dures.

Par ailleurs, il est possible de faire fi des protections contre l'expulsion bénéficiant à l'étranger dangereux s'il est condamné à une peine de prison de cinq ans au minimum. L'amendement CL5 tend à ramener cette durée à trois ans.

En effet, chaque étranger accueilli sur notre sol se doit de respecter les règles de la République ; s'il ne le fait pas et représente un grave danger pour nos concitoyens, l'État doit l'expulser. Il y a encore du travail – moins de 10 % des OQTF sont exécutées. Hier encore, un étudiant a été agressé au rasoir à Nice par un individu sous le coup d'une mesure d'expulsion. Ce ne sont pas des fables, c'est la réalité !

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Sagesse. Ces propositions me paraissent tout à fait convenables lorsqu'il s'agit de protéger tous les citoyens vivant sur le territoire. Les délinquants qui ne comprennent pas qu'ils ont une chance extraordinaire de vivre parmi nous doivent partir.

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Je suis immigrée : je suis arrivée en France à l'âge de 14 ans. J'aurais envie de me mettre en colère, de m'indigner contre les propos très blessants prononcés à l'endroit et à l'intention des immigrés ce matin, mais je n'en ai plus la force : je suis fatiguée que ces derniers soient toujours vos boucs émissaires.

Vos propositions de loi et vos amendements sont dérisoires au regard de ce que vivent les Français et l'ensemble de l'humanité. La crise climatique va jeter des millions de personnes sur les routes, des gens d'Asie, du Sahel, qui ne pourront plus vivre dans leur pays. Mais vous ne faites rien pour changer les modes de production. Quant à la vie des Français, quand nous proposons d'augmenter le Smic, vous votez contre ! En revanche, vous trouvez toujours le moyen de nous stigmatiser, par cette phrase qui m'a beaucoup peinée : « Vous êtes invités. » Jacobelli, c'est vous qui êtes invité ici, à la commission des lois ! C'est moi qui vous invite !

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Plusieurs députés du groupe RN

« Monsieur » Jacobelli !

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Vous ne savez pas ce qui nous a mis sur les routes, les uns et les autres. Vous blessez les Français en parlant ainsi aux immigrés, car c'est la même chose, comme l'a bien dit Paul Molac – je l'en remercie ; dans le bateau de Magellan, en 1519, il y avait des Bretons ! Heureusement qu'en France, il y a une tradition d'accueil et d'humanité ! Vous, vous ne faites qu'abolir l'empathie, y compris vis-à-vis des Français, ce qui fait de vous tout sauf des patriotes.

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Loin de moi l'idée de me faire l'avocat de M. Jacobelli, mais tout le monde est invité à la commission des lois et personne ne lance d'invitation formelle puisque tous les députés peuvent s'y rendre.

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Contrairement à Mme Garrido, je ne suis pas fatigué et je ne me lasserai jamais de combattre les idées nauséabondes qui veulent nous faire croire que l'autre est le problème.

Monsieur Lucas, nous sommes la digue républicaine. Ni le MODEM ni le groupe Renaissance n'ont de leçons à recevoir de vous.

Madame Lechanteux, ce n'est pas la première fois que vous défendez un amendement incompréhensible compte tenu de ce que nous sommes et d'un sentiment que vous ne connaissez manifestement pas, l'humanité. Au bout d'un an ou de trois ans, vous voulez expulser un homme ou une femme et laisser son enfant seul avec l'autre parent ? Pour fabriquer des gens qui cultiveront la haine de la France, il n'y a pas mieux ! Notre pays a depuis longtemps une tradition d'accueil et d'intégration ; nous devons continuer à la faire vivre. Le projet français, c'est l'accueil de l'autre dans nos valeurs, celles de la République. En mettant de l'huile sur le feu, vous faites perdurer la haine. Nous voterons contre votre amendement.

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L'humanité, pour moi, c'est défendre les Français, tous les Français – « France », « Français », ce ne sont pas des gros mots ! –, comme ce jeune agressé au rasoir par un individu sous le coup d'une mesure d'expulsion du territoire ou la petite Mauranne tuée à la gare de Marseille. Protéger les gens qui leur ont fait ça, c'est de l'humanité ? Non, l'humanité, c'est expulser les délinquants dangereux pour les Français.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL15 et CL12 de M. Mansour Kamardine.

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Il semble cohérent et souhaitable qu'un étranger ne puisse bénéficier d'une protection en raison de sa situation familiale dès lors qu'il a commis des faits répréhensibles à l'encontre de sa famille. Tel est le sens de l'amendement CL15.

Quant à l'amendement CL12, il tend à lever la protection quasi absolue contre l'expulsion que le Ceseda octroie à l'étranger justifiant par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 13 ans. Lors des auditions, les directions du ministère de l'intérieur et les préfets nous ont dit leur grande difficulté à reconduire à la frontière les bénéficiaires de cette protection, qui représentent 70 % des personnes susceptibles d'être reconduites. Il faut donner des moyens à l'administration, que je ne soupçonne pas d'être acquise à des thèses extrémistes mais qui souhaite faire ce pour quoi elle est payée : protéger les Français.

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Monsieur le rapporteur, vous avez dit vouloir un débat raisonné. C'est toujours un peu agaçant de voir certains s'arroger la raison. Nous vous avons présenté des arguments, des raisonnements et des chiffres issus de recherches scientifiques, non le fait divers du coin. Pourquoi les balayez-vous d'un revers de main ?

Je suis très étonnée que le groupe Rassemblement national s'intéresse à ce texte : ses membres nous ont dit clairement à propos d'un autre texte qu'ils ne faisaient la loi que pour les Français. Alors laissez les étrangers tranquilles, on s'en occupe !

Nous voterons évidemment contre ces amendements.

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« Laissez les étrangers tranquilles »… quoi qu'ils fassent : c'est la théorie de la NUPES. Mais, ici, l'idée est de protéger tout le monde.

Madame la députée Rachel Garrido…

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Je m'appelle Raquel ! C'est si compliqué, les noms étrangers ?

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Je vous prie de m'excuser. Ce n'est pas grave ! Je vous ai au moins donné un prénom ; vous n'avez pas eu la même politesse à mon égard.

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Vous êtes française, madame, pas étrangère. Ici, on ne parle pas des Français d'origine étrangère, mais des étrangers.

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On ne va pas se donner des leçons d'immigration : j'en ai pas mal, moi aussi, dans mon arbre généalogique. Il s'agit ici des étrangers. Ne confondez pas tout, relisez vos textes et protégeons notre population.

Nous sommes pour les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle rejette l'article unique.

Après l'article unique

Amendement CL9 de M. Laurent Jacobelli.

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Lorsqu'un étranger est reconnu comme représentant une menace grave et expulsé, il bénéficie d'un droit au retour, d'une sorte de seconde chance au bout de cinq ans, grâce à un réexamen de sa situation. Nous partons du principe que quelqu'un qui a fait l'apologie du terrorisme ou participé à des actes graves contre la nation et nos concitoyens ne doit pas revenir sur le territoire national, qu'il n'a pas le droit de retenter le coup. « Chat échaudé craint l'eau froide », dit le bon sens populaire.

L'amendement vise à supprimer ces contraintes administratives pour qu'une décision courageuse, malheureusement trop rare, à l'encontre d'un étranger dangereux ne puisse pas être ainsi remise en cause.

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Je fais miennes les déclarations de M. Balanant. Il n'y a pas à s'exciter : nous sommes en démocratie, chacun s'exprime calmement et prend position, comme cela s'est passé lors du vote précédent.

Sur le présent amendement, j'émettrai un avis de sagesse, fondé notamment sur les auditions que nous avons conduites avec les autorités de la République – que nous ne soupçonnons pas, je le répète, d'extrémisme.

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Monsieur Jacobelli, vous avez dit que vous parliez non des Français, mais des étrangers, et que Mme Raquel Garrido était française et non plus étrangère. Pourtant, votre famille, avant d'être française, a été étrangère : il faut toujours un temps d'intégration. C'est cela, la République française.

Dans ce pays, 99 % des étrangers respectent nos lois, de même que 99 % des Français. Il y a toujours des gens qui ne respectent pas les lois, non en raison de leur nationalité, mais parce que l'humanité est ainsi. Arrêtez avec cette obsession de l'étranger. Le projet de la France, c'est sa capacité, depuis les siècles des siècles, de s'enrichir de la culture de l'autre.

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Puisque l'on fait de moi un cas d'espèce, sachez que j'ai eu beaucoup de peine à devenir française. Mon dossier était toujours refusé : il manquait tantôt le relevé de compte de mai 1989, tantôt le certificat de scolarité du deuxième trimestre de troisième… Au bout du compte, je n'ai pas pu être naturalisée en réponse à ma demande, en raison de ma vie ici, ce qui a été décevant et frustrant, mais seulement par mariage – certes, ce n'était pas un mariage blanc, plutôt un mariage rouge !

Vous dites qu'il y a trop de naturalisations, trop d'immigrés. Mais nous, avant d'être français, nous sommes immigrés : c'est un continuum. De plus, immigré, étranger ou Français, nous sommes tous soumis à la même justice. J'ai confiance en elle ; j'ai demandé lors de la discussion budgétaire qu'elle ait plus de moyens pour lutter contre la délinquance et la criminalité. Vous nous triez, vous nous rendez coupables de quelque chose – de notre lieu de naissance – auquel ni vous ni moi ne pouvons rien ; c'est inutile et inefficace pour mener ce combat. Si vous voulez savoir comment vous battre efficacement contre la délinquance et la criminalité, lisez le volet sur la justice du programme « L'avenir en commun » : cela vous éclairera.

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'amendement CL14 de M. Mansour Kamardine.

Amendement CL11 de M. Laurent Jacobelli.

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Il vise à étendre l'application de la présente proposition de loi, par souci de clarté, aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna et aux Terres australes.

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Cet amendement, comme l'amendement CL14 du rapporteur, nous fait toucher du doigt la motivation réelle du texte. En réalité, celui-ci se rapporte à la situation à Mayotte, qui est en effet problématique et exceptionnelle, du fait du désinvestissement de l'État et du manque de moyens des juridictions mahoraises. Mais le groupe LR ne pouvait pas déposer une proposition de loi limitée à Mayotte.

Beaucoup d'émotions se sont exprimées ce matin, y compris dans nos rangs. Étant franco-belge, je n'ai pas eu de problèmes de naturalisation, mais j'ai connu l'exclusion dans le pays flamand du seul fait de la langue, et c'était très violent. Nos débats auraient dû être un peu plus apaisés, comme le disait le rapporteur, et éviter de prêter le flanc à l'extrême droite.

Nous voterons contre l'amendement.

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Si je suis défavorable à l'amendement, c'est parce que la situation de spécialité législative impose de consulter en amont les assemblées locales, ce qui n'a pas été fait. Ce serait une faute majeure de donner un avis favorable en commission des lois alors que ce préalable n'a pas été respecté.

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Je suis sensible à ces arguments : nous retirons notre amendement.

L'amendement est retiré.

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La proposition de loi n'ayant plus d'article, il n'y a pas lieu d'examiner les amendements portant sur le titre.

L'ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

*

Puis la Commission examine la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales (n° 346) (M. Aurélien Pradié, rapporteur).

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Les chiffres sont éloquents. En matière de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, ils sont sans appel et témoignent de l'urgence de la situation. En 2021, on a recensé 143 morts violentes au sein du couple, soit un décès tous les deux jours et demi ; ce chiffre est en augmentation de 14 % par rapport à 2020. Depuis le début de l'année 2022, 101 personnes ont déjà été victimes de féminicides.

Certes, des efforts ont été faits depuis plusieurs années. Je pense notamment au Grenelle des violences conjugales et à la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, dont j'étais le rapporteur et qui a incontestablement musclé l'arsenal des réponses judiciaires en créant le bracelet antirapprochement et en élargissant les conditions d'attribution tant d'un téléphone grave danger que d'une ordonnance de protection.

Cependant, ces mesures s'avèrent insuffisantes. Pire : nous reculons, puisque le nombre de féminicides ne cesse d'augmenter depuis plusieurs années. Chacune de ces morts est un échec pour notre société. Chaque assassinat dont la victime avait déjà signalé aux forces de sécurité des violences antérieures témoigne d'un dysfonctionnement clair de notre système judiciaire, qui ne peut plus désormais trouver aucune excuse.

À cela s'ajoute l'écart vertigineux entre les signalements aux forces de l'ordre et les violences commises. En 2021, 11 % des personnes âgées de 23 à 74 ans ont déclaré avoir subi, au moins une fois depuis l'âge de 15 ans, des violences physiques ou sexuelles commises par un partenaire. Seule une minorité de victimes – 21 % en 2021 – signalent les faits à la police ou à la gendarmerie. Parmi les multiples raisons qui les poussent à ne pas le faire, il y a la peur de ne pas être entendu, de ne pas être cru, mais aussi l'appréhension de la lenteur du processus judiciaire et la crainte d'aggraver les choses en saisissant la justice.

Face aux féminicides, nous heurtons-nous à une fatalité, à un seuil inexorable que nous ne pourrions réduire ? Non : la fatalité, c'est aujourd'hui de la lâcheté. Des solutions existent, et toutes ne sont pas encore mises en œuvre dans notre pays.

L'Espagne nous a ouvert la voie dès 2004 en créant des juridictions spécialisées dans les violences de genre. Les juges espagnols ont tous suivi une formation obligatoire sur ce contentieux. Les tribunaux spécialisés sont compétents à la fois sur le volet civil de la procédure et sur le volet pénal : ils ont ainsi une vision transversale de chaque affaire. Ils décident vite, ils agissent vite, ils protègent vite. Je me suis entretenu avec l'ancienne magistrate espagnole de liaison en France, Mme Herrero Pinilla, qui m'a redit à quel point la mise en place de cette juridiction spécialisée avait permis d'inverser la tendance. Cette décision a été pour l'Espagne un véritable tournant, une révolution tant en matière judiciaire que pour la protection des femmes. Les résultats sont clairs : le nombre de femmes tuées a diminué de 36 % depuis 2003 tandis que le nombre de plaintes enregistrées par les tribunaux spécialisés a augmenté de 29 % depuis 2007. Les femmes, mieux protégées, sont incitées à saisir la justice pour l'être davantage encore.

C'est ce qui m'a conduit à vous présenter cette proposition de loi visant à créer, en France, une juridiction spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Il ne s'agit pas d'une mesure d'organisation, mais bien d'une nouvelle étape majeure que notre pays doit désormais franchir sans hésiter.

Pourquoi prévoir un tribunal des violences intrafamiliales ? Pourquoi créer une nouvelle fonction de juge aux violences intrafamiliales ? S'il faut spécialiser les juges qui statuent sur ces affaires, c'est parce qu'il s'agit de violences très spécifiques, à plusieurs titres.

D'abord, elles se passent souvent au sein du foyer, dans un lieu où une personne se sent normalement plus en sécurité.

Ensuite, les victimes entretiennent ou ont entretenu des liens affectifs forts avec l'auteur des violences, ce qui complique à la fois la prise de conscience et la dénonciation des faits. Ces relations font intervenir des notions difficiles à appréhender, telles que l'emprise.

Ce qui illustre le mieux la spécificité des violences conjugales, c'est la multiplication, ces dernières années, des dispositifs visant à protéger les victimes ou à prendre en charge les auteurs de ces violences.

L'ordonnance de protection, créée en 2010, permet au juge aux affaires familiales de prendre plusieurs mesures telles que l'interdiction de contact, l'attribution de la jouissance du logement à la victime ou l'interdiction de détenir une arme dès lors qu'il estime les violences vraisemblables.

Le téléphone grave danger est délivré par un magistrat du parquet lorsqu'une victime se trouve en grave danger du fait des agissements de son partenaire ou de son ancien partenaire.

Quant au bracelet antirapprochement, porté par l'auteur des violences, il s'accompagne d'une géolocalisation de la victime et permet aux forces de l'ordre d'intervenir beaucoup plus rapidement lorsque la personne mise en cause entre dans un périmètre d'alerte défini. Son efficacité est redoutable, comme nous pouvons le constater en Espagne tandis que nous expérimentons cet outil en France.

Tous ces dispositifs témoignent de la volonté de l'institution judiciaire de protéger les victimes, de réduire au minimum le risque de répétition des violences et d'agir par le biais d'outils spécifiques. Pour qu'ils soient bien utilisés et efficaces, il faut des magistrats spécialisés, formés spécifiquement au contentieux des violences intrafamiliales et appartenant à un tribunal judiciaire dédié à la lutte contre ces violences.

Pourquoi donner au juge aux violences intrafamiliales la compétence de délivrer des ordonnances de protection, laquelle relève aujourd'hui du juge aux affaires familiales ? Les rapports se suivent et se ressemblent pour dénoncer le manque de coordination entre les services et le fait que certains signaux ne sont pas suffisamment pris en compte, comme le risque encouru par les enfants en cas de violences conjugales. Le travail des magistrats n'est pas en cause : c'est l'organisation judiciaire actuelle qui ne leur permet pas d'avoir une vue d'ensemble de chaque dossier. Le très faible nombre de bracelets antirapprochement délivrés par les juges aux affaires familiales illustre parfaitement cette situation puisqu'au 1er août 2022, seuls treize bracelets avaient été mis en place alors que cette possibilité existe depuis la loi du 28 décembre 2019. Pourtant, tout le défi est de déployer les bracelets antirapprochement dès la délivrance des ordonnances de protection sans qu'une condamnation ne soit nécessaire pour assurer la protection des victimes. Pour réussir vraiment, il faut confier à un même juge, statuant au pénal et au civil, la décision relative à l'ordonnance de protection et la compétence pour statuer sur les affaires de violences intrafamiliales.

Pourquoi ne pas aller plus loin et ne pas spécialiser aussi le parquet ? Les procureurs jouent un rôle majeur dans la procédure pénale, puisqu'ils choisissent d'engager ou non les poursuites. Ils sont, dans les faits, déjà spécialisés puisque des référents pour les violences intrafamiliales sont désignés au sein des parquets. Je propose donc simplement de préciser dans la loi l'existence de ces référents et d'assurer à ces derniers une formation obligatoire. L'organisation d'une juridiction spécialisée passe par la formation d'un tribunal judiciaire spécialisé.

Cette proposition est une base de travail, qui a vocation à être enrichie par les contributions parlementaires. Je remercie d'ailleurs les groupes ayant déposé des amendements constructifs. Vous me permettrez de ne pas remercier ceux qui n'ont déposé que des amendements de suppression : je n'ai pas le sentiment que la lutte acharnée contre les violences faites aux femmes et aux enfants mérite de tels amendements expéditifs.

Je défendrai moi-même plusieurs amendements visant à préciser les compétences de la juridiction que nous souhaitons créer.

Conscient qu'il est impératif que cette juridiction soit proche des justiciables, j'ai notamment déposé un amendement prévoyant la présence d'un tribunal des violences intrafamiliales au sein de chaque tribunal judiciaire – une victime de violences conjugales ne doit pas parcourir 200 kilomètres pour aller au tribunal.

J'ai également déposé un amendement visant à ajouter les anciens conjoints dans le spectre des compétences du tribunal, car la circonstance d'une séparation ne doit pas entraîner un changement du juge compétent.

Je proposerai aussi de préciser que les juges aux violences intrafamiliales bénéficient d'une formation relative aux violences commises au sein de la famille – nous savons que c'est l'une des clés pour progresser dans cette matière. Je donnerai d'ailleurs un avis favorable à tous les amendements proposant que le juge reçoive une formation obligatoire spécifique.

Dans les faits, la justice a amorcé ce processus de spécialisation. Il existe déjà des audiences spécialisées pour ce type de contentieux, et la mise en place de circuits d'urgence au sein de certaines juridictions se traduit par une priorisation des dossiers de violences conjugales par l'ensemble des maillons de la chaîne pénale. C'est bien, mais c'est tellement insuffisant ! Le processus est inabouti et nous sommes arrivés au bout de ce qu'il est possible de faire à droit constant.

Certains diront peut-être qu'il est trop tôt pour aller plus loin et qu'il faut encore attendre que la réflexion mûrisse. Mais l'Espagne a agi dès 2004, et les travaux et réflexions quant à la création d'une juridiction spécialisée sont très nombreux en France depuis plus de dix ans. Au fond, nous avons fait le tour du sujet. Ne voyons-nous pas l'urgence ? Nous savons que la création d'une juridiction spécialisée, sur le modèle du juge des enfants ou de ce qu'ont fait nos voisins espagnols, marquera un tournant dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

Le Gouvernement lui-même a changé de position depuis quelques mois. Le Président de la République s'est déclaré favorable à la création d'une telle juridiction : c'est une avancée que nous devons saisir. Prendrons-nous encore le temps de réfléchir ? Attendrons-nous encore que les chiffres explosent, d'année en année ? Je suis convaincu qu'il est temps de mettre un pied dans la porte.

Aussi, je vous propose que la niche parlementaire de mon groupe soit l'occasion d'écrire le premier acte de cette avancée. Le temps de la navette parlementaire nous permettra d'affiner les dispositifs et les textes. Nous devons nous saisir de cette occasion, parce qu'il n'y a plus aucune raison d'attendre – il y a, en réalité, toutes les raisons d'agir, et d'agir vite.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Notre commission examine aujourd'hui une proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales. Ce texte nous permet d'ouvrir un débat à ce sujet, ce que je salue bien volontiers.

Vous le savez, le Président de la République a fait de la lutte contre les violences intrafamiliales la grande cause de ses quinquennats. Les efforts engagés en 2019 lors du Grenelle des violences conjugales font aujourd'hui l'objet d'une évaluation approfondie dans le cadre d'une mission qui m'a été confiée par la Première ministre, conjointement avec la sénatrice Dominique Vérien. Cette évaluation donnera lieu à la formulation de recommandations en vue d'améliorer le traitement actuel de ce type de violences ; la possibilité de créer une juridiction spécialisée sera évidemment débattue.

Votre proposition de loi intervient donc avant même que la mission rende son rapport et que soit clairement posé le cadre dans lequel cette réforme profonde et nécessaire devra être menée. Votre texte risque donc surtout de créer des incohérences et de dégrader les efforts pour une justice efficace et rapide sur ce sujet – je ne parle pas seulement de nos propres réflexions, mais également de tous les efforts réalisés par les professionnels dans ce domaine.

Votre proposition de loi nous interroge à plusieurs titres.

D'abord sur la méthode, puisqu'il est proposé de modifier le nombre de ces nouvelles juridictions spécialisées : un amendement déposé hier prévoit d'en créer une par tribunal judiciaire, alors que nous en étions encore avant-hier à une par cour d'appel. Peut-être avez-vous pris conscience de l'insuffisance de votre proposition initiale, qui cassait la proximité nécessaire à ce genre de procédure. Une juridiction par tribunal judiciaire, cela représente 164 tribunaux des violences intrafamiliales. Or 123 tribunaux ont déjà créé des circuits dédiés aux violences faites aux femmes, avec des procédés différents et des approches diverses qu'il convient d'évaluer avant de généraliser les bonnes pratiques et d'améliorer les mécanismes lorsque cela s'avère nécessaire. C'est justement l'objet de la mission qui m'a été confiée. Nous ne pouvons imposer quoi que ce soit sans avoir un retour sur les nombreuses expérimentations en cours.

En accroissant la complexité d'une organisation judiciaire qui nécessite déjà une simplification, votre proposition de loi pose d'autres questions. Elle fait intervenir trois juridictions, dans un processus déjà compliqué où deux juges rendent parfois des décisions contradictoires, s'agissant notamment de la garde des enfants. On peut le regretter, mais il est nécessaire d'évaluer les efforts consentis par les juridictions pour améliorer l'examen conjoint des dossiers avant d'ajouter encore de la confusion.

Dans le cadre de ma mission, j'ai eu l'occasion d'auditionner des victimes de milieux sociaux divers – certaines diplômées, d'autres non –, qui n'ont eu de cesse de m'alerter quant au manque de lisibilité des décisions prononcées. Ajouter encore et toujours de la confusion au moment charnière de la libération de la parole – une dynamique qui se trouve menacée par votre proposition de loi –, même lorsqu'on est animé des meilleures intentions du monde, c'est faire le mal en voulant faire le bien.

Ce sont les vies de vraies personnes, comme vous et moi, qui sont en jeu. N'agissons pas à la hâte ! On ne plaisante pas avec ces sujets, on ne propose pas des textes sans avoir de retour sur les expérimentations concrètes menées par tous les professionnels du droit et de la justice en vue de proposer la meilleure solution possible et de sauver encore et toujours plus de vies.

Vous avez déjà une législature derrière vous : vous savez donc qu'en vertu de l'article 45, alinéa 1, de la Constitution, il n'est pas possible de déposer d'amendements dépourvus de lien suffisant avec la proposition de loi en discussion. Ne modifiez pas la législation au détriment des vies humaines ! La politique, ce n'est pas jouer avec nos concitoyens ; c'est d'abord les aider.

Je vous invite donc, monsieur le rapporteur, à travailler avec nous une fois le rapport de la mission remis et le cadre de la réforme défini, dans l'intérêt de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre votre proposition de loi.

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Le nombre de femmes et d'hommes battus ou tués par leur conjoint, ainsi que le nombre d'enfants battus ou tués par un parent, ne cessent d'augmenter. Ainsi, depuis le début de l'année 2022, 120 femmes ont été tuées par leur conjoint – elles étaient 122 en 2021, ce qui représentait déjà une hausse de 20 % par rapport à 2020. L'association L'Enfant bleu constate une augmentation de 45 %, depuis 2019, des appels de victimes et des témoignages de maltraitance envers des enfants. Selon un rapport récent de l'Unicef, en France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l'un de ses parents. Ces chiffres macabres montrent à quel point la situation est grave.

Cette proposition de loi met donc sur la table un sujet qui mérite d'être traité avec sérieux. Le dispositif choisi n'est cependant pas le bon : nous ne pensons pas que la création d'une juridiction spécialisée soit une méthode efficace. Les amendements déposés par les députés du groupe Rassemblement national proposeront des solutions concrètes afin de lutter contre des violences intrafamiliales qui concernent un trop grand nombre de nos compatriotes.

Dans sa rédaction actuelle, le texte n'aurait pas les effets escomptés : il ne ferait que poser des problèmes supplémentaires à une justice déjà surchargée et trop souvent inefficace. La création de juridictions spécialisées doit permettre de traiter des sujets requérant une très forte technicité ; or les acteurs du procès pénal ont la qualification et la compétence nécessaires pour remplir leur mission auprès des victimes de ces violences.

Cette proposition de loi ne relève que de l'habillage. Sous une appellation différente, ce sont les mêmes acteurs du procès correctionnel qui seraient mobilisés : les mêmes greffiers, le même procureur, le même juge, les mêmes lois.

Par ailleurs, ce texte ne prévoit qu'une seule juridiction dans le ressort de chaque cour d'appel, ce qui est bien trop peu. Aucune garantie ne nous est apportée quant à la présence de cette juridiction spécialisée dans tous les tribunaux. Lorsqu'une personne est victime de violences intrafamiliales, elle a un besoin urgent de proximité : elle ne peut décemment pas être contrainte de faire des heures de route pour se rendre dans un tribunal doté d'une juridiction spécialisée. La proposition de loi prévoit qu'en l'absence d'un juge spécialisé, ce dernier pourra être remplacé par n'importe quel autre magistrat non spécialisé. Avec cette possibilité, la logique du texte s'effondre complètement.

Les victimes de violences intrafamiliales n'ont pas uniquement besoin de juges spécialisés : elles ont surtout besoin de véritables actions concrètes. Les Français ont besoin d'un meilleur accueil lorsqu'ils sont victimes de ce type de violences. Ils ont besoin d'un plus grand nombre de policiers spécialisés et disponibles, ainsi que de moyens d'alerte comme les bracelets électroniques, qui sont encore trop peu déployés. Ils ont besoin de délais raccourcis entre l'instruction et le jugement, d'une réelle application des peines prononcées, de peines planchers en cas de récidive et de bien d'autres dispositions que nous n'avons de cesse de réclamer.

Il est donc indispensable de se doter de moyens efficaces permettant de rendre la justice pour les victimes de violences intrafamiliales. Ces femmes, ces hommes et ces enfants méritent mieux qu'une simple juridiction supplémentaire sans aucun changement du droit ou de la procédure pénale. Avec ou sans ce nouveau dispositif, ce sont les mêmes acteurs qui seront mobilisés dans le jugement de ces affaires.

En l'état, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

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En 2022, plus de 140 femmes auront été tuées par leur compagnon français ou leur ex-compagnon français, ce qui revient à une femme tuée tous les deux jours et demi. Ce chiffre a connu une hausse de 20 % en un an. Or, selon l'Inspection générale de la justice, 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite. Ainsi, nous serons d'accord sur un point : le combat doit se poursuivre inlassablement, et il n'est plus question d'attendre.

Cependant, les moyens que vous souhaitez investir dans ce combat et que vous proposez de mettre en œuvre par le biais de cette proposition de loi sont plus qu'insuffisants.

Vous voulez modifier l'organisation judiciaire en créant des tribunaux des violences intrafamiliales et en nommant un juge aux violences intrafamiliales dans chacun d'entre eux. Mais les acteurs concernés, qu'il s'agisse des magistrats, des professionnels de la justice ou des associations, sont unanimes : la création d'une juridiction spécialisée ne rendra pas la justice plus effective si les problèmes d'effectifs et de délabrement du service public de la justice ne sont pas pris à bras-le-corps.

Certains magistrats nous mettent même en garde contre le risque que ces juridictions, qui n'auraient plus à traiter que de ces questions, se désintéressent des effets collatéraux des violences conjugales. Selon eux, les différentes facettes civiles et pénales d'un dossier doivent rester examinées au sein d'un même tribunal.

À aucun moment vous ne mentionnez le manque de moyens ni l'indispensable adaptation de la justice, alors que ces considérations sont fondamentales dans la lutte contre les violences intrafamiliales.

Non, la création d'une juridiction spécialisée n'est pas la seule réponse efficace et fiable susceptible d'être apportée – bien au contraire. Que faites-vous des hébergements d'urgence, dont 88 % des femmes victimes de violences ne bénéficient pas ? Que faites-vous du niveau des dépenses par habitant consacrées à la justice, qui est en France bien inférieur à ce qui est nécessaire et recommandé ? En multipliant ce ratio par trois, l'Espagne a permis une réduction de 25 % des féminicides au sein des couples.

Quant au recueil de la plainte, que les avocats et associations jugent fondamental mais défaillant, vous ne l'évoquez à aucun moment. Pourtant, ces plaintes sont le plus souvent déposées dans des bureaux partagés, sans possibilité de confidentialité ; elles ne sont pas traitées par la brigade locale de protection de la famille, même lorsqu'il en existe une au sein du commissariat. Dans 80 % des dépôts de plainte, aucune question n'est posée sur les violences sexuelles.

Certains avocats relèvent notamment qu'un grand nombre d'agents ne sont pas familiers des mécanismes des violences sexuelles et sexistes tels que l'emprise ou la sidération, qui empêche parfois les victimes de se défendre ou de dénoncer leurs agresseurs. Il convient donc de former les acteurs de terrain – encore une nécessité que vous passez entièrement sous silence.

Notre groupe est opposé à la création de juridictions spécialisées, qui entraînerait une perte d'indépendance des magistrats – même si la spécialisation de ces derniers est positive – sans remédier au manque de moyens humains accordés à la justice. Une simple réorganisation du fonctionnement de la justice ne peut pallier les graves carences dénoncées depuis des années. En outre, nous ne pouvons faire l'impasse sur le chaînon essentiel que sont les services de police et de gendarmerie.

Dans notre plan visant à mettre fin aux féminicides, nous proposons la création, au sein des juridictions, d'un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales, qui comprendrait des magistrats et des officiers de police judiciaire spécialement formés et se verrait allouer des moyens spécifiques afin de réduire les délais de traitement des affaires de violences sexuelles et sexistes.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi terriblement éloignée des besoins exprimés sur le terrain, qui ne vise qu'à répondre à une préoccupation d'image électorale du parti qui la présente.

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Cette proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié se veut être un texte pragmatique. Il s'agit d'apporter des réponses concrètes, efficaces et rapides à un problème sociétal – un objectif qui semblait partagé sur l'ensemble des bancs de notre assemblée.

On ne peut pas considérer que ce problème doit absolument être traité, qu'il doit mobiliser tous les moyens et toute l'attention des pouvoirs publics, et en même temps s'enfermer dans des débats comme ceux que j'entends ce matin. Ceux qui pensent qu'il faudrait faire plus ou agir de manière plus large mobilisent avant tout cet argument pour continuer à ne rien faire. Non, nous n'avons pas le temps d'attendre des expérimentations, parce que plus le temps passe, plus les victimes que l'on aurait pu éviter sont nombreuses. Plus le temps passe, plus le discours sur la nécessité d'adopter une vision plus large du problème devient inaudible.

Ce texte a le mérite de proposer une solution concrète pour continuer le travail efficace déjà engagé par une première proposition de loi d'Aurélien Pradié.

Dans un monde idéal, il n'y aurait pas besoin de juridictions spécialisées. Peut-être est-ce vers cet idéal que nous devons tendre, mais la réalité nous conduit à constater qu'en matière de lutte contre les violences commises au sein de la famille, notre justice ne fonctionne pas. Les procédures sont trop complexes, éclatées entre des tribunaux aux compétences différentes. La spécialité du droit est telle qu'elle nécessite du temps alors que le sujet dont nous parlons nécessite toujours d'agir dans l'urgence.

Le Gouvernement, très fort dans les mots mais très impuissant dans les actes, manque clairement d'ambition pour traiter ce sujet. Malgré les nombreuses déclarations faites lors du précédent quinquennat, force est de constater qu'aucun moyen supplémentaire n'a été accordé à cette cause et qu'aucune décision prise par notre assemblée n'a été réellement mise en œuvre.

Cette proposition de loi d'Aurélien Pradié est pragmatique. Son ambition est de répondre de manière efficiente au problème des violences intrafamiliales. J'entends, sur les bancs du Rassemblement national, ceux qui disent qu'il faudrait faire plus sans formuler le début d'une petite proposition. J'entends, sur les bancs de la majorité, ceux qui disent qu'il faut prendre le temps d'attendre, encore et toujours, les résultats d'expérimentations que l'on multiplie. On trouvera toujours autre chose à tester avant de prendre des décisions. Le temps est venu d'agir.

Je veux saluer l'engagement constant et de longue date de notre rapporteur, Aurélien Pradié, sur ce sujet. Il est fini le temps où nous pouvions attendre ! Il est venu le temps d'agir avec pragmatisme !

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Ce lundi, le ministère de l'intérieur a publié un panorama inédit des violences en France à la suite d'une enquête réalisée en 2021. Cette étude se concentre sur les violences subies pendant l'enfance, les violences au sein du couple et les violences commises par un non-partenaire. Que ce soit au sein du cercle familial ou en dehors, les femmes sont largement surreprésentées parmi les victimes. Près d'une femme sur quatre a subi des violences dans la sphère conjugale. Depuis le début de cette année, 101 femmes ont déjà été tuées. La prévention des violences intrafamiliales est donc essentielle – je crois que nous partageons tous, sur tous les bancs, cette volonté d'améliorer les choses. Comme vous le dites, monsieur le rapporteur, la justice doit être la réponse apportée à ces meurtres.

Si le groupe MODEM approuve le consensus exprimé au sein des groupes politiques pour lutter contre ces violences, la création d'une juridiction spécialisée par le biais d'une proposition de loi ne nous apparaît pas comme la solution la plus adaptée. Tout d'abord, le nouveau système risque de complexifier la procédure judiciaire. Par ailleurs, après avoir saisi le parquet dont relève son domicile, la victime devra se tourner vers un magistrat spécialisé qui pourra se situer dans une autre juridiction. De même, l'accompagnement assuré par les associations d'aide aux victimes sera susceptible d'être modifié au cours de la procédure. Alors que les victimes se trouvent dans des situations très difficiles, il nous semble inopportun de leur faire subir un éloignement géographique de la juridiction et des magistrats spécialisés.

Face à l'accélération du mouvement de libération de la parole et à la meilleure prise en compte des dénonciations, des progrès ont été réalisés.

D'une part, les mesures d'accompagnement ont été améliorées, avec la création d'instances et d'outils de coordination favorisant les échanges d'informations utiles et un suivi de proximité pour les victimes. Selon le ministère de l'intérieur, près de la moitié des victimes de violences se tournent vers au moins une personne pour parler de leur situation.

D'autre part, les condamnations et incarcérations pour faits de violence ont augmenté, ce qui illustre une meilleure appréhension de ces actes. Ainsi, en 2022, les infractions aggravées par le lien de conjugalité représentent près de 11 % des années d'emprisonnement ferme prononcées, contre 5 % en 2017. Ces chiffres révèlent non seulement que le nombre de dépôts de plaintes s'accroît du fait de la libération de la parole, mais également que la réponse judiciaire – qui passe par des condamnations – est de plus en plus et de mieux en mieux appliquée. Même si nous convenons tous que la marge de progression est encore importante, nous devons saluer les efforts réalisés.

Toutes ces données seront, je l'espère, analysées dans le rapport que devront livrer notre collègue Émilie Chandler, qui vient de s'exprimer, et la sénatrice Dominique Vérien, toutes deux missionnées en septembre par la Première ministre pour dresser le bilan du traitement judiciaire des violences intrafamiliales.

Nous avons bien noté que le rapporteur a pris en compte nombre de nos remarques dans des amendements qu'il a déposés hier soir. Cependant, le groupe Démocrate considère qu'il convient d'attendre les conclusions de la mission que je viens d'évoquer. Il ne s'agit pas de ne rien faire, mais de prendre le temps de bien faire, puisque nous sommes tous convaincus de la nécessité d'avancer sur ce sujet.

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Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour ce travail parlementaire de qualité, qui répond à une urgence. Cela ne me surprend pas venant de vous, puisque votre précédente proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille a permis de poser les bases d'un dispositif qui fonctionne, organisé autour de l'ordonnance de protection, et qui ne demande qu'à être amélioré.

Les violences intrafamiliales sont un fait de société majeur : il ne se passe pas un jour sans qu'un drame ne survienne. On sait combien les enfants en sont victimes : en 2019, ils étaient 400 000 à vivre dans un environnement de violences conjugales, et 60 % d'entre eux présentent des troubles post-traumatiques. Ce sont là des familles détruites, des avenirs compromis.

Si les magistrats, avocats, greffiers, forces de l'ordre, médecins, associations et réseaux VIF (violences intrafamiliales) sont très engagés dans la lutte contre ce fléau, l'institution judiciaire est en souffrance : manquant de moyens matériels et humains, elle se trouve incapable de satisfaire dans des délais raisonnables les demandes légitimes des justiciables, tant en matière civile qu'en matière pénale.

L'exemple de l'Espagne nous pousse à aller plus loin en termes de budget alloué et d'organisation juridictionnelle. Les états généraux de la justice, dont le comité était présidé par M. Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État, ont insisté sur la nécessité d'une approche systémique. Il me semble que ce texte, qui met en place une juridiction spécialisée et dote les tribunaux ainsi créés d'effectifs et de matériels opérationnels, s'inscrit dans cette logique. Nous saurons enfin à quoi servent les crédits que nous votons.

Face à la situation que j'ai rappelée, nous convenons tous de la nécessité d'apporter une réponse civile et pénale rapide dans le cadre d'un pôle social et judiciaire devant rassembler l'ensemble des acteurs concernés. Les filières spécialisées qui existent déjà dans un certain nombre de tribunaux répondent à cette exigence de rassemblement en vue d'accompagner tant les victimes que les auteurs de violences.

La création d'une juridiction spécialisée a déjà été proposée par divers amendements discutés lors de l'examen de précédents textes. Nous avions nous-mêmes déposé un tel amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) – c'était un amendement d'appel, car nous considérons évidemment que cette mesure relève du garde des sceaux et non du ministre de l'intérieur.

La présente proposition de loi suscite quelques interrogations. Ce nouveau tribunal, qui peut être aussi une filière spécialisée ou une formation de jugement, ne devrait-il pas être compétent pour toutes les violences sexuelles et sexistes, au lieu de se limiter aux violences intrafamiliales ? En matière civile, le juge connaîtra-t-il uniquement des demandes d'ordonnance de protection ou sera-t-il compétent pour se prononcer sur chacune des mesures de l'ordonnance ? Le juge doit-il être compétent en matière d'autorité parentale, y compris en dehors de l'existence d'une ordonnance de protection ? Par ailleurs, la proposition de loi ne précise pas comment le nouveau dispositif s'intègre en appel : pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Nous avons soulevé la question de la proximité, et vous nous avez répondu que les juridictions spécialisées seraient présentes dans tous les tribunaux judiciaires du ressort de la cour d'appel. Cela signifie que les victimes pourront trouver, à proximité de leur domicile, des juges susceptibles de donner des suites judiciaires aux violences conjugales qu'elles ont subies. Comme je l'ai dit, des filières organisées existent déjà dans certains tribunaux ; nous pourrions imaginer un dispositif renforcé dans ce domaine.

Nous sommes donc d'accord sur le principe. Nous avons quelques interrogations s'agissant du dispositif choisi, mais nous sommes tout à fait intéressés par un travail parlementaire qui nous permettrait de progresser sur cette question et de répondre à une attente sociétale. Nous défendrons plusieurs amendements.

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C'est un fait : nous peinons à trouver une réponse judiciaire efficace contre les violences intrafamiliales, qui ont été mises en lumière assez récemment. Pourtant, depuis 2017 et surtout à la suite du Grenelle des violences conjugales, les politiques publiques en la matière sont très volontaristes : un budget important est consacré à ce sujet, les magistrats sont mieux formés à ces enjeux, les acteurs sont avertis et de nouveaux outils sont déployés, tels que le téléphone grave danger et le bracelet antirapprochement.

Mme la Première ministre a récemment missionné deux parlementaires, notre collègue Émilie Chandler et la sénatrice Dominique Vérien, pour dresser un bilan du traitement judiciaire des violences intrafamiliales et formuler des propositions concrètes d'amélioration. Cette mission a débuté en septembre 2022, un point d'étape est attendu en janvier 2023 et les conclusions définitives seront rendues en mars prochain.

Il n'en reste pas moins que les violences intrafamiliales connaissent une augmentation partout sur notre territoire et que la lutte contre celles-ci se heurte à de nombreuses difficultés : le rassemblement de preuves suffisantes pour permettre une condamnation est complexe, le délai d'audiencement est très long et les victimes se montrent réticentes à porter plainte.

Votre initiative, que je salue, s'inscrit dans la démarche que le Président de la République et le Gouvernement ont engagée depuis plus de cinq ans. Votre proposition de loi vise à créer un tribunal des violences intrafamiliales qui aurait à connaître des délits constitutifs d'une atteinte à l'intégrité de certaines personnes déterminées. Elle prévoit l'installation, dans le ressort de chacune des trente-six cours d'appel, d'un tribunal composé d'un juge aux violences intrafamiliales, président, et de deux assesseurs. Ces juridictions spécialisées, qui ont été évoquées par Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle pour mieux prendre en charge ce type de contentieux, existent déjà en Espagne, par exemple. Je me réjouis bien évidemment que vous vous soyez saisi de ce sujet.

Cependant, soit vous avez oublié que le contentieux des violences intrafamiliales est très éclaté, soit vous avez choisi de ne traiter que partiellement le sujet. En effet, le procureur peut saisir jusqu'à trois juges en matière pénale et deux juges en matière civile pour délivrer des ordonnances de protection ou prononcer des mesures d'assistance éducative. Vous avez fait le choix de ne retenir que le champ pénal et une partie du champ civil, sans inclure, par exemple, l'ensemble des mesures éducatives. Cela conduirait à une désorganisation des juridictions, à un éloignement de la réponse judiciaire ainsi qu'à une complexification de la procédure pour les victimes.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il me paraît plus sage d'attendre les conclusions de la mission menée par nos collègues parlementaires, qui permettront non seulement de faire un bilan du traitement judiciaire actuel de ce contentieux, mais également de formuler des propositions concrètes et adaptées. Entendez-moi bien, nous voulons évidemment continuer d'avancer sur ce sujet ; ce dernier est toutefois bien trop sérieux pour que l'on s'en saisisse via l'article unique d'une proposition de loi déposée dans le cadre d'une niche parlementaire dont on connaît les limites procédurales. Vous l'avez compris, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

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Les chiffres édifiants concernant les violences intrafamiliales, les violences sexuelles et sexistes et les violences sur mineur, rappelés par des députés de tous les bords, auraient dû susciter une prise de conscience. Nombre des propositions formulées aujourd'hui auraient déjà dû être soutenues par le passé, dans le cadre d'autres textes.

Vous le savez : pour nous, écologistes, il s'agit d'un sujet majeur – les débats relatifs à la Lopmi l'ont du reste largement démontré. Il est urgent de trouver des outils adaptés.

Je dois dire que nous avions sur la première version de ce texte un regard assez critique. Nous trouvions votre intention louable mais avions quelques doutes s'agissant des effets produits par cette proposition de loi, dont nous craignions qu'ils soient contraires à ceux que vous escomptiez. La concentration des moyens dans certains tribunaux était notamment source d'inéquité entre les victimes, qui auraient vu leur possibilité de se défendre dépendre de leur lieu de résidence et de leur capacité à se déplacer.

Vous avez cependant fini par admettre que cette concentration des moyens porterait préjudice au service public de la justice. Je me réjouis de l'explication que vous venez de donner, mais en tant qu'écologiste, membre de l'opposition et femme, je suis un peu échaudée : j'attends donc de voir si votre annonce sera suivie d'effet. Si vous confirmez votre volonté de créer des pôles, plus adaptés et plus proches des justiciables – nous avons d'ailleurs déposé des amendements allant dans le même sens –, et si vos amendements sont adoptés par notre commission, cela changera la donne. Cela voudra dire que vous avez entendu nos propositions ainsi que les remarques des syndicats et associations, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Ce sera aussi la preuve qu'il y a, pendant les congrès, des moments où l'on devient moins dur, plus intelligent et plus désireux de coopérer avec les autres.

Pour continuer dans le registre des petites piques gratuites, je note que tous nos collègues qui, sur d'autres sujets, considèrent qu'il faut prendre des décisions dans l'urgence, sans attendre les études d'impact, se montrent en revanche très prompts, lorsqu'il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, à nous demander d'attendre encore et toujours le résultat des études avant de faire un choix. Je m'en souviendrai lors de l'examen de prochains textes.

Reste évidemment la question de la justice. En burn-out généralisé, elle crie à l'aide, comme l'éducation, la santé et tous les services complètement voués au public. Par rapport à leurs voisins européens, les citoyens et les citoyennes français sont sous-dotés en matière de justice. Pour que cette proposition de loi produise des effets, pour parvenir à traiter ces affaires en augmentation constante, il faudra plus de moyens, plus de personnel et plus de formation. J'espère que nous pourrons compter sur vous, monsieur le rapporteur.

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La lutte contre les violences faites aux femmes avait été une « grande cause nationale » du premier quinquennat du président Emmanuel Macron. Pourtant, le nombre de féminicides est reparti à la hausse depuis 2020 : 102 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020 ; en 2021, on en comptait 113 ; au 14 novembre 2022, nous en étions déjà au bien triste chiffre de 118 féminicides, ce qui représente une hausse de 16 % par rapport à 2020. Cet échec des politiques publiques démontre la nécessité d'aller plus loin dans les dispositifs et les moyens de lutte contre les violences intrafamiliales. J'en profite pour rappeler que la solution ne peut pas être pensée uniquement sous l'angle de la justice et de la répression. La prévention et l'éducation sont des leviers bien plus puissants et efficaces à long terme. Il faudrait donc consacrer aussi des moyens à l'éducation contre les violences intrafamiliales.

Sur un sujet aussi important que celui-ci, on doit se donner tous les moyens de réussir. Il faut explorer ce qui n'a pas encore été tenté chez nous mais a porté ses fruits ailleurs. La création de juridictions spécialisées voire, mieux, de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales nous semble, à ce titre, une piste intéressante. Cette mesure, qui répond à la demande des associations de victimes, s'inspire de l'expérience espagnole : la création d'un tribunal spécifique, parmi d'autres mesures, a permis de faire baisser le nombre de féminicides de 25 % dans ce pays. En France, la création d'un pôle spécialisé au sein de chaque tribunal judiciaire enverrait un message fort à toutes les victimes. Cette nouvelle organisation judiciaire pourrait permettre un accompagnement spécifique, une réduction des inégalités territoriales, une baisse des délais de jugement et une reconnaissance à la hauteur des enjeux.

Les attentes sont fortes, et la cause est trop importante pour qu'on puisse manquer d'ambition. Cependant, à l'heure où les magistrats, greffiers et avocats se mobilisent à travers tout le pays pour dénoncer leurs conditions de travail, leur souffrance et la dégradation du service public de la justice, il faut rappeler qu'ils ne pourront pas faire davantage avec moins de moyens. La création de juridictions spécialisées est une réforme exigeante qui nécessiterait de renforcer la formation de tous les professionnels de justice et d'allouer des moyens supplémentaires dans tous les tribunaux. La lutte contre les violences intrafamiliales ne se décrète pas, elle demande des actes et des moyens.

Il existe déjà des audiences dédiées aux violences intrafamiliales dans plusieurs juridictions. C'est notamment le cas chez moi, à La Réunion, où le nombre de violences intrafamiliales est supérieur à la moyenne nationale. La prégnance de ce phénomène dans les infractions, l'implication sans faille des magistrats et l'excellent travail partenarial qui est mené laissent penser que nos juridictions sont déjà, tristement, presque spécialisées. Je tiens à souligner l'urgence d'agir dans les territoires ultramarins. En 2021, 8 % des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dans toute la France l'ont été dans ces territoires, alors que seuls 4 % de la population y vit.

Remplacer, à moyens constants, les audiences dédiées par des tribunaux spécialisés ne pourra suffire. Changer le nom d'une juridiction dans l'en-tête des décisions de justice ne peut en soi être satisfaisant. Si l'idée de créer des juridictions spécialisées dans la lutte contre les violences intrafamiliales semble aller dans le bon sens, vous comprendrez aisément notre inquiétude quant au contenu de cette réforme et, surtout, aux moyens alloués à sa mise en œuvre. Les débats au sein de la commission nous éclaireront, je l'espère, ainsi que les 260 000 victimes de violences intrafamiliales, chaque année, sur ces nombreuses questions en suspens.

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Il est des sujets sur lesquels nous devons faire front commun. Les violences commises au sein de la cellule familiale, en particulier les violences conjugales, sont un fléau qu'il nous faut évidemment combattre. La parole doit se libérer. La peur, la culpabilité, la honte, l'isolement et la sanction doivent changer de camp. Pour cela, il faut que la loi et la justice soient à la hauteur des enjeux, je crois que nous en convenons tous.

En dépit des efforts réalisés au cours des dernières années pour aider les victimes, les chiffres nous rappellent que ces violences sont toujours là. En 2020, hors homicides, les forces de sécurité ont enregistré près de 159 400 victimes de violences conjugales, essentiellement des femmes, ce qui représente une hausse de plus de 10 % en un an. Certes, depuis trente ans, les lois visant à lutter contre ces violences se sont multipliées, permettant quelques avancées essentielles, en particulier le déploiement de l'ordonnance de protection, délivrée par le juge aux affaires familiales. Nous tenons à saluer l'engagement du rapporteur, Aurélien Pradié, sur ce sujet : il était déjà à l'origine, en 2019, d'une proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Les lois adoptées jusqu'à présent étaient essentiellement orientées vers une plus grande répression des infractions, sans qu'il y ait de réforme profonde, en parallèle, de l'organisation juridictionnelle. La présente proposition de loi pourrait pallier ce manque. Notre groupe soutient les objectifs du texte, qui vise à mettre en place une juridiction spécialisée dans les affaires de violence familiale, au sens large du terme. Le contentieux est actuellement éclaté entre plusieurs juges, ce qui nuit à l'efficacité de la réponse, allonge les délais et complexifie le parcours des justiciables. Créer un juge aux violences intrafamiliales, qui aurait une compétence élargie, sur le modèle du juge des enfants, est une solution ambitieuse qui pourrait nettement faciliter le parcours des victimes de violences.

Notre groupe attend toutefois des précisions du rapporteur, notamment quant à la coordination entre ce nouveau juge et les juridictions existantes. Le rapporteur est-il parvenu, notamment, à estimer le flux de dossiers qui irait chaque année vers ces nouvelles juridictions ? Nous avons, par ailleurs, deux réserves.

La première tient à la territorialisation insuffisante de ces juridictions. La proximité est pour nous la priorité, et le texte doit être amélioré sur ce point. Il prévoit, en effet, une juridiction spécialisée par ressort de cour d'appel – on en compte seulement trente-six dans l'Hexagone et l'outre-mer. Nous craignons que cela conduise à limiter ces juridictions aux grandes villes, ce qui constituerait une double peine pour les victimes dans les zones rurales et les territoires insulaires. Je crois comprendre, monsieur le rapporteur, que vous souhaitez revenir sur la question de la proximité. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Notre groupe est également réservé sur la possibilité de remplacer le juge spécialisé par un magistrat du siège du tribunal judiciaire en cas d'empêchement. Cela irait, selon nous, à l'encontre des objectifs de la proposition de loi.

Au-delà de ces réserves, nous soutiendrons majoritairement la démarche dans laquelle s'inscrit ce texte pour répondre aux fortes attentes des victimes.

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Madame Chandler, je ne comprends pas du tout le ton de votre intervention. Je ne sais pas où vous vous trouviez en 2019. Nous sommes ici quelques-uns, issus de tous les groupes politiques, à mener avec constance le combat contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Lorsque nous avons prévu la généralisation du bracelet antirapprochement, la réduction à six jours du délai de délivrance des ordonnances de protection, et la protection des logements et des enfants, les députés de votre groupe n'avaient pas le même ton que vous aujourd'hui. Si nous avions adopté un ton aussi polémique et violent en commission, nous n'aurions jamais fait avancer cette cause.

Je ne vous permets pas de dire que nous serions en train de faire du mal, de jouer avec des vies, et que tout cela serait une plaisanterie. Vous avez le droit d'avoir les positions que vous voulez – vous les assumerez dans l'hémicycle –, mais si vous voulez que nous puissions demain travailler ensemble sur des causes aussi importantes, de grâce, mesurez la portée de vos propos. Nous sommes nombreux ici, sur tous les bancs et depuis des années, à être engagés pour cette cause. Nous avons relevé de grands défis, avec intelligence, respect et la capacité de nous rassembler lorsque les sujets le méritent.

Vous avez été missionnée par le Gouvernement pour évaluer l'opportunité de la création d'une juridiction spécialisée. Je comprends qu'il puisse y avoir chez vous une certaine frustration à nous voir avancer avant même que vous ayez déposé votre rapport. Pardon de vous le dire, comme je l'ai déjà fait hier lorsque je vous ai rencontrée, mais la création d'une juridiction spécialisée n'est pas une idée qui vient de sortir du chapeau : cela fait au moins dix ans que des magistrats, des spécialistes et des responsables politiques travaillent sur cette question. Nous disposons aujourd'hui de suffisamment d'éléments pour avoir du recul.

Par ailleurs, votre travail n'entre pas en contradiction avec le nôtre. La procédure parlementaire, que vous connaissez sûrement aussi bien que moi, prévoit plusieurs lectures, une navette entre l'Assemblée et le Sénat. Nous pouvons parfaitement faire un premier pas dès maintenant et laisser les sénateurs traiter à leur tour cette question, selon un calendrier fixé par le Gouvernement : ce dernier peut proposer l'inscription du texte à l'ordre du jour du Sénat après le mois de mars, une fois présenté votre rapport, qui redira certainement ce que nous disons depuis dix ans – et ce sera d'ailleurs une bonne chose que tout cela soit confirmé.

Cessons d'avoir peur. Lorsque nous avons voté en décembre 2019, à l'unanimité, un texte qui a généralisé le bracelet antirapprochement, nous avons su dépasser bien des prudences et des peurs. Voulez-vous que je vous rappelle combien de fois nous avons entendu, dans cette commission, qu'il était trop tôt pour généraliser le bracelet antirapprochement et qu'il ne fallait pas limiter à six jours le délai de délivrance des demandes d'ordonnance de protection, parce que cela serait trop court et ne marcherait jamais ? Nous avons pourtant avancé et cela fonctionne aujourd'hui. Toute la Chancellerie était opposée au délai de six jours pour les ordonnances de protection, et les professionnels aussi : ils nous disaient que cela ne marcherait pas. Si nous avions été prudents, comme beaucoup le demandaient, cette avancée qui permet de mieux protéger les femmes et les enfants n'existerait pas.

Ne croyez pas que nous ne sommes pas prêts. Nous avons un recul international, puisque l'Espagne a mis en place une juridiction spécialisée depuis 2004. En France, cette juridiction spécialisée, ou ce pôle spécialisé, ne serait pas une exception : depuis 1945, nous avons un juge spécialisé, qui est celui des enfants, et nous avons aussi un juge des tutelles et un juge aux affaires familiales. Nous ne sommes pas en train d'inventer quelque chose de nouveau mais de décalquer des modèles qui existent et fonctionnent déjà dans notre pays, ainsi qu'en Espagne, pour une matière devenue grave, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

On ne peut pas passer sous silence les chiffres actuels. Ils déclenchent une alerte absolue. Entre 2020 et 2021, le nombre de morts violentes au sein des couples a augmenté de 14 %, et nous en sommes depuis le début de l'année à 101 féminicides. Quel autre pays d'Europe l'accepterait, comme nous le faisons ?

Que les textes portent sur le handicap, les violences conjugales ou d'autres sujets, j'ai toujours fait en sorte que nous puissions nous retrouver. Si je vous ai fait part de ma colère, parce que je considère que le ton de votre intervention n'était pas à la hauteur, je vous redis que d'ici à la séance, je me tiens à la disposition de chacun, au-delà des divergences, comme je l'ai toujours fait, pour avancer ensemble et rassurer si nécessaire.

J'ai compris que notre collègue du Rassemblement national souhaitait être concrète et cohérente ; or le premier amendement que nous allons examiner propose une suppression sèche de l'ensemble du dispositif. Être concret, pour le Rassemblement national, quand il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, consiste donc à tout supprimer : circulez, il n'y a rien à voir ! C'est manifestement un sujet qui vous intéresse peu. Vous avez déposé un autre amendement pour corriger ce texte dont vous ne voulez pas : voilà pour vous ce qui s'appelle être cohérent.

Vous avez évoqué, madame Lechanteux, la question de l'éloignement potentiel des victimes de leur juridiction, et vous avez raison : c'est une préoccupation. Si vous aviez pris la peine de corriger votre projet d'intervention après avoir entendu la mienne, vous auriez intégré le fait que j'ai déposé un amendement pour que le ressort soit celui du tribunal judiciaire et non celui de la cour d'appel.

Vous avez dit que vous étiez, par principe, opposée à la création de juridictions spécialisées parce qu'elles seraient source de confusion. Je pense que la création de cette juridiction spécialisée permettra au contraire de clarifier la situation. Il y a quelques années, votre parti plaidait d'ailleurs de toutes ses forces pour la création d'une juridiction spécialisée en matière d'antiterrorisme, en disant que c'était la seule solution pour clarifier les choses et avancer vite et fort. Vous aviez tout à fait raison : la création de juridictions spécialisées ne brouille pas les cartes, bien au contraire. Lorsque nos prédécesseurs ont créé, en 1945, la juridiction spécialisée qu'est le juge des enfants, cela a clarifié la situation, et il en est allé de même lorsque le juge aux affaires familiales et celui des tutelles ont vu le jour.

En réponse à notre collègue de La France insoumise, je pense que nous disons, sur le fond, la même chose. Vous avez parlé de la création de pôles : c'est ce que je vais proposer par amendement. Malgré les divergences que nous avons souvent, vous avez aussi défendu la création de juridictions dédiées, parfois avec nous. Je suis à votre disposition pour apporter les précisions qui seraient nécessaires, mais je n'imagine pas que vous puissiez vous opposer à cette proposition de loi.

Des propositions relevant de l'ambiance électorale seront présentées. Nous savons le faire et nous le ferons, mais je ne pense pas pouvoir être soupçonné d'électoralisme en la matière, pas plus que quiconque. Nous avons toujours travaillé sur ce sujet avec la volonté de faire avancer les choses, et nous avons déjà réussi à le faire ensemble.

Notre collègue du MODEM a évoqué le risque d'une complexification du parcours des victimes. Je me suis moi-même beaucoup interrogé sur ce point. Nous ne complexifierons pas, en vérité, le parcours : nous allons le simplifier. Ce qui est complexe actuellement, pour une victime, c'est de ne pas savoir à qui s'adresser, et pour les magistrats, c'est de ne pas être parfaitement formés dans ce domaine. Certains disent l'être, mais aucune formation obligatoire n'a été mise en place, contrairement à ce qui a été fait dans tous les autres pays qui ont organisé la lutte contre ces violences, notamment en Espagne. Je n'accable pas nos magistrats, car ils n'ont pas le temps de le faire, mais combien d'entre eux sont vraiment allés sur le terrain pour se former ? Très peu, en réalité.

La création d'une juridiction spécialisée, loin de complexifier la situation, permettra d'adresser un message au pays, comme nous l'avons fait en matière de protection des enfants, il y a quelques décennies, et pour la protection juridique des majeurs vulnérables : il y aura désormais une juridiction dédiée. En Espagne, cela a permis trois avancées : avoir des magistrats meilleurs, parce qu'ils pratiquent davantage la matière, et qui décident plus vite, pour la même raison, tout en augmentant la saisine des juridictions, parce que les avocats et les victimes savent que la protection est renforcée. En Espagne, la création d'une juridiction spécialisée a permis non seulement de faire baisser d'un tiers le nombre de féminicides, mais aussi d'augmenter de près d'un tiers le nombre de dépôts de plaintes, parce qu'on sait maintenant à qui s'adresser.

Par ailleurs, je ne crois pas que nous ayons encore le temps d'attendre. Lorsque nous avons créé le bracelet antirapprochement, beaucoup nous disaient qu'il fallait attendre, y compris au sein du MODEM, mais je pense que nous avons bien fait de passer, peut-être, en force, malgré les doutes que nous avions – ils ont ensuite été levés. Le travail parlementaire permet souvent d'aller plus vite que pourraient le souhaiter l'institution judiciaire et le Gouvernement, de dépasser la prudence qui peut les caractériser.

Vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, madame Untermaier. S'agissant du périmètre, nous aurons l'occasion de débattre des violences sexistes et sexuelles, mais je crois qu'il faut s'en tenir à cette matière spécifique qui est celle des violences commises au sein du foyer, par un compagnon ou un ex-compagnon. Quant à l'appel, j'ai déposé un amendement tendant à instaurer aussi une spécialisation à ce niveau.

Monsieur Acquaviva, vous avez eu raison de rappeler que la question de la proximité est absolument fondamentale. Nous débattrons du périmètre de compétence de la juridiction spécialisée. J'ai évolué sur cette question, et il existe peut-être des angles morts sur lesquels il faudrait travailler dans le cadre de cette proposition mais aussi dans celui de la mission confiée à deux de nos collègues. La vie de ce texte ne sera pas terminée si nous l'adoptons la semaine prochaine. Le travail parlementaire continuera et permettra d'enrichir le texte.

Je donnerai un avis favorable à l'amendement évoqué par notre collègue écologiste. Elle a eu raison de poser la question des moyens, comme l'a également fait le groupe GDR. Je ne peux la traiter dans ce texte mais j'ai souvent déposé des amendements aux projets de loi de finances pour faire en sorte que le milliard d'euros fictif qui est consacré aux violences conjugales devienne un milliard d'euros réel. Sur le strict plan du fléchage budgétaire, avoir une juridiction spécialisée est une manière d'y voir clair, de savoir quels moyens sont réellement prévus et d'allouer des moyens beaucoup plus significatifs à la lutte contre ce défi gigantesque, qui mérite tout sauf d'attendre encore.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Notre rapporteur a évoqué 2019. À cette époque, il estimait qu'une telle réforme n'avait pas sa place dans une proposition de loi, mais il est vrai qu'il s'agissait alors d'une niche parlementaire du groupe LFI. Par ailleurs, le contexte électoral a sans doute changé.

Je crois que la conscience collective a beaucoup évolué au sujet des violences faites aux femmes et que nous avons beaucoup travaillé. Néanmoins, cela ne veut pas dire que tout est réglé : il reste encore du travail à faire, c'est indiscutable. Encore faut-il, pour arriver à avancer, au-delà de la question de la mission confiée à nos collègues, que les dispositifs proposés soient efficaces.

Des agents des forces de l'ordre sont formés et il existe des parquets spécialisés ou dotés de structures spécialisées. Contrairement à ce que le rapporteur a dit, les victimes savent très bien à qui s'adresser. Ce texte risque, en réalité, de créer un système illisible qui se juxtaposerait aux juges des enfants, aux juges d'instruction, aux juges aux affaires familiales et aux juges d'application des peines, qui poserait un problème de constitutionnalité concernant la participation de magistrats à une formation d'instruction et à une formation de jugement, et qui entraînerait un certain flou, voire un flou certain, au sujet de la répartition des compétences sur le plan civil et sur le plan pénal.

La justice a besoin de sérénité et de calme. Elle sait parfaitement utiliser les moyens qui sont les siens pour répondre aux attentes de la société civile sur un enjeu aussi important. Pour avoir longtemps été juge, j'ai le sentiment que nous avons besoin que tous les juges s'occupent de ces questions, et pas seulement un nombre limité d'entre eux. Il faut apporter une réponse à la question qui nous est posée, car c'est un véritable enjeu, mais votre dispositif ne me paraît pas efficace.

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Je salue sincèrement le travail du rapporteur, son implication sur ces questions et sa détermination sans faille au fil des ans. Nous partageons certains constats : il faut faire mieux et sans doute aller plus vite dans ce domaine.

Nous devons faire preuve d'humilité sur le plan politique mais aussi sur le plan technique et juridique. Ce n'est pas un sujet facile, auquel on pourrait apporter aisément une réponse ; sinon, nous l'aurions trouvée depuis très longtemps.

J'ai une vraie interrogation à propos de la spécialisation sur les violences intrafamiliales que vous souhaitez. On compare souvent le modèle français et le modèle espagnol. Or ce dernier repose sur une juridiction spécialisée non contre ces violences mais contre celles de genre, ce qui change tout.

Je suis pour qu'on avance, et vous pouvez compter sur notre détermination, monsieur le rapporteur, pour agir ensemble, mais il y a un problème : en spécialisant la juridiction sur les violences intrafamiliales, on exclut les violences sexistes et sexuelles, qui sont aussi une réalité et qui participent au continuum de violences qui débouche sur le drame des féminicides.

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Monsieur le rapporteur, personne, et surtout pas moi, ne vous fait l'injure de ne pas reconnaître votre sincérité et la constance de votre travail dans ce domaine. Convenez néanmoins que votre approche – adopter cette proposition de loi et laisser ensuite un travail se faire au cours de la navette – peut être critiquable : quand un texte est inabouti, il est inabouti, et il faut prendre garde aux effets contre-productifs. Vous pouvez trouver que la remarque de Mme Chandler était formulée d'une manière un peu sèche, mais le processus de fabrication de la loi n'est pas exactement un fab lab. L'implication de tous sur cette question est bien sûr entière, mais la mobilisation de votre groupe ce matin n'est pas à la hauteur de ce qu'elle devrait être.

Sur le fond, la question de la proximité se pose, pour les victimes mais aussi pour d'autres acteurs, en particulier les associations. Par ailleurs, ce type de proposition de loi repose toujours sur une remise en cause de ce qui a été fait jusque-là. Or le budget de la justice a augmenté de 40 %, 919 bracelets antirapprochement ont été déployés en trois ans, soit autant qu'en Espagne en dix ans, et la durée de la procédure pour les ordonnances de protection, dont vous avez promu la simplification, a été ramenée de quarante-deux à six jours. Les choses évoluent donc dans le bon sens.

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Je suis plutôt pour vous suivre, monsieur le rapporteur, car la création d'une juridiction spécialisée va dans le sens d'une meilleure administration de la justice. On le voit bien pour les mineurs : les tribunaux pour enfants et les juges des enfants fonctionnent bien, ils rendent une justice à mon avis plus efficace. Pourtant, je faisais initialement partie des députés de la majorité qui considéraient qu'il était un peu baroque qu'un juge civil puisse prononcer des mesures attentatoires aux libertés individuelles, comme les bracelets antirapprochement, ou que le juge pénal puisse prononcer des mesures relevant normalement de la compétence du juge civil, comme le retrait de l'autorité parentale.

J'estime néanmoins qu'il faudrait commencer par une évaluation des textes déjà adoptés – trois ou quatre en trois ans –, qui ont révolutionné notre droit sur la question des violences intrafamiliales. Les magistrats et les avocats nous demandent du temps pour digérer ces changements. Vous avez évoqué la difficulté pour le juge aux affaires familiales de mettre en place des bracelets antirapprochement : sommes-nous sûrs que la spécialisation du juge va régler le problème ?

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Je vous reconnais une forme de constance, monsieur Paris. Lorsque nous avons travaillé sur le bracelet antirapprochement, vous nous expliquiez que sa généralisation dès l'ordonnance de protection, c'est-à-dire avant la sentence, était une folie, mais vous avez tout de même fini par voter le texte. De même, je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue à propos du délai de six jours pour les ordonnances de protection : vous disiez que cela ne marcherait pas. J'ai fait moi-même la première évaluation du texte, il y a un an et demi : 90 % des ordonnances de protection étaient alors prises en six jours. Lorsque nous avions adopté cette mesure, les magistrats y étaient farouchement opposés ; aujourd'hui, pas un ne s'en plaint. Peut-être avez-vous gardé vos réflexes de magistrat, mais je pense que nous pouvons assumer de les bousculer un peu, de temps en temps, si nous le faisons sérieusement. Nous pouvons être satisfaits d'avoir réussi à avancer sur ces deux sujets qui faisaient l'objet d'une opposition farouche, notamment au sein de l'institution judiciaire. Je ne sais pas si la justice a besoin de sérénité et de calme. En revanche, je sais que les victimes ont besoin d'être mieux protégées : pour moi, c'est la priorité.

Monsieur Balanant, les violences de genre sont une question dont nous devons débattre. Je ne pense pas que ce soit dans ce domaine qu'une juridiction spécialisée serait la plus efficace, mais pourquoi pas. En Espagne, c'est effectivement sa compétence. Je n'ai pas de religion sur cette question.

S'agissant du phasage, puisque cette question a été abordée, nous devons commencer par le plus urgent, c'est-à-dire les violences intrafamiliales, celles qui tuent, avant de passer à d'autres types de violences.

L'objet de cette juridiction n'est pas de faire de l'affichage, mais de régler un problème qui est majeur. Le bracelet antirapprochement est en grande partie un échec. Certes, de nombreux bracelets ont été imposés aux auteurs de violences après leur passage à l'acte, mais depuis l'adoption de la loi du 28 décembre 2019, seuls treize bracelets ont été délivrés durant la phase la plus importante, qui est celle précédant le passage à l'acte. En Espagne, l'explosion des bracelets antirapprochement concerne la phase antérieure à la sentence et au passage à l'acte. Une fois qu'un individu a été condamné, d'autres mesures sont possibles pour le mettre hors d'état de nuire. Je le répète, c'est au stade de l'ordonnance de protection que le bracelet antirapprochement est le plus important.

Si cela ne marche pas en France, c'est pour une raison simple : le magistrat auquel on confie le soin d'ordonner le port du bracelet antirapprochement au stade de l'ordonnance de protection est un juge civil : c'est un juge aux affaires familiales, qui ne veut pas manier cette mesure quasi prépénale. Si nous voulons y remédier, la seule solution est de créer une juridiction spécialisée qui traite à la fois la matière civile et la matière pénale – tel est le premier objectif de la création de cette juridiction, même si je n'ai peut-être pas assez insisté sur ce point. En Espagne, c'était la véritable révolution. En France, nous avons désormais tous les outils, mais pas les praticiens. Cette révolution ne peut pas attendre : il est urgent de la mener, parce que l'absence de bracelet antirapprochement dès l'ordonnance de protection continue à tuer, de façon massive.

Article 1er (art. L. 255-1 à 257-1 [nouveaux] du code de l'organisation judiciaire) : Création d'une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales

Amendement de suppression CL14 et amendement CL15 de Mme Julie Lechanteux.

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Si je n'ai pas l'intelligence qu'il faudrait, selon vous, monsieur le rapporteur, vous avez la palme de la mauvaise foi.

L'amendement CL14 vise à supprimer l'article 1er. Nous considérons que cette proposition de loi, bien que pavée de bonnes intentions, ne ferait qu'augmenter le nombre, déjà trop important, des problèmes auxquels nos institutions judiciaires sont confrontées au quotidien, mais aussi et surtout qu'elle serait préjudiciable aux victimes.

En effet, à moins que nous adoptions l'amendement CL10 de M. Schreck ou votre amendement CL26, qui en est un copier-coller, la création d'une telle juridiction spécialisée exposerait les victimes à un problème d'éloignement de la justice. Par ailleurs, un autre magistrat pourrait statuer en cas d'absence du juge spécialisé, ce qui serait incohérent avec l'objectif de la proposition de loi. Celle-ci ne paraît pas conforme à la Constitution, puisqu'elle remet en cause le principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement. Certes, un juge ne pourrait pas présider le tribunal lorsqu'il a précédemment traité l'affaire, mais il pourrait être assesseur, ce qui viole un principe fondamental de notre droit.

À titre de repli, l'amendement CL15 tend à créer non des juridictions spécialisées, comme vous le proposez, mais la fonction de juge spécialisé, siégeant, dans tous les tribunaux judiciaires – ce qui permettrait de satisfaire à l'exigence de proximité –, au sein de collèges composés de trois magistrats. Dans la rédaction actuelle de la proposition de loi, il y aurait au moins un juge spécialisé par ressort de cour d'appel : de nombreux tribunaux pourraient donc en être dépourvus, ce qui imposerait aux victimes de se déplacer loin de leur domicile pour obtenir justice. De plus, dans la rédaction de l'article 1er que nous proposons, les juges spécialisés ne pourraient pas être remplacés par d'autres magistrats.

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Avis doublement défavorable.

Le Rassemblement national est le seul groupe à avoir osé déposer un amendement de suppression du dispositif, sans doute pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants… Je le laisse assumer ce point de vue qui, à mon sens, n'est pas à la hauteur.

L'amendement CL14 fait valoir une confusion entre l'instruction et le jugement mais c'est vous qui confondez les deux phases. Le texte tend à la création d'un tribunal spécialisé : l'instruction est confiée à un juge d'instruction sans que ce dernier rende la décision finale ; elle est également réalisée par les enquêteurs, policiers et gendarmes que je ne crois pas avoir confondus avec des juges.

De plus, je ne vois pas comment il serait possible de disposer de trois juges spécialisés dans chaque tribunal judiciaire alors que nous avons parfois des difficultés à avoir un seul juge des enfants ou des tutelles.

Enfin, s'agissant du mode dégradé que vous avez évoqué, nous n'inventons rien. Lorsqu'un juge des enfants est absent ou que son poste n'a pas été remplacé, aucune audience n'est reportée mais un autre magistrat se charge de rendre le jugement. Nous ne proposons rien de particulièrement original : nous avons calqué le dispositif sur cette organisation-là.

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Le consensus suscité par cette proposition de loi est de bon aloi.

Nous sommes favorables à la création d'un pôle spécialisé, qui nous paraît plus adaptée que celle de tribunaux spécialisés. Néanmoins, l'arbre ne doit pas cacher la forêt. La spécialisation de magistrats dans les tribunaux judiciaires ne doit pas nous empêcher d'entendre les préoccupations des magistrats, des greffiers et des avocats face au manque de moyens.

M. Coulomme a raisonné à partir du texte initial mais nous suivons l'évolution de cette proposition de loi et nous nous acheminons vers un vote favorable.

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Nous voterons contre ces amendements.

La suppression d'un dispositif est toujours lourde de sens. Vous envoyez un message d'inaction en refusant tout débat sur une question en effet consensuelle. Vous êtes d'ailleurs coutumiers du fait chaque fois qu'il est question du droit des femmes, comme ce fut le cas avec la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l'interruption volontaire de grossesse.

Il convient en effet de se diriger vers une juridiction spécialisée même si nous devons débattre de sa forme, de ses moyens, de sa territorialité et de son calendrier.

La commission rejette successivement les amendements CL14 et CL15.

Amendement CL35 de M. Aurélien Pradié.

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En cohérence avec le changement de titre qui sera examiné plus tard, je propose de substituer au mot « juridictions » celui de « pôles ».

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL2 et CL3 de Mme Cécile Untermaier.

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Avis défavorable.

Le périmètre de la juridiction spécialisée doit se limiter aux violences commises au sein du foyer par des conjoints ou des ex-conjoints, une extension risquant d'alourdir son travail.

Je souhaite que l'on puisse procéder par étapes, comme ce fut d'ailleurs le cas en Espagne où, avant la création de la juridiction spécialisée, deux volets d'action avaient été distingués. Tous les dossiers, en effet, ne relèvent pas du même niveau d'urgence et de gravité.

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La préoccupation de Mme Untermaier est légitime car un problème d'efficacité ne manquerait sans doute pas de se poser à long terme.

En Espagne, le dispositif n'a d'abord pas été très efficient. Il en a été différemment après que la société a pris conscience de ce que sont les violences sexistes et sexuelles. Je suis attaché à l'idée du continuum de violences. Nous avons précisément créé un outrage sexiste et sexuel afin que la société dise « non » à la première violence faite aux femmes – ou aux hommes, pour des raisons qui tiennent au genre. La spécialisation des juges devrait excéder les violences intrafamiliales et concerner les violences sexistes, sexuelles et de genre, qui forment un tout. Nous restons cependant ouverts à la discussion.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL23 de M. Aurélien Pradié.

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Amendement de précision rédactionnelle concernant les délits constitutifs d'une atteinte à l'intégrité « physique ou psychique » de la personne.

La commission adopte l'amendement.

Amendement CL28 de M. Aurélien Pradié, CL5 et CL6 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).

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L'amendement CL28 ajoute les délits commis par les anciens conjoints au périmètre d'action de la juridiction spécialisée.

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Je retire l'amendement CL6, qui est satisfait par l'amendement de M. Pradié.

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Je vous prie de retirer également l'amendement CL5, la rédaction de mon amendement satisfaisant elle aussi votre intention.

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L'amendement du rapporteur est en effet utile : 16,7 % des femmes en contact avec leur ex-conjoint ont subi des violences ; selon une étude canadienne, 39 % des femmes ayant subi des violences les ont subies après leur séparation : dans un tiers des cas, il s'agit d'étranglement, dans un autre tiers, de viols ou de tentatives de viol ; dans la moitié des cas, il s'agit de violences répétées, c'est-à-dire, qui se sont reproduites plus de dix fois. Enfin, dans le sous-groupe des femmes ayant eu un enfant avec leur ex-conjoint, neuf sur dix ont subi des violences verbales – insultes, menaces – ou physiques. Nous voterons donc en faveur de cet amendement.

Les amendements CL5 et CL6 ayant été retirés, la commission adopte l'amendement CL28.

Amendements CL26 de M. Aurélien Pradié et CL10 de M. Philippe Schreck (discussion commune).

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Le maintien d'une certaine proximité dans l'accès à la juridiction s'impose. Je propose donc que chaque tribunal judiciaire dispose d'une juridiction spécialisée, ce qui n'est pas contradictoire avec la première rédaction disposant qu'« Il y a au moins un tribunal des violences intrafamiliales dans le ressort de chaque cour d'appel ». La rédaction selon laquelle « Il y a au moins un tribunal des violences intrafamiliales dans le ressort de chaque tribunal judiciaire » me semble légère car je ne vois pas bien comment il serait possible de disposer de deux juridictions spécialisées dans chaque ressort.

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Je précise que nous avons proposé notre amendement avant que vous ne déposiez le vôtre. Il importe en effet que cette juridiction soit présente dans chaque tribunal judiciaire, ce que ne garantissait pas la rédaction initiale.

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Il est agaçant de voir nos collègues du groupe Renaissance voter systématiquement, mécaniquement et avec sectarisme contre les amendements visant à améliorer cette proposition de loi sans jamais donner d'arguments. Pourquoi avez-vous voté contre la proposition du rapporteur tendant à inclure dans le périmètre des nouveaux pôles les délits des ex-conjoints, dont nous savons qu'ils sont les plus violents ? Une telle attitude, qui fait insulte à notre commission, est inacceptable ! Elle contredit de surcroît les propos que vous tenez dans les médias sur votre prétendue volonté de coconstruction.

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Il est aussi possible de faire part d'orientations globales dans la discussion générale, ce qui fait d'ailleurs gagner du temps plutôt que de prendre la parole pendant deux minutes sur chaque amendement.

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Je me félicite de cet amendement tant, depuis des années, nous travaillons à l'amélioration de la justice de proximité et de la lisibilité des actions ainsi que de l'accueil au sein des tribunaux, comme nous l'avons fait avec le service d'accueil unique du justiciable (SAUJ).

Cela n'est possible que grâce à l'augmentation – sans doute insuffisante – des crédits du budget de la justice depuis trois ans… mais aussi à la présence d'un plus grand nombre de magistrats dans les tribunaux judiciaires. Nous sommes donc d'accord avec vous, mais à condition qu'il en soit ainsi.

L'amendement CL10 ayant été retiré, la commission rejette l'amendement CL26.

Amendement CL22 de M. Aurélien Pradié.

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Il vise à préciser la répartition des compétences entre le tribunal des violences intrafamiliales et le juge aux affaires intrafamiliales : une partie des délits commis en matière de violences intrafamiliales pourra ainsi être jugée par un juge unique, ce qui est déjà le cas aujourd'hui. En matière délictuelle, sont concernées les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours, délit passible de trois ans d'emprisonnement, et les violences ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours, délit passible de cinq ans d'emprisonnement.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL25 de M. Aurélien Pradié.

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La présence d'un magistrat délégué aux fonctions de juge aux violences intrafamiliales dans chaque tribunal judiciaire s'impose pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait que la justice spécialisée reste une justice de proximité.

La commission adopte l'amendement.

Amendement CL20 de Mme Sandra Regol.

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Chaque victime doit connaître les juges et les tribunaux de référence les plus proches de son domicile et, le cas échéant, pouvoir se rendre ailleurs.

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Avis favorable. Il me paraît en effet utile de préciser la compétence territoriale du juge aux violences intrafamiliales et de se fonder sur la résidence de la victime, tout en lui donnant le choix de privilégier une autre option.

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Nous voterons également en faveur de cet amendement cohérent et qui permet de revenir sur le rejet, par nos collègues du groupe Renaissance, de l'amendement CL35 du rapporteur. Les femmes victimes de violences doivent en effet pouvoir choisir une autre juridiction afin d'éviter de rencontrer leur conjoint ou leur ex-conjoint.

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C'est là le nouveau droit ouvert aux victimes.

La commission adopte l'amendement.

Amendements CL27 de M. Aurélien Pradié ; amendements CL7 et CL 8 de Mme Cécile Untermaier ; amendement CL9 de Mme Cécile Untermaier et sous-amendement CL34 de M. Aurélien Pradié (discussion commune).

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Mon amendement CL27 reprend à l'identique la rédaction du code de l'organisation judiciaire s'agissant de la compétence du juge aux affaires familiales en matière de protection à l'encontre d'un conjoint : j'anticipe un peu mais je souhaite donner ensuite un avis favorable à des amendements qui retirent cette compétence au juge aux affaires familiales. Cela permet de répondre en partie à des demandes sur la bonne définition du périmètre des compétences, deux juges ne pouvant avoir les mêmes.

Il précise également que le juge aux violences intrafamiliales est compétent pour l'application des peines s'agissant des délits commis au sein de la famille.

Enfin, il ajoute l'obligation de formation pour les juges aux violences intrafamiliales : elle est aujourd'hui facultative, contrairement à ce qui se fait en Espagne.

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Nous souhaitons préciser la compétence du juge aux violences intrafamiliales en matière civile et pénale ainsi que le périmètre des infractions commises au sein du couple ou par le ou les parents sur le ou les enfants ou sur un ascendant.

Nous précisons également que le juge est compétent pour se prononcer sur chacune des mesures de l'ordonnance de protection et qu'en cas de violences intrafamiliales, y compris en l'absence de délivrance d'une ordonnance de protection lorsque les violences sont commises au sein du couple parental, le juge aux violences intrafamiliales connaît des modalités d'exercice de l'autorité parentale en se substituant à l'office du juge aux affaires familiales.

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Demande de retrait des amendements CL7 et CL8, auxquels mon amendement satisfait.

Je vous propose que nous retravaillions ensemble l'amendement CL9 d'ici la séance publique. Vous évoquez les situations où il n'y aurait pas eu d'ordonnance de protection et où le magistrat voudrait utiliser des mesures de protection assez lourdes, notamment le bracelet antirapprochement. Je n'ai pas d'exemple de telles situations mais nous devons y réfléchir afin de nous entendre sur un amendement permettant de couvrir l'ensemble du périmètre d'action de ce magistrat.

Les amendements CL7, CL8 et CL9 ainsi que le sous-amendement CL34 étant retirés, la commission rejette l'amendement CL27.

Amendement CL17 de Mme Sandra Regol.

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Avant d'occuper ses fonctions, le juge aux violences intrafamiliales reçoit une formation spécifique.

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Avis favorable. La question de la formation est centrale. Je ne crois pas à une juridiction spécialisée sans que les magistrats aient une formation obligatoire. La formation « au fil de l'eau » ou par l'expérience ne suffira jamais à développer une véritable expertise.

Cette formation, de plus, ne doit pas être universitaire ou uniquement technique mais pratique, comme c'est le cas en Espagne, où les juges ont passé de nombreuses journées sur le terrain, dans les commissariats, les gendarmeries ou les associations.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL29 de M. Aurélien Pradié.

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Faut-il ou non spécialiser le parquet ? La désignation d'un référent aux violences intrafamiliales au sein des parquets me semble suffire pour lancer l'alerte afin que le magistrat de la juridiction spécialisée puisse s'en saisir.

Après avoir auditionné, notamment les représentants des procureurs, je ne souhaite donc pas la spécialisation des parquets. Il en va aussi, d'ailleurs, de l'opérationnalité du dispositif.

Cet amendement dispose qu'« au sein de chaque parquet, un procureur de la République est désigné référent aux violences intrafamiliales. Chaque référent suit une formation sur les violences intrafamiliales. »

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL24 de M. Aurélien Pradié.

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Il vise à créer, au sein de chaque cour d'appel, une section spécialisée chargée d'examiner l'appel des décisions du juge aux violences intrafamiliales et du tribunal des violences intrafamiliales.

La commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article 1er.

Après l'article 1er

Amendement CL19 de Mme Sandra Regol et sous-amendement CL32 de M. Aurélien Pradié.

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Coconstruction, travail parlementaire… Les bras m'en tombent face à des votes aussi incohérents. Je vous signale que la NUPES soutient un texte défendu par un collègue candidat à la direction des Républicains… Sans doute n'avons-nous pas compris ce que signifie le travail parlementaire… Après avoir martelé des discours moralisateurs sur les violences sexuelles, sexistes, intrafamiliales et sur les mineurs, le groupe Renaissance semble prendre ce sujet important avec une grande légèreté. Quand il faut passer à l'action, il la contourne par ses votes ! Il n'y a pas de quoi être fiers !

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C'est en effet n'importe quoi. Chacun prendra les positions qu'il voudra en séance publique mais je ne suis pas sûr qu'une question aussi importante doive être traitée avec autant de légèreté et par des votes hasardeux ou distraits. La position de nos collègues de la majorité est un peu facile.

Je vous invite à retirer votre amendement qui, s'il était adopté après le rejet de l'article 1er, n'aurait pas grand sens.

L'amendement est retiré.

En conséquence, le sous-amendement tombe.

Amendement CL18 de Mme Sandra Regol et sous-amendement CL33 de M. Aurélien Pradié.

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Le texte ayant été vidé de sa substance, je retire mon amendement, notre discussion n'ayant plus aucun sens.

L'amendement est retiré.

En conséquence, le sous-amendement tombe.

Amendement CL13 de Mme Élisa Martin.

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Ce qui se passe au sein de notre commission est incompréhensible.

Les collègues du groupe Renaissance votent bien entendu comme ils l'entendent mais pourquoi vider un texte de son sens ? Dans notre groupe, nous avons discuté sur l'attitude à adopter face à cette proposition de loi : nous sommes favorables aux dispositifs permettant de lutter contre les violences sexistes, sexuelles, intrafamiliales et de genre mais défavorables aux juridictions d'exception. L'amendement du rapporteur qui aurait permis de régler ce problème n'a pas été adopté. Nous avons donc poursuivi la discussion, sur des bases à peu près saines, et finalement, il n'est même plus possible d'avancer !

Nous proposions en l'occurrence que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d'évaluation mais cela n'a plus aucun fondement. J'invite les collègues de la majorité – ou de la minorité – à réfléchir sur ce qu'ils sont en train de faire, qui n'est pas beau du tout.

L'amendement est retiré.

Amendement CL11 de Mme Élisa Martin.

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Je persiste à défendre cet amendement pour deux raisons.

Nous discutons d'une proposition de loi dans le cadre d'une niche parlementaire, chiche par nature. Il est incompréhensible que, dans la tension qui nous oppose au pouvoir exécutif, lequel nous bâillonne à coups de 49.3, nous nous fassions hara-kiri en raison de comportements purement sectaires.

Notre groupe était favorable à ce que cette proposition de loi des Républicains soit discutée en séance publique après avoir été votée en commission, d'autant plus que le rapporteur a évoqué des marges de manœuvre et de discussion avant et pendant l'examen dans l'hémicycle. Nous attendons des autres groupes qu'ils en fassent de même.

Notre niche parlementaire a lieu le jeudi 24 novembre et nous savons fort bien que certains, animés par une volonté d'obstruction, ont déposé des centaines d'amendements à nos textes. Nous ne procédons pas ainsi, bien au contraire, car c'est notre dignité de parlementaires qui est en jeu.

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J'émets un avis favorable même si le rapport qu'il prévoit n'est pas vraiment le cœur du sujet.

Le tour pris par la réunion est attristant. J'insiste, il ne s'agit pas d'une matière comme les autres : il n'est pas besoin de vous rappeler les 101 femmes tuées depuis le début de l'année. Pourtant, je note une certaine légèreté, un certain désintérêt.

Je l'ai fait depuis le début et je continuerai à faire en sorte que nous puissions travailler sérieusement donc j'invite tous ceux qui avaient présenté des amendements à les déposer en séance.

Nous aurons dans l'hémicycle une discussion politique, tant sur la méthode que sur le fond. Ce n'est pas celle que je souhaitais mais manifestement c'est celle que commandent les actes des députés de la majorité.

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J'ai évoqué la nécessité sur un tel sujet de faire preuve d'humilité politique et juridique.

Je ne comprends pas le procès qui est fait à ceux qui s'opposent au texte. Nous avons parfaitement le droit de penser que le dispositif proposé est incomplet, inefficient voire contre-productif sans que cela n'enlève rien à notre volonté commune d'avancer. Nous sommes nombreux à avoir étudié le modèle espagnol et à vouloir nous en inspirer. Ce n'est pas le cas du texte.

Je ne voterai pas en faveur de la proposition de loi non par dogmatisme mais par souci de trouver ensemble le cadre juridique idoine. En restreignant votre dispositif aux violences intrafamiliales, vous manquez la cible, et de très loin. Le cas du conjoint devenu ex-conjoint depuis un moment qui tue son ancienne compagne que nous avons évoqué ne relève pas des violences intrafamiliales.

Nous devons encourager la prise de conscience globale des violences sexistes et sexuelles et améliorer leur prise en charge, ce qui suppose probablement de créer des juridictions spécialisées, lesquelles pourront traiter les violences intrafamiliales.

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Émilie Chandler a exprimé clairement la position du groupe Renaissance.

Nous sommes favorables – je reconnais, monsieur le rapporteur, que nous avons évolué sur ce point – aux juridictions spécialisées mais nous cherchons encore le chemin. La mission confiée à notre collègue Émilie Chandler et à la sénatrice Dominique Vérien doit tracer les contours d'un traitement des violences intrafamiliales adapté à notre système judiciaire. Lorsque vous avez déposé votre proposition de loi, vous saviez que les travaux de la mission n'étaient pas achevés.

Notre opposition au texte, dans l'attente des conclusions de la mission, n'obère en rien la poursuite des discussions après la séance.

Je suis surpris d'entendre les critiques de La France insoumise à l'égard du nombre excessif d'amendements sur les textes examinés dans le cadre de leur niche de la part d'un groupe qui est coutumier de l'obstruction parlementaire.

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL16 de Mme Sandra Regol et CL30 de M. Aurélien Pradié (discussion commune).

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Il est proposé une application à titre expérimental dans plusieurs territoires du texte que nous venons de vider de sa substance avant sa généralisation au 1er janvier 2026.

L'amendement est un outil magique de la vie parlementaire : il permet de faire évoluer un texte dont on considère qu'il ne va pas dans le bon sens ou qu'il est insuffisant. La commission est le bon endroit pour des discussions de fond et posées sur ce que nous souhaitons.

J'invite donc mes collègues qui déplorent le peu de place fait aux violences sexuelles et sexistes à déposer des amendements pour y remédier. Des amendements ont déjà été adoptés pour inclure les ex-conjoints ou les violences à l'extérieur du domicile. Pour nos collègues du groupe Renaissance estimant que la mention dans le titre des seules violences intrafamiliales est insuffisante, j'ai un scoop : on peut amender le titre !

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Savez-vous combien de textes visant à expérimenter le bracelet antirapprochement ont été adoptés avant qu'il soit généralisé ? Quatre. Et savez-vous combien de fois le bracelet a été utilisé avant que des députés passent en force dans le cadre d'une niche parlementaire contre l'avis du Gouvernement ? Aucune en six ans.

Il n'y a pas de chemin à chercher. Le chemin est simple : c'est celui que les Espagnols ont suivi ; celui de la création d'une juridiction spécialisée à laquelle nos propres travaux nous conduiront inévitablement. Ne nous laissons pas détourner de cet objectif.

Je ne suis pas opposé à l'expérimentation mais elle nous fera perdre du temps. Nous avons besoin d'une généralisation immédiate.

Je le rappelle, presque toutes les mesures que nous considérons tous comme un acquis aujourd'hui sont le fruit d'un passage en force des parlementaires que l'ensemble des forces politiques avait soutenu.

Il n'y a aucune raison d'attendre davantage. La mission que vous avez évoquée a été installée le 28 septembre mais ses travaux n'ont vraiment commencé qu'un mois plus tard – ce n'est pas comme si 101 femmes avaient été tuées depuis le début de l'année. Qu'allons-nous faire jusqu'en mars, date à laquelle sont attendues les conclusions que nous connaissons déjà ? Nous perdons du temps.

Si je n'avais pas le sentiment que nous sommes mûrs, je ne présenterai pas ce texte. Nous pouvons tout à fait adopter le texte en première lecture, il se passera six mois avant que le Sénat ne l'inscrive à son ordre du jour ce qui vous laissera le temps d'intégrer les recommandations de la mission. Nous ne pouvons pas attendre encore trois ans pour faire ce que les Espagnols font déjà depuis près de vingt ans.

Je maintiens mon amendement qui prévoit une entrée en vigueur différée d'un texte qui n'existe plus.

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Notre amendement de repli s'est transformé en amendement d'appel puisque le texte a disparu.

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Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas comparer les débats sur le port du bracelet antirapprochement et ceux sur la création d'une juridiction spécialisée. Pour le premier, le principe d'une expérimentation avait été voté à la suite d'un amendement à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; le ministère de la justice avait lancé des travaux en ce sens. Ainsi, lorsque vous avez présenté, avec une certaine force et des convictions, votre proposition de loi, nous avons pu suggérer des aménagements pour mettre en place le bracelet antirapprochement. La situation est autre aujourd'hui.

Nous aurons le choix entre une proposition de loi et un projet de loi du garde des sceaux attendu pour le premier semestre 2023 pour entériner les conclusions des travaux que nous menons sur les juridictions spécialisées.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 2 : Création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs

La commission rejette l'article 2.

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La proposition de loi n'ayant plus d'article, il n'y a pas lieu d'examiner les amendements portant sur le titre.

L'ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

Puis la Commission examine la proposition de loi portant création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants (n° 352) (M. Eric Ciotti, rapporteur).

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La question de l'immigration est centrale dans les préoccupations des Français, les enquêtes d'opinion en témoignent. Il est à craindre que l'actualité récente alimente encore cette inquiétude. Je pense au fiasco de l'accueil de l' Ocean Viking à Toulon, ou encore à cette série de faits divers dramatiques qui impliquent des auteurs faisant l'objet d'obligations de quitter le territoire français (OQTF), hélas non exécutées.

Les causes de l'échec des pouvoirs publics en la matière sont connues : une justice trop lente, embolisée par la masse des recours, et des règles de fond et de procédure complexes, voire contradictoires. Progressivement, la France a perdu sa pleine capacité à décider qui elle accueille ou non sur son territoire et qui elle expulse.

Voilà pourquoi le président du groupe Les Républicains, Olivier Marleix, a décidé d'utiliser la niche parlementaire qui lui est réservée pour soumettre à la représentation nationale des propositions de loi opérationnelles, qui visent à accroître la capacité d'action des pouvoirs publics en matière d'immigration.

La proposition de loi porte sur un type spécifique de mesures d'éloignement : la décision d'expulsion pour motif d'ordre public. Elle concerne la sécurité collective que menacent certains étrangers. Le champ d'application est plus restreint que celui des OQTF, mais il est très important et surtout très symbolique, car il touche à notre capacité à faire respecter les principes républicains.

L'islamisme radical arrive en tête des sujets de préoccupation des Français, devant l'immigration clandestine.

Cela montre que leur inquiétude porte non seulement sur l'immigration illégale, c'est-à-dire la situation des étrangers présents sur notre territoire en situation irrégulière, mais aussi sur les troubles à l'ordre public et les atteintes aux principes républicains que peuvent causer certains étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non. Autrement dit, la fermeté que les Français attendent des pouvoirs publics ne doit pas se limiter aux étrangers en situation irrégulière. Elle doit aussi porter, plus largement, sur les étrangers qui constituent une menace à l'ordre public.

La décision d'expulsion pour motif d'ordre public peut aussi être utilisée à l'issue de l'exécution d'une peine, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Nous assumons la double peine, c'est-à-dire la prison puis l'expulsion, ou l'inverse, dès lors que la peine peut être exécutée dans le pays d'origine – une autre proposition de loi a été déposée sur le sujet.

La décision d'expulsion est une mesure de police administrative prise par le préfet ou le ministre de l'intérieur, dans un but de protection de la société, laquelle ne peut se résoudre à attendre qu'un crime ou un délit soit effectivement commis avant de voir des individus dangereux expulsés à l'issue d'une procédure pénale. Des outils existent dans notre droit, mais ils sont mal et peu utilisés.

En 2021, il y a eu seulement 344 décisions d'expulsion pour motif d'ordre public, dont 292 à l'initiative des préfets et 52 à l'initiative du ministre de l'intérieur. En 2020, sur les 246 décisions d'expulsion, seulement 124 ont été exécutées. En résumé, peu de décisions et une mauvaise exécution.

Ces décisions donnent lieu quasi systématiquement à des recours. Plusieurs années sont souvent nécessaires pour qu'une décision définitive soit rendue.

Il n'existe aucune procédure spécifique. Ce sont les règles du droit commun qui s'appliquent, avec trois échelons de juridiction : tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'État.

La multiplicité des juridictions compétentes ne favorise pas l'homogénéisation indispensable de la jurisprudence. Nous en avons eu un exemple regrettable cet été avec l'affaire de l'imam Hassan Iquioussen. L'arrêté ministériel d'expulsion a été suspendu par le tribunal administratif de Paris dans le cadre d'un référé liberté. Cette décision a été annulée par le Conseil d'État. Il est regrettable que la République n'ait pas eu le dernier mot dans cette affaire.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons besoin d'une juridiction spécialisée pour traiter efficacement ces recours.

La proposition de loi que je rapporte aujourd'hui ne porte pas sur le fond du droit – elle ne le modifie pas –, elle est de nature procédurale. Elle concerne uniquement l'organisation juridictionnelle du traitement des recours formés contre les décisions d'expulsion d'étrangers pour motif d'ordre public.

La proposition de loi crée une cour de sûreté de la République, juridiction administrative spécialisée dans le contentieux de l'expulsion pour motif d'ordre public. Elle contribuera à alléger un peu le stock d'affaires des tribunaux administratifs, dont je rappelle qu'il est composé à 40 % par des contentieux relatifs au droit des étrangers.

C'est une simplification importante, car actuellement trois critères différents sont utilisés pour déterminer la compétence territoriale du tribunal administratif. En créant une juridiction spécialisée, nous favorisons l'homogénéisation de la jurisprudence, ainsi qu'un traitement rapide des procédures.

Pour veiller à ce que ces objectifs soient bien atteints, je propose un amendement qui étend la compétence de la juridiction à l'ensemble des décisions connexes à une décision d'expulsion.

La juridiction spécialisée sera composée de membres du Conseil d'État. Elle sera présidée par l'un d'eux, désigné par le vice-président du Conseil d'État. Elle statuera en premier et dernier ressort, avec un pourvoi en cassation possible devant le Conseil d'État. Le délai pour former un pourvoi en cassation sera réduit à quinze jours, au lieu de deux mois actuellement. Le texte abaisse aussi de quinze à sept jours les délais de recours en matière de référé liberté, toujours dans le souci d'accélérer les procédures.

Je voudrais ajouter deux points pour souligner l'intérêt de cette proposition de loi.

D'abord, il n'y a rien d'anormal ou de choquant à créer une juridiction spécialisée pour un contentieux spécifique.

Ensuite, la réforme respecte les libertés individuelles. La juridiction spécialisée est placée sous le contrôle du Conseil d'État et l'accélération des procédures bénéficiera aussi aux étrangers visés par une décision d'expulsion.

J'insiste sur le fait que la proposition de loi ne modifie pas le fond du droit. Elle ne fait que simplifier et améliorer l'organisation juridictionnelle pour mieux traiter un type de contentieux.

Par conséquent, elle devrait recueillir l'assentiment de chacun d'entre nous. Je forme le vœu, sans doute un peu vain, que cette proposition de loi nous rassemble aujourd'hui.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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La proposition de loi pèche à bien des égards.

Manœuvre d'affichage en période électorale et, plus sûrement, énième tentative de stigmatiser l'institution judiciaire, elle pointe le prétendu laxisme des juges administratifs et caricature leur inefficacité à statuer sur l'expulsion des délinquants étrangers.

N'est-ce pas un tract de campagne faisant de la création d'une juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants le remède miracle dans la lutte contre le terrorisme ? Il s'agit, mes chers collègues, d'un miroir aux alouettes, version Les Républicains ultra-droite.

La cour de sûreté de la République que vous appelez de vos vœux serait constitué de cinq membres du Conseil d'État nommés pour cinq ans. Elle serait seule compétente pour juger de l'ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d'expulsion ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d'État serait saisi directement des recours formés contre les décisions de cette juridiction.

Sous couvert d'une justice plus rapide et plus efficace dans le traitement des expulsions des étrangers délinquants, vous entendez créer un tribunal d'exception, sorte de Guantanamo à la française.

Le dispositif n'apporte aucune plus-value à la procédure administrative d'expulsion actuelle. Il est nul et non avenu, tant sur la forme que sur le fond.

D'abord, le choix de remplacer les juges administratifs appelés à se prononcer sur la légalité des arrêtés d'expulsion par une cour de sûreté de la République est dangereux. Il laisse à penser que les juges du fond ne feraient pas correctement leur travail, qu'ils se laisseraient « distraire de l'essentiel », écrivez-vous. En mettant en cause de manière mensongère l'impartialité et le professionnalisme des juges, vous alimentez encore un peu plus le « justice bashing » qui fait le lit des populismes.

Or, dans notre État de droit, le juge administratif contrôle le respect par l'administration des règles de légalité externe et interne. Ce contrôle exigeant ne mérite pas d'être battu en brèche au détour de votre proposition de loi.

Ensuite, les bénéfices qui pourraient être tirés d'une telle juridiction sont absolument inexistants. La suppression du double degré de juridiction n'est en rien opportune. En effet, il n'est pas utile de rappeler que l'expulsion d'un étranger est ordonnée lorsqu'il constitue une menace grave à l'ordre public, en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique, en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État. La décision d'expulsion est immédiate, même si un recours est déposé dès la sortie de prison ou avec un placement en centre de rétention administrative (CRA) pendant l'organisation du retour ; elle est également différée avec assignation à résidence. Le recours contre la décision d'expulsion n'empêche pas l'expulsion d'être exécutée. La suppression de l'appel ne permet nullement de rendre plus efficace la procédure d'expulsion.

Enfin, permettez-moi de m'offusquer de la référence explicite à la cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception qui avait été créée pendant la guerre d'Algérie pour statuer sur les crimes et délits politiques.

Parce qu'elle jette le discrédit sur l'institution judiciaire, en particulier sur les juges administratifs, mais aussi parce qu'elle n'améliore pas l'efficacité de la procédure d'expulsion des délinquants étrangers, le groupe Renaissance votera contre la proposition de loi.

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Le choix de s'intéresser au droit, aussi délaissé que dévoyé, de l'expulsion des étrangers délinquants nous semble pertinent.

L'exposé des motifs le rappelle très bien, la plupart des attentats terroristes en France sont commis par des étrangers, sans même compter les binationaux ; un tiers des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour prévention de la radicalisation à caractère terroriste sont des étrangers.

Le rapport d'information rédigé par le sénateur François-Noël Buffet dresse le constat d'un droit des étrangers devenu illisible et incompréhensible, sous l'effet de l'empilement de réformes successives, de procédures inefficaces et d'un manque de moyens des services de l'État pour les appliquer.

En 2021, ont été prononcées 143 226 mesures d'éloignement, le taux d'exécution, s'établissant à 9,3 %, retours volontaires et spontanés inclus ; quant aux OQTF, au premier semestre 2021, 62 207 ont été prononcées et 3 501 exécutées, soit un taux d'exécution de 5,6 %. De surcroît, il n'existe que 1 800 places en CRA.

Notre pays souffre d'une législation erratique, de plus en plus laxiste, vidée de sa substance et privée de moyens pour être appliquée. Pour parfaire ce travail de démolition, on peut compter sur une jurisprudence européenne, qui s'impose à nos juges nationaux, complaisante avec l'immigration illégale et surprotectrice avec l'étranger délinquant. Tout le système est organisé de manière à ce que l'éloignement ne fonctionne pas.

Face à ce dysfonctionnement politique et législatif, on voit mal ce qu'une juridiction d'exception telle que la cour de sûreté de la République pourrait apporter. En premier lieu, elle est mal nommée, puisque son intitulé renvoie à la cour de sûreté de l'État, instituée par la loi du 15 janvier 1963, qui était une juridiction pénale. Ici la matière est administrative et la composition de la juridiction également. La dénomination est donc inadéquate.

En deuxième lieu, la cour de sûreté de la République est compétente en matière de droit de l'expulsion des étrangers délinquants. Or cette matière relève des juridictions administratives. Il serait assez indélicat à leur endroit de leur retirer des attributions.

En troisième lieu, la pertinence de la création d'une telle cour, tout en conservant les mêmes personnels qui seraient alors déplacés d'une cour à une autre, n'est pas évidente. L'affectation de dix conseillers d'État à son contentieux priverait les autres contentieux administratifs de leur juge de cassation. Par ailleurs, les membres de la juridiction d'exception ne pourront évidemment pas siéger dans le cas de recours en cassation dirigés contre les décisions auxquelles ils auront pris part.

Si l'idée d'attacher à chaque contentieux son tribunal spécial peut sembler séduisante, son application obligerait à repenser complètement l'ordre juridictionnel français pour éviter sa complète dislocation. Elle accroîtrait en outre l'engorgement dont souffre déjà l'ensemble du système judiciaire en France.

Le contentieux de l'expulsion des étrangers souffre de maux aigus qui portent atteinte à l'ordre public et, partant, fragilisent dangereusement notre pays. Le droit en cette matière est de plus en plus laxiste et permissif, ce qui va à l'encontre des intérêts de l'État. Les moyens de l'appliquer ont été volontairement retirés aux autorités publiques, comme à l'institution judiciaire, par complaisance à l'égard d'une certaine idéologie européenne qui poursuit des objectifs contraires à la souveraineté des États parties.

Le juge administratif ne fait qu'appliquer une réglementation qui a été vidée de toute substance. Face à cet état du droit passablement délabré, la création d'une juridiction ad hoc ne permettra pas de reprendre les rênes du contentieux.

Nous ne pourrons pas voter la proposition de loi si nos amendements ne sont pas adoptés.

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Surenchère médiatique, inefficacité manifeste et clientélisme menaçant. Comme le disait l'avocat Éric Dupond-Moretti, pour chaque situation exceptionnelle, une loi, une juridiction d'exception. Voilà votre réponse aux faits divers des dernières semaines !

Vous auriez pu, comme notre collègue Aurélien Pradié, travailler votre sujet, mais le Congrès des Républicains vaut bien la démagogie, même ici dans notre commission.

Vous êtes plus ferme que la majorité et moins que le Front national, alors méfiez-vous, les gens préfèrent l'original à la mauvaise copie.

Vous faites un amalgame abject entre étrangers et délinquance dans votre exposé des motifs. Vous n'hésitez pas à associer, d'une manière simpliste, étrangers et terrorisme, sous prétexte que la plupart des attentats seraient commis par des ressortissants étrangers. Or, non, monsieur le rapporteur et mes collègues du Rassemblement national, les chiffres du ministère de l'intérieur, au 28 avril 2021, indiquent que 61 % des attentats ont été commis par des Français.

Vous êtes prompts à vous insurger contre certaines juridictions d'exception – le Parquet national financier – mais vous vous voulez en créer une nouvelle pour les étrangers.

Vous prenez le cas de l'imam Iquioussen, imam sexiste, homophobe et intolérant comme tous les fanatiques de toutes les religions, poursuivi par le ministre de l'intérieur jusqu'en Belgique, malgré un déjeuner entre eux électoralement gratifiant pour ce dernier. Pourquoi cet imam n'a-t-il jamais été condamné ? Pourquoi ses propos abjects n'ont-ils pas donné lieu à un rappel à la loi ? Je vous soupçonne de vouloir rétablir les lettres de cachet et les condamnations sans juge. Vous détournez l'affaire en évoquant la difficulté d'expulsion, après que le juge administratif a suspendu l'arrêté d'expulsion, décision annulée ensuite par le Conseil d'État. Or, telle est bien la procédure prévue par notre droit. Peut-être souhaitez-vous, cher collègue, nous débarrasser des voies et délais de recours, ainsi que de nos juridictions héritées de la longue marche vers la protection des libertés et la consolidation de l'État de droit ?

Vous faites référence à la cour de sûreté de l'État, instaurée par le général de Gaulle dans le contexte particulier de la guerre d'Algérie pour lutter efficacement contre les militaires putschistes et l'organisation d'armées secrètes. Vous singez le général, mais vous jouez au père Le Pen. Vous proposez la création d'une juridiction d'exception qui entérine une inégalité de droits entre les Français et les étrangers. En quoi un terroriste français fait-il plus ou moins mal qu'un terroriste étranger ? Notre droit prévoit déjà des mesures d'éloignement contre les ressortissants étrangers qui menaceraient l'ordre public. Ce qui vous agace, c'est que les intéressés peuvent déposer des recours et des référés suspension devant le juge administratif, comme tous les Français quand ils font l'objet d'une décision administrative. Vous jugez cela trop complexe et trop lent.

Si vous vouliez de la rapidité, vous auriez dû voter nos amendements visant à doter la justice de moyens humains et matériels supplémentaires, mais vous avez préféré les caricatures et les incantations. C'est pourtant de votre faute si la justice est démunie. Quand vous étiez aux responsabilités entre 2007 à 2012, vous avez clochardisé le service public de la justice – c'est le monde judiciaire qui le dit.

Nous n'avons pas besoin d'une loi créant une juridiction spécialisée pour traquer les étrangers, une loi de la surenchère médiatique destinée à alimenter les débats de comptoirs et peut-être les congrès.

Avec cette proposition de loi, aussi étonnante qu'inutile, vous vous situez, cher collègue de droite, entre la catapulte de Mme Le Pen et le charter de M. Darmanin. Nous voterons donc contre. Nous ne sommes pas ici au Congrès des Républicains.

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Les débats sur l'immigration sont récurrents, tant dans la société que dans notre hémicycle. Ils semblent sans fin et surtout loin de s'arrêter : les guerres, les événements climatiques, les inégalités économiques entre les continents vont amplifier les mouvements migratoires ; à nous de nous y préparer.

Depuis trente-cinq ans, de la loi Pasqua de 1986 à la loi Collomb de 2018, vingt et une lois ont été votées au gré des majorités et des événements. Cette inflation législative a-t-elle été efficace ? Oui certainement ; cependant, la législation actuelle est complexe, les textes et les procédures sont devenus illisibles.

La création d'une juridiction spécialisée est présentée par les auteurs de la proposition de loi comme une solution permettant de garantir l'accélération des expulsions d'étrangers ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées en même temps que de protéger les droits de la défense. Si nous pensions que la solution était là, nous voterions le texte bien volontiers. Cependant, il y a dans notre pays quelques principes à respecter : les droits de la défense, la garantie de l'appel et bien d'autres choses encore que vous connaissez bien.

L'exposé des motifs indique qu'en 1977, la France expulsait plus de 5 000 étrangers, alors qu'elle n'en exclut que très peu désormais. Il se trouve qu'entre-temps, elle a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme dont l'article 8 protège la vie privée et familiale de l'étranger. Nous devons le respecter. Notre droit est protecteur et respectueux des femmes et des hommes qui vivent sur notre territoire, nous devons nous en féliciter.

Les auteurs du texte justifient la création d'une nouvelle juridiction par la complexité des procédures d'expulsion. Si notre groupe partage ce constat, faut-il pour autant y répondre de cette manière ? La proposition de loi permet-elle d'améliorer le traitement judiciaire ? Ne conduirait-elle pas au contraire à une justice dégradée ?

La cour de sûreté de la République, composée de cinq membres du Conseil d'État nommés pour cinq ans, serait seule compétente pour juger de l'ensemble des recours contre les arrêtés ministériels et préfectoraux d'expulsion administrative, ainsi que pour statuer en référé. Le Conseil d'État serait saisi directement des recours contre les décisions de cette juridiction. Sur le fond et sur la forme, cette proposition appelle quelques observations.

D'abord, le nom retenu pour la cour interroge, en raison de la référence explicite à la cour de sûreté de l'État, juridiction d'exception chargée de statuer sur les crimes et délits politiques et créée dans le contexte particulier de la guerre d'Algérie. Ce choix relève d'une certaine forme de provocation, disons-le.

Le titre de la proposition de loi pose également question : l'expulsion a pour objet de parer à une menace ; elle a un caractère préventif et non répressif. L'usage du vocable « étranger délinquant » et la dénomination de la cour concourent à transformer la procédure en une sanction.

Ensuite, la suppression du double degré de juridiction pose problème : celui-ci constitue une garantie de bonne justice, en particulier en matière pénale.

Si nous pouvons nous accorder sur les dysfonctionnements et l'encombrement des juridictions administratives, le remède ne peut pas porter atteinte aux garanties procédurales dont tout justiciable peut bénéficier, fût-il délinquant ou menaçant l'ordre public.

Par ailleurs, vous semblez minorer les difficultés que peuvent rencontrer les services de préfecture dans le choix des procédures les plus adéquates. C'est la raison pour laquelle, par une instruction du 29 septembre 2020, le ministre de l'intérieur les a encouragés à envisager la mesure d'expulsion, chaque fois qu'elle pouvait être légalement appliquée.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate et apparentés ne soutiendra pas ce texte.

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En dépit de la vérité alternative que La France insoumise voudrait imposer, les faits sont têtus : la plupart des attentats terroristes en France ont été commis par des étrangers. J'en dresse la liste pour que chacun en ait bien conscience : dans l'attentat au Stade de France, deux terroristes de nationalité irakienne figurent aux côtés de deux tristement célèbres ressortissants belges ; l'attentat dans le Thalys en août 2015 est le fait d'un ressortissant marocain ; l'auteur de l'attentat à Nice le 14 juillet 2016 était un ressortissant tunisien, titulaire d'une carte de résident ; le double assassinat de Marseille en 2017 a été commis par un ressortissant tunisien ; les attaques contre des militaires à Levallois-Perret ont été perpétrées par un ressortissant algérien ; sont impliqués : au carrousel du Louvre, un ressortissant égyptien ; dans l'attaque contre des policiers à Notre-Dame de Paris, un ressortissant algérien ; dans l'attentat terroriste de la rue Victor Hugo à Lyon en mai 2019, un ressortissant algérien, détenteur d'un visa touristique ; dans le double assassinat terroriste de Romans-sur-Isère en avril 2020, un réfugié soudanais, détenteur d'un titre de séjour de dix ans ; dans l'attaque au couteau de Villeurbanne en septembre 2019, un demandeur d'asile afghan ; dans l'attentat contre un professeur à Conflans-Sainte-Honorine, un ressortissant russe d'origine tchétchène.

Toutes ces attaques, même si elles sont le fait d'individus présentés comme isolés, demandent un soutien logistique qu'apportent des individus présents sur le territoire national. Elles sont le fruit d'incitation à la haine, de prosélytisme, d'apologie du terrorisme qui doivent être combattus par tous les moyens, parmi lesquels l'expulsion des complices et de ceux qui incitent à de tels actes.

Sur les 12 000 personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, plus de 4 000 sont des étrangers.

Le droit applicable à l'expulsion des étrangers pour un motif d'ordre public se caractérise par sa grande complexité, tant sur le fond que pour la procédure. En outre, plusieurs décisions connexes prises par l'autorité administrative compétente peuvent faire l'objet de recours contentieux distincts, allongeant d'autant les procédures et mettant en échec l'action publique.

La proposition de loi institue une cour de sûreté de la République, juridiction unique et spécialisée pour connaître des recours formés au fond et en référé contre les décisions d'expulsion et les décisions fixant le pays de destination de décisions d'expulsion. Elle simplifie à la fois les règles de compétence juridictionnelle – en l'état du droit, il faut distinguer trois cas de figure pour déterminer le tribunal administratif territorialement compétent – et la procédure contentieuse devant le juge administratif, en supprimant un échelon de juridiction. Il est ainsi prévu que seul le Conseil d'État puisse connaître les appels ou pourvois en cassation formés contre les décisions de la cour de sûreté de la République.

La proposition de loi favorise aussi l'homogénéisation de la jurisprudence en matière d'expulsion des étrangers. Enfin, elle vise à accélérer la procédure contentieuse en réduisant les délais de recours et d'examen de ces recours par le Conseil d'État.

Le maître mot du texte que vous présente le groupe Les Républicains est l'efficacité.

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Je tiens à rappeler deux éléments : le juge judiciaire est le garant de la liberté individuelle et veille au respect de la procédure – arrestation, contrôle d'identité, enquête, garde à vue, détention – tandis que le juge administratif est le gardien de la légalité des décisions de l'administration – refus d'admission sur le territoire, refus de séjour, mesures d'éloignement.

Sous couvert de simplifier le contentieux, votre proposition de loi vise à affaiblir les garanties juridictionnelles dont l'éloignement des étrangers est assorti au nom de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Elle cherche à faciliter les expulsions en s'appuyant sur une interprétation erronée du droit à la sûreté, consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme.

La création d'une juridiction unique risque de fragiliser le droit au recours effectif et de bouleverser le contentieux de l'expulsion. Aujourd'hui, ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d'État en cassation ne permet de suspendre l'expulsion ; seule une procédure en urgence le permet, et ce, de manière temporaire et dans des délais très resserrés.

Votre idée pourrait affaiblir les moyens affectés aux autres contentieux, alors que les délais moyens sont aujourd'hui très, voire trop longs pour nos concitoyens. On estime aujourd'hui à 5 000 le nombre de magistrats de l'ordre judiciaire nécessaires. Faisons un effort exceptionnel pour offrir à tous une justice efficace dans le respect de nos principes et de la dualité de nos juridictions.

En poussant jusqu'à l'absurde votre raisonnement, on pourrait créer d'autres juridictions spécialisées selon les délais et les catégories de personnes. À situation exceptionnelle, nous avons défendu des moyens exceptionnels. Le groupe Socialistes et apparentés votera contre la proposition de loi, qui ne répond certainement pas à aux besoins des justiciables, qu'ils soient étrangers ou nationaux.

La séance est levée à 13 heures 10.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Julie Lechanteux, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Matthias Tavel, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Aymeric Caron, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, Mme Mathilde Panot, Mme Danielle Simonnet

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-François Coulomme, M. Laurent Jacobelli, M. Paul Molac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya