Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mardi 24 janvier 2023 à 15h00
Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi adopté par le sénat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Je commencerai par une remarque de forme : le Gouvernement a pris l'habitude de demander au Parlement de légiférer par ordonnance, ce qui est, répétons-le, une façon de déposséder la représentation nationale de sa compétence. Ce constat est particulièrement criant lors de l'examen de projets de loi de transposition et de mise en conformité au droit de l'Union européenne, puisque 10 % de l'ensemble des habilitations portent sur une transposition du droit européen. Un tel fonctionnement institutionnel est souvent justifié par la prétendue lenteur de la navette parlementaire. Pourtant, 10 % des habilitations n'aboutissent à aucune ordonnance, et plus d'un tiers des ordonnances ne sont pas ratifiées par le Parlement. Enfin – sourions –, certaines ordonnances ont été prises sur le fondement de textes européens validés deux législatures plus tôt… Aussi l'amendement déposé en commission des affaires sociales, qui rédige la transposition plutôt que d'accorder une habilitation à légiférer par ordonnance, va-t-il dans le bon sens. Nous invitons le Gouvernement à faire plus d'effort dans ce domaine.

J'en viens au fond. Certaines transpositions confortent le droit en vigueur. Nous nous réjouissons que le droit européen montre qu'il peut être un vecteur non seulement d'harmonisation entre les États membres, mais aussi d'approfondissement des droits sociaux. Le texte précise ainsi les modalités du congé des proches aidants et renforce l'information des travailleurs ; il approfondit la coopération européenne en matière de protection de l'enfance, tout comme les obligations de lutter contre les faux médicaments.

Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, qui défend une véritable décentralisation, se félicite du transfert des aides à l'installation des agriculteurs aux régions qui en feront la demande.

En revanche, certaines dispositions ne nous semblent pas positives. Tout d'abord, le produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle s'ajoute aux dispositifs qui existent déjà en France : on peut se demander s'il trouvera vraiment son public, comme on peut s'étonner de l'apparition d'un outil favorisant la retraite par capitalisation juste avant le débat sur la réforme des retraites.

Ensuite, le texte ne saisit pas l'occasion de mieux réglementer l'usage de la blockchain. Le régime pilote de l'article 5 permet de larges aménagements du cadre prudentiel opéré par l'AMF. Le Gouvernement justifie ce contrôle minimal en arguant qu'il améliorera l'attractivité de la place boursière de Paris ; il nous semble pourtant difficile de sacrifier les moyens du contrôle prudentiel, car en cas de crise, c'est toute la solidarité nationale qui sera mise à contribution.

La mise en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne nous oblige à réduire la portée d'une disposition pourtant pleine de bon sens : l'interdiction, pour les acteurs économiques condamnés pour des délits graves, de se porter candidats à un marché public. Cette adaptation est regrettable ; il nous reste donc à espérer que l'évaluation de ces entreprises sera véritablement contraignante.

En matière de lutte contre le réchauffement climatique, le Gouvernement fait pour le moins preuve de minimalisme. Les nouvelles normes de taxation des poids lourds sur certains tronçons d'autoroute ne seront applicables qu'en 2024 et même, pour certaines, en 2030.

Cette solution, qui évite au Gouvernement de déstabiliser l'équilibre des contrats de concession, retarde l'instauration d'une fiscalité environnementale plus poussée. On peut également regretter que les dispositifs optionnels de la directive ne soient pas transposés.

Voilà les quelques remarques que je voulais faire sur un projet de loi qui couvre des domaines de compétence très disparates et traite de sujets qui ne sont pas négligeables. Un certain nombre de dispositions vont dans le bon sens, aussi le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera-t-il ce projet de loi.

Je souligne toutefois qu'il relève, dans son ensemble, d'une approche très technocratique. Où est le souffle citoyen ? Où est l'impulsion à l'union, à l'adhésion démocratique ? Débattre sur la publicité des salons esthétiques est sans doute utile, mais ce n'est pas ainsi que l'on renforcera la volonté de vivre ensemble, d'affronter ensemble un monde incertain et dangereux.

Depuis des décennies, nous bâtissons une Europe technique. Même sur ce plan, il reste à établir une convergence fiscale et sociale, indispensable à un fonctionnement équilibré et juste de la concurrence économique. Il faut également prendre en considération la diversité des cultures, des niveaux de développement, ainsi que la situation particulière des régions périphériques et des milieux insulaires. Ainsi, la Corse – je veux quand même le dire – n'est pas considérée pour ce qu'elle est réellement, ni dans sa dimension économique ni – encore moins – dans sa dimension historique.

Nous avons donné un corps à l'Union européenne ; et c'est très bien. Reste à lui donner une âme.

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