Intervention de Thierry Alves

Réunion du mardi 24 janvier 2023 à 17h20
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille :

Franck Elong Abé est arrivé le 17 octobre 2019 à la maison centrale d'Arles. Moins de six mois après son arrivée, mes services ont sollicité une orientation en QER. Comme vous l'avez dit, plusieurs événements ont eu lieu : des sollicitations de passage en QER, l'absence de sollicitation, et à nouveau une sollicitation en janvier 2022.

Lorsque Franck Elong Abé arrive dans notre direction interrégionale, il est placé en isolement. Il va d'abord vivre une détention compliquée, mais qui tendra à s'améliorer au fil du temps. Vous aurez noté que Franck Elong Abé a été vu à de multiples reprises au sein de l'établissement dans le cadre d'une organisation sur laquelle je reviendrai, qu'il a fait l'objet d'un suivi et qu'il n'y a pas eu d'alerte remontée jusqu'à la DISP, ni de compte rendu de CPU transmis ou visible sur notre outil Genesis. Le comportement de l'intéressé, qui était suivi dans le cadre du GED des Bouches-du-Rhône, n'a pas appelé de remarques particulières au niveau de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (Cirp).

En parallèle, des observations sont émises par une psychologue en charge du suivi des détenus radicalisés. Parmi ces observations, je note en juillet 2021 la remarque suivante : « M. Franck Elong Abé s'investit exclusivement au sport, sans pour autant investir d'autres champs. Il me semble que lui non plus ne soit pas passé par le QER et cela semblerait intéressant avant une orientation éventuelle en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), sachant qu'il est sortant en 2023 ». Nous sommes alors toujours dans la perspective d'une orientation de l'intéressé en QER, c'est ce qui se passera au mois de janvier 2022, dans l'optique de sa préparation à la sortie. Puis, en novembre 2021, la psychologue expliquera qu'au regard de sa libération prochaine, « il semblerait indispensable que Franck Elong Abé puisse être évalué en QER, sachant qu'il n'y est pas passé durant son incarcération, malgré une condamnation pour association de malfaiteurs terroristes ».

Au 2 mars 2022, sur les 26 terroristes islamistes (TIS) présents, 23 ont fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire : 18 sont partis en QER, et 5 en évaluation ambulatoire. C'est donc en janvier 2022 qu'est remontée à la DISP cette sollicitation pour une affectation en QER dans la perspective de sortie de prison de Franck Elong Abé. L'information est réceptionnée par mes services et immédiatement relayée auprès de la direction de l'administration pénitentiaire qui prend acte de cette sollicitation et répond que l'intéressé fera l'objet d'une étude pour une éventuelle affectation en QER dans le cadre d'une prochaine commission. L'information a donc bien été traitée à l'échelle locale et elle suit son cours au gré des différentes évaluations.

Ceci m'amène à vous préciser que ce dispositif concerne plusieurs départements au sein de la DISP: la mission interrégionale de lutte contre la radicalisation violente, le département sécurité et détention, le département ressources humaines, et le département des politiques d'insertion, de probation et de prévention de la récidive.

Concrètement, le rôle de la mission interrégionale de lutte contre la radicalisation violente est d'accompagner les professionnels et le déploiement des dispositifs sur le terrain, de coordonner ces dispositifs, d'animer un réseau, de mettre en place des formations et de collaborer avec le département sécurité et détention. Dans ce cadre, le travail se révèle complexe puisqu'il porte sur de l'humain. Les membres de la mission interrégionale sont des psychologues et des éducateurs qui apportent un regard clinique sur des situations individuelles et de groupe, sur le fonctionnement psychique des intéressés ; ils renforcent la pluridisciplinarité autour d'un phénomène complexe à appréhender, travaillent sur le champ des croyances, des représentations et des attitudes, au travers de rapports confidentiels. Le département sécurité et détention, qui assure le suivi des orientations, est présent à travers une commission interrégionale de prévention de la radicalisation violente au sein de laquelle sont étudiées les différentes situations remontées par les établissements selon des consignes claires émanant du directeur de l'administration pénitentiaire, que j'ai relayées auprès de l'ensemble des établissements. Ce département assure le suivi des modalités de prise en charge au sein des établissements afin de veiller à la mise en œuvre de la réglementation, il s'assure du signalement des incidents et effectue des rappels réguliers concernant les différentes dispositions attendues.

Le lien avec la Cirp, elle-même alimentée par les délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP), se fait également dans le cadre de cette même commission dédiée au cours de réunions mensuelles.

Enfin, les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation peuvent être des référents. Certains sont des référents de radicalisation, comme c'est le cas dans les Bouches-du-Rhône. Ils participent aux travaux, assurent les suivis individuels, prennent part aux GED, aux CPU, et proposent le cas échéant des rapports pluridisciplinaires.

Tel est le cadre dans lequel s'exerce ce travail.

Je rappelle que 78 personnes étaient identifiées comme radicalisées, 26 TIS dont 23 ont fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire. Pour ceux qui n'avaient pas fait l'objet d'une évaluation, tout a été mis en œuvre dès que cette sollicitation est survenue en janvier 2022, afin que l'évaluation puisse se réaliser dans les meilleures conditions.

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