La réunion

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Mardi 24 janvier 2023

La séance est ouverte à 17 heures 20

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

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Nous auditionnons aujourd'hui M. Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille, accompagné de Mme Stéphanie Héry, cheffe du département sécurité et détention à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Sud-Est – Marseille.

Les DISP constituent l'échelon déconcentré de la direction de l'administration pénitentiaire. Les directeurs et directrices ont autorité sur les établissements pénitentiaires et services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) relevant de leur ressort. À cet égard, la maison centrale d'Arles relève de la DISP de Marseille.

Monsieur le directeur, nous allons vous interroger sur l'évaluation que vous faisiez du fonctionnement de la maison centrale d'Arles avant la survenue de l'agression mortelle d'Yvan Colonna le 2 mars 2022. Nous recueillerons également vos réactions à la lumière des dysfonctionnements relevés et des observations formulées par l'Inspection générale de la justice (IGJ) dans des termes assez vifs. Ces termes interrogent beaucoup les membres de la commission parlementaire. Je parle évidemment du rapport de juillet 2022 concernant votre direction, mais aussi les services placés sous votre autorité.

S'agissant de la prévention et de la lutte contre la radicalisation, nous reviendrons sur la manière dont est assuré le suivi des avis émis par les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) dangerosité. Il s'agit d'un des points des plus lourds soulevés par l'IGJ. Plus spécifiquement, comment a été géré le cas de Franck Elong Abé, s'agissant de son orientation – ou plutôt de son absence d'orientation – en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) ?

Notre rapporteur vous a adressé un questionnaire pour vous permettre de préparer cette audition. Nous n'aurons peut-être pas le temps d'aborder l'ensemble des questions qu'il contient, mais nous vous remercions de bien vouloir transmettre ultérieurement à la commission les éléments de réponses écrits, ainsi que tout autre élément d'information que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.

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À ce stade, je n'ai pas de déclaration supplémentaire à faire. Nous allons pouvoir procéder à l'audition de M. Alves.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. M. Alves, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thierry Alves prête serment.)

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je m'exprime aujourd'hui en qualité de directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille. Cette direction couvre deux régions, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la collectivité de Corse, et quatre cours d'appel : Aix-en-Provence, Bastia, Grenoble et Nîmes. Elle compte 4 300 agents, accueille 8 250 détenus et prend en charge 17 000 personnes faisant l'objet d'un suivi en milieu ouvert. Cette DISP connaît un taux de surencombrement moyen de 138 % au niveau des maisons d'arrêt. Ainsi, 160 personnes doivent dormir sur des matelas posés à même le sol en raison de cette surpopulation carcérale.

Après une trentaine d'années d'exercice, je me présente à vous avec beaucoup d'humilité. Le contexte de tension permanente qui marque nos établissements nécessite une mobilisation constante de nos personnels. Or les métiers de l'administration pénitentiaire sont encore trop peu connus et ses personnels trop peu reconnus, dans le cadre de la mission difficile et dangereuse qu'ils exercent. Les comportements violents, nombreux, constituent malheureusement le lot quotidien des personnels qui contribuent à la sécurité des citoyens français.

Je souhaite souligner qu'on demande beaucoup à l'administration pénitentiaire, qui se situe en bout de chaîne, là où le reste de la société et d'autres professionnels ont échoué. Travailler sur de l'humain est extrêmement complexe : il s'agit de lutter contre les violences et de lutter pour faire appliquer le droit. Pour ma part, j'assure la mise en œuvre et l'animation de la politique pénitentiaire à l'échelle interrégionale, tout en contribuant à la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de prise en charge et de prévention de la récidive des personnes placées sous main de justice.

Il faut renforcer la pluridisciplinarité face au phénomène complexe du terrorisme et de la radicalisation violente. Nous devons travailler sur les capacités de socialisation, d'autonomie, d'insertion : il s'agit de notre travail quotidien, qui s'effectue dans un cadre compliqué pour tous ceux qui y prennent part.

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J'ai bien entendu votre exposé général sur le rôle de la direction et les difficultés à gérer de l'humain. Nous avons déjà entendu ces propos lors des auditions : ils ne font l'objet d'aucune critique et nous sommes nous-mêmes de fervents défenseurs de l'administration pénitentiaire et de la justice. Néanmoins, nous sommes ici confrontés à une affaire que d'aucuns, moi y compris, qualifient d'affaire d'État. Le rapport de l'IGJ tient des propos assez durs quant au fonctionnement de la maison centrale d'Arles, puisqu'il emploie les termes d'« effacement de la ligne hiérarchique ». Ces propos visent bien sûr l'ancienne directrice de l'établissement, mais aussi la direction interrégionale et l'administration centrale.

Vous avez présenté des chiffres très importants en termes de personnels, de détenus, etc. Néanmoins, la maison centrale d'Arles est la seule centrale sous votre autorité parmi les treize maisons centrales françaises. Cet établissement est certes marqué par un haut degré de dangerosité, mais seuls quinze détenus particulièrement signalés (DPS) y séjournaient au moment des faits, ainsi que quatre terroristes islamistes (TIS). Ces données sont à mettre en regard de l'extrême rigueur des instructions de gestion des DPS. Je pense particulièrement à l'instruction du 11 janvier 2022 qui a réactualisé les modalités de surveillance des détenus et de détection des incidents, et, plus généralement, à l'ensemble des procédures à respecter dans le cadre de la gestion des détenus TIS et radicalisés (RAD). Je fais référence, bien sûr, aux CPU dangerosité, à la possibilité de transfert en QER, à l'action du renseignement pénitentiaire, aux groupes d'évaluation départementaux (GED) auxquels vous participez, autant d'outils qui ont vocation à permettre de gérer le faible public de cette maison centrale, marquée par un haut degré de dangerosité. Nous avons donc des difficultés à comprendre comment nous en sommes arrivés là dans ce contexte, compte tenu, qui plus est, de la présence d'une coordinatrice interrégionale en charge de la prévention de la radicalisation violente, qui aurait dû faire preuve de plus de vigilance comme le relève l'IGJ ; compte tenu également de l'existence de l'unité de la sécurité et du renseignement de la DISP, chargée notamment d'assurer un suivi régulier de l'outil de repérage des phénomènes de radicalisation – 56 personnes concernées à l'échelle de la DISP, ce qui n'est pas si important. Je vais donc en venir aux questions pour lancer le débat.

Premièrement, comment expliquer l'absence de prise en compte des trois CPU dangerosité de 2020 et 2021, qui concluaient de manière unanime à la nécessité du transfert en QER de Franck Elong Abé ? Celle datant du 6 mai 2021 mentionne un passage à l'acte, fait le portrait de quelqu'un voulant mourir en héros par l'islam, alors que la détention ordinaire a été validée en février 2021, soit seulement quatre mois plus tôt. En outre, la CPU de janvier 2022 amène la coordinatrice de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV) à avertir l'administration centrale qui enclenche alors le processus de transfert en QER, dans la perspective de la sortie du détenu prévue en mai 2023. Mais ce processus n'aboutira pas, en raison de l'absence d'un rapport qui aurait dû être élaboré par la cheffe d'établissement et le service de probation. Comment se fait-il qu'aucune alerte n'ait été émise et qu'aucune gestion proactive n'ait été mise en œuvre suite aux trois CPU, et comment se fait-il que la quatrième CPU ait donné lieu à un traitement aussi erratique ?

Deuxièmement, quel est votre avis sur l'utilité du transfert en QER de Franck Elong Abé ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Franck Elong Abé est arrivé le 17 octobre 2019 à la maison centrale d'Arles. Moins de six mois après son arrivée, mes services ont sollicité une orientation en QER. Comme vous l'avez dit, plusieurs événements ont eu lieu : des sollicitations de passage en QER, l'absence de sollicitation, et à nouveau une sollicitation en janvier 2022.

Lorsque Franck Elong Abé arrive dans notre direction interrégionale, il est placé en isolement. Il va d'abord vivre une détention compliquée, mais qui tendra à s'améliorer au fil du temps. Vous aurez noté que Franck Elong Abé a été vu à de multiples reprises au sein de l'établissement dans le cadre d'une organisation sur laquelle je reviendrai, qu'il a fait l'objet d'un suivi et qu'il n'y a pas eu d'alerte remontée jusqu'à la DISP, ni de compte rendu de CPU transmis ou visible sur notre outil Genesis. Le comportement de l'intéressé, qui était suivi dans le cadre du GED des Bouches-du-Rhône, n'a pas appelé de remarques particulières au niveau de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (Cirp).

En parallèle, des observations sont émises par une psychologue en charge du suivi des détenus radicalisés. Parmi ces observations, je note en juillet 2021 la remarque suivante : « M. Franck Elong Abé s'investit exclusivement au sport, sans pour autant investir d'autres champs. Il me semble que lui non plus ne soit pas passé par le QER et cela semblerait intéressant avant une orientation éventuelle en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), sachant qu'il est sortant en 2023 ». Nous sommes alors toujours dans la perspective d'une orientation de l'intéressé en QER, c'est ce qui se passera au mois de janvier 2022, dans l'optique de sa préparation à la sortie. Puis, en novembre 2021, la psychologue expliquera qu'au regard de sa libération prochaine, « il semblerait indispensable que Franck Elong Abé puisse être évalué en QER, sachant qu'il n'y est pas passé durant son incarcération, malgré une condamnation pour association de malfaiteurs terroristes ».

Au 2 mars 2022, sur les 26 terroristes islamistes (TIS) présents, 23 ont fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire : 18 sont partis en QER, et 5 en évaluation ambulatoire. C'est donc en janvier 2022 qu'est remontée à la DISP cette sollicitation pour une affectation en QER dans la perspective de sortie de prison de Franck Elong Abé. L'information est réceptionnée par mes services et immédiatement relayée auprès de la direction de l'administration pénitentiaire qui prend acte de cette sollicitation et répond que l'intéressé fera l'objet d'une étude pour une éventuelle affectation en QER dans le cadre d'une prochaine commission. L'information a donc bien été traitée à l'échelle locale et elle suit son cours au gré des différentes évaluations.

Ceci m'amène à vous préciser que ce dispositif concerne plusieurs départements au sein de la DISP: la mission interrégionale de lutte contre la radicalisation violente, le département sécurité et détention, le département ressources humaines, et le département des politiques d'insertion, de probation et de prévention de la récidive.

Concrètement, le rôle de la mission interrégionale de lutte contre la radicalisation violente est d'accompagner les professionnels et le déploiement des dispositifs sur le terrain, de coordonner ces dispositifs, d'animer un réseau, de mettre en place des formations et de collaborer avec le département sécurité et détention. Dans ce cadre, le travail se révèle complexe puisqu'il porte sur de l'humain. Les membres de la mission interrégionale sont des psychologues et des éducateurs qui apportent un regard clinique sur des situations individuelles et de groupe, sur le fonctionnement psychique des intéressés ; ils renforcent la pluridisciplinarité autour d'un phénomène complexe à appréhender, travaillent sur le champ des croyances, des représentations et des attitudes, au travers de rapports confidentiels. Le département sécurité et détention, qui assure le suivi des orientations, est présent à travers une commission interrégionale de prévention de la radicalisation violente au sein de laquelle sont étudiées les différentes situations remontées par les établissements selon des consignes claires émanant du directeur de l'administration pénitentiaire, que j'ai relayées auprès de l'ensemble des établissements. Ce département assure le suivi des modalités de prise en charge au sein des établissements afin de veiller à la mise en œuvre de la réglementation, il s'assure du signalement des incidents et effectue des rappels réguliers concernant les différentes dispositions attendues.

Le lien avec la Cirp, elle-même alimentée par les délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP), se fait également dans le cadre de cette même commission dédiée au cours de réunions mensuelles.

Enfin, les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation peuvent être des référents. Certains sont des référents de radicalisation, comme c'est le cas dans les Bouches-du-Rhône. Ils participent aux travaux, assurent les suivis individuels, prennent part aux GED, aux CPU, et proposent le cas échéant des rapports pluridisciplinaires.

Tel est le cadre dans lequel s'exerce ce travail.

Je rappelle que 78 personnes étaient identifiées comme radicalisées, 26 TIS dont 23 ont fait l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire. Pour ceux qui n'avaient pas fait l'objet d'une évaluation, tout a été mis en œuvre dès que cette sollicitation est survenue en janvier 2022, afin que l'évaluation puisse se réaliser dans les meilleures conditions.

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J'entends vos propos, néanmoins je dois rappeler certains faits. Vous laissez entendre que seule la sollicitation de janvier 2022 fait foi, or celle-ci ne suit pas une voie normale puisqu'elle émane de la coordinatrice qui force quelque peu la main pour l'envoi du compte rendu. Le rapport conjoint du SPIP et de la cheffe d'établissement, pourtant expressément prévu par la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 17 juillet 2021, n'est pas joint à la synthèse de la réunion. L'Inspection conclut que, « le jour de l'agression d'Yvan Colonna, soit plus de cinq semaines après la tenue de la CPU dangerosité » de janvier 2022, « aucun rapport circonstancié n'avait été adressé à l'administration centrale », dans la perspective de cette fameuse réunion de la commission centrale de supervision du 9 mars 2022 qui devait décider réellement du transfert. Ce qui signifie que même en passant sous silence les trois premières CPU pourtant unanimes, un dysfonctionnement lourd est manifestement survenu dans le cadre du transfert d'information de la CPU de janvier 2022 qui aurait pu permettre un traitement circonstancié du dossier le 9 mars 2022. Le rapport de l'IGJ relève ainsi que l'avis de la CPU est resté « lettre morte » au niveau du traitement.

Avant de passer la parole au rapporteur, je souhaiterais avoir votre avis personnel et fonctionnel sur la question de l'utilité d'un transfert en QER. En ayant connaissance des trois avis précédents et de l'épisode erratique et chaotique du « traitement non traité » du 24 janvier 2022, estimez-vous que Franck Elong Abé aurait dû être transféré en QER ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Il est évident que dès lors que des avis quasi unanimes sont émis lors d'une CPU qui recommande un transfert en QER, j'aurais sollicité de mon administration centrale l'étude de la situation de Franck Elong Abé. À partir du moment où je suis sollicité en ce sens, comme cela a été le cas en janvier 2022, mes services sont très réactifs. Comme vous l'avez souligné, il n'y a pas eu de rapport conjoint du directeur fonctionnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (DFSPIP) et de la cheffe d'établissement qui soit remonté à mon niveau. Mais à partir du moment où nous sommes avertis par l'intermédiaire d'un officier du bureau de la gestion de la détention (BGD), nous traitons l'information immédiatement en la faisant remonter. La situation était donc connue à ce moment-là et prise en compte, puisque la prise en charge de M. Elong Abé devait très concrètement faire l'objet d'une analyse de la situation de celui-ci lors d'une prochaine commission prévue au niveau national.

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Le rapport de l'IGJ établi après la mort d'Yvan Colonna fait état de nombreux dysfonctionnements au sein de la maison centrale d'Arles. Nous avons eu, lors des premières auditions, l'occasion de recevoir l'ancienne directrice de l'établissement, Mme Puglierini, ainsi que le nouveau directeur. Ce dernier nous a certifié que l'ensemble des manquements relevés par cette inspection était en voie d'être traité. Dans le cadre de vos fonctions, aviez-vous connaissance de ces dysfonctionnements avant la commission des faits ? Pourriez-vous nous faire un point spécifique quant à la gestion de l'établissement par Mme Puglierini, qui y a officié pendant six ans et demi ?

Vous avez évoqué le parcours chaotique de M. Elong Abé en détention, marqué par des événements graves, concordants et systématiques, des placements à l'isolement répétitifs, des actes de violence sur lui-même et sur les autres, tout en relevant une amélioration lors de son arrivée à la maison centrale d'Arles. Mais cette détention à la maison centrale d'Arles ne s'est pourtant pas déroulée sans heurts : elle est ponctuée par quatre incidents, qui ont d'ailleurs été cachés à la représentation nationale lors des premières auditions de Mme Puglierini qui ne s'exprimait alors pas sous serment. Vos services étaient vraisemblablement au courant du parcours et du profil de Franck Elong Abé, de son passé de délinquant et de son passage sur le sol afghan dans le cadre d'activités terroristes liées à Al-Qaida. Avez-vous donc reçu des alertes et si oui, comment les avez-vous traitées et répercutées ?

Par ailleurs, avez-vous reçu, dans le cadre de vos fonctions, des consignes spécifiques concernant la détention d'Yvan Colonna, notamment s'agissant de son classement comme DPS ? Avez-vous, de manière formelle ou informelle, donné votre avis sur le maintien de ce statut ? Avez-vous été consulté ? Avez-vous à ce titre participé à des instances qui recommandaient le maintien d'Yvan Colonna sous le statut de DPS ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

S'agissant des informations sur M. Elong Abé, je disposais à mon niveau d'éléments provenant quasi exclusivement de la procédure judiciaire, je vous le redis. Dans ce cadre, nous disposions d'un mandat de dépôt qui retraçait la mise en examen pour une participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Nous disposions également d'une notice individuelle de prévenu majeur dans laquelle étaient évoqués des problèmes de santé et la nécessité d'un examen psychiatrique urgent.

En ce qui concerne les signaux d'alerte, y compris de nature faible, je souhaite redire qu'à partir du moment où l'intéressé était identifié comme terroriste islamiste, par ailleurs DPS, il faisait l'objet d'un suivi obligatoire. Soit des informations particulièrement inquiétantes remontent, auquel cas nous sommes tous mobilisés, avec mes services, pour être réactifs ; soit la description de sa détention, depuis son début jusqu'à la perspective de la sortie, ne fait pas ressortir d'éléments particulièrement graves ou troublants remontant jusqu'à mon niveau, auquel cas s'appliquent comme pour tous les détenus TIS, RAD ou DPS des consignes de gestion connues de tous les chefs d'établissement. Il est évident qu'une alerte spécifique sur un risque portée à ma connaissance doit être traitée sans délai. C'est ainsi que les services et moi-même avons réagi à la réception des informations obtenues dans le cadre de la CPU. Il est extrêmement important de rappeler ces éléments, et de redire que M. Elong Abé a fait l'objet du traitement attendu au niveau de mes services, au regard des éléments à ma disposition.

S'agissant de l'ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles, je peux vous dire très concrètement que Mme Puglierini dirigeait au moment des faits son quatrième établissement et que ses évaluations, au cours de sa longue expérience professionnelle, ont toujours été bonnes ou très bonnes. La maison centrale d'Arles est l'un des établissements les plus sensibles de notre pays. Comme le mentionne le rapport de l'IGJ, six années passées à sa tête constituent un temps très long. C'est pourquoi, après trois années d'exercice, nous avons engagé une réflexion concernant une mobilité future. Dans ce cadre, Mme Puglierini a émis un premier vœu de mutation qui n'a pas été accepté, puis un second qui a été accepté. Je souhaite vous faire comprendre que diriger un tel établissement amène à subir une pression permanente qui conduit à des situations que nous déplorons tous, et qui peuvent entraîner des conséquences dramatiques. Mme Puglierini reconnaît d'ailleurs l'absence de remontée d'informations, comme elle vous l'a dit très clairement.

Je n'ai jamais reçu la moindre consigne concernant Yvan Colonna. M. Colonna remplissait les critères d'entrée et de maintien au répertoire des DPS. En mars 2022, nous gérions 32 DPS, dont 15 à la maison centrale d'Arles. M. Colonna faisait l'objet d'un suivi sécuritaire rigoureux au regard de sa situation pénale et de son statut de DPS, mais son comportement en détention a été bon en règle générale, et il ne posait pas de difficulté particulière.

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Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaite souligner que nous avons déjà entendu le discours visant à valoriser le profil de Mme Puglierini et nous comprenons qu'il existe une solidarité de corps défensive. Mais ce discours ne répond pas à l'incompréhension et au manque d'explication, selon les termes de l'IGJ, quant à l'absence de transmission par Mme Puglierini des comptes rendus des CPU dangerosité unanimes concernant un détenu TIS dangereux, quel que soit le degré d'usure de celle-ci après six ans et demi passés à la tête de la maison centrale. De même, vous dites ne pas avoir reçu d'alerte, mais les quatre incidents, qui nous ont d'ailleurs été cachés le 30 mars 2022 en commission des lois, ont dû être intégrés au logiciel Genesis, sauf défaillance ; un cinquième, que nous avons découvert, également. À ce stade, nous ne pouvons donc pas comprendre comment votre échelon hiérarchique n'a pas pu être averti de ces cinq incidents.

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Mes questions se situeront dans la continuité de celles du rapporteur, car les réponses que vous avez fournies jusqu'ici ne me conviennent pas. Quelle perception aviez-vous de la gestion de l'établissement par Mme Puglierini ? Comment la notiez-vous et selon quels critères ?

La directrice adjointe avait-elle pour rôle de pallier les lacunes connues et reconnues de la directrice d'établissement, comme le rapport de l'IGJ en fait état ?

S'agissant de l'incident survenu quelque temps avant que Franck Elong Abé soit classé comme auxiliaire, aviez-vous eu ou avez-vous connaissance, depuis le meurtre d'Yvan Colonna, des pressions que M. Elong Abé exerçait sur d'autres détenus dans le but d'être classé au poste d'auxiliaire ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Monsieur le président, vous avez évoqué tout à l'heure une « solidarité de corps » ; c'est votre point de vue, mais ce n'est pas le mien. Je considère qu'il est de mon devoir de faire preuve d'une grande honnêteté intellectuelle dans la gestion des différents personnels avec lesquels j'ai pu travailler jusqu'à présent. Il y a eu des erreurs, personne ne le conteste, ni moi, ni Mme Puglierini. Pourquoi les éléments contenus dans les différentes CPU n'ont-ils pas été remontés ? Mme Puglierini ne se l'explique pas : je n'ai donc pas davantage de réponses à vous communiquer, je ne me l'explique pas non plus. Il n'en demeure pas moins que Mme Puglierini a précédemment donné satisfaction dans le cadre de ses fonctions. C'est une réalité, et je ne suis pas le seul directeur interrégional à avoir travaillé avec l'intéressée.

Monsieur le député, vous évoquez le rôle de la directrice adjointe tel qu'il ressort du rapport de l'IGJ. Je n'ai jamais eu la moindre information concernant un rôle ou une mission qui auraient été confiés à celle-ci. Au contraire, dans l'hypothèse où cette information aurait pu m'échapper à mon arrivée, de multiples situations se sont présentées ensuite au cours desquelles l'intéressée aurait pu me faire part de difficultés particulières dans la relation avec sa cheffe d'établissement ou dans la gestion de l'établissement. Cela n'a jamais été le cas, c'est très clair.

S'agissant de pressions qui auraient été exercées pour le classement comme auxiliaire de Franck Elong Abé, je n'en ai absolument pas connaissance. La procédure de classement au moment des faits est très simple : les chefs d'établissements ont proposé un classement, mes services en ont été avisés, j'ai moi-même été informé du fait que Franck Elong Abé ferait l'objet d'une surveillance durant l'exercice de son travail. Il a été répondu – car je ne suis pas décideur en la matière – que ce classement ne pourrait se faire qu'à travers la mise en place d'une sécurité renforcée autour de l'intéressé.

En ce qui concerne les critères de notation dans le cadre de l'évaluation, il faut savoir que le contexte sanitaire a été particulièrement difficile et que cette crise a été très bien gérée à la maison centrale d'Arles. Les relations avec les partenaires étaient bonnes. De plus, au regard de la disponibilité dont Mme Puglierini a fait preuve dans l'exercice de ses fonctions, j'ai pu constater une véritable volonté de diriger cette structure selon un équilibre global, indispensable au sein de l'établissement. En effet, une maison centrale est un établissement extrêmement difficile à gérer et lorsque l'on a face à soi des personnes dont plus de la moitié est condamnée à perpétuité, on ne peut organiser la vie carcérale qu'à travers une prise en charge humaine, sécuritaire, et pragmatique. Vous imaginez la complexité et la difficulté des tâches pour le personnel de surveillance comme pour l'ensemble des professionnels. Faire vivre 120 ou 125 détenus particulièrement dangereux dans une structure ultrasécurisée est un travail très complexe pour faire en sorte que tout fonctionne bien. Il existe des activités socioculturelles, sportives, du travail pénitentiaire, de la formation professionnelle, de l'enseignement, une prise en charge médicale, soit un ensemble à orchestrer pour que la cohabitation se passe dans les meilleures conditions, même si malheureusement, et ce drame nous le montre, nous ne pouvons anticiper tous les incidents qui peuvent se produire dans les établissements de ce type.

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Même s'il est facile pour nous d'user de conjectures, il est de notre devoir d'essayer de comprendre ce que nous aurions pu mieux faire. Car il s'agit bien d'un enjeu collectif : que pouvons-nous faire pour que des erreurs humaines de ce type ne conduisent plus à ce qui s'est passé à la maison centrale d'Arles ?

Avez-vous pu constater depuis cet événement que d'autres comptes rendus de CPU n'avaient pas été remontés ? Avez-vous effectué des recherches à l'échelle de votre DISP afin de savoir si ce genre d'oublis étaient courants ? Existe-t-il un stock de CPU à purger ? Quel est le délai de traitement ? Si le rapport doit être conjointement déposé par le chef d'établissement et le DFSPIP, ne peut-on pas imaginer que l'un ou l'autre aurait pu faire remonter ce rapport ? N'existe-t-il pas d'autres canaux pour pallier les erreurs humaines ? Cette série de questions vise donc à se demander comment améliorer la situation et à comprendre si ces dysfonctionnements sont courants ou au contraire exceptionnels, sachant qu'il s'agissait d'un contexte marqué par la crise du covid-19.

Quant à la longévité de l'ancienne directrice dans ses fonctions, est-ce habituel de rester six années et cinq mois sur un tel poste ? Je conçois que la gestion des ressources humaines n'est pas toujours simple et que les bons éléments sont rares. Existe-t-il d'autres cas similaires au sein de votre DISP ou s'agissait-il d'un cas à part ? Le délai des quatre ans plus deux ans supplémentaires ayant été dépassé, j'imagine que de bonnes raisons ont présidé au maintien de la directrice à son poste.

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Il n'y avait pas d'obligation de remontée systématique des comptes rendus de CPU. C'est désormais le cas, ce qui constitue une importante évolution. Ces absences de remontée étaient-elles fréquentes ? Notre regard était-il insuffisamment éclairé sur ces situations ? La réponse est non, fort heureusement. Nous passerions à côté de situations extrêmement graves.

Concernant le rapport conjoint rédigé par le DFSPIP et le chef d'établissement, il faut savoir qu'au moment de cet incident la réglementation prévoyait une saisine, co-signée par ces deux autorités, auprès du directeur interrégional. Aujourd'hui, il incombe au chef d'établissement de coordonner la rédaction d'un rapport conjoint avec le DFSPIP, ce qui constitue également une des évolutions faisant suite au rapport de l'IGJ. Le rapport coordonné par le chef d'établissement arrive donc au niveau de la direction interrégionale puis, au niveau national, une commission centrale de supervision (CCS) est chargée d'examiner les propositions d'entrée en QER, sachant que les décisions consistent à donner une suite à la proposition qui est faite, ou non. Si l'entrée en QER n'est pas validée, il peut y avoir des propositions de suivi en ambulatoire au sein de l'établissement.

S'agissant de la longévité de l'ancienne directrice dans ses fonctions, une telle situation n'est pas courante. En règle générale, l'affectation dure entre trois et quatre ans.

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Premièrement, s'agissant de la vidéosurveillance, si j'ai bien compris, le rôle de la DISP est de contrôler l'efficacité du dispositif suite à d'éventuels remaniements ou reconfigurations. Or suite à l'intervention technique de l'automne 2021, le dispositif s'est révélé totalement inefficace le jour des faits. L'agent présent au poste d'information et de contrôle (PIC) n'a pas disposé des images qui auraient pu lui permettre de donner l'alerte. Quel est votre sentiment quant à cette défaillance ?

Deuxièmement, en ce qui concerne l'isolement de Franck Elong Abé à son arrivée à la maison centrale d'Arles, pouvez-vous nous préciser qui le fait sortir d'isolement et pourquoi ? Sur quels critères se fonde cette décision ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Sur la première question, il faut savoir que nous étions en train de renouveler les équipements de vidéosurveillance dans le cadre d'un marché à gestion déléguée et que des travaux ont été réalisés en raison de la vétusté du matériel. Ainsi, dans le cadre de cette opération, 1,7 million d'euros ont été investis pour remplacer les cœurs système, la technologie de fonctionnement des dispositifs, mais aussi des serrures et des unités informatiques. Cet investissement s'inscrivait dans la continuité d'une autre opération que j'avais moi-même mise en œuvre à la suite d'une sévère agression doublée d'une tentative de prise d'otages dans les parloirs de la maison centrale d'Arles survenue en 2020. À l'issue de cet épisode dramatique, puisqu'un agent roué de coups avait dû être héliporté vers l'hôpital Nord de Marseille, j'avais décidé de renforcer la sécurité dans cet espace en le dotant de caméras supplémentaires : quatorze au niveau des parloirs et cinq au niveau des unités de vie familiale (UVF) qui jouxtent la zone.

Au-delà de l'aspect technique de la vidéosurveillance, je ne vais pas revenir devant vous sur les actions ou les non-actions des uns et des autres, mais les conditions d'utilisation de ce matériel ont été clarifiées, comme le recommandait le rapport de l'IGJ. Ainsi, elles ont été précisées au travers de consignes nationales sur la vidéosurveillance qui se déclinent par des notes édictées à l'échelle locale. Le choix du scénario s'établit dorénavant au moment de chaque prise de service pendant laquelle il est demandé de définir, en fonction des actualités du matin ou de l'après-midi, le choix le plus pertinent pour assurer la sécurité des personnes détenues et des personnels.

Sur la seconde question, la mainlevée de l'isolement Franck Elong Abé était justifiée par le comportement correct et respectueux dont il faisait montre depuis son affectation à la maison centrale d'Arles. Cette décision a été motivée par l'absence d'incident disciplinaire depuis le mois d'août 2019, mais aussi par l'avis favorable du SPIP, du personnel soignant et des magistrats. Le 2 avril 2020 s'est tenue une « mini » CPU au cours de laquelle il est apparu que Franck Elong Abé avait pris conscience de sa responsabilité dans les incidents ayant entaché son parcours d'exécution de peine et qu'il avait la volonté de préparer sa sortie positivement. Nous sommes face à une situation très évolutive : à Condé-sur-Sarthe, M. Elong Abé pose énormément de problèmes ; arrivé à Arles, il est placé à l'isolement en raison de ces difficultés et de son comportement, puis la situation évolue comme je viens de vous l'indiquer.

Néanmoins, il n'est pas décidé de le remettre immédiatement en détention ordinaire. Au contraire, une sortie progressive de l'isolement est proposée via un quartier spécifique d'intégration (QSI) qui existe à la maison centrale d'Arles. Dans cette perspective sont prévus un classement à l'entretien des jardins, une formation qualifiante dans le domaine des jardins et espaces verts, et une poursuite de sa prise en charge sportive individuelle. La prise en charge de Franck Elong Abé est à la fois conséquente et réfléchie, afin d'évaluer la possibilité de le transférer en détention ordinaire avec des consignes particulières, à l'issue de ce passage en QSI, ou au contraire de décider d'un retour à l'isolement. Franck Elong Abé est finalement placé en détention ordinaire où il sera suivi, fera l'objet de notes de service avec l'édiction de consignes spécifiques. De surcroît, il fait l'objet de mesures de surveillance spécifiques en tant que DPS.

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Je note qu'entre sa sortie d'isolement en avril 2020, après y avoir passé neuf mois, et son entrée en détention ordinaire en février 2021, Franck Elong Abé n'a donc pas passé un an en QSI. Vous avez évoqué les jardins et espaces verts, mais c'est précisément dans ce cadre qu'un incident est survenu puisque Franck Elong Abé a frappé un détenu et fait l'objet de sanctions disciplinaires. Nous n'avons d'ailleurs pas été heureux d'apprendre que Mme Puglierini nous avait menti à ce sujet lors de son audition libre. Je ne sais pas comment vous interprétez ce type d'incident dans le cadre d'une évaluation d'un détenu dangereux censé aller mieux, mais cela aurait dû interroger sur cette « marche en avant », avant de le placer en détention ordinaire.

De même, la CPU dangerosité du mois de mai 2021, bien qu'elle n'ait pas été remontée, fait état de quelqu'un voulant mourir grand par l'islam, alors qu'il a été placé en détention ordinaire en février 2021. Il faut ajouter à cela les deux autres incidents. Tout d'abord celui d'août 2021 qui a été qualifié de tentative d'évasion, au cours duquel Franck Elong Abé attaque un personnel et casse des lumières. Par ailleurs, vous avez dit ne pas en avoir été alerté, mais le DLRP nous a indiqué sous serment avoir fait état, dans le logiciel prévu à cet effet, des pressions que Franck Elong Abé faisait subir aux détenus dans le cadre de sa candidature au poste d'auxiliaire. Malgré ces deux incidents survenus en août 2021, la « marche en avant » se poursuit le 28 septembre 2021 : le détenu obtient un emploi, il devient auxiliaire.

Votre récit sur le cours de sa détention est donc quelque peu contre-intuitif au regard des incidents signalés. Nous avons également appris par les services de renseignement la semaine dernière qu'il avait combattu en Afghanistan et attaqué l'armée pakistanaise. Par conséquent, cette « marche en avant » nous laisse interrogatifs, voire pantois. D'autant que les incidents relatés nous ont été cachés lors des auditions libres. Pas simplement cachés d'ailleurs, puisque Mme Puglierini a affirmé à la représentation nationale que Franck Elong Abé n'avait pas souhaité poursuivre sa formation jardins-espaces verts, car celle-ci n'était pas faite pour lui et qu'il accusait trop d'absences. La version qu'elle nous a livrée est donc contraire à la réalité. Nous ne comprenons pas l'écart entre, d'une part, le roman raconté et, d'autre part, les faits constatés.

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Je prends note de votre réponse quant au fait que vous n'étiez pas au courant des pressions exercées par Franck Elong Abé pour son classement au poste d'auxiliaire. Mais qui, dans ce cas, a disposé de cette information, hormis le DLRP ? Il a pourtant indiqué avoir fait remonter l'information à sa hiérarchie et signalé que des gradés du bâtiment détenaient cette information. Qui était donc en possession de l'information au sein de la hiérarchie ? Celle-ci aurait dû remonter au niveau de la direction interrégionale.

Concernant les critères de notation, vous êtes resté plutôt abstrait, mais il apparaît finalement qu'il s'agissait de ne pas faire de vagues pour obtenir la meilleure note, ce qui pourrait expliquer la gestion de l'établissement par Mme Puglierini. Si vous ne souhaitez pas vous exprimer sur les critères de notation, vous pourriez néanmoins nous expliquer la manière dont vous exerceriez vous-même vos fonctions, lorsque vous occupiez le poste de directeur d'établissement, pour obtenir la meilleure note ?

La vidéosurveillance n'a pas été exploitée de façon optimale, pas même s'agissant d'un détenu classé DPS comme Yvan Colonna. Cela pose la question de l'utilité du maintien d'un tel statut, si ce n'est pour empêcher son transfert vers la Corse.

Enfin, on peut s'étonner que les détenus soient laissés sans surveillance dans certaines salles d'activité ou de sport. Comment réagiraient les détenus, notamment en maison centrale, s'ils étaient surveillés en permanence par le personnel, y compris dans ce type de salles ? Nous poserons également cette question aux représentants des personnels de surveillance.

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

S'agissant des incidents relatés qui n'ont pas empêché la poursuite du placement en détention ordinaire, il faut savoir que lorsqu'un détenu sort de l'isolement pour aller en QSI, il se trouve déjà en détention ordinaire. Néanmoins, ce quartier constitue une étape intermédiaire avant que le détenu bénéficie de latitudes plus larges quant à ses faits et gestes au sein de l'établissement. Nous étions dans une progression du régime de détention. Suite à l'incident évoqué, la responsabilité de décider d'un changement du régime de détention ne m'appartenait pas. En effet, il me serait impossible de traiter les cas de 8 500 détenus sur le périmètre de la direction interrégionale. En revanche, des personnels qualifiés travaillent dans l'établissement et sont en mesure de déterminer si un incident doit donner lieu à une poursuite d'activité ou un changement de régime s'agissant de la prise en charge. De toute évidence, les incidents ont été traités, y compris sur le plan disciplinaire, mais ils n'ont pas entraîné un retour de l'intéressé au sein du quartier d'isolement, comme vous l'avez évoqué. Je pense qu'il a été considéré que ces incidents constituaient des événements de détention qui font malheureusement partie de la marche régulière d'un établissement pénitentiaire, même si je conçois qu'ils puissent sembler graves d'un point de vue extérieur.

Concernant les informations qui ont pu être relayées vers la hiérarchie, la réponse est dans la question : selon la personne qui a fait ces déclarations, ces informations ont été transmises aux gradés travaillant au sein de la maison centrale d'Arles. Je n'ai donc moi-même pas connaissance de l'information dont vous faites état, je vous le redis clairement.

Vous avez évoqué la volonté de ne pas faire de vagues : en tant que personnel pénitentiaire, quelle que soit la place qu'on occupe dans la hiérarchie, il est impossible de travailler avec telle conception du métier. La population pénale est de plus en plus complexe à gérer. L'engagement est au cœur de notre pratique professionnelle et se traduit dans le pilotage de la structure dont on a la charge. Quand on gère une structure de ce type, il faut savoir allier souplesse et fermeté, mais aussi être au plus près de la population pénale car nous avons des vies entre nos mains. Il est important de bien connaître la population pénale. Certains personnels de direction participent à des audiences avec des détenus. Ils assurent le lien avec l'extérieur et les relations familiales. Le pilotage recouvre donc des aspects liés au management, à la sécurité, à la préparation à la sortie. Notre travail comporte une forte charge émotionnelle et il est indispensable de faire preuve d'une certaine solidité, qui est attendue pour diriger un établissement pénitentiaire. Encore une fois, nous sommes une administration très mal connue et on ne peut pas imaginer les difficultés qui se posent lorsqu'on se trouve en dehors de l'établissement. Dans ma conception, notre métier ne peut s'exercer qu'avec humilité et engagement.

En ce qui concerne Yvan Colonna, vous avez émis l'hypothèse d'un empêchement volontaire d'un transfert vers la Corse. L'approche de la population pénale est identique pour tous les détenus. Je l'ai dit, je n'ai reçu aucune consigne. Nous sommes confrontés à des individus particulièrement dangereux, et d'autres qui le sont beaucoup moins. L'objectif n'est pas de rompre le lien familial ou d'encourager l'éloignement mais, au contraire, de faire en sorte que ces personnes soient incarcérées dans les meilleures conditions possibles pour la sécurité de tous.

Enfin, vous abordez le sujet sensible de la surveillance : trop de surveillance, selon vous, pourrait mettre à mal les personnels et les détenus. La gestion d'un établissement pénitentiaire repose sur un équilibre subtil entre la présence nécessaire et la latitude qui doit être laissée aux détenus, car l'objectif est bien la sortie de prison et le retour à la vie en collectivité. Or la gestion d'une maison centrale consiste précisément à gérer une vie en collectivité, ce qui implique de trouver les moyens adéquats pour que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions possibles.

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Je souhaite revenir dans un premier temps sur le moment spécifique de l'agression et du meurtre d'Yvan Colonna en détention. Vous avez évoqué le fait que Franck Elong Abé ait pu accéder à un poste de chargé de nettoyage des salles de sport à condition de faire l'objet d'une surveillance particulière. Les notes applicables prévoient en effet que la « candidature des DPS aux activités offertes en détention ou à un travail doit faire l'objet d'un examen attentif », vous l'avez dit, et précisent également que « la réunion dans un même lieu de détenus DPS doit dans la mesure du possible être limitée, notamment en maison d'arrêt ». Or, si vous évoquez le dosage subtil des équilibres entre surveillance et liberté – et nous partageons avec vous la nécessité de préparer la sortie de prison –, force est de constater que nous avons affaire à deux DPS, qui se sont retrouvés seuls pendant quinze minutes sans aucune surveillance humaine et alors même que le système de vidéosurveillance était défaillant. L'agression a duré neuf minutes sans que nul ne s'en aperçoive. Le rapport de l'IGJ précise d'ailleurs que Franck Elong Abé ne regardait même pas les caméras de surveillance, comme s'il était conscient de leur défaillance.

Par ailleurs, je souhaite savoir si d'autres détenus avec un passé terroriste aussi dangereux que celui de Franck Elong Abé ont pu accéder au même niveau d'emploi au sein d'une prison. J'avais interrogé sur le sujet votre collègue occupant le poste de cheffe du renseignement pénitentiaire qui n'avait pas pu me répondre, mais vous pourrez peut-être répondre à la question à l'échelle de votre périmètre.

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Premièrement, en ce qui concerne le classement de Franck Elong Abé au travail, je rappelle que lorsque je suis sollicité par le chef d'établissement en vue de classer M. Elong Abé à un poste d'auxiliaire de nettoyage dans les salles de musculation sous le contrôle d'un agent, je donne pour consigne qu'une vigilance accrue devra évidemment être exercée à son égard.

Deuxièmement, s'agissant de l'absence de surveillance pendant dix minutes, on peut effectivement constater l'absence de surveillance dynamique et active sur l'ensemble de ce secteur. Lorsqu'on occupe ce type de fonction de surveillance on peut être, comme c'était le cas, un agent aguerri et apprécié – y compris de la population carcérale –, qui connaît parfaitement les rouages de la structure, et, un jour, opérer une surveillance un peu moins active ou dynamique. Et c'est malheureusement à ce moment-là que peut survenir un drame. C'est tragique, j'en conviens.

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Pourriez-vous détailler les consignes évoquées dans le cadre du transfert de Franck Elong Abé vers la détention ordinaire ?

Par ailleurs, je suis extrêmement surprise du nombre d'informations qui ne vous ont pas été signalées, notamment l'agression d'un autre détenu dans les jardins, d'autant qu'on trouve aujourd'hui dans l'outil Genesis de simples faits de désaccord entre un surveillant et un détenu : une agression physique devrait donc y figurer. Laissez-moi donc vous exprimer ma grande stupéfaction quant à votre ignorance et celle des services pénitentiaires.

S'agissant de la préparation à la sortie, quels étaient les éléments mis en place pour préparer celle de Franck Elong Abé au cours de ses derniers mois de détention, sachant que sa dangerosité était établie ?

Enfin, si vous avez dit ne pas avoir reçu de consignes concernant Yvan Colonna dans le cadre de sa détention, en avez-vous donné ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

En ce qui concerne les incidents retracés dans Genesis, je vous confirme que je n'en suis pas informé directement, mes services non plus. En effet, les incidents sont multiples. Une forte vigilance est nécessaire, mais le nombre de détenus, TIS ou RAD, est important – entre 110 et 130 TIS selon les périodes –, et tous les incidents ne sont pas remontés auprès mes services par information directe.

S'agissant de la préparation à la sortie de Franck Elong Abé, cette perspective se prépare toujours avec une vigilance accrue avec, en premier lieu, une sollicitation pour un passage en QER : il s'agit du point le plus important. Par ailleurs, une sortie se prépare en plusieurs étapes, avec des examens à l'échelle locale avec la CPU, à l'échelle de la direction interrégionale via la commission interrégionale de prévention de la radicalisation violente (CIPRV), et un circuit d'information qui remonte jusqu'à l'autorité préfectorale, afin de ne pas laisser quelqu'un considéré comme dangereux sans suivi ni surveillance après sa sortie. C'est dans ce cadre que tout le travail de préparation à la sortie avait commencé à se faire. C'est dans ce contexte – et c'est le point central de l'information que je vous communique – que la décision d'une évaluation en QER nous est remontée à partir de janvier 2022.

La sortie est en effet prévue pour la fin de l'année 2023, il reste donc quasiment deux ans pour travailler encore sur la personnalité et les risques que pouvait représenter Franck Elong Abé.

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Quelles ont donc été les consignes qui ont accompagné la remise en détention ordinaire de Franck Elong Abé ? Avez-vous donné des consignes concernant la détention d'Yvan Colonna ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Concernant Yvan Colonna, je n'ai pas à donner de consigne à un chef d'établissement. Celui-ci travaille au plus près du détenu et il est de sa responsabilité d'émettre un avis en fonction du travail pluridisciplinaire d'évaluation qu'il a effectué avec l'ensemble de son équipe. Je ne m'immisce pas dans ce domaine au travers de consignes. Il y a des critères et une réglementation à respecter ; c'est ce qui a été fait.

Pour répondre à la question concernant les consignes et les conditions de transfert vers la détention ordinaire de Franck Elong Abé, comme je l'ai déjà dit, les avis à l'échelle locale ont tous témoigné d'une amélioration de son comportement et d'une nécessité d'un chemin vers une sortie progressive d'isolement. Ainsi, il n'y a pas d'incident, mais on note au contraire une adaptation à la vie de l'établissement, une stabilisation et une progressivité dans l'évolution favorable de son comportement. Au regard de ces critères objectifs, l'intéressé sera sorti de l'isolement.

Les consignes sont les mêmes pour tous, qu'on soit DPS ou TIS. Il s'agit en premier lieu d'assurer un suivi très régulier via le « trombinoscope de sécurité » afin de retracer d'éventuels changements d'apparence notables des intéressés, et d'actualiser les notes individuelles de gestion les concernant. Par ailleurs, une note décline toutes les modalités de prise en charge. Différents éléments sont précisés, qui vont des observations des agents dans Genesis, au traitement et à la validation de ces observations par l'encadrement. Il existe également des instances d'échange entre les personnels avec les rapports de détention. Par ailleurs les CPU interviennent, et des changements de cellules fréquents sont opérés pour ce type de détenus. Ainsi, une sortie d'isolement n'est pas synonyme d'une détention sans contrainte : a fortiori, les détenus considérés comme particulièrement dangereux font l'objet de consignes spécifiques à travers des notes rédigées par la direction de l'établissement.

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Je rappelle que l'IGJ a précisé que la CPU de janvier 2022 faisait état d'une libération possible de Franck Elong Abé en mai 2023, et non à la fin de l'année 2023.

Par ailleurs, pour rester factuel s'agissant de ce drame absolu : quinze minutes se sont écoulées entre l'agression, qui a duré neuf minutes, et l'arrivée des premiers secours. Je me suis rarement battu dans ma jeunesse, mais lorsque cela m'arrivait, sur les terrains de football, une minute paraissait une éternité. Cette durée nous interpelle, qui plus est dans un endroit tel que la maison centrale d'Arles que je connais bien puisque je m'y suis rendu trois fois. Nous verrons ce qui ressortira de l'enquête judiciaire à cet égard. Vous cherchez à relativiser, notamment s'agissant du comportement de l'agent chargé de la surveillance, mais plus les choses seront relativisées, plus nous chercherons à comprendre. Car les réponses ne sont pas satisfaisantes.

J'ajoute que, comme l'indique l'IGJ, vous avez reçu un mail le 12 février 2020, envoyé par la coordinatrice de la MLRV, qui vous demandait pourquoi, suite à la CPU de février 2020, Franck Elong Abé n'avait pas été transféré en QER. Elle indique également que celui-ci, qui est toujours en isolement, tient parfois « des propos démontrant son imprégnation islamiste ». Vous avez donc été alerté, y compris par cette coordinatrice, qui a été assez militante puisqu'elle est également à l'origine du suivi pour tenter d'aboutir, en janvier 2022, à cette fameuse commission centrale de mars 2022 qui ne s'est jamais tenue faute de rapport circonstancié, comme je l'ai déjà indiqué.

Vous comprendrez que tous ces éléments créent une trame assez surprenante de mon point de vue, et je tiens à le signaler à ce stade.

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Je souhaiterais revenir sur la défaillance de la direction de la maison centrale d'Arles révélée dans le rapport de l'IGJ : avez-vous eu connaissance d'autres dysfonctionnements survenus au sein de cet établissement avant ce drame ?

Compte tenu de votre expérience, des témoignages et des faits relatés, quelle est votre intime conviction quant aux motifs qui ont conduit Franck Elong Abé à commettre ce crime ?

Avec le recul, vous sentez-vous co-responsable de ce drame ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je n'ai pas eu connaissance de dysfonctionnements majeurs au sein de cet établissement. Si tel avait été le cas, il aurait été de mon devoir d'y mettre un terme.

Quant à mon intime conviction concernant les faits, je ne peux pas en avoir. Je ne suis pas dans la tête de l'intéressé ; je ne sais pas pourquoi, à un moment donné, on commet un tel acte. C'est d'autant plus surprenant qu'Yvan Colonna et Franck Elong Abé se côtoyaient.

Enfin, s'agissant de la co-responsabilité dans ce drame, je peux vous dire qu'à chaque fois qu'un mort est déploré dans un établissement pénitentiaire, tout le monde se sent responsable, car il s'agit d'un événement dramatique et bouleversant.

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Vous dites ne pas avoir eu connaissance de dysfonctionnements au sein de la maison centrale d'Arles. Pourtant, depuis que vous avez pris la direction de la DISP, les organisations syndicales ont fait remonter de nombreux dysfonctionnements. J'ai eu accès à de multiples tracts syndicaux au sein de la maison centrale d'Arles qui dénoncent le « laxisme », « l'absence d'encadrement » et « le manque d'action de la direction ». Je ne peux donc pas imaginer que vous n'étiez pas au courant. Et si on a accablé un surveillant, ces dysfonctionnements viennent en réalité de beaucoup plus haut dans la hiérarchie. Ils ont été dénoncés depuis de très nombreuses années, notamment depuis que vous avez pris la tête de la DISP. J'ai donc l'impression que ces cris d'alerte sont restés sans effet.

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

À l'instar de mon approche du fonctionnement des différents établissements pénitentiaires, je me rends autant que possible sur place pour rencontrer les organisations syndicales. Des tracts sont publiés et des alertes sont émises tous les jours, à l'échelle nationale ou locale, par des personnels qui expriment leurs difficultés et leur souffrance. Que met-on concrètement derrière ces mots de « laxisme », de « manque d'action » ou « d'absence d'encadrement » ? Je peux vous dire que j'entretiens un dialogue franc et courtois avec ces organisations syndicales, à travers lequel je m'efforce de tenir compte en permanence de toutes les observations et de les traiter, comme je l'ai fait en 2020 avec le renforcement du système des caméras de surveillance et des dispositifs de formation. De même, les organisations syndicales nous demandent parfois le transfert d'une personne détenue et nous pouvons répondre favorablement, même si ce n'est évidemment pas systématique. Vous qualifiez certains signalements figurant dans des tracts de dysfonctionnements. Donc acte. En tout état de cause, à mon niveau et dans le cadre de ce dialogue franc et courtois avec les organisations syndicales, je m'efforce toujours traiter les difficultés évoquées.

Je vais citer un autre exemple. Il est souvent demandé que l'organigramme de maison centrale soit respecté, pour atteindre un effectif de 148 surveillants. Nous en avons moins, mais je suis toujours vigilant vis-à-vis des établissements les plus sensibles. Malheureusement, je ne peux travailler qu'avec les moyens qui me sont alloués. Il manque en effet une dizaine d'agents dans cet établissement malgré les efforts conjugués, à tous les niveaux, pour promouvoir ce métier et participer à des forums de recrutement. Au moment de la répartition des effectifs qui m'étaient alloués, 330 postes étaient vacants pour l'ensemble de direction interrégionale : je ne disposais que de 40 agents que j'ai répartis sur le territoire interrégional. Cette réponse au problème du manque de personnel n'est pas satisfaisante pour les organisations syndicales et pour les agents, mais elle est apportée au regard de l'équilibre général que je dois mettre en œuvre à l'échelle de la DISP.

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Les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles, d'autant qu'il existe également des phénomènes de rotation importants. Était-ce le cas dans cet établissement ? Certains personnels étaient-ils en place depuis suffisamment longtemps pour comprendre les profils des détenus et leurs rapports ?

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur le parcours de l'ancienne directrice, ainsi que sur ce cycle de quatre ans prolongé de deux ans qui avait été dépassé : la mutation n'aurait-elle pas dû intervenir plus tôt ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

La rotation du personnel est aujourd'hui plus importante sur cet établissement. Nous avons donc à la fois un personnel aguerri, mais qui est en phase de renouvellement.

En ce qui concerne Mme Puglierini, la gestion du corps des personnels de direction est complexe. À partir du moment où un processus de mobilité est engagé, il revient à la personne concernée de faire le choix de partir ou de rester. Mme Puglierini aurait pu partir, mais elle n'avait alors pas été retenue pour le poste sur lequel elle avait candidaté, en l'occurrence celui de Béziers. Par ailleurs, il est du devoir de l'administration de faire respecter cette règle des six ans sur un poste. Nous avons d'ailleurs reçu des instructions très claires du directeur de l'administration pénitentiaire, afin que ces six années ne soient pas dépassées. Toutes les situations qui ne respectaient pas cette directive ont été résolues au sein de notre direction interrégionale au moment où je vous parle. Mme Puglierini a émis un second souhait de mobilité et a obtenu le poste sur lequel elle s'était positionnée quasiment dans le temps imparti de ces six années au maximum.

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Dans le cadre de cette enquête en miroir sur deux personnes DPS, je voudrais revenir sur le cas d'Yvan Colonna. Je pense que vous n'étiez pas sans savoir, tout comme la DAP, qu'une forte demande de rapprochement familial existait, émanant de M. Colonna, de sa famille, mais aussi de la société insulaire. Dans ce cadre, une grande interrogation persistait quant à la gestion des détenus dits du « commando Érignac ». À partir de constat, j'ai plusieurs questions à vous poser.

Le directeur de l'administration pénitentiaire a évoqué les six critères prévalant au maintien ou à la radiation des détenus inscrits au répertoire des DPS. Il a précisé que deux des critères concernaient directement l'administration pénitentiaire au sens du parcours de la détention, et sur ce point son avis rejoint le vôtre : « M. Colonna avait un parcours correct, voire très correct ». Les autres critères, dits « larges », ne relèvent pas de l'appréciation de l'administration pénitentiaire par rapport à l'ensemble des acteurs qui participent aux commissions locales DPS. Je voudrais savoir si vous partagez cet avis.

Ma deuxième question porte sur le contexte. Nous sommes au mois de mars 2022 lorsque le drame survient. Les demandes de rapprochement familial étaient émises depuis plusieurs années déjà par la voie judiciaire, naturellement, mais également par la voie politique : l'Assemblée de Corse, des communes, des associations réclamaient ce rapprochement. Il était estimé, au nom des critères dits « larges », que la question familiale pouvait être réglée par des visites en UVF. Or, dans les faits, en raison de cet éloignement – plus de 550 kilomètres – et des coûts à assumer pour lui rendre visite – plusieurs centaines d'euros –, Yvan Colonna ne voyait plus ni sa mère, depuis quinze ans, ni son jeune fils, depuis trois ans. Selon nous, ces critères factuels auraient pu être pris en compte pour permettre ce rapprochement. En outre, son parcours en détention sans heurt particulier pendant dix-huit ans aurait pu justifier une levée de son statut de DPS. Cette demande émanait de la société. À défaut, une demande avait été formulée visant à aménager le centre de détention de Borgo afin d'y installer un quartier sécurisé susceptible d'accueillir les DPS. Avez-vous eu écho, participé ou été missionné pour évaluer techniquement et financièrement l'élaboration d'un projet d'aménagement du centre de détention de Borgo ? L'instruction ministérielle applicable précise qu'il est « privilégié » de détenir les DPS en maison centrale, mais l'incarcération est aussi possible en centre de détention s'il existe un quartier prévu à cet effet.

Que pouvez-vous nous dire sur la commission nationale DPS ? Y avez-vous participé ou avez-vous eu des informations quant à cette commission nationale ?

Enfin, dans la mesure où la peine de sûreté d'Yvan Colonna s'achevait le 9 juillet 2021, suite à l'arrêt de la Cour de cassation qui avait ramené sa peine à la réclusion à perpétuité avec dix-huit années de sûreté, l'administration pénitentiaire avait-elle engagé une réflexion sur l'aménagement de sa peine ? En effet, il a beaucoup été question du projet de sortie de Franck Elong Abé sur lequel l'administration travaillait, mais Yvan Colonna bénéficiait-il lui aussi de cette même logique d'anticipation ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je n'ai pas été missionné pour réaliser une étude d'aménagement du centre pénitentiaire de Borgo en vue d'accueillir des DPS. Je rappelle qu'aucun DPS n'est détenu à Borgo. C'est la règle, car il n'existe pas de quartier maison centrale au sein de cet établissement.

S'agissant de la réflexion sur l'aménagement de peine d'Yvan Colonna, cette discussion n'a pas eu lieu à mon niveau.

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Partagez-vous l'analyse du directeur de l'administration pénitentiaire quant aux critères larges ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je partage totalement cette analyse, d'autant plus que mon rôle consiste à me limiter aux actions qui sont les miennes.

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Et que pouvez-vous nous dire sur la commission nationale DPS ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je n'ai pas d'élément particulier à vous communiquer, dans la mesure où des avis ont été émis. Je ne suis pas décideur en la matière.

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Cette commission nationale se réunit-elle de manière effective ?

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Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

Je vous confirme que ces commissions se réunissent.

La séance s'achève à 19 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Ségolène Amiot, M. Romain Baubry, M. Jocelyn Dessigny, M. Mohamed Laqhila, M. Laurent Marcangeli, M. Thomas Portes, Mme Sarah Tanzilli, M. Guillaume Vuilletet.

Excusé. – M. Meyer Habib.

Assistaient également à la réunion. – M. Paul-André Colombani, Mme Estelle Youssouffa