Intervention de Nicolas Lerner

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 14h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure :

La DGSI ne connaissait pas Franck Elong Abé avant d'être informée par notre partenaire de la présence d'un Français en Afghanistan. Il nous revient, nous l'interrogeons en garde à vue à son arrivée, il est déferré, présenté au juge, incarcéré. Tous les éléments dont nous disposons sur cet individu sont versés à la procédure judiciaire et je n'ai pas connaissance qu'un rapport administratif aurait été rédigé à l'époque. La procédure judiciaire est très complète : tous les éléments de dangerosité que je vous ai donnés et que vous a sans doute donnés le SNRP – maniement d'armes et d'explosifs, caractère de meneur d'hommes – y figurent et résultent, comme je vous l'ai dit, soit d'éléments recueillis pendant une garde à vue qui n'a pas été décisive, soit de l'exploitation des supports numériques, soit d'éléments issus de la coopération internationale.

Cela dit, il faut mesurer les progrès auxquels le contexte de menace nous a conduits. Quand, en 2012, on a connaissance de la présence de Franck Elong Abé en Afghanistan, le SNRP n'existe pas. Cela ne signifie pas que ce qui était alors la direction centrale du renseignement intérieur n'avait pas de relations avec l'administration pénitentiaire, mais qu'à l'époque elle n'avait pas de service partenaire spécifique ; aujourd'hui, les échanges avec le SNRP se passeraient sans doute autrement. Néanmoins, en termes de perte de chances ou d'évaluation de la menace, je ne suis pas certain qu'avoir un service de renseignement pénitentiaire partenaire aurait significativement changé la situation entre 2012 et 2014 puisque, à ma connaissance, tous les éléments utiles à la perception de cette personnalité ont été versés à la procédure judiciaire, ce qui a permis la condamnation de l'individu.

En revanche, si vous prenez connaissance des éléments que nous avons transmis à la Commission du secret de la défense nationale, vous ne serez pas surpris de constater que des échanges ont eu lieu au fil des ans avec l'administration pénitentiaire. J'ai relu une quinzaine de comptes rendus de GED et le compte rendu des échanges entre services sur les points réguliers faits sur des détenus de telle ou telle maison d'arrêt ; ces documents, sans l'ombre d'un doute, placent pour moi Franck Elong Abé parmi les détenus du haut du spectre. On a là quelqu'un qui est allé combattre sur zone ; quelqu'un dont l'ancrage religieux ou l'extrême conviction religieuse ne faiblit pas, ce qui, même si la procédure judiciaire n'est pas terminée, motive, selon ses dires, son passage à l'acte ; quelqu'un qui, enfin, est d'une grande instabilité psychologique et psychiatrique, mettant le feu à sa cellule, prenant en otage un surveillant, proférant régulièrement des menaces de mort… Cette instabilité, cette radicalité, cette violence se conjuguent à un isolement tel que l'on avait à la fois peu de prise sur lui et des capteurs de dangerosité limités – on détecte mieux la menace en présence d'individus diserts qu'en présence d'un individu décrit par tous comme « bizarre » ou « perché ». Pour toutes ces raisons, la DGSI savait qu'une vigilance particulière s'imposerait lors de la libération de Franck Elong Abé attendue pour la fin de l'année 2023, car nous estimions son niveau de dangerosité potentielle comparable à celui qu'il était lors de sa mise sous écrou.

J'ai lu le rapport de l'IGJ et pris connaissance des propos du directeur de l'administration pénitentiaire relatifs aux questions que vous vous posez. Sur le fait qu'il n'y ait pas eu d'évaluation de Franck Elong Abé, je ne peux me prononcer de l'extérieur car la détention n'est pas mon métier. Je l'ai dit, la force du système français repose sur le passage en QER, et s'il est apprécié, y compris de nos partenaires, c'est que l'on obtient ainsi une évaluation pluridisciplinaire du parcours du détenu considéré. Mais le directeur de l'administration pénitentiaire explique que plusieurs propositions de passage en QER ont été faites et que le transfert n'a pas été décidé pour des raisons, variables dans le temps, d'instabilité psychiatrique ou de dangerosité. J'ai aussi lu que l'appréciation par l'administration pénitentiaire d'une forme d'apaisement, ou d'accalmie, de l'intéressé avait permis de programmer le passage en QER – sans doute trop tard, évidemment, mais le processus était engagé. Pour ce qui est de mon champ de compétences, oui, Franck Elong Abé était un détenu terroriste, dans le haut du spectre des menaces.

Schématiquement, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) travaille à l'extérieur et la DGSI à l'intérieur. Mais lorsqu'il est question de combattants terroristes en Syrie, en Afghanistan ou en Irak, la DGSI développe bien sûr des partenariats à l'international pour recueillir toutes les informations sur les individus qui l'intéressent et je serais très étonné que la DGSE ou la direction du renseignement militaire (DRM) aient des éléments sur cet individu et ne nous les aient pas transmis.

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