Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 9h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Merci, monsieur le préfet de police, de ces premiers éléments.

L'information qui nous intrigue et nous taraude, livrée hier par le directeur général de la sécurité intérieure et confirmée par vous-même, est que Franck Elong Abé, parmi les quelque 500 détenus TIS, se situe dans le haut du spectre, selon le terme technique en usage. C'est, pour la première fois, officiellement établi dans le cadre des travaux de la commission d'enquête. Tel n'avait pas été le cas lors de l'audition du 30 mars dernier, par la commission des lois, des chefs d'établissement de la maison centrale d'Arles, ni pendant les longs mois qui ont suivi, même s'il était établi qu'il était dangereux.

Classé dans le haut du spectre et connu comme tel, il était un combattant, d'après votre description et celle du directeur général de la sécurité intérieure, ainsi que des cheffes du SNRP, par petites touches, qui nous ont parlé d'attaques contre l'armée pakistanaise – le directeur général de la sécurité intérieure, pour sa part, a évoqué le maniement d'armes et d'explosifs. C'est la première fois que ce sujet était abordé.

Ce qui, dans le champ de notre commission d'enquête, nous intrigue, c'est le grand écart entre la gestion judiciaire et carcérale dont il a bénéficié et cet état de fait connu.

Cette contradiction, majeure à nos yeux, est notamment illustrée par le refus systématique de le placer en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe – comme le relève l'Inspection générale de la justice (IGJ) – en raison des avis réservé et très réservé du juge d'application des peines (JAP) compétent en matière de terrorisme et du parquet national antiterroriste (PNAT), alors même qu'il n'entre pas dans leur champ de compétences d'intervenir en matière post-sentencielle sur de telles évaluations. Et à Arles, son placement en QER a été refusé à quatre reprises.

Or, pendant tout ce temps, les services, grâce notamment au travail mené dans le cadre des GED, savaient que Franck Elong Abé était dans le haut du spectre. Comme tel, il faisait l'objet d'un suivi particulier, notamment pour préparer sa sortie de détention.

Tout cela nous intrigue. Dès le départ, nous nous demandions pourquoi, compte tenu de ce qu'il était, on lui avait accordé le statut d'auxiliaire. C'est d'autant plus surprenant qu'un mois auparavant, il avait été à l'origine d'un incident avec le personnel, qui nous a été dissimulé lors de l'audition du 30 mars. Il a même, d'après le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP), qui nous a confirmé en avoir fait mention dans l'application de renseignement, exercé des pressions sur d'autres détenus pour obtenir ce poste, qui lui offrait une certaine liberté de déplacement.

Ces contradictions, ainsi que celles de la gestion de son parcours judiciaire, que nous aborderons lors de l'audition des membres du PNAT et des JAP compétents en matière de terrorisme, nous préoccupent, notamment la requalification de la séquestration d'une infirmière et la réduction de sa peine de quarante-huit à trente mois de prison.

S'agissant du partage d'informations, je m'interroge sur deux points. Le SNRP connaissait-il le vrai niveau de dangerosité de Franck Elong Abé, qui a été sur des théâtres de guerre ? Des rapports judiciaires sur son comportement ont été partagés. Contenaient-ils les éléments d'information, y compris issus de partenaires internationaux, susceptibles de faire connaître son vrai niveau de dangerosité, voire de barbarie ? Certains détails, obtenus par la bande et pas encore officiellement donnés à la commission d'enquête, incitent à penser qu'il est très élevé. Existe-t-il un rapport plus complet de la DGSI ou d'autres services, notamment la direction générale de la sécurité extérieure ?

Par ailleurs, les réponses que nous avons obtenues sur le suivi de ses relations sont insatisfaisantes. Avant d'être incarcéré à Arles, il avait eu des relations suivies avec un individu connu pour avoir promu la radicalisation religieuse dans d'autres prisons, Smaïn Aït Ali Belkacem. Au sujet de leurs relations, attestées par des échanges de lettres qui ont valu à M. Belkacem d'être placé en garde à vue, le renseignement pénitentiaire s'est montré évasif. Le DLRP nous a indiqué qu'ils n'ont jamais eu de relations à Arles ; quant à l'actuelle cheffe du SNRP et sa prédécesseure, l'une ne se souvient plus, l'autre doute que M. Belkacem ait pu rencontrer M. Elong Abé à Arles.

Tout cela nous semble de nature à mettre en doute l'efficacité de la transmission d'informations sur des sujets sensibles, ce qui expliquerait certaines choses.

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