Intervention de Emmanuel Baudin

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Emmanuel Baudin, secrétaire général du Syndicat national Force ouvrière justice :

La mort d'un homme est toujours un drame. On ne doit pas mourir en prison, mais malheureusement, cela arrive trop souvent. Un détenu est encore décédé en décembre dernier à Toulon suite à une agression. Cela ne peut que nous interpeller. Notre système carcéral tombe en décrépitude. La situation est dramatique, car nous sommes incapables de couvrir l'ensemble de nos missions, faute de personnel. L'administration ne parvient plus à recruter. Alors que la dernière promotion de l'École nationale de l'administration pénitentiaire aurait dû comprendre 800 personnes, seule la moitié y est entrée. Ce métier n'attire plus, car il est difficile : avoir seulement un week-end sur sept de repos, se voir imposer ses vacances, ne partir qu'une fois tous les quatre ans avec son conjoint et ses enfants en vacances, cela ne fait plus rêver. En outre, les salaires n'ont pas été réévalués. Je rappelle qu'il y a 25 ou 30 ans, entrer dans l'administration pénitentiaire représentait le Graal pour beaucoup de personnes, et devenir fonctionnaire avait un sens à l'époque Le salaire représentait 1,5 SMIC. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car le salaire d'entrée est au niveau du SMIC. Dans le même temps, les heures supplémentaires dépassent l'entendement. En 2021, l'administration pénitentiaire a rémunéré 5,5 millions d'heures supplémentaires. L'an prochain, on dépassera largement les 6 millions. Nous sommes arrivés à une situation où on découvre des postes. Le maximum d'heures supplémentaires trimestriel est de 108 heures ; il est aujourd'hui largement dépassé par les agents. À force de cumuler des heures, ceux-ci passent plus de temps en détention qu'à la maison.

2009 a été une date importante. La loi pénitentiaire a réduit nos capacités, de fouille par exemple, et nous avons perdu beaucoup de prérogatives. Le surveillant se retrouve aujourd'hui en difficulté. En 2018, nous avons connu un mouvement d'ampleur avec des établissements bloqués suite à l'attentat terroriste de Borgo où deux collègues ont failli mourir. Cette qualification n'a malheureusement pas été retenue, mais ayant vu les images, je considère qu'il s'agissait bien d'un attentat terroriste. Nous avons déposé les clés, ce qui ne s'était pas fait depuis des années, pour obtenir de la reconnaissance et des améliorations aux niveaux indemnitaire, statutaire, sécuritaire, afin de pouvoir réaliser nos missions en toute sécurité, mais également pour que les détenus puissent effectuer leur peine en toute sécurité et que la prison soit utile. L'intérêt de l'incarcération est que la personne concernée soit meilleure à l'issue de sa peine. On en est aujourd'hui bien loin et, malheureusement, ce mouvement n'a pas donné grand-chose. On a annoncé la création de 15 000 places de prison supplémentaires, mais, comme je l'ai écrit au Président de la République, en l'état nous serons incapables de les ouvrir. La surpopulation carcérale est importante.

Comme nous l'avions demandé en 2018, il faut aussi travailler sur la classification des établissements pénitentiaires, et notamment des maisons centrales. Aujourd'hui, en maison centrale, on mélange tout le monde. C'était le cas à Arles. On mélange des cas psychologiques, des gens dangereux et d'autres qui ne le sont plus, ou moins, ce qui conduit à des drames. Nous avions effectué un travail intéressant, que la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) reprend actuellement je crois. En 2018, plutôt que d'opérer une classification des établissements pénitentiaires, on a créé des quartiers spécifiques qui ne sont pas efficients, nous le savons tous. L'idée des établissements spécifiques est de placer les détenus en fonction de leur dangerosité, au sein de prisons plus ou moins sécuritaires. Si ce projet avait été poursuivi, Yvan Colonna serait peut-être encore en vie aujourd'hui.

Ce mélange des populations est un vrai souci. Pour désengorger les maisons d'arrêt, qui explosent, on charge les centres de détention (CD) et on met certains détenus de CD en maison centrale. On arrive à une situation aberrante avec des maisons centrales extrêmement sécuritaires – je suis affecté dans l'une d'entre elles – mais qui sont aujourd'hui à moitié vides. Ces établissements devaient gérer et essayer de recadrer les détenus les plus dangereux. L'établissement d'Alençon-Condé-sur-Sarthe est à moitié vide car Mme Taubira, qui l'a inauguré, a refusé le projet d'établissement. Sécuriser cet établissement s'est avéré extrêmement coûteux, puis de nouveaux investissements ont été engagés pour défaire ce qui avait été fait. Aujourd'hui les détenus ne veulent même plus quitter ces établissements tellement ils y sont bien.

Il faut davantage de personnel et de moyens pour surveiller les détenus afin que ce genre de drame n'arrive plus. La classification des établissements est à revoir, car tous les types de détenus ne peuvent pas être mélangés. La place des détenus avec des problèmes psychologiques est un vrai sujet, nous en avons de plus en plus. C'est sans doute dur, mais il faut aussi accepter le fait que certaines personnes sont peut-être perdues pour la société. On veut toujours donner sa chance à un détenu, même s'il a été l'auteur de multiples agressions. On va le transférer dans un nouvel établissement – car c'est la seule solution – et une fois arrivé, on va lui redonner sa chance. Cela aboutit à classer « auxi » quelqu'un qui n'aurait pas dû l'être, et qui un jour tue son codétenu.

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