Intervention de Bruno Questel

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 9h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Bruno Questel :

Nous sommes conscients de la gravité de l'objet de cette commission d'enquête et des éléments d'explication que nous pourrions vous apporter sur le fil continu de ces cinq dernières années qui a pu conduire au drame du 2 mars 2022. Il s'agit en effet d'un assassinat qui s'est produit au sein d'un bâtiment public, une maison centrale. En compagnie de François Pupponi, nous avions rencontré Yvan Colonna une dizaine de jours avant son agression. Cette rencontre était le fruit de la volonté commune de plusieurs parlementaires, corses d'origine, d'adoption ou par sentiment, de faire avancer le sujet du rapprochement géographique des trois prisonniers concernés. Un autre aspect était la prise de conscience, que nous considérions indispensable, par l'appareil d'État, de la nécessité d'apporter un certain nombre de réponses à la situation de ces trois hommes. Condamnés définitivement par la justice il y a plus de vingt ans, ils se voyaient refuser toutes leurs demandes d'aménagement de peine depuis que ce droit leur était ouvert.

Le drame du 6 février 1998 est le point de départ de l'autre drame, celui du 2 mars 2022. Il a choqué chacune et chacun d'entre nous, mais le temps a fait son œuvre et nous avons considéré qu'il convenait de nous impliquer en tant que parlementaires pour faire entendre la voix de la justice et du droit, qui doit s'appliquer à tout un chacun. Ces trois personnes ont été condamnées définitivement, mais elles méritaient que la justice s'applique dans toutes ses dimensions, y compris dans la capacité offerte à toute personne détenue définitivement condamnée de recouvrer une vie normale une fois la peine exécutée.

Nous avons passé environ deux heures avec Yvan Colonna. Il était serein, détendu et ne se sentait aucunement menacé. Je tiens à le dire très clairement : il était en confiance avec chacune des personnes qu'il pouvait rencontrer dans son quotidien ; il l'avait exprimé sans ambiguïté. Le jour où nous nous sommes rendus en Arles correspondait au dernier jour d'exercice de l'ancienne directrice de l'établissement, le 17 février 2022. L'assassinat a eu lieu le 2 mars. Je ne comprends pas comment une maison centrale peut être laissée plus de quinze jours sans directeur, puisque le nouveau directeur n'est arrivé que quarante-huit heures avant la commission des faits. Une maison centrale est l'établissement le plus organisé et le plus structuré car il accueille les personnes condamnées pour les faits les plus graves. L'adjointe de la directrice était âgée de 26 ou 27 ans.

J'ai visité la maison centrale d'Arles à deux reprises et j'ai été frappé par l'organisation et la structuration des déplacements : il était impossible de parcourir deux mètres dans les couloirs sans être soumis à une surveillance, légitime compte tenu de la nature de l'établissement. À cet égard, quelque chose m'échappe dans le déroulement des faits. Cette maison centrale est organisée en deux pôles ; quelques dizaines de mètres seulement séparent le sas d'arrivée et la salle de musculation. Je ne comprends donc pas qu'un tel temps ait pu s'écouler sans qu'il ait été possible de déceler les événements qui se produisaient.

Pour revenir sur les échanges que nous avons eus avec Yvan Colonna, sa préoccupation première était très personnelle : il souhaitait avant tout pouvoir revoir son plus jeune fils, qu'il n'avait pas vu depuis plus de deux ans. Une République qui permet à une personne condamnée de faire un enfant en unité de vie familiale mais qui empêche un père d'avoir une relation continue avec son fils est en situation de faillite quant à l'exercice de ses prérogatives. C'était pour lui quelque chose de très pesant. Sur le plan politique, sa préoccupation était celle de l'après-élections présidentielles. Il s'exprimait sans détour : il souhaitait que les choses s'apaisent, que la Corse recouvre une sérénité pour mener un débat sur l'évolution de ses institutions, de son statut et de son développement. Il n'était pas dans l'expression d'une revendication quelconque. C'était un citoyen attentif à l'île, à son développement, mais aussi aux quelques dérives qu'elle peut rencontrer dans un certain nombre de champs que nous connaissons.

Enfin, il refusait d'intégrer le centre national d'évaluation (CNE), processus permettant d'entrer dans le cadre de l'instruction pour un aménagement de peine. Il avait en effet conscience d'être en décalage de trois ans par rapport à Alain Ferrandi et à Pierre Alessandri dans les procédures. Ayant constaté que ces derniers s'étaient vu refuser des aménagements de peine depuis plusieurs années, il considérait comme inéluctable le refus qu'il lui serait opposé. Le passage en CNE consiste en plusieurs semaines d'évaluation avec des professionnels – psychologues, psychiatres – et s'avère assez éprouvant pour les personnes concernées. Anticipant un refus, il ne voyait donc pas l'intérêt d'y aller.

Nous pourrons revenir sur le cheminement de MM. Alessandri et Ferrandi, car je crois que les trois parcours sont liés au regard de la manière dont ils ont été traités, ainsi que sur la question du statut de DPS avec le revirement que vous connaissez après l'assassinat d'Yvan Colonna.

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