Intervention de Maud Bregeon

Réunion du lundi 6 mars 2023 à 21h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Bregeon, rapporteure :

L'organisation de la sûreté a évolué au fil des années. La réunion de l'ASN et de l'IRSN est, à mon sens, l'aboutissement d'un processus engagé il y a environ cinquante ans.

En 1973, l'État a décidé d'assurer lui-même le contrôle de la sûreté nucléaire, qui était jusque-là exercé par le CEA. Il a alors créé le service de contrôle de la sûreté des installations nucléaires. À l'époque, c'était le CEA qui exerçait la fonction d'expert technique auprès de ce nouveau service. Cette fonction d'expert technique, séparée de la responsabilité de l'exploitant, s'est ensuite structurée en interne au sein du CEA, avec l'IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire), puis s'en est détachée en 2001 avec la création de l'IRSN.

En parallèle, au fil des années et au regard de la montée en puissance des enjeux techniques et de radioprotection mais aussi des événements qui ont marqué l'histoire nationale et internationale du parc nucléaire, l'État a renforcé et fait monter en compétence les moyens dédiés au contrôle et à l'expertise.

Ce n'est qu'en janvier 2006, lorsque le président Chirac a annoncé le lancement du programme EPR, qu'a aussi été annoncée la création de l'ASN, sous la forme d'une autorité administrative indépendante. Ce n'est donc que vingt-neuf ans après le démarrage de Fukushima… ou plutôt de Fessenheim que la France s'est dotée d'une autorité de sûreté indépendante.

Force est de constater, par ailleurs, que le système dual actuel ne fonctionne pas si bien que cela. Comme la Cour des comptes a beaucoup été évoquée ces derniers jours, je citerai le rapport qu'elle a publié en 2014 : « Bien que des efforts aient été accomplis par l'ASN et l'IRSN ces dernières années pour développer leur coopération, des tensions récurrentes subsistent. La dispersion des ressources budgétaires, les actions de communication non concertées, l'absence d'orientations communes dans le domaine de la recherche, réduisent les marges de progression de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. » Je crois qu'un tel constat devrait au moins conduire à ne pas s'offusquer qu'un débat ait lieu.

Des questions légitimes, qui ont toute leur place dans nos échanges, ont été posées à la ministre et à la majorité. Quand on parle de sûreté nucléaire, en effet, il n'est pas question d'usines de chocolat : on touche à des concepts qu'il faut aborder avec beaucoup de prudence. La ministre a su répondre à ces questions, notamment celle concernant le maintien d'une expertise et d'une recherche couplées – je suis convaincue que le fait d'avoir un haut niveau de recherche ne peut être que bénéfique pour l'expertise –, celle de la séparation des rôles de responsable du contrôle et de responsable de l'expertise, et celle des garanties en matière de statut offertes aux salariés de l'IRSN. Nous avons eu des réponses sur ces différents points. Ce qui nous est présenté ne remet pas en cause les fondamentaux de la sûreté, ni la façon dont elle est assurée en France, bien au contraire.

Puisque beaucoup de fausses informations circulent, je tiens à revenir sur deux autres points.

Il a été dit, tout d'abord, que l'organisation qui nous est proposée était une façon de revenir à un système « pré-Tchernobyl ». Je rappelle que l'ASN n'était pas indépendante à cette époque – elle l'est aujourd'hui, et le principe ne changera pas. L'expertise en matière de sûreté dépendait du CEA et n'était pas rattachée à l'ASN. Nous avons aujourd'hui la possibilité de fluidifier les interactions et de clarifier les rôles.

À ceux qui prétendent que l'ASN est laxiste avec l'exploitant, je répondrai ensuite qu'il suffit, pour comprendre que ce n'est pas le cas, de regarder les décisions qu'elle a prises et leur impact sur le parc nucléaire. Je citerai plusieurs exemples. À Tricastin, les quatre réacteurs de la centrale ont été mis à l'arrêt pour renforcer la digue, le niveau de séisme pris en compte ayant été relevé dans les démonstrations de sûreté. Lorsque la centrale de Fessenheim a été arrêtée, pendant deux ans, pour des questions de ségrégation du carbone, l'impact sur la production a aussi été extrêmement fort, d'autant que Fessenheim n'était pas la seule centrale concernée. On a également arrêté la centrale de Cruas pendant de longs mois, il y a trois ou quatre ans, là aussi pour des questions sismiques.

Enfin, et c'est très important, l'ASN a obligé l'exploitant à porter la sûreté des réacteurs du parc historique, ceux de la deuxième génération, au plus près de celle des réacteurs de la troisième génération, c'est-à-dire de l'EPR, l'objectif étant de ne pas avoir deux niveaux de sûreté différents au sein du parc. Une marche sans précédent a été franchie en matière de gains de sûreté avec le projet post-Fukushima, la notion de « noyau dur de sûreté » et toutes les nouvelles démonstrations de sûreté, qui ont été intégrées dans le cadre des visites décennales. L'indépendance de l'ASN et la façon dont elle exerce son pouvoir de contrôle n'ont donc absolument pas à être remises en cause.

Grâce aux réponses que nous avons obtenues de la part du Gouvernement, et grâce au sous-amendement de l'Opecst et à celui du président Marleix, qui permettra de faire un point d'étape, nous pourrons améliorer le système, même s'il restera des éléments à définir – nous n'en sommes pas encore au point d'arrivée. Les enjeux auxquels la filière est confrontée, en particulier la prolongation potentielle des réacteurs au-delà de soixante ans et le renouvellement du parc historique, justifient qu'on accepte le point de départ proposé et qu'on mène ensuite une réflexion collective. Je ne doute pas, en effet, que les parlementaires continueront à être associés aux évolutions.

J'émets un avis favorable à l'amendement CE602 du Gouvernement, ainsi qu'aux sous-amendements identiques au mien et au sous-amendement CE684 du président Marleix. Avis défavorable pour le reste.

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