Intervention de Élise Leboucher

Séance en hémicycle du jeudi 6 avril 2023 à 15h00
Indemnisation des dégâts causés par le retrait-gonflement de l'argile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlise Leboucher :

Aujourd'hui, je veux vous parler d'une histoire, ou plutôt de millions de petites histoires. C'est l'histoire de personnes qui, après des années de dur labeur, contractent un crédit, remplissent de multiples formulaires, signent des actes notariés et, enfin, se voient remettre les clés de leur maison. Cette maison, ce n'est pas seulement un logement ; c'est un projet de vie, un lieu de refuge, un héritage qu'elles voudront léguer à leurs enfants. Ce projet de vie, pourtant, est menacé par le dérèglement climatique et ses conséquences.

Les maisons dont nous parlons sont construites sur des sols argileux. Ces sols peuvent se modifier en fonction de la proportion d'eau qu'ils contiennent : ils se rétractent en cas de sécheresse, et gonflent quand l'humidité augmente. Le lieu de repos devient alors synonyme d'angoisse et de stress quand des fissures lézardent les murs de la maison et menacent sa solidité.

Je pense à toutes les personnes qui m'ont contacté dans le département de la Sarthe : un couple de Pruillé-le-Chétif qui voit une énorme fissure courir le long des murs bleu gris de sa chambre ; d'autres qui entendent leur maison craquer et, chaque jour, regardent si les fissures se sont agrandies ; cet homme qui a dû installer des étais dans son salon pour soutenir le plafond. Je pourrais parler longuement de ces témoignages et de la détresse de ces habitants…

Ces histoires sont, hélas, trop communes : plus de 10 millions de maisons individuelles sont exposées au retrait-gonflement d'argile d'intensité moyenne et forte, soit la moitié de l'habitat individuel. Pour résumer, si vous vivez dans une maison individuelle en France, la probabilité que vous soyez confronté au RGA, et donc exposé à des dégâts matériels, financiers et psychologiques considérables, est de 50 %.

Les maisons fissurées incarnent le dérèglement climatique dans sa réalité la plus tangible, la plus proche, la plus quotidienne. Si elles sont moins spectaculaires que les incendies géants ou les inondations qui suscitent émotion et solidarité de toute la nation, les sécheresses et les fissures qu'elles provoquent sont une réalité quotidienne et invivable. Avec la multiplication des premières, en été comme en hiver, le phénomène risque de s'aggraver. Il n'est plus temps de se demander s'il faut agir face au dérèglement climatique et à ses conséquences ; il faut se demander comment le faire.

Certes, le RGA est pris en charge par la garantie Cat nat. Mais, entre l'apparition des premières fissures et l'indemnisation des sinistrés, c'est un véritable parcours du combattant ! Pour bénéficier d'une indemnisation, la personne habitant une maison fissurée doit être domiciliée dans une commune où l'état de catastrophe naturelle a été reconnu. Les critères de reconnaissance sont complexes, et ne tiennent pas compte des réalités locales. Ainsi, dans la Sarthe, seules 25 % des communes concernées ont été reconnues, et c'est le cas d'à peine plus de 12 % des communes françaises.

Les délais de traitement sont particulièrement longs. Par exemple, les demandes de reconnaissance déposées par douze communes sarthoises en 2020 et 2021 ont été traitées dans l'arrêté interministériel du 21 février 2023, soit trois ans plus tard ! Pire, ce dernier ne reconnaît qu'une seule des communes. La réforme de ces critères en 2019 n'a pas amélioré la situation, et la Cour des comptes dénonce un régime inéquitable, inadapté et non soutenable.

Dans le cas où la commune obtient la reconnaissance de l'état de Cat nat, l'indemnisation n'est pas garantie : seuls la moitié des dossiers déposés bénéficient ainsi d'une indemnisation. De la constatation des premières fissures à l'indemnisation, ce sont des mois, voire des années, qui peuvent s'écouler, laissant les vies des habitants en suspens pendant que les fissures s'aggravent de jour en jour, et que le coût des réparations grimpe.

L'ordonnance du 8 février 2023, qui révise le mode de prise en charge des dégâts causés par le RGA, ne résout pas le problème. Elle est au contraire source d'inquiétudes, car elle réserve les indemnisations aux sinistres les plus graves et exclut les dommages non structurels. Un rapport sénatorial de février 2023 s'inquiète de ce que le Gouvernement ne prévoie pas de hausse du niveau de franchise pour consolider l'équilibre financier du régime, ce qui fait porter le poids des ajustements aux seuls assurés.

La proposition de loi est une étape essentielle pour remédier à cette situation et répondre aux demandes de millions de sinistrés. Il est urgent de modifier les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sécheresse afin d'augmenter le nombre de communes reconnues au titre du RGA. Ce texte comporte des avancées notables, comme la prise en compte des variations d'humidité des sols et la présomption que la cause déterminante des dommages est le RGA lorsque l'état de Cat nat est reconnu. Le groupe LFI – NUPES salue également les mesures visant à rééquilibrer la relation entre assuré et assureur, et à améliorer le relogement des sinistrés.

La question des maisons fissurées concerne tous les députés. Des millions de personnes nous regardent. Elles réclament que nous placions l'intérêt général au-dessus des jeux, des postures politiques et des intérêts des assurances.

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