Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 15h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, dans le cadre d'une audition consacrée au projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre présence au sein de notre commission, qui, vous le savez, porte un intérêt particulier à l'articulation géostratégique entre les conceptions de politique extérieure de la France et les grandes orientations de la LPM.

Vous êtes à la tête d'une administration remarquable : tous les contacts que nous avons eus avec les forces armées nous ont impressionnés par leur qualité humaine, intellectuelle et d'engagement moral. Je voudrais vous charger de leur dire notre profond respect et notre profonde admiration.

Vous gérez actuellement les dernières marches, les plus élevées, de la LPM pour les années 2019 à 2025, dont j'avais redouté – exprimant avec d'autres mon scepticisme – qu'elles ne soient encore sacrifiées. Il faut dire que sous les présidences de M. Sarkozy et de M. Hollande, on a cru qu'on pouvait toucher les dividendes de la paix et faire des économies sur les forces armées. Saluons, sous la présidence d'Emmanuel Macron, l'interruption du mouvement de baisse continue des crédits militaires et de longue agonie des postes diplomatiques ! Vous pouvez vous prévaloir d'avoir honoré le contrat, alors même que la Cour des comptes a reconnu la qualité de la gestion de votre administration.

Ce projet de loi de programmation militaire est ambitieux, ne serait-ce que par les volumes financiers engagés. Vous n'avez pas lésiné, malgré les tensions budgétaires que nous connaissons. Vous vous efforcez de remédier à des défauts structurels des armées françaises, tels que les problèmes de pièces détachées, de munitions ou de formation des militaires. On voit bien, dans cette guerre qui s'annonce longue, aux côtés de nos amis ukrainiens, combien ces choses sont fondamentales.

Dans la situation de rupture que nous connaissons, avec le retour de la guerre en Europe, de la menace traditionnelle russe, de la solidarité occidentale sous ses formes otanienne et américaine, des formes de conflit classiques et de masse, on a le sentiment que la LPM fait des choix de continuité, met l'accent – à juste titre, de mon point de vue – sur la force de dissuasion nucléaire, sans changer profondément notre profil européen, ni en termes quantitatifs, ni en termes qualitatifs. L'autonomie stratégique européenne combinée à l'Alliance atlantique, nous en voyons le principe et l'intérêt, mais nous n'en discernons pas les modalités. Sur le plan quantitatif, compte tenu des responsabilités que nous entendons assumer au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), est-il normal que nos amis polonais aient un nombre de chars équivalent au total cumulé de ceux de l'Italie, de la France et de l'Allemagne ? Ne peut-on craindre un sous-dimensionnement de l'armée de terre ? Votre projet de loi nous confère-t-il vraiment les moyens de nos ambitions dans le cadre de l'Alliance atlantique ?

Par ailleurs, je peine à identifier, dans le domaine des forces de projection, les transformations qu'appelle, à mon avis, la crise très profonde que connaissent les opérations extérieures (OPEX). Nous sommes contestés en raison de notre histoire et de la modification de l'attitude de puissances comme la Russie, la Chine et la Turquie, auxquelles nous sommes confrontés sur un certain nombre de théâtres d'opérations où nous disposons d'un faible adossement aux sociétés locales. Ce modèle est en crise, le président de la République l'a évoqué dans son discours sur la politique africaine. Mais en tirons-nous pleinement les conclusions ? Quelle est votre conception des OPEX, du rapport entre les forces prépositionnées au sein de pays amis, ainsi que des forces spéciales ?

Quant à notre présence maritime, elle est liée à la question du porte-avions. Tout en considérant que son absence du projet de LPM serait très grave, je m'interroge sur son emploi. S'il s'agit de projeter des forces pour des opérations terrestres, cela peut se faire à partir des bases dont nous disposons ici et là. S'il s'agit d'assurer la maîtrise de l'espace maritime, un seul porte-avions ne suffit pas ; puisque nous n'en ferons pas deux, il faut une stratégie de coopération, car peut-on réellement développer une stratégie totalement indépendante de celle de nos alliés, notamment, dans le Pacifique, des Américains ?

Ce sont bien là toutes les questions que soulève ce projet de nouvelle LPM. Comment comptez-vous combiner une autonomie stratégique, dont vous vous donnez les moyens à bien des égards, et la nécessité de coopération, sur le front européen et à l'international, avec des alliés – pas seulement les Américains ? Autrement dit, comment envisagez-vous l'articulation entre nos choix de politique militaire et ceux de politique étrangère, entre lesquels je décèle, non pas une contradiction, mais une tension ?

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