Intervention de Sophie Panonacle

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Panonacle, rapporteure :

À l'approche de l'été, nous examinons cette proposition de loi (PPL) visant à améliorer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, qui apparaît aujourd'hui comme une priorité de premier plan.

Nos débats ont lieu dans un contexte encore marqué par les mégafeux qui ont jalonné la saison sèche de l'année 2022 en Gironde et dans des régions jusque-là épargnées. Ces événements brutaux ont détruit 72 000 hectares et ont montré à quel point notre politique de prévention des incendies peut encore progresser pour que nous soyons mieux préparés.

En effet, dans les années à venir, il est certain que le dérèglement climatique suscitera un stress hydrique régulier et une hausse du nombre de sécheresses graves, et qu'il augmentera globalement de 50 % l'exposition des forêts françaises au risque de feux de forêt d'ici 2050. Les incendies considérés comme « hors norme » pourraient représenter 15 % des feux en 2030 et 30 % en 2050.

Quelques chiffres : 75 % des forêts sont privées, 16 % publiques et 9 % domaniales. Plus de 11 000 communes sont propriétaires d'une forêt, soit plus de 30 % de nos communes. Sur les 3,3 millions de propriétaires, plus de 90 % disposent de moins de 3 hectares. Enfin, 90 % des départs de feux de forêt ont pour origine des activités humaines, dont 30 à 40 % sont purement volontaires.

Reconnaissons l'importance considérable de la forêt, qui occupe 31 % du sol, dans l'aménagement de notre territoire. Reconnaissons qu'il est particulièrement difficile d'établir une standardisation stricte des objectifs et des moyens face à la disparité des statuts des forêts, aux spécificités territoriales et à la multiplicité des propriétaires forestiers. Reconnaissons, enfin, que le Gouvernement, dans le cadre de son plan visant à lutter contre les incendies de forêt, a répondu aux premières attentes des acteurs de terrain – les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), les associations syndicales autorisées de défense des forêts contre l'incendie, le Centre national de la propriété forestière (CNPF), l'Office national des forêts (ONF) et les communes. Le ministre de l'intérieur s'est engagé dès cet été à mettre à disposition davantage d'engins bombardiers d'eau et terrestres, de pompiers et de militaires, et a alloué 180 millions d'euros aux Sdis afin d'acquérir 1 100 engins de lutte contre le feu. Ces mesures forment une première étape majeure.

Pour autant, les engagements de l'État ne suffiront pas pour répondre à cette grande cause de la protection de la forêt et de sa biodiversité. En effet, chacun, à son niveau, doit apporter sa contribution, notamment les particuliers riverains des forêts, les propriétaires forestiers et les communes forestières. Il est évident que la menace croît et que nous devons trouver des réponses complémentaires pour y faire face.

Ce sujet a été largement évoqué tout au long de la mission d'information sur l'adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers que j'ai réalisée avec Catherine Couturier pour le compte de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Il a également fait l'objet de travaux au Sénat, notamment dans le cadre d'une mission d'information sur la prévention du risque incendie, qui a débouché sur la PPL qui nous occupe aujourd'hui.

Je voudrais, à cette occasion, saluer l'excellent travail des sénateurs Jean Bacci, Anne-Catherine Loisier, Pascal Martin et Olivier Rietmann, dont la PPL a été examinée par le Sénat en mars. Nous avons en effet identifié de nombreux points de convergence lorsque nous les avons auditionnés avec mes collègues rapporteurs de l'Assemblée, Luc Lamirault, Anthony Brosse pour la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, Éric Pauget pour la commission des lois et Sophie Mette pour la commission des finances.

Le titre II traite particulièrement de la prévention des feux par la gestion des espaces limitrophes entre les forêts, les zones urbaines et les infrastructures. Il est en effet fréquent que des départs de feux en viennent à menacer les habitations, ce qui oblige naturellement les sapeurs-pompiers à concentrer leurs efforts sur la défense des personnes et des habitations.

Nous le savons, le débroussaillement réglementaire joue à cet égard un rôle majeur, constituant la mesure de prévention la plus efficace contre la propagation des incendies et le socle des autres mesures.

Je rappelle que les obligations légales de débroussaillement (OLD) s'imposent, dans les zones particulièrement exposées au risque incendie, à toutes les constructions situées à moins de 200 mètres des bois et forêts : les propriétaires doivent débroussailler une surface de 50 mètres autour des bâtiments.

Le texte du Sénat prévoit un ensemble de mesures utiles sur les OLD, que je vous proposerai, dans plusieurs cas, d'adopter sans modification, car elles permettent des progrès significatifs.

C'est le cas de l'article 8, qui prévoit une annexion plus systématique des OLD aux documents d'urbanisme, afin d'améliorer leur articulation avec les autres obligations de construction. L'article 8 bis propose une meilleure responsabilisation des propriétaires de parcelles adjacentes aux réseaux de transports, tandis que l'article 8 ter qualifie les travaux de débroussaillement de travaux d'entretien courant, ce qui permet de se passer d'autorisation préalable pour les réaliser.

De la même façon, l'article 8 quater clarifie le fait que la responsabilité pour l'évacuation des rémanents d'exploitation forestière sur une parcelle forestière incombe au propriétaire de cette parcelle, précision utile pour une charge qui existe déjà, mais est souvent ignorée. L'article 8 quinquies simplifie le droit applicable aux campings en faisant du gestionnaire le garant de cette obligation.

Le taux de mise en œuvre des OLD reste trop faible, et c'est l'un des sujets sur lesquels il nous faut trouver des solutions, à la fois en matière d'information et de sanctions. C'est pourquoi le texte propose également de renforcer les obligations qui s'appliquent lors des mutations immobilières. Ainsi, l'article 9, qui concerne les terrains situés dans une forêt classée à risque d'incendie et particulièrement exposés à ce risque, conditionne leur mutation à la mise en œuvre effective des OLD. L'article 9 bis A renforce l'information immobilière en ajoutant les OLD au dispositif d'information des acquéreurs et locataires (IAL), qui contient déjà d'autres informations sur les risques.

L'article 9 bis, enfin, envoie un signal quant à l'importance de ces obligations en alourdissant, de façon proportionnée, les sanctions en cas de mise en œuvre insuffisante des OLD.

Nous devons aussi renforcer les moyens techniques à disposition des collectivités pour contrôler la mise en œuvre de ces obligations par l'usage des drones, qui pratiquent d'ores et déjà la surveillance du risque incendie pour signaler les départs de feux ; je vous proposerai un amendement en ce sens.

De la même façon, je proposerai par amendement de favoriser les possibilités de mutualiser la prise en charge des OLD, par le biais notamment des associations syndicales autorisées et des syndicats mixtes.

Enfin, il existe de véritables difficultés d'application des OLD, qui ne fonctionnent pas comme les autres obligations d'urbanisme, en ce qu'elles exigent des propriétaires qu'ils interviennent sur les parcelles voisines. Les problématiques de superposition sont nombreuses et nous ont été signalées vivement lors des auditions. Plusieurs amendements proposeront des évolutions pour régler ces problèmes.

En revanche, deux dispositions du texte sur les OLD ne m'ont pas convaincue, car elles posent des problèmes techniques et de principe : ce sont les articles 10 et 11 sur le crédit d'impôt et la franchise d'assurance, qui interpellent tous deux sur le régime de vérification de la mise en œuvre de l'obligation et les moyens de le contrôler. Je serai favorable à leur suppression.

J'en arrive au sujet des plans de prévention des risques d'incendie de forêt (PPRIF), qui constituent l'approche la plus complète pour armer un territoire face aux incendies, autant en matière d'urbanisme que de préparation des secours, de sensibilisation des populations ou de sécurité civile. Le problème principal tient à la longueur d'élaboration d'un PPRIF : trois ans en moyenne, ce qui explique que les territoires en soient insuffisamment couverts à ce jour. Seules 206 communes en sont dotées depuis la création de ces plans en 2003 : c'est bien trop peu. Dans les cas les plus complexes, on peut voir des PPRIF prescrits qui ne sont toujours pas approuvés au bout de dix ans.

Pour cette raison, aux articles 12 et 13, le Sénat a voulu simplifier et amplifier l'élaboration et la révision des PPRIF. Je partage pleinement cet objectif qui me paraît indispensable pour arriver à renforcer notre action de prévention : pour certains territoires, les OLD ne suffisent pas.

Je vous proposerai donc un amendement à l'article 13, qui vise, sans remplacer le PPRIF, à créer une nouvelle procédure intermédiaire, plus simple et plus légère.

Les propositions que je viens de vous présenter et celles de M. Lamirault ont pour ambition de réguler les interfaces entre les forêts et les activités humaines afin de mieux nous protéger contre l'extension du risque incendie. Elles doivent aussi servir à protéger nos forêts et la biodiversité qu'elles abritent.

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