Intervention de Luc Lamirault

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Lamirault, rapporteur :

J'ai l'honneur d'être rapporteur des titres III et V de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Nous avons encore bien sûr tous en tête les terribles incendies qui ont frappé la Gironde l'été dernier, bouleversant la vie de milliers de nos concitoyens, détruisant la forêt, la biodiversité, des milliers d'hectares de cultures agricoles, et mettant à mal nos activités économiques. Plus récemment encore, l'incendie de Cerbère a durement frappé les Pyrénées-Orientales et a ravivé nos craintes pour l'été à venir.

Lors de ces feux, la mobilisation des sapeurs-pompiers et de l'ensemble des acteurs du territoire a été particulièrement exemplaire. Les nombreux élans de solidarité sont aussi l'un des éléments qui garantissent la résilience de nos territoires. Néanmoins, ces incendies ont également mis en lumière un certain nombre de faiblesses, notamment dans les politiques de prévention de lutte contre les incendies. Face à ces tragédies humaines, environnementales et économiques, l'efficacité de l'action publique doit être renforcée.

Dans ce contexte, l'initiative parlementaire des sénateurs pour améliorer la prévention contre les feux de forêt doit être saluée. Cette initiative est complémentaire des annonces de l'exécutif en la matière, qu'il s'agisse des mesures annoncées par le Président de la République à l'automne dernier ou des récentes annonces de l'Intérieur. Notre action en tant que législateur s'inscrit pleinement dans la continuité et la complémentarité de ces annonces fortes ; ce sont là des sujets qui doivent nous réunir et nous permettre de dépasser les clivages partisans. Au côté du Sénat, l'Assemblée nationale se saisit aussi pleinement de ces problématiques : en témoigne l'excellent rapport rendu par ma corapporteure sur la résilience des forêts. J'en profite d'ailleurs pour souligner que le sujet de ce texte n'est pas la forêt, mais bien la prévention des feux de forêt. Nous aurons, je l'espère, d'autres véhicules législatifs pour renforcer plus largement la résilience de nos forêts face à d'autres types de risques.

Le titre III du texte vise à améliorer la gestion durable de nos forêts et à promouvoir la sylviculture face au risque d'incendie. En préambule, je souhaiterais rappeler que la forêt française représente au total 17 millions d'hectares, dont 12 millions correspondent à des parcelles de forêt privée. Nos concitoyens sont profondément attachés à leurs forêts, qu'il s'agisse de la forêt publique ou de parcelles forestières patrimoniales. Il était donc important que la représentation nationale se saisisse de ce sujet, afin de promouvoir une gestion durable de la forêt. Face au changement climatique et à la croissance du risque d'incendie, il est impératif que chacun se mobilise, à son niveau, pour réduire au maximum le risque d'embrasement de nos massifs et contenir les dommages causés par le feu lorsqu'un événement de cette nature vient à se produire.

Le titre III de la proposition de loi contient un ensemble d'articles concourant à cet objectif. Notre commission est compétente sur les articles 15 à 19, les articles 20 et 20 bis ayant été délégués au fond à la commission des finances.

L'article 15 vise à améliorer l'intégration de l'enjeu du risque incendie au sein de la forêt privée nationale. Il complète à cette fin la composition de la commission régionale de la forêt et du bois, pour prévoir la présence des Sdis et des associations syndicales de gestion forestière ainsi que de leurs fédérations régionales. Il prévoit également d'intégrer explicitement l'enjeu du risque incendie au sein du programme régional de la forêt et du bois, du schéma régional de gestion sylvicole et, enfin, au sein des plans simples de gestion (PSG) dont l'objet est de promouvoir une gestion durable et responsable des parcelles forestières privées.

L'article 15 bis s'inscrit dans la même logique en intégrant cet enjeu au sein des deux documents facultatifs de gestion durable de la forêt : le règlement type de gestion et le code des bonnes pratiques sylvicoles, qui concernent essentiellement les petits propriétaires forestiers.

L'article 16, pour sa part, vise à renforcer le recours au PSG, document obligatoire pour les parcelles forestières de plus de 25 hectares, en abaissant ce seuil à 20 hectares. Les échanges conduits avec le CNPF, dont je salue l'action et l'engagement, font apparaître que nous pourrions ainsi utilement couvrir 500 000 hectares supplémentaires grâce à cette mesure, ce qui est un bon premier pas pour améliorer la couverture de la forêt privée par des documents de gestion durable.

L'article 17 porte sur les modalités d'accès aux documents de gestion durable de la forêt. Son objectif est de simplifier la démarche, pour les propriétaires et pour le CNPF, qui agrée les plans simples de gestion, en recourant à la télétransmission de ces documents. En l'état actuel de sa rédaction, cette obligation de télétransmission des PSG entrerait en vigueur en 2025 mais ne s'appliquerait aux propriétaires particuliers qu'en 2027, avec la possibilité, jusqu'au 1er janvier 2030, pour les personnes rencontrant des difficultés pour procéder à la transmission de ce plan par voie électronique, de procéder à une remise physique.

L'article 17 s'articule utilement avec l'article 18, qui prévoit un droit, pour le propriétaire s'inscrivant dans une démarche de gestion durable, à une visite de bilan à mi-parcours, et la possibilité pour les associations syndicales de gestion forestière de bénéficier de majorations dans l'attribution d'aides publiques.

Enfin, l'article 19 crée, au sein du CNPF, un réseau de référents DFCI (défense des forêts contre les incendies) afin de donner plus de visibilité aux actions mises en œuvre dans ce domaine. Cette création interviendrait logiquement après une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés par cette question.

Le titre V de la proposition de loi vise à mobiliser le monde agricole face au risque incendie. Avant d'en venir aux articles, je veux profiter de cette occasion pour saluer ici la profession agricole, qui s'est mobilisée de façon exemplaire pour venir en aide lors des incendies de l'été dernier. La solidarité du monde agricole et sa connaissance du terrain a, une fois encore, montré toute sa force. Il nous revient en tant que législateurs de donner un cadre à ses initiatives multiples et utiles.

Il existe un lien intrinsèque entre la bonne santé de l'agriculture et celle de nos forêts. La déprise agricole limite l'entretien des territoires et favorise donc la propagation des incendies. À l'inverse, des terres agricoles dynamiques et bien entretenues constituent un atout majeur de prévention contre le risque incendie. En particulier, l'existence d'activités agricoles sylvopastorales, qui jouent un rôle majeur sur le plan de notre souveraineté alimentaire et des enjeux de transition agroécologique, est également primordiale en matière de prévention contre le risque incendie, puisque ces activités jouent un rôle reconnu de coupe-feu au sein des massifs forestiers.

L'article 25 vise ainsi à favoriser le développement des activités sylvopastorales, en permettant sous certaines conditions d'exempter les projets du versement de l'indemnité compensatrice de défrichement. Nous devons veiller au bon usage de ces indemnités, reversées au fonds stratégique de la forêt et du bois, dans la limite toutefois d'un plafonnement fixé à 2 millions d'euros. Il me paraît important de faire évoluer ce plafond dans le cadre de la prochaine loi de finances. En tout état de cause, l'article 26 de la proposition de loi élargit le champ des projets pouvant être financés par le biais du fonds stratégique aux projets de prévention contre le risque incendie, ce qui me paraît aller dans le bon sens et doit s'accompagner d'un fléchage budgétaire cohérent.

Si le monde agricole joue un rôle essentiel dans la prévention du risque incendie, un certain nombre de départs de feu proviennent d'exploitations agricoles et les agriculteurs font partie des premières victimes des feux de forêt, qui peuvent ravager en un rien de temps des mois de travail. Nous devons y sensibiliser davantage le monde agricole. L'article 27 confie donc aux chambres d'agriculture la mission de sensibiliser le monde agricole et les propriétaires fonciers au risque incendie.

Je suis en revanche plus sceptique sur l'apport de l'article 28, qui accorde au préfet la possibilité de limiter les horaires au cours desquels les agriculteurs peuvent réaliser leurs travaux agricoles : cette possibilité existe déjà.

Enfin, l'article 29 prévoit la possibilité pour le préfet de prescrire des « coupures de combustible », c'est-à-dire des mesures à même de limiter la propagation du risque incendie, à l'interface entre les parcelles forestières et agricoles. Cette mesure peut être utile, mais elle mérite d'être précisée et ne doit pas se faire au détriment de notre souveraineté alimentaire.

Sur ce titre V, je travaille en lien avec le Gouvernement à un amendement qui me tient particulièrement à cœur en vue de la séance publique, pour donner un cadre plus clair aux actions des agriculteurs lorsqu'ils interviennent pour faire face aux incendies, afin notamment de garantir leur juste indemnisation.

J'espère que nos échanges permettront d'aboutir à des propositions dépassant les clivages partisans sur ce sujet majeur d'intérêt public.

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