Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 23 mai 2023 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre :

Je me retrouve dans nombre de vos propos.

Vous avez raison, les pompiers ont souvent à mener des interventions qui ne relèvent pas de leur cœur de mission, ce qui les décourage et coûte de l'argent aux Sdis : il s'agit des carences ambulancières et de l'aide à la personne, notamment aux personnes âgées. Ce qui est un peu paradoxal, c'est que le département est la collectivité qui gère les Sdis, mais aussi la politique de l'âge et du handicap. Dans mon département du Nord, beaucoup de personnes âgées appellent les sapeurs-pompiers parce qu'elles sont seules à leur domicile, ou parce que dans leur Ehpad, souvent géré par le département, il n'y a plus de gardien ou d'infirmer de nuit. Ce sont les pompiers qu'on appelle alors pour relever une personne qui est tombée de son lit, voire ramasser une télécommande. Cela relève un peu de la bobologie.

Les départements doivent concilier ces deux politiques publiques en renforçant les moyens en personnel dans les Ehpad – j'ai pu constater, quand j'étais maire, que lorsque les effectifs baissaient, ils étaient remplacés par les pompiers – ou bien en prévoyant que les dispositifs de téléalarme, en cas de maintien à domicile, fassent plutôt passer un agent du conseil départemental, voire d'un autre opérateur, comme La Poste, pour faire la levée de doute. Cela permet d'éviter d'engager un véhicule avec quatre sapeurs-pompiers pour ramasser la télécommande d'une vieille dame. Si vous avez donc parfaitement raison sur le constat, il faut que les départements, qui gèrent ces deux politiques publiques parfois de manière contradictoire, règlent ce problème avec l'État.

Le deuxième problème est celui des déserts médicaux, qui obligent les pompiers à compenser le manque de praticiens. Cela soulève la question de l'implantation des médecins dans les zones rurales et dans les zones urbaines socialement défavorisées. Il faudra peut-être revoir le statut de la médecine libérale ou l'organisation de la médecine de jour.

La loi Matras a lancé l'expérimentation d'un numéro unique pour les appels d'urgence dans certains départements. En organisant la régulation des appels en amont, elle permet d'éviter la compétition entre les différents numéros existants – le 18, le 115 et même parfois le 17. Cela fait gagner beaucoup de temps aux sapeurs-pompiers. Il est également important de souligner que certains professionnels de santé – infirmières libérales, pharmaciens, professions paramédicales – sont capables d'accomplir les gestes médicaux actuellement pratiqués par les sapeurs-pompiers.

Je partage donc votre constat : les sapeurs-pompiers font en très grande partie un métier qui ne correspond pas à celui pour lequel ils se sont engagés, avec le risque de décourager les vocations. Nous devons donc travailler avec les départements pour qu'ils soient cohérents dans leur politique du grand âge et du handicap, et avec le ministère de la santé afin de mieux nous organiser pour envoyer les pompiers dans des interventions correspondant à leurs fonctions.

S'agissant des feux de forêt de l'été dernier, je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre analyse. Je souhaite rappeler que 90 % de ces feux sont provoqués par l'homme, de manière volontaire ou non. Plutôt que le nombre de pyromanes, c'est notre comportement qui est en cause – s'arrêter sur le bord de la route pour fumer une cigarette, ne pas éteindre le barbecue... Il n'est donc pas tout à fait exact d'affirmer que le réchauffement climatique est la seule cause de l'augmentation des feux de forêts : il ne fait qu'amplifier ce phénomène. Si vous jetez votre mégot de cigarette par terre en période de sécheresse, le feu prend plus facilement, c'est certain, mais ce sont les comportements individuels qui sont en très grande partie responsables des feux de forêt.

Autre chiffre qu'il est important d'avoir à l'esprit : 90 % des feux ont touché des forêts privées. Ceux des Landes et du Jura ont pris dans des forêts privées mal entretenues, où des gens organisaient une forme coutumière de récupération, notamment de sève, avec l'installation de caravanes qui n'auraient pas dû être là. Tous les professionnels de la nature savent qu'on gère une forêt en coupant du bois ; or les propriétaires s'y sont parfois opposés. Certes, on peut toujours acheter des avions, renforcer le pacte capacitaire ou augmenter la fraction de TSCA dédiée au financement des Sdis. Mais avant même de dépenser, il faut s'interroger sur le mode de gestion. Les ministères de l'écologie et de l'intérieur doivent travailler sur la prévention en imposant des obligations aux propriétaires privés. La gestion du domaine public par l'ONF et les communes est très différente de celle des forêts coutumières ou privées.

S'agissant du recrutement des pompiers, comme vous l'avez dit, il n'y a pas moins de volontaires en France mais moins de jours de volontariat, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Cela est peut-être dû à une crise de la vocation ou à des difficultés entre volontaires et professionnels, mais cela tient également aux employeurs qui ne libèrent pas suffisamment les pompiers – des employeurs privés bien sûr, et il faut leur demander de faire des efforts, mais aussi des employeurs publics : commençons donc par libérer davantage nos personnels. Le statut du sapeur-pompier doit être plus ou moins calqué sur celui de l'élu municipal, qui dispose d'un droit d'absence pour exercer son mandat.

Enfin, la gestion des Sdis doit être améliorée. Lorsque je me suis rendu en Gironde, j'ai constaté que seuls 6 % des effectifs du Sdis étaient mobilisés alors que les feux ravageaient le département depuis plusieurs jours. Si certains pompiers étaient en vacances ou bien déjà mobilisés par d'autres interventions, ce taux apparaît tout de même très bas. Il a été nécessaire de faire venir des colonnes de renfort de Bretagne et du nord de la France, ce qui fait perdre du temps et coûte cher. Le plus simple est pourtant de mobiliser les pompiers du département. C'est une affaire complexe, je le sais, mais quand moins de 10 % des effectifs d'un Sdis sont mobilisés sur des feux gigantesques, c'est que quelque chose ne va pas dans notre fonctionnement. Nous y travaillons actuellement avec les départements de France.

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