Intervention de Jérémie Iordanoff

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Iordanoff :

La justice connaît une crise profonde : les conditions d'exercice sont indigentes et les délais de jugement extravagants. Cela n'est satisfaisant ni pour celles et ceux qui rendent la justice, ni pour les justiciables. C'est la place de l'autorité judiciaire dans notre République et, in fine, la confiance des citoyens en leur justice qui est en question.

Je vous épargnerai les comparaisons internationales, mais il est certain qu'un pays comme la France se doit d'avoir une justice indépendante, équitable, humaine et dotée de moyens financiers importants. Aussi, une réforme, et surtout des moyens, étaient attendus. Ce défi, monsieur le ministre, c'est le vôtre, mais aussi le nôtre, en tant que parlementaires. À cet égard, je regrette que les conditions d'examen qui nous sont imposées nous rendent la tâche encore plus ardue. Pourquoi user de la procédure accélérée pour une réforme de cette importance ? Un travail de qualité prend du temps. Le passage des textes devant les assemblées n'est pas seulement une formalité consistant à les valider : c'est aussi le temps de la délibération, pour affiner et améliorer les dispositions. Quelle est la raison d'une telle précipitation ?

Je salue l'effort budgétaire et les recrutements annoncés. Nous serons vigilants, néanmoins, à la répartition des moyens. Nous attendons d'ailleurs des précisions à ce propos.

Nous sommes ouverts au principe de la diversification des voies de recrutement, parce qu'il faut aller vite, mais nous serons attentifs à ce que la qualité de la justice ne soit pas tirée vers le bas.

Le texte est silencieux sur plusieurs points. On n'y trouve rien concernant l'indépendance du parquet, en dépit de l'extension des prérogatives de ce dernier. Il est temps d'aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, conformément aux standards européens. Qu'est-ce qui vous empêcherait de nous soumettre un projet de loi constitutionnelle portant sur le sujet ?

Silence radio, également, s'agissant de la justice environnementale, alors que le rapport d'un groupe de travail sur la question, présidé par François Molins, a été publié à l'automne dernier. Alors que les atteintes à l'environnement augmentent, et malgré l'existence de pôles spécialisés, on constate une diminution du nombre d'affaires portées devant la justice – ces dossiers représentent 0,5 % des affaires traitées – ainsi qu'une diminution des quanta de peine prononcés.

Le texte ne développe aucune réflexion d'ampleur concernant la surpopulation carcérale, alors que la France vient de battre son record en la matière. Nous avons l'impression que vous misez tout sur la construction de places de prison. Or, vous savez bien que cela ne peut être la seule solution.

Après les silences du texte, j'évoquerai les dérives qu'il traduit. La plus outrancière est celle qui consiste à toucher à la liberté syndicale des magistrats, introduite au Sénat par voie d'amendement. Il conviendra d'y revenir. J'aimerais connaître votre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Plus généralement, une question traverse le texte : celle du rôle du garde des sceaux vis-à-vis des magistrats. Je pense en particulier à l'article 8 du projet de loi organique, qui dispose que les plaintes à l'encontre des magistrats vous seront transmises même lorsqu'elles ont été jugées irrecevables. Le CSM s'inquiète de cette disposition, à juste titre, nous semble-t-il. À quelle nécessité répond cette mesure ?

Une autre dérive concerne l'affaiblissement des droits et libertés, avec des techniques d'enquête spéciales – je pense, notamment, à la géolocalisation et à l'activation à distance du micro ou de la caméra des téléphones portables. Vous me répondrez que le dispositif est bordé ; pour ma part, je m'inquiète de la pente glissante sur laquelle nous sommes engagés et que nous empruntons toujours dans le même sens. Il faudra prévoir des garanties expresses, en particulier pour les journalistes et le secret des sources.

Je pense, enfin, à l'affaiblissement des droits des personnes en garde à vue, avec la généralisation de la télémédecine, même si une première consultation physique est prévue.

Le volet relatif à la justice économique suscite de notre part de vives inquiétudes – nous y reviendrons lors de l'examen du texte.

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