La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 30.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice (n° 1346) (M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs) et sur le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (n° 1345) (M. Didier Paris, rapporteur), et procède à la discussion générale.

Lien vidéo : https://assnat.fr/Pkqw6Z

Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice et sur le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire

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Nous avons le plaisir d'accueillir M. le ministre de la justice, garde des sceaux, pour la discussion générale du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire. Ces textes ont été discutés la semaine dernière au Sénat, qui les a solennellement adoptés hier.

Toutefois, nous ne découvrons pas ces projets de loi, lesquels sont la concrétisation des États généraux de la justice, qui se sont tenus entre octobre 2021 et avril 2022, dont les conclusions ont été remises au Président de la République au mois de juillet dernier.

Sur cette base, particulièrement riche, et à l'issue d'une consultation organisée par le ministère de la justice, vous avez annoncé au début de l'année, monsieur le ministre, des orientations ; nous examinons ici celles qui ont un caractère législatif. Vous avez déjà présenté, notamment au rapporteur et à moi-même, des projets de décrets relatifs à la procédure civile, portant sur la césure et sur le règlement amiable des conflits. Peut-être pourrez-vous, à cette occasion, nous dire un mot des mesures ne relevant pas de l'ordre législatif et qui sont déjà mises en œuvre ou prévues pour les semaines et les mois à venir.

Nous avons déjà évoqué ce contexte en débattant de la programmation budgétaire à l'occasion du premier projet de loi de finances de l'année, qui a été discuté tant en commission que dans l'hémicycle et qui a été adopté. Nous avions alors plaisanté – mais c'était plus qu'une plaisanterie – sur le fait que le « plus » est différent du « moins », ce qui dit beaucoup de l'ambition du texte, notamment pour ce qui est de sa programmation budgétaire, qui prévoit un montant de 7,5 milliards d'euros supplémentaires. Les crédits du ministère ont déjà augmenté de 32 % depuis 2017, avec une nouvelle hausse de 21 % entre 2023 et 2027, pour atteindre un budget inégalé de 11 milliards qui prévoyait, avant les modifications apportées par le Sénat, lerecrutement d'environ 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d'ici à 2027, soit autant de magistrats recrutés en cinq ans que durant les vingt dernières années.

Nos collègues sénateurs ont également avancé sur la refonte du code de procédure pénale à droit constant, l'entourant de quelques garanties que vous pourrez nous présenter. Enfin, le texte visant, outre les magistrats judiciaires, les magistrats administratifs, peut-être pourrez-vous nous parler aussi des quelques mesures qui les concernent. De fait, toute la grande famille du ministère de la justice bénéficiera de ces lois d'orientation.

Je n'entrerai pas plus loin dans le détail, laissant ce soin à nos rapporteurs, M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, et M. Didier Paris, rapporteur de la loi organique.

Avant de leur donner la parole, je vous laisse, monsieur le ministre, nous présenter les principales dispositions de ce projet de loi.

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Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Je suis heureux de revenir devant votre commission, après mon audition du 10 janvier dernier, où je vous avais longuement présenté l'ensemble du plan d'action issu des États généraux de la justice. Je vous avais alors annoncé une loi de programmation et son volet organique. Alors que le Sénat les a adoptés hier après-midi, c'est désormais au tour de votre commission d'examiner ces deux textes, qui traduisent, comme je l'ai déjà dit, l'ambition de tourner la page du délabrement de la justice, comme s'y étaient engagés le Président de la République et la Première ministre.

L'objectif est simple : je veux diviser par deux l'ensemble des délais de justice d'ici à 2027. Notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens d'être à la hauteur de sa mission. L'article 1er de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice vous propose ainsi d'entériner une hausse inédite des crédits de la justice, qui atteindront près de 11 milliards d'euros en 2027. En cumul sur le quinquennat, les crédits de justice augmenteront de près de 7,5 milliards. À titre de comparaison, l'augmentation n'a été que de 2 milliards durant le quinquennat du président Sarkozy et de 2,1 milliards durant celui du président Hollande. Ces crédits massifs sont la poursuite des précédents budgets, déjà historiques, et je tiens à saluer à cet égard le travail de vos deux collègues rapporteurs pour avis, Mme Sarah Tanzilli et M. Éric Poulliat.

Concrètement, ces crédits massifs supplémentaires poursuivent quatre objectifs, qui embrassent de manière globale les enjeux d'efficacité du service public de la justice.

Le premier objectif, la première de toutes les batailles, est le recrutement massif et rapide de magistrats, de greffiers, d'attachés de justice, d'agents pénitentiaires et d'agents administratifs – en un mot, de tous ceux qui font vivre le ministère de la justice. Pour graver cela dans le marbre, j'ai voulu inscrire dans une loi le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires, en création nette de postes, d'ici à 2027. Ces 1 500 magistrats, c'est, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, autant sur les cinq prochaines années que durant les vingt dernières. S'y ajouteront au moins 1 500 greffiers.

Deuxième objectif : la revalorisation de ceux qui servent notre justice au quotidien. Soyons clairs : on ne peut pas annoncer d'un côté le plus grand plan d'embauche de l'histoire de la justice et, de l'autre, ne rien faire pour attirer nos compatriotes vers ces missions certes passionnantes, mais assez difficiles. La loi de programmation entérine donc d'importantes revalorisations des métiers judiciaires, dont une hausse de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, qui sera effective dès cet automne, pour récompenser et encourager leur engagement quotidien. Elle prévoit aussi une revalorisation de la rémunération des greffiers – sans lesquels la justice ne pourrait pas fonctionner – qui sera effectuée suivant un calendrier dédié de négociations d'ici à l'automne. Elle comprendra également le passage historique, réclamé par les syndicats depuis vingt ans, des agents pénitentiaires de la catégorie C vers la catégorie B et, pour les officiers, de la catégorie B vers la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable des personnels de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays. Je suis fier non seulement d'être leur ministre, mais aussi d'avoir amélioré leur place dans la fonction publique.

Troisième objectif de ces nouveaux crédits : mener enfin à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps péché en la matière. Les magistrats et les greffiers de terrain nous disent qu'ils sont souvent freinés par une informatique et un réseau qui ne sont pas à la hauteur. Le but est clair : à l'instar de la juridiction administrative, il faut instaurer le zéro papier à l'horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode.

D'abord, nous dotons toutes les juridictions de techniciens informatiques dédiés qui pourront agir au plus près du terrain, avec le savoir-faire requis, en cas de bug informatique. Nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère, afin de fluidifier les connexions. À terme, l'objectif est aussi que chacun puisse disposer d'un seul compte utilisateur permettant d'accéder à toutes les applications informatiques avec un seul mot de passe. Les greffiers savent de quoi je parle, car ils se plaignent – et bien légitimement – du temps infini qu'ils perdent à répéter sans cesse la saisie des identifiants.

Nous allons accélérer la mise à jour, concertée avec le terrain, des logiciels utilisés en matière civile, comme Portalis, et en matière pénale. Cette loi de programmation accélérera le déploiement déjà en cours de la procédure pénale numérique, en lien bien sûr avec le ministère de l'intérieur et avec un chef de file unique, d'ailleurs issu de la chancellerie.

La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu'elle sert : les justiciables. J'ai annoncé en janvier dernier le lancement d'une application pour smartphone regroupant des fonctionnalités importantes. Elle est disponible depuis fin avril, dans une version qui permet déjà, par exemple, de savoir si vous êtes ou non éligible au bénéfice de l'aide juridictionnelle, ou de simuler le montant d'une pension alimentaire. Cette application, dénommée « justice.fr » et destinée à mettre la justice « à portée de doigts », qui a déjà été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois et que je vous encourage chaleureusement à télécharger vous aussi, offrira de nouvelles fonctionnalités, au gré des mises à jour qui lui sont apportées.

La quatrième et dernière priorité concerne le programme immobilier du ministère de la justice, avec d'abord la construction de tribunaux. En effet, l'arrivée des 1 500 magistrats, des 1 500 greffiers et des nombreux attachés de justice nécessitera une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire. Comme je l'ai dit au Sénat, la question ne sera pas de savoir si la justice recrutera massivement, mais surtout si elle réussira à accueillir ces nouveaux recrutements massifs. Nous avons donc une vision globale, afin d'investir massivement dans les tribunaux de demain, pour actionner tous les leviers qui permettent d'améliorer les conditions de travail de ceux qui servent la justice car, en bout de chaîne, c'est le justiciable qui doit bénéficier pleinement de ces améliorations. Concrètement, ici à d'2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux de cours d'appel.

Le programme immobilier pénitentiaire, quant à lui, avance sûrement, malgré de nombreux freins. Je pense, bien sûr, à la crise sanitaire qui, même si elle est derrière nous, a eu un impact durable sur les chantiers, et à la guerre en Ukraine, qui a réduit drastiquement l'accès aux matières premières. Je pense aussi, je dois le dire, aux réticences des riverains et, souvent, de leurs élus, qui sont un important facteur de retard dans la construction du plan 15 000. Comme je l'ai déjà dit devant vous, il arrive souvent que ceux qui réclament plus de fermeté soient les premiers à refuser l'implantation d'une prison près de chez eux, avec toujours de très bons arguments. Il arrive même parfois qu'un élu avec lequel nous nous sommes étroitement concertés nous donne son accord, mais le retire finalement, après son officialisation. Je ne suis pas un délateur et je ne donnerai pas de noms.

Notre engagement est clair et le cap est fixé : nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2027. Il y va tout d'abord de la bonne application de ma politique pénale, qui est sans ambiguïté : fermeté sans démagogie et humanisme sans angélisme. Il y va aussi des conditions de détention, qui sont parfois indignes. Il n'est nul besoin d'un énième rapport pour en prendre conscience et, pour avoir fait le tour des prisons depuis près de quarante ans, d'abord en tant qu'avocat, puis comme ministre, je connais la dégradation de certains établissements. Cependant, je n'ai pas de baguette magique. J'ai seulement une volonté politique. Mais celle-ci est forte, avec des leviers d'action réalistes et des moyens inédits, ce qui vaut parfois mieux que des « y a qu'à » et des « faut qu'on » prononcés avec légèreté.

J'attendrai avec intérêt les conclusions de la mission d'information menée par vos collègues Caroline Abadie et Elsa Faucillon sur cette question, qui mérite un travail d'expertise précis. Les conditions indignes de détention sont en effet une véritable préoccupation, en particulier dans une grande démocratie comme la nôtre, et j'ai d'ailleurs soutenu avec force votre proposition de loi, monsieur le président, qui a permis de créer un recours contre ces conditions.

Cependant, en matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions toutes faites, clés en main, magiques. La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre. J'ai déjà pu en parler avec certains d'entre vous et je suis ouvert à ce que nous travaillions ensemble à des mesures d'accompagnement pour les communes qui acceptent d'accueillir une prison. Parallèlement aux constructions, nous investissons massivement dans les rénovations, avec près de 130 millions d'euros par an, soit près de deux fois plus que durant le quinquennat du président Hollande.

Le président Sauvé a eu raison de dire, lors de la remise de son rapport au Président de la République, que tout ne se résume pas à la question des moyens. Je vous propose donc une série de mesures destinées à réformer en profondeur l'institution, sans pour autant la déstabiliser.

L'une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice est d'associer aux réformes les moyens nécessaires pour les appliquer concrètement. Cette coordination entre moyens nouveaux et réforme nouvelle poursuit l'objectif de diviser par deux, au civil comme au pénal, les délais d'une justice que les Français trouvent trop lente – c'est la première chose qu'ils ont exprimée lorsqu'ils ont eu la parole dans un exercice démocratique inédit, qui a suscité un million de contributions citoyennes. Il faut nous attaquer à cette lenteur.

Le premier axe de réforme est celui de l'amélioration de l'organisation de la justice, selon une approche déconcentrée, innovante et pragmatique. Je souhaite en effet accélérer la déconcentration du ministère de la justice, en laissant davantage d'autonomie aux juridictions dans leur administration. Le ministère de la justice est l'un des rares à n'avoir pas su – voire pas voulu – prendre le virage de la déconcentration. Nous devons aller beaucoup plus loin en faisant confiance aux chefs de cour et chefs de juridiction. Tout ne doit plus remonter à l'administration centrale et il nous faut plus de fluidité. Cette nouvelle étape, qui relève en grande partie du niveau réglementaire, sera mise en œuvre d'ici à l'automne – c'est là, monsieur le président, une réponse à la question que vous me posiez. Monsieur le rapporteur Balanant, j'ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé, car une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés, au plus près des professionnels et des justiciables. Monsieur le président, je vous ferai parvenir à l'été, ainsi qu'aux membres de votre commission, un projet de décret en la matière.

L'amélioration de l'organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes pour améliorer concrètement le service rendu aux justiciables. C'est ce que nous proposons avec l'expérimentation d'un véritable tribunal des activités économiques (TAE), car l'organisation actuelle des juridictions commerciales manque, à l'évidence, de lisibilité pour les justiciables et pour les différents acteurs. Cette disposition a été passée au peigne fin par le Conseil d'État et le texte que nous proposions était le fruit d'un savant compromis : d'une part, les baux commerciaux, sauf exception, et les professions du droit restaient dans le giron du tribunal judiciaire ; d'autre part, tous les acteurs économiques – agriculteurs, professions médicales et paramédicales, associations – basculaient vers le TAE expérimental.

Les craintes exprimées, de manière d'ailleurs différenciée, par le monde agricole ont conduit le Sénat à modifier les équilibres envisagés. Ces modifications sont intéressantes, mais elles engendrent des effets de bord qui fragilisent, selon moi, les conditions de notre expérimentation. Il faudra donc que nous puissions travailler ensemble cette disposition, avec le rapporteur Pradal, pour rétablir certains équilibres tout en prenant en compte les inquiétudes qui se sont exprimées.

Je vous propose également d'expérimenter une contribution économique, comme cela se pratique dans divers pays européens, afin notamment de lutter contre les recours abusifs et d'inciter à l'amiable. Cette contribution permettra également de bénéficier d'un effet de marque. Souvent, en effet, dans le monde économique, aussi incompréhensible cela soit-il, ce qui est gratuit est perçu comme étant de moindre qualité. Cette contribution tiendra évidemment compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande. À la suite des débats au Sénat et en concertation étroite avec le rapporteur Pradal, je vous proposerai de travailler à exclure encore plus clairement les petites entreprises de cette contribution.

Une amélioration de l'organisation de nos juridictions doit aussi être opérée dans les politiques pénales prioritaires – je pense, bien sûr, à la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), avec la création des pôles spécialisés VIF, conformément au rapport de très grande qualité rendu par Mme Émilie Chandler, que je tiens à saluer chaleureusement, ainsi que la sénatrice Dominique Vérien, avec qui elle a longuement travaillé. Cette nouvelle organisation est désormais inscrite dans le rapport annexé, et sera traduite dans le code de l'organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et pris à l'été. Un travail de coconstruction avec les écologistes du Sénat nous a permis d'inscrire dans le texte l'entrée en vigueur de ce dispositif dès janvier 2024.

Le deuxième axe est celui de la modernisation des ressources humaines – magistrats et fonctionnaires de la chancellerie. Comme je l'ai déjà dit, je veux activer tous les leviers à notre disposition pour nous assurer que, non seulement le plan de recrutement sera réalisé, mais surtout qu'il correspondra aux besoins du terrain. Cette modernisation implique d'abord une adaptation de ces ressources à la réalité d'aujourd'hui, notamment à la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable réalisé par les contractuels dans toutes nos juridictions. Je sais, monsieur le rapporteur Terlier, que vous avez suivi depuis 2021 l'impact de ces recrutements de contractuels, dont vous appeliez d'ailleurs de vos vœux la pérennisation, comme du reste les chefs de juridiction et les chefs de cour. De fait, nous étions partis de l'idée simple que ces contractuels pouvaient être une bouffée d'oxygène pour nos magistrats et nos greffiers, mais de très nombreuses critiques se sont exprimées – c'était, au mieux, de la circonspection. Toujours est-il qu'à la fin de cette nécessaire adaptation, les chefs de juridiction m'ont demandé la pérennisation de ces contractuels, dont le recrutement et l'engagement auprès des magistrats et des greffiers ont permis de réduire les stocks de près de 30 % dans les juridictions, pour la première fois dans l'histoire de notre justice. D'une manière très pragmatique, moins de stocks, c'est évidemment moins d'attente pour nos concitoyens, qui trouvent, je l'ai déjà dit, que notre justice est trop lente.

C'est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, la loi de programmation vous propose non seulement de pérenniser ces emplois en les CDIsant, mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d'attaché de justice. Ces attachés de justice recevront une formation à l'École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils viendront ainsi compléter et constituer, avec les greffiers, une véritable équipe autour du magistrat, ce qui sera une petite révolution au sein de la justice.

C'est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l'administration pénitentiaire avec la possibilité de recruter des surveillants adjoints par voie contractuelle. Ce mécanisme a fait ses preuves au ministère de l'intérieur et, en termes d'attractivité, le recrutement de contractuels permet d'embaucher des personnels au plus près géographiquement des établissements pénitentiaires – ce qui, en particulier pour les ultramarins, n'est pas rien.

Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est, bien sûr, celui du projet de loi organique, c'est-à-dire la réforme du statut de la magistrature. Celle-ci tourne autour de trois axes.

Le premier est l'ouverture du corps judiciaire. Le recrutement de 1 500 magistrats nécessitera d'élargir l'accès à la magistrature. À cette fin, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également l'ouverture des recrutements en simplifiant les différentes voies d'accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l'instauration d'un jury professionnel – le maintien du principe du concours républicain nous garantissant l'excellence du niveau de recrutement.

Il s'agit aussi d'ouverture sociale, avec la création d'un concours « talents » pour les candidats issus de milieux défavorisés. La justice étant rendue au nom du peuple français, il est important qu'elle incarne également la promesse républicaine de la méritocratie.

L'objectif est aussi d'assouplir les règles pour les magistrats à titre temporaire, qui réalisent un travail remarquable, dont nous avons impérativement besoin pour la mise en place de la politique de l'amiable et pour les cours criminelles départementales.

Enfin, il s'agit également de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines, avec la pérennisation des brigades de soutien de magistrats et de greffiers qui ont fait récemment leurs preuves à Mayotte et en Guyane, l'instauration de priorités d'affectation pour les magistrats qui ont accepté de partir vers des territoires peu attractifs, ainsi que la création d'un troisième grade pour garder des magistrats d'expérience en première instance et dans les tribunaux judiciaires, afin d'améliorer la qualité de la première instance, conformément au rapport du président Sauvé.

Le deuxième axe de la réforme statutaire repose sur la modernisation, notamment celle du dialogue social ou du mode de scrutin au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Le dernier axe, enfin, repose sur la responsabilité du corps judiciaire, avec notamment l'élargissement tant des conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre les magistrats devant le CSM – qui, aujourd'hui, ne donnent jamais lieu à sanction in fine – que des pouvoirs d'enquête de celui-ci pour instruire ces plaintes, avec la possibilité de saisir l'Inspection générale de la justice. Le Sénat a apporté à ce texte organique certaines modifications, sur lesquelles nous reviendrons lors de nos échanges.

Le troisième chantier de la réforme est celui de la simplification de certaines procédures civiles ou pénales, qui sont certes un facteur de complexité pour nos professionnels, mais aussi d'éloignement entre le citoyen et sa justice. En matière civile, je veux simplifier la procédure d'appel en réformant le décret Magendie, auquel je sais que certains d'entre vous, comme la présidente Naïma Moutchou, sont particulièrement sensibles. En lien avec le groupe communiste du Sénat, j'ai pris l'engagement de vous transmettre les projets de décret réformant l'appel au civil.

Pour ce qui est de la révolution de l'amiable, j'ai transmis à la commission des projets de décrets relatifs à la mise en place de la césure et de l'audience de règlement amiable, afin que nous puissions échanger plus longuement sur ce point dans les prochaines semaines, car ce décret sera pris dans le courant de l'été pour entrer en vigueur le 1er octobre. Ma porte est, je le répète, grande ouverte pour évoquer les questions que vous pourriez vous poser à propos de l'amiable, si cher à Mme la députée Caroline Yadan.

Je souhaite aussi que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale. Dans un premier temps, il s'agit de restructurer et de clarifier le code de procédure pénale – à droit constant, j'y insiste, comme le précise d'ailleurs l'article 2. C'est un travail herculéen, envisagé à de nombreuses reprises par des majorités successives, comme le savent certains d'entre vous – je pense en particulier à ce fin juriste qu'est votre collègue Philippe Gosselin. L'objectif est de rendre la loi plus lisible pour les professionnels – forces de l'ordre, avocats, magistrats et greffiers. Il s'agit ainsi, par exemple, de réécrire les articles rédigés par renvois successifs à d'autres articles – je pourrais vous en donner des exemples, qui rendent le code totalement illisible. Lorsque j'ai présenté ces travaux à venir, j'avais dans la main droite l'édition 2023 du code de procédure pénale, très épaisse, et dans l'autre main le code d'instruction criminelle de 1958, substantiellement plus fin. Il n'est évidemment pas possible de revenir à cette épaisseur, car certains textes sont évidemment indispensables, mais il faut aller vers plus de simplification. L'objectif est de rendre les choses plus lisibles.

La réorganisation des chapitres est un autre exemple. On ne touchera pas aux équilibres, ni aux règles de droit, mais on réorganisera les dispositions. Si vous cherchez, par exemple, celles qui traitent de la question des victimes dans le code de procédure pénale, vous trouverez je ne sais combien d'articles. Ne serait-il pas opportun de tout regrouper dans un même chapitre, de sorte qu'un professionnel sache immédiatement où chercher ?

Pour vous garantir que la réécriture se fera bien à droit constant, j'ai mis en place un comité scientifique et je vous proposerai par ailleurs, dans la foulée de l'adoption du texte, l'instauration d'un comité de suivi, composé d'un représentant par groupe parlementaire et des présidents des commissions des lois.

Je rappelle aussi qu'une codification à droit constant est soumise à de nombreux et importants contrôles, notamment de la part de la Commission supérieure de codification, du Conseil d'État. Ces institutions imposent au Gouvernement de respecter à la lettre l'habilitation octroyée par le législateur, ainsi que l'esprit de cette habilitation.

Le travail mené avec le groupe LR au Sénat nous a permis d'apporter des garanties supplémentaires en associant encore davantage le Parlement. Je confirme que le nouveau code de procédure pénale n'entrera pas en vigueur avant sa ratification, comme ce fut le cas pour le code de justice pénale des mineurs. J'en profite pour saluer le travail de grande qualité mené à ce sujet par Jean Terlier et Cécile Untermaier et pour souligner que nous sommes parvenus à diviser par plus de deux les délais de jugement en matière pénale pour les mineurs.

Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes et immédiatement applicables, notamment pour améliorer l'efficacité de l'enquête pénale, mais nous aurons le temps d'y revenir : vos questions me donneront sans doute l'occasion de répondre à un certain nombre d'inquiétudes. Nous apporterons dans le cadre des débats des garanties supplémentaires, notamment en ce qui concerne les journalistes.

Je pense aussi à l'extension des travaux d'intérêt général aux entreprises du secteur de l'économie sociale et solidaire, dans la droite ligne du texte porté par Blandine Brocard et Didier Paris, et à l'extension du champ des infractions recevables en matière d'indemnisation des victimes.

Je ne peux pas entrer davantage dans le détail de toutes les mesures – je suis sans doute déjà beaucoup trop long. Je suis sûr que vos questions permettront d'aller plus avant, et je serai ravi d'y répondre.

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Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, récemment examiné au Sénat, est un rendez-vous incontournable pour notre commission. Le Président de la République l'a dit lors de son allocution du 17 avril, et les membres de la majorité en sont également absolument convaincus, la justice et l'ordre public, qui sont au service de l'État de droit, constituent des chantiers prioritaires pour la France.

Après l'adoption de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui a été l'occasion d'un débat riche et d'engagements forts de la part du Gouvernement, nous attendions avec impatience de débattre de la justice. Nous nous réjouissons donc de pouvoir fixer, comme nous l'avions fait avec votre prédécesseure, Nicole Belloubet, les grandes orientations stratégiques et financières pour le quinquennat qui s'ouvre, d'autant que ces orientations sont particulièrement ambitieuses.

À l'époque, nous avions déjà engagé de grandes transformations qui se sont, depuis, concrétisées avec succès. Je pense à la création du code de la justice pénale des mineurs, sur lequel j'ai eu la chance de travailler longuement avec notre collègue Cécile Untermaier, et qui a permis, comme vous l'avez dit, de diviser par deux les délais de jugement des mineurs tout en renforçant leur prise en charge éducative. Je pourrais également évoquer la création des cours criminelles, expérimentées puis généralisées pour limiter la correctionnalisation des crimes et réduire les délais de jugement devant les cours d'assises.

Tout au long du quinquennat, nous n'avons eu de cesse de réformer notre justice, en travaillant sur la création des tribunaux judiciaires, la responsabilité pénale, les violences intrafamiliales, la lutte contre la haine en ligne, la discipline des professionnels du droit ou encore l'accès au travail des détenus.

Tout cela aurait été inutile sans un accompagnement financier fort. Malgré un contexte de tension pour nos finances publiques, nous avons maintenu une hausse sans précédent du budget de la justice : il a augmenté de 8 % en 2021, en 2022 et en 2023.

Nous ne pouvons nier la persistance de certaines difficultés, qui résultent du sous-investissement chronique dans la justice des gouvernements précédents, de gauche comme de droite. Nous prenons nos responsabilités et nous cherchons à apporter des réponses opérationnelles à ces défis : réduire les délais, au pénal mais aussi en matière civile, commerciale et prud'homale, domaines trop souvent délaissés alors qu'ils touchent au quotidien de nos concitoyens ; simplifier et moderniser les procédures, notamment en s'appuyant sur le numérique et les nouvelles technologies ; revaloriser les métiers de la justice pour recruter des magistrats et ceux sans qui l'œuvre de justice est impossible, les greffiers, les éducateurs ou les surveillants pénitentiaires, ce qui passe par une meilleure gestion des carrières, de la formation et de la mobilité ; répondre au défi de la surpopulation carcérale, qui porte gravement atteinte à la dignité humaine des détenus et aux conditions de travail dans les établissements pénitentiaires – c'est toute la chaîne pénale, de l'engagement des poursuites à la réinsertion, qui est concernée ; poursuivre, enfin, l'effort financier nécessaire pour atteindre ces objectifs et moderniser l'institution judiciaire – ses applications métiers, son immobilier, mais aussi sa communication auprès des citoyens.

Nous avions l'intuition de ces constats et de ces besoins, bien sûr, mais il était important de faire un diagnostic précis et partagé par les professionnels. L'effort de réflexion engagé dans le cadre des États généraux de la justice est, de ce point de vue, historique. Il faut souligner l'innovation que constitue l'association d'un si grand nombre de professionnels pour réfléchir librement, sans influence du politique, sur l'avenir d'une institution. Consultation publique, débats partout en France, concertation au niveau ministériel : c'est une méthode nouvelle qui devra être reconduite.

Le temps est désormais venu de faire des choix. C'est le rôle du Gouvernement et du Parlement, qui n'ont jamais eu autant de cartes entre les mains. S'appuyant sur les constats et les recommandations des états généreux, ou plutôt des États généraux de la justice, les dispositions du projet de loi ordinaire répondent avec réalisme aux attentes des usagers et des professionnels de la justice.

S'agissant des réformes de la procédure civile, nous avons un regret, ou une petite frustration, monsieur le garde des sceaux. C'est un volet capital des États généraux de la justice, mais il relève pour l'essentiel du domaine réglementaire et nous n'avons donc pas d'accroche, dans les deux projets de loi, pour permettre au Parlement d'en débattre et de se prononcer.

Nous aurions aimé exprimer notre soutien à cette réforme, à la véritable politique de l'amiable que vous comptez instituer, notamment par la création d'une audience dédiée au règlement amiable et par la simplification de la procédure d'appel. Ce soutien, nous l'exprimerons en tout état de cause à travers le vote du rapport annexé, qui décline de nombreuses mesures infralégislatives, dont nous nous réjouissons, en matière de ressources humaines, d'immobilier et de préservation de l'environnement.

Des simplifications bienvenues relèvent en revanche du domaine de la loi. Je pense au transfert des fonctions civiles du juge de la liberté et de la détention (JLD) à un magistrat du siège, mesure soutenue par les présidents de juridiction que nous avons auditionnés. Il en est de même de la réforme des saisies des rémunérations. Cela permettra d'alléger la charge de travail des greffes des tribunaux judiciaires à hauteur de 140 équivalents temps plein (ETP).

Les craintes exprimées sur le dernier point me paraissent injustifiées. D'abord, le Conseil d'État a porté une appréciation positive sur cette réforme. Ensuite, il ne s'agit pas d'une déjudiciarisation, car le juge de l'exécution demeurera compétent – le Sénat a même adopté un amendement pour faciliter encore la saisine de ce juge. C'est un alignement sur le droit commun qui permettra aux commissaires de justice de procéder aux saisies sans autorisation préalable, comme pour les autres saisies mobilières. Enfin, le projet de loi ne remet pas en cause la protection du salaire, et ne touche pas à la définition des quotités saisissables.

Le projet de loi ordinaire permettra aussi à des professions du droit de se rénover, de se moderniser, grâce au développement de la communication électronique dans le cadre des procédures collectives ou encore au rehaussement du niveau de diplôme requis pour accéder à la profession d'avocat, réforme souhaitée par le barreau.

Nous soutiendrons également l'expérimentation d'un tribunal des activités économiques. Le précédent des cours criminelles départementales nous incline à penser que la voie de l'expérimentation est la bonne méthode. Nous souhaiterions, cependant, avoir des précisions sur les tribunaux de commerce qui seront choisis pour mener l'expérimentation.

L'investissement dans la justice est également financier, avec le recrutement inédit de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers. Le défi est réel : il faut recruter massivement, sans pour autant transiger sur la qualité des personnes recrutées. L'École nationale de la magistrature, l'École nationale des greffes, l'ensemble des juridictions et la direction des services judiciaires sont mobilisées pour former les nouveaux professionnels. Les recrutements seront facilités par la réforme des voies d'accès à la magistrature prévue à l'article 1er du projet de loi organique, qui doit fluidifier l'accès des professionnels au corps judiciaire.

L'équipe autour du magistrat sera étoffée grâce aux recrutements d'attachés de justice, qui se substitueront aux juristes assistants, pour faire non seulement de l'aide à la décision, mais également du soutien à l'activité administrative et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Vous précisez au travers du rapport annexé votre plan d'action pour la justice, qui se décline en six points. Je souhaite en mettre un en exergue, le plan ambitieux de transformation numérique, qui est indispensable pour fluidifier l'accès des justiciables à la justice et faciliter le travail en juridiction.

Le projet de loi prévoit également trois avancées concernant l'administration pénitentiaire.

Tout d'abord, la création des surveillants pénitentiaires adjoints, qui seront recrutés par voie contractuelle, permettra, je l'espère, de renforcer l'accès à cette administration dont on sait combien les conditions de travail sont spécifiques. Je salue ces agents qui exercent des métiers essentiels à notre société dans des conditions parfois extrêmement difficiles. Je sais que vous conduisez actuellement une revalorisation statutaire et indemnitaire, et je tiens à souligner les efforts qui sont faits en la matière.

Ensuite, nous nous réjouissons des dispositions permettant d'élargir le vivier de la réserve civile pénitentiaire.

Troisièmement, le projet de loi permet de généraliser l'expérimentation du port de caméras individuelles par les agents pénitentiaires. C'est un progrès évident, notamment sur le plan de la lutte contre les violences en détention, au sujet desquelles votre ministère est particulièrement engagé.

J'en viens au titre VI, qui est consacré aux juridictions administratives et financières. Il s'agit principalement de mesures de simplification ou de coordination liées aux transformations récentes qui ont touché ces juridictions – la réforme de la haute fonction publique et l'ordonnance relative à la responsabilité financière des gestionnaires publics. Ces dispositions ne posent pas de difficultés majeures, à l'exception d'un désaccord de principe avec le Sénat concernant certaines évolutions du statut des magistrats financiers.

Avant de laisser la parole à mes collègues rapporteurs au sujet des dispositions dont ils ont plus particulièrement assuré le suivi, je remercie tous ceux qui se sont mobilisés, députés et personnes auditionnées, lors de nos travaux, conduits dans des délais contraints. Depuis le 30 mai, nous avons réalisé plus d'une cinquantaine d'heures d'auditions et nous avons rencontré plus de soixante-dix intervenants, ce qui était primordial pour que nous puissions nous faire notre avis sur ces deux textes.

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S'agissant des efforts financiers qui sont prévus, j'ajoute simplement que les crédits alloués à la justice progresseront de 21,3 % entre 2022 et 2027. Nous menons des réformes en donnant à la justice les moyens financiers de les conduire.

Il me revient de vous présenter, à grands traits, les principales mesures prévues en matière de procédure pénale.

L'article 2 du projet de loi ordinaire met en œuvre une préconisation issue des États généraux de la justice, à la suite du constat de l'illisibilité de notre code de procédure pénale. Fréquemment modifié, faisant appel à une articulation peu maniable et peu intelligible, ce code ne paraît pas correspondre aux exigences d'une justice accessible et claire pour nos concitoyens.

Je me réjouis de sa refonte prévue à droit constant, dans le cadre d'une habilitation par voie d'ordonnance. Je me félicite également de la méthode retenue, qui associe un comité scientifique et un comité de liaison composé de parlementaires de tous les groupes. J'espère que ce travail de refonte et de clarification permettra aussi d'identifier des éléments de simplification qui pourront être intégrés dans le projet de loi de ratification qui nous sera soumis.

L'article 3 contient toute une série de mesures en matière de procédure pénale, portant sur des sujets extrêmement variés. Je me concentrerai sur certains d'eux, qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre, parfois en raison d'une lecture superficielle.

Cet article permettra de procéder à des perquisitions de nuit pour les enquêtes de flagrance concernant des crimes contre les personnes, selon un cadre strict et des finalités précises. Il ne s'agit pas d'une nouveauté : c'est déjà possible, souvent de façon plus souple, en matière de criminalité organisée. Or, il ne me paraît pas évident qu'on puisse faire des perquisitions nocturnes en cas de vente de stupéfiants, mais pas pour des féminicides, des viols ou d'autres crimes graves. L'article 3 est à cet égard bienvenu, et bien encadré. L'extension à l'instruction, voulue par le Sénat, est également opportune : l'instruction est en effet obligatoire pour les crimes.

S'agissant des techniques d'enquête, le projet de loi propose une évolution de taille : la possibilité de recourir à l'activation à distance pour mettre en place une géolocalisation, une sonorisation ou une captation d'images. Il me paraît évident que notre justice et nos services d'enquête ne doivent pas se voir refuser l'utilisation de ces évolutions technologiques, auxquelles les criminels, eux, ne se privent pas d'avoir recours. Si le projet de loi me paraissait apporter les garanties nécessaires à ces évolutions, les auditions que nous avons menées me conduisent à penser que nous pouvons encore améliorer l'encadrement proposé.

Le recours à la visioconférence pour l'examen médical en cas de prolongation de la garde à vue me paraît aussi intéressant, et cette mesure est entourée de toutes les garanties nécessaires. Peut-être pourrons-nous, là aussi, apporter des précisions, mais le principe est bienvenu.

Plusieurs dispositions concernent l'assignation à résidence sous surveillance électronique et le contrôle judiciaire. Elles visent soit à simplifier la procédure, par exemple en transférant du tribunal au JLD la modification des obligations imposées dans les deux cadres, soit à amplifier le recours à ces alternatives à la détention provisoire, et je ne peux qu'être extrêmement favorable à ces évolutions.

L'article 3 propose également une extension des droits des témoins assistés, notamment pour les expertises. C'est une bonne nouvelle, et cela renforcera le recours à ce statut. Les travaux sur la refonte du code pourront être l'occasion d'une remise à plat des statuts de mis en examen et de témoin assisté, dans la lignée des États généraux de la justice.

D'autres mesures semblent opportunes, comme la possibilité pour les interprètes d'être anonymisés dans les procédures en matière de terrorisme, l'élargissement du permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat aux associés et collaborateurs de l'avocat, l'unification des délais d'audience et de jugement en matière de comparution immédiate, le rallongement, à titre exceptionnel, des délais de l'enquête préliminaire, ou encore la correction par les sénateurs d'une coquille issue de la loi de décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire au sujet de la valeur de titre de détention des arrêts de cour d'assises.

Ce très long, voire trop long article 3 ne doit pas faire oublier d'autres mesures.

L'article 4 comporte ainsi plusieurs dispositions visant à renforcer le prononcé de la peine de travaux d'intérêt général, dont la pertinence est soulignée par toutes les personnes que nous avons rencontrées.

Enfin, je me réjouis que le projet de loi ordinaire n'oublie pas les victimes : il améliorera leur indemnisation, grâce au dispositif prévu à l'article 5.

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Rapporteur du titre III de la loi ordinaire, je centrerai mon propos sur l'une de ses innovations majeures, le tribunal des activités économiques (TAE), mais je tiens d'abord à saluer l'effort considérable et sans précédent qui est prévu pour le service public de la justice. Nous connaissons aussi, monsieur le garde des sceaux, votre engagement en faveur de l'ouverture de la magistrature. À n'en pas douter, ce texte sera l'une des grandes lois du quinquennat et elle vous doit beaucoup.

Je remercie également mes collègues rapporteurs, en particulier le rapporteur général, pour le travail conduit ensemble dans un calendrier contraint. Nous avons auditionné la quasi-totalité des acteurs significatifs et nous avons suivi, jour après jour, presque en direct, les évolutions du texte au Sénat afin d'être prêts aujourd'hui.

Les dispositions dont je suis le rapporteur sont consacrées à la justice commerciale et sociale. C'est pour moi l'occasion de saluer les juges consulaires et les juges prud'homaux, ainsi que de rendre hommage à l'œuvre de justice qu'ils réalisent quotidiennement au plus près des justiciables.

Le projet de loi ordinaire comporte des dispositions bienvenues pour renforcer la responsabilité des juges non professionnels, améliorer les exigences déontologiques, assouplir les conditions de candidature aux fonctions de conseiller prud'homal et améliorer la formation des juges consulaires. Tout cela va dans le bon sens. Le Sénat a, par ailleurs, souhaité introduire une obligation de déclaration d'intérêts pour les conseillers prud'homaux, similaire à celle en vigueur pour les juges consulaires.

Je partage la volonté des sénateurs d'améliorer les exigences déontologiques, mais il faudra que le décret en Conseil d'État auquel la loi fait référence prévoie un dispositif adapté au caractère paritaire de ces juridictions, afin que la mesure n'ait pas qu'un aspect symbolique, mais qu'elle soit au contraire opérationnelle et acceptée. De plus, il faudra veiller à ce que les personnes chargées de mener les entretiens déontologiques y soient correctement formées.

J'en viens au TAE. L'expérimentation prévue en la matière est l'une des traductions des préconisations formulées dans le cadre des États généraux de la justice. Je le dis d'emblée et sans ambiguïté : je pense que l'équilibre initial du texte, dans sa version adoptée en conseil des ministres, était le bon, notamment en ce qui concerne la délicate question de l'introduction de magistrats professionnels.

Certains y ont vu un compromis : le magistrat professionnel de carrière était introduit au sein de la formation de jugement, mais il ne pouvait pas exercer les fonctions de président. L'inconvénient d'un compromis est que, parfois, il peut décevoir les deux parties. J'ai le sentiment, hélas, que c'est ce qui s'est passé.

Les syndicats de magistrats se sont, en effet, émus du rôle d'assesseur qui leur était réservé. D'après eux, cela serait unique en Europe. L'échevinage impliquerait automatiquement un rôle de président ou un rôle départiteur, comme aux prud'hommes, et les magistrats auraient donc souhaité pouvoir présider les formations de jugement du TAE. À l'inverse, les représentants des tribunaux de commerce et des juges consulaires considèrent que la justice commerciale fonctionne très bien et qu'ils n'ont pas besoin de magistrats de carrière.

Pourtant, je le répète, je suis convaincu que l'équilibre initial était le bon. L'extension de compétence à tous les acteurs économiques doit avoir pour contrepartie un échevinage. Je regrette que le Sénat ait séparé ces deux questions qui, pour moi, sont intrinsèquement liées.

J'observe avec intérêt que c'est exactement la position qu'ont exprimée devant nous, lors des auditions, le premier président de la Cour de cassation et son procureur général. Pour eux, et j'approuve ce point de vue, la magistrature judiciaire ne doit pas faire du TAE un enjeu de pouvoir. L'objectif est de renforcer la culture économique des magistrats en début de carrière et de permettre une montée en compétence. Un rôle d'assesseur ne doit donc pas être pris comme une marque de subordination à l'égard des juges consulaires. Je rappelle, à cet égard, que ce sont des magistrats de carrière qui statuent, seuls, en appel et qui peuvent réformer les décisions des tribunaux de commerce.

Monsieur le garde des sceaux, le texte qui est issu du Sénat ne vous paraît-il pas déséquilibré en ce qu'il supprime la présence de magistrats professionnels tout en étendant le périmètre de compétence du TAE ? Ne faudrait-il pas faire le choix de la cohérence ?

J'ai, pour ma part, quelques réserves sur l'élargissement de la compétence du TAE aux associations qui n'ont pas d'activité économique et à celles qui ne relèvent pas du régime de la loi de 1901 : j'aurais tendance à penser que le tribunal judiciaire doit demeurer compétent à leur égard.

Pour le reste, je soutiens sans réserve cette expérimentation. Il faut, comme on le dit trivialement, « laisser sa chance au produit » et le précédent des cours criminelles nous y incite.

Je soutiens aussi l'institution d'une contribution pour la justice économique. Je m'interroge toutefois sur l'exonération des personnes morales de droit public, que je trouve trop large, et sur le barème de cette contribution, dont les modalités devront être précisées pour maintenir le principe d'un accès facile à la justice et celui d'une légitime contribution à son financement.

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Le projet de loi organique sera traité en dernier dans le cadre de nos débats en commission et en séance, mais il pourrait mériter de l'être en premier, car c'est le socle fondamental grâce auquel notre justice restera de qualité.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté un plan issu des États généraux de la justice, ainsi qu'un plan d'action, sur tous les fronts, qui est tout récent, puisqu'il date du mois de janvier de cette année. C'est inédit : on n'avait jamais vu l'ensemble des questions de justice ainsi réunies, dans l'objectif de faire évoluer les pratiques de la justice et autour de la justice. Il faut saluer votre conviction et les efforts menés par vous et vos équipes. Nous souhaitons accompagner ces efforts dans la partie législative qui est directement la nôtre.

La loi organique s'intègre dans ce processus. Celui-ci, je l'ai dit, serait sinon incomplet, et nous ne parviendrions pas à atteindre l'objectif que vous avez fixé. C'est une évidence même si, pour beaucoup de magistrats, comme le montrent les quelques auditions que nous avons menées et les contacts que j'ai eus, c'est une sorte de petite révolution, pas tout à fait copernicienne, mais presque. Il faudra s'adapter à la restructuration du corps et à l'accueil de magistrats certes déjà présents, mais pas en aussi grand nombre, ni d'une manière aussi mécanique et poussée.

C'est une opportunité historique. Politiquement, elle concerne un petit nombre d'acteurs, mais il y aura des répercussions majeures sur l'ensemble du système. Comme vous l'avez dit, la qualité de la justice et sa célérité en dépendent.

Il est essentiel que le corps judiciaire comprenne vos objectifs et qu'il y adhère pleinement, sans quoi pourrait se produire une déstabilisation inutile et tout à fait négative dans le contexte actuel. Les magistrats doivent s'engager dans le mouvement politique, législatif, réglementaire et technique que vous avez lancé.

Je n'entrerai pas dans les détails : tous ceux qui ont lu le texte ont parfaitement conscience qu'il est un peu ardu, un peu technique. Cela ne signifie pas qu'il ne traduit pas des options politiques, bien au contraire, mais qu'il faut prendre le temps de le maîtriser. Je ne doute pas une seule seconde que beaucoup, sur tous les bancs, le feront et que le débat sera particulièrement riche.

Il est essentiel de rassurer le corps judiciaire sur un point précis, qui est une sorte de pierre angulaire des valeurs communes au sein de la justice : l'indépendance des magistrats. Plusieurs dispositions de la loi organique, même après les modifications assez sensibles qui ont d'ores et déjà été apportées par le Sénat, peuvent poser des questions à cet égard. J'en donnerai quelques exemples.

L'évaluation à 360 degrés, c'est-à-dire le fait qu'un magistrat ne sera pas évalué uniquement dans un secteur précis de son activité, mais d'une façon beaucoup plus large, est une merveilleuse idée, mais c'est un élément qui pourrait inquiéter le corps judiciaire. Dans ces 360 degrés, un certain nombre de personnes ne dépendent pas directement de la sphère judiciaire. Il faut rassurer les magistrats, ou en tout cas leur expliquer votre volonté, en matière technique et politique.

Je trouve aussi qu'il est excellent d'intégrer de nouveaux magistrats dans le cadre d'un concours professionnel. Ce seront des gens qui auront de l'expérience et une compétence, et dont l'apport au corps judiciaire sera, d'une certaine façon, tout à fait essentiel. Dans beaucoup de pays, le corps judiciaire n'est pas constitué uniquement de gens qui sortent d'une certaine école – je le dis même si l'École nationale de la magistrature (ENM) est reconnue internationalement comme un exemple à suivre. Il existe des gens, des avocats notamment, qui par leur compétence et leur expérience méritent largement de trouver leur place dans le corps judiciaire. C'est donc une disposition fondamentale qui nous est proposée.

Là aussi, comme pour le collège d'évaluation, il faudra rassurer le corps judiciaire sur la composition du jury : il doit être majoritairement composé de magistrats, sans exclure des personnes qualifiées. Nous avons suivi jusque-là un schéma dans lequel les magistrats recrutaient et évaluaient les magistrats. C'est peut-être excessif : sans doute faut-il modifier les équilibres, mais peut-être pas intégralement en rendant les magistrats minoritaires. C'est une question qui se pose pour bon nombre d'entre eux.

La réforme de la commission d'admission des requêtes, issue du CSM, est également importante. C'est le biais par lequel tout citoyen peut s'adresser à la justice pour obtenir des explications, des comptes rendus et éventuellement la réparation d'erreurs de toute nature, mais pas juridictionnelles, qui auraient été commises à son égard. L'interface, le lien un peu distendu, dans les nouveaux textes, entre le garde des sceaux, le ministère et le CSM interroge. Sans doute faudra-t-il revenir sur cette question de fond, sous l'angle spécifique de l'indépendance du corps judiciaire, les magistrats souhaitant que la magistrature reste la magistrature.

Le Sénat a fait un bon travail, et nous nous appuierons sur lui, mais l'un de ses ajouts me paraît assez sidérant. Un magistrat doit être impartial, il n'y a aucun doute sur ce point, mais nos collègues sénateurs ont considéré que l'exercice de fonctions syndicales par un magistrat devait l'être aussi. Les bras m'en tombent : je ne vois pas vraiment à quoi sert un syndicat s'il doit être limité dans son action par le principe d'impartialité.

Les députés que nous sommes auront à apprécier les différents aspects du projet de loi organique, qui tend à réformer assez sensiblement l'ordonnance statutaire à laquelle les magistrats sont très attachés. Il serait souhaitable que vous nous apportiez des éléments, sinon de réassurance, du moins d'explication pour permettre d'écarter ou de limiter largement certains doutes.

Ces derniers ne concernent pas seulement les magistrats, mais aussi les équipes constituées autour des juges, des personnels qui se sentent un peu considérés comme faisant partie d'une seconde catégorie, comme les greffiers. Je crois qu'il faudra réaffirmer un certain nombre de points, notamment la séparation entre l'aide procédurale et l'aide à la décision. La présence des attachés de justice pourrait, en effet, susciter des craintes.

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Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

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Deux textes, quarante articles, 11 milliards d'euros et quatre minutes pour en parler… J'essaierai donc de ne pas répéter ce qui a été dit précédemment, sauf l'expression du rapporteur général, qui a évoqué des États « généreux » de la justice. Les 11 milliards d'euros prévus permettront de porter l'augmentation du budget de la chancellerie à plus de 60 % en deux quinquennats. Nous sommes extrêmement fiers, à la commission des lois et au sein de la majorité, de défendre ces textes de programmation si attendus par les professionnels de vos administrations, monsieur le ministre.

À quoi serviront ces 11 milliards d'euros ? Ils correspondent, déjà, à des moyens humains : 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et au total plus de 10 000 emplois supplémentaires nets.

Nous recruterons aussi des contractuels, qui seront dénommés « surveillants pénitentiaires adjoints ». Il serait utile, monsieur le ministre, que vous nous décriviez les modalités du recours à ces contractuels. Si j'ai bien compris les explications de l'administration pénitentiaire, il ne sera pas systématique. Quelques explications permettront de rassurer ceux que le dispositif inquiète – j'en faisais partie avant de participer aux auditions organisées par les rapporteurs.

Le projet de loi organique nous permettra de rendre plus attractive la magistrature, notamment en simplifiant les voies d'accès.

Vous aurez également d'immenses défis à relever en matière civile et s'agissant de la réécriture du code de procédure pénale.

Le plan de transformation numérique sera un autre Everest à gravir. La Chancellerie partait de loin, et la montagne est encore très haute. Il faudra poursuivre les efforts entrepris pour atteindre l'objectif « zéro papier 2027 ». Il est indiqué, dans le rapport annexé, que la signature électronique pénale doit être déployée au cours du premier semestre 2023. Où en est-on ?

Vous avez ouvert de nombreux chantiers dans le domaine de l'immobilier. Plus de quarante programmes de rénovation de palais de justice accompagneront l'accroissement des effectifs et permettront d'opérer la transition énergétique. Du reste, le rapport annexé ne dresse pas la liste de tous les travaux, puisque les tribunaux de Vienne et de Bourgoin-Jallieu, qui n'y figurent pas, sont en cours de rénovation. L'effort dans ce domaine est colossal.

Il est impossible, à cet égard, de ne pas citer le programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison, destiné à réduire la surpopulation carcérale d'ici à 2027.

Les mesures figurant aux articles 3 et 4 permettront, par ailleurs, de développer l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), au détriment de la détention provisoire, et de prononcer plus de condamnations à des peines de travail d'intérêt général (TIG) – nous avons créé des places supplémentaires grâce au travail des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (Atigip).

Ces dispositions permettront, nous l'espérons, de désengorger les maisons d'arrêt, dont le taux d'occupation atteignait 143 % au 1er mai. L'objectif doit être de revenir à 100 %. Les travaux de la mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, qu'Elsa Faucillon et moi-même conduisons depuis le mois de mars, nous ont convaincues qu'il fallait ajouter un mécanisme, sur le modèle de ce qui existe à Varces, c'est-à-dire respectant la décision du juge, ne ciblant que les maisons d'arrêt et, bien sûr, distinguant plusieurs phases successives. Nous soumettrons notre proposition au vote de la commission la semaine prochaine.

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Nous consacrons beaucoup de temps, dans les lois de programmation, à voter des dispositifs en définitive peu contraignants, qui seront ou ne seront pas appliqués et tournent parfois à l'exercice d'autosatisfaction et à la proclamation de bilans pas encore réalisés. De surcroît, à l'instar du Haut Conseil des finances publiques dans ses avis, on peut s'interroger sur la cohérence budgétaire de tels dispositifs en l'absence d'une loi de programmation des finances publiques – mais cela permet peut-être aux ministres concernés de donner libre cours à leur optimisme en s'affranchissant des exigences d'une loi proposant un cadrage global des finances.

Cela étant posé, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour la période 2003-2027 se caractérise, à nos yeux, par les tendances suivantes. D'abord, le texte traduit la fin d'une période marquée par une hausse significative des budgets de la justice. Ensuite, le projet de loi est très hétérogène, voire fourre-tout ; certaines mesures vont dans le bon sens, mais aboutissent aussi à complexifier les procédures, contrairement au but poursuivi. Enfin, il contient des mesures inutiles, voire dangereuses, pour certaines, si elles venaient à être généralisées.

Il est parfaitement exact que la période précédente a été caractérisée par une hausse significative des budgets, et il convient de s'en féliciter. Cependant, nul n'ignore que nous partions de loin : la justice se signalait par son dénuement et les recrutements étaient notoirement insuffisants. Malheureusement, la période 2023-2027 plongera de nouveau la justice dans une relative stagnation, ce qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Sur cinq ans, le budget de la justice progressera de 1,16 milliard d'euros, soit 230 millions par an. Durant les années 2025 à 2027, la progression sera atone : le budget n'augmentera quasiment plus. Ainsi, sur les cinq années visées par le projet de loi, trois seront marquées par une stagnation des moyens. En outre, ces 1,16 milliard d'euros supplémentaires doivent être observés à travers le prisme de l'inflation, laquelle est extrêmement forte en 2023 et sera toujours présente pendant le reste de la période. On peut donc craindre qu'elle ne consomme mécaniquement la hausse des crédits, tant il est vrai que le budget de la justice est sensible à l'inflation, notamment celle des prix de la construction immobilière.

Au surplus, le texte est fourre-tout : un peu de pouvoir pour les enquêteurs – ce qui est une bonne chose –, une légère augmentation de la force de frappe pour les enquêtes, une déjudiciarisation alambiquée des saisies sur salaire, le renforcement de certaines garanties procédurales, mais aussi l'alourdissement de certaines procédures.

Le plan de construction de 15 000 places de prison, s'il est toujours autant vendu, ne sera pas réalisé dans les délais et, du reste, sera insuffisant. Si vous voulez créer des places de prison, il semble que vous ne soyez pas animé par un fort désir de les voir occupées.

En matière de justice économique, il est difficile de comprendre quel est le cap fixé par l'expérimentation et à quelles difficultés celle-ci est censée répondre.

Enfin, en marge de l'expérimentation du tribunal des affaires économiques, vous instituez une justice à péage, ce qui constitue pour notre groupe une ligne rouge : on ne saurait régler les problèmes de la justice en levant un impôt sur les justiciables, notamment les artisans, les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), déjà martyrisés par le cumul des prélèvements obligatoires ainsi que par le coût de l'énergie et l'inflation.

En résumé, vous n'avez pas beaucoup de raisons de pavoiser. La position de notre groupe dépendra, entre autres, des évolutions que connaîtra le texte et de l'état d'esprit qui présidera à son examen : il importe de ne pas tromper les Français. Ces derniers ne sont pas dupes quant à l'état de notre justice, qui demeure précaire.

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Vous avez obtenu moitié moins que Gérald Darmanin : 7,5 milliards, contre 15 milliards. Le résultat sera-t-il moitié moins pire ? Nous verrons en fonction du contenu du texte.

À ce propos, j'ai à ma gauche Florent Boudié, rapporteur de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui a réussi à obtenir un élément intéressant pour nous, parlementaires, à savoir le « détail » de ces 7,5 milliards. C'est un beau tableau, faisant apparaître des chiffres à la hausse, mais, je vous le dis franchement, à votre place, vu le manque de précision des données, j'aurais arrondi à 10 milliards ! Pourriez-vous faire un effort, d'ici à l'examen des articles en commission, ou à tout le moins d'ici à la séance ? Certes, les sénateurs n'ont pas eu besoin de ce genre d'informations pour se prononcer – ce qui est étrange –, mais il serait bien que nous ayons au moins la ventilation par programme budgétaire, afin de savoir combien va à l'administration pénitentiaire ou à la justice judiciaire.

Il est vrai que nous sommes informés chaque année de la répartition des crédits à travers le projet de loi de finances. Cela nous permet d'ailleurs de constater que la construction de places de prison vous occupe beaucoup, monsieur le ministre, de même qu'elle occupe beaucoup de place dans le budget et absorbe une part importante des moyens supplémentaires octroyés à votre ministère. Un mécanisme de régulation carcérale nous permettrait à la fois de faire des économies, de respecter nos engagements en matière de dignité des personnes détenues et de mieux prévenir la récidive. Hélas, cette démarche n'est pas encore au programme, et nous verrons le sort qui sera réservé à l'amendement annoncé par Caroline Abadie. Pour notre part, nous le soutiendrons, dans la mesure de nos petits moyens. Nous nous efforcerons même d'être plus ambitieux : nous avons engagé des discussions avec Elsa Faucillon pour faire des propositions permettant d'aller plus loin.

Cela fait cinq ans que j'explique, avec mon groupe, que si nous voulons atteindre ne serait-ce que la moyenne européenne en ce qui concerne le nombre de magistrats par habitant, il est urgent de planifier les recrutements et, pour savoir où mettre ces personnes, d'ouvrir des antennes de l'ENM un peu partout dans le pays. Il est d'autant plus important d'augmenter les capacités d'accueil de l'école que, lorsque l'on recrute des magistrats supplémentaires, il y a aussi davantage de magistrats en poste qui partent à la retraite, ce qui suppose de les remplacer. De la même façon, il faut prévoir plus de place dans les tribunaux. En l'absence de détails, nous sommes bien en peine de vous faire confiance.

Il en va de même en ce qui concerne l'ordonnance censée réécrire le code de procédure pénale à droit constant. Sous la précédente législature, la réforme de la justice pénale des mineurs devait, elle aussi, être réalisée à droit constant. En définitive, elle s'est accompagnée de nombreuses modifications. Je n'ai donc aucune espèce de confiance envers cette annonce. Du reste, mon groupe et moi-même n'aimons pas beaucoup les ordonnances. Je comprends que nous ne fassions pas partie du comité Théodule travaillant à cette réécriture : nous y serions un peu dérangeants.

Vous avez pioché ce qui vous intéressait dans les conclusions des États généraux de la justice. Par exemple, ne vous en déplaise, la régulation carcérale figurait parmi les préconisations.

Enfin, je rappelle que le budget 2022 du ministère a été sous-exécuté : il manque 1 151 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Il serait bien que les recrutements annoncés soient réalisés.

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Deux ans après l'adoption de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui nous a permis de supprimer le rappel à la loi, devenu inopérant, les projets de loi qui nous sont soumis pourraient être l'occasion de nous rassembler autour de la notion d'homicide routier.

Depuis près d'un an, je travaille aux côtés des victimes, de leurs familles et de tous les acteurs concernés pour faire évoluer notre législation sur ce point. Forts de ce travail de fond qui a d'ores et déjà débouché sur le dépôt d'une proposition de loi, nous devons nous saisir des rares vecteurs législatifs adaptés pour faire entendre cette revendication. Un certain consensus existe d'ailleurs en faveur de la reconnaissance de l'homicide routier. Celle-ci est soutenue, par exemple, par la Première ministre et par le ministre de l'intérieur.

Il est temps de répondre aux attentes des victimes et de leurs familles. La qualification d'homicide involontaire leur est insupportable. Il faut prendre en compte la consommation volontaire de drogue ou d'alcool par des personnes qui transforment leur véhicule en arme par destination. Ces faits doivent être requalifiés et mieux sanctionnés. Saisissons l'occasion législative qui nous est offerte pour travailler ensemble, de manière transpartisane, pour faire vivre notre droit de manière raisonnée en y introduisant l'homicide routier.

Monsieur le garde des sceaux, l'article 5 du projet de loi d'orientation et de programmation améliore l'indemnisation des victimes. Seriez-vous favorable à ce que le bénéfice en soit ouvert aux victimes d'homicides routiers, et donc à ce que nous envisagions la création de cette nouvelle catégorie d'homicide lors de la discussion en séance ? La représentation nationale, les victimes et leurs familles attendent que nous agissions.

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Si je devais résumer en deux mots ces projets de loi très denses, j'utiliserais ceux-ci : volonté politique.

Au cours des dernières années, nous avons eu, en effet, la volonté politique de mettre fin à plusieurs décennies d'abandon du système judiciaire, lequel s'est retrouvé dans un état de délabrement inacceptable. Vous avez d'ailleurs indiqué, monsieur le ministre, votre volonté de « tourner […] la page du délabrement » de la justice. Les Français doutent de la justice et les magistrats peinent à exercer correctement leurs missions. Entre 2010 et 2018, le délai moyen de traitement des affaires civiles et commerciales en première instance était passé de 279 jours à 420, alors que la durée médiane dans les pays d'Europe restait stable, aux alentours de 200 jours. Nous nous donnons donc tous les moyens de remédier à cette situation.

Après les trois hausses historiques de 8 % du budget de la justice intervenues en 2021, 2022 et 2023, ces textes confirment notre volonté politique de mettre fin à la dégradation et d'avoir enfin une justice rapide, moderne, compréhensible et efficace.

Pour cela, nous mobilisons des moyens techniques, avec la numérisation, les télécommunications audiovisuelles, ou encore les téléconsultations ; des moyens humains ; des moyens donnés pour la restructuration des bâtiments des tribunaux ; des revalorisations statutaires et salariales pour attirer les talents ; la création de nouveaux postes dans l'administration pénitentiaire.

Nous prenons également des mesures de fond. Je pense, par exemple, à la forte incitation à s'orienter vers la procédure de règlement amiable, à laquelle vous êtes attaché, monsieur le garde des sceaux, et qui correspond en effet à une attente qu'expriment très fréquemment nos concitoyens. Je pense aussi au recours accru à la peine de travail d'intérêt général, qui donne un véritable sens aux sanctions prononcées, tant pour la société que pour les personnes inculpées. Je me permets d'ailleurs d'appeler votre attention sur l'exécution des TIG. J'organise fréquemment des réunions avec les maires de mon territoire. Or, je constate une méconnaissance de cet outil, alors même que les élus seraient enclins à y avoir recours. Une meilleure information des conseils municipaux et un soutien fort aux collectivités permettraient probablement de faire en sorte qu'un plus grand nombre d'entre elles s'engage dans cette voie.

Vous vous êtes donné pour objectif de diviser par deux l'ensemble des délais de justice. C'est indispensable, en effet. La justice est beaucoup trop lente : c'est l'un des constats majeurs dressés durant les États généraux de la justice – permettez-moi, à cet égard, comme l'a fait notre rapporteur général, Jean Terlier, de saluer l'innovation qu'a constituée cet exercice et la très grande qualité de leurs travaux. Une affaire doit être jugée en première instance moins d'un an après le dépôt de plainte. C'est le minimum que les Français attendent d'une justice efficace – pour les victimes, évidemment, mais aussi parce que la réaction judiciaire doit être immédiate si l'on veut que les lois qui régissent la société soient respectées.

De même, pour que la loi soit lisible, vous nous proposez de nous atteler à la réécriture, à droit constant, du code de procédure pénale. Cette démarche est nécessaire ; elle était attendue. Toutefois, je formulerai le vœu que cette réécriture soit également l'occasion de pointer les éléments de procédure susceptibles d'être simplifiés et harmonisés, afin que vous nous proposiez, une fois l'ordonnance ratifiée, un véritable projet de loi de simplification.

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Le projet de loi d'orientation et de programmation poursuit les travaux que nous avions engagés en 2016, notamment s'agissant de l'équipe entourant le magistrat, avec la création des postes de juristes assistants, et de l'ouverture du métier de magistrat à d'autres professionnels, tels que les avocats.

Un élément au moins nous sépare, toutefois, et il est très important : le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Nous avions créé un statut propre garantissant son indépendance. De votre côté, vous lui ôtez ses compétences civiles. Le JLD est un maillon essentiel s'agissant de l'indépendance de la justice. On lui en demande toujours plus. Il faudrait renforcer son équipe. S'il paraît difficile d'envisager des équipes de deux JLD, il faudrait au moins lui adjoindre un attaché de justice, car son travail revêt une importance majeure et sa solitude est régulièrement dénoncée.

On a toujours considéré que le problème de la justice, c'était son budget. À cet égard, les moyens supplémentaires que vous apportez sont très importants, et il est tout à fait légitime de vous en donner crédit. Cela dit, je considère quant à moi que le problème de la justice, c'est aussi, désormais, le numérique. Pour avoir travaillé au plus près des magistrats, avec Jean Terlier, sur le code de la justice pénale des mineurs, j'ai mesuré le défaut d'articulation et de suivi du travail numérique. Il y a des interruptions dans la dématérialisation : certains magistrats sont obligés de demander des documents papiers, alors qu'ils étaient censés exister sous forme numérique. C'est très compliqué pour les greffiers. Il est impératif de progresser dans ce domaine. Vous avez pris des mesures – je pense à ce que vous nous avez dit s'agissant de l'identifiant et du mot de passe –, mais il me semble que personne ne croit vraiment que l'objectif « zéro papier 2027 » puisse être atteint : ce n'est qu'un vœu. En revanche, il faut que les outils numériques que sont Cassiopée, Portalis et Parcours fonctionnent dès 2024 et qu'ils soient corrélés les uns aux autres.

Nous nous interrogeons sur plusieurs points.

La régulation carcérale est une question très complexe, qui n'est pas nouvelle, mais dont vous n'avez pas fait l'un des enjeux majeurs de votre action. C'est un problème qui nous poursuit. Pour le résoudre, il faut adopter une approche globale. Nous devons introduire dans le texte un dispositif pour nous y attaquer. Le devoir du juge est d'appliquer le code pénal ; on ne saurait lui interdire d'emprisonner sous prétexte qu'il n'y a plus de place en prison. Je m'opposerai clairement à une telle approche. Nous devons trouver une solution intelligente, qui passe par les peines alternatives. À ce propos, je pensais à la justice restaurative, à laquelle je vous sais attaché, monsieur le ministre. Il est essentiel que nous travaillions davantage sur cette question. Certains des crédits que vous mobilisez pourraient être affectés à cet objectif. En effet, si la justice restaurative fonctionne si bien au Québec, c'est parce que des crédits d'État la soutiennent.

En ce qui concerne la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF), l'excellent rapport remis par Mme Chandler explique qu'un texte devrait nous être proposé l'année prochaine, mais il serait formidable que nous inscrivions d'ores et déjà certaines dispositions dans ce projet de loi.

Enfin, s'agissant de la justice commerciale, je suis entièrement d'accord avec les propos du rapporteur Philippe Pradal.

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Pendant des décennies, la justice n'a été qu'une variable d'ajustement budgétaire et politique, largement reléguée dans les arbitrages comme dans les débats. En ne faisant pas de la justice une priorité, certains de ceux qui nous ont précédés ont nourri la perte de confiance et la remise en cause de ceux qui la rendent, ouvrant d'ailleurs la voie à l'usage de la force et de la violence. Il n'y a rien de pire dans une société que l'injustice ou le sentiment d'injustice.

Le constat dressé par le comité des États généraux de la justice, à savoir celui d'une justice mal en point, n'est donc pas une surprise : nous connaissons la situation ; nous savons que ceux qui rendent la justice et ceux qui la subissent en souffrent. Jean-Jacques Urvoas, déjà, parlait d'une justice « en voie de clochardisation » ; il avait raison. C'est pourquoi nous n'avons pas attendu pour la réparer : beaucoup a été fait depuis plusieurs années. Des efforts budgétaires inédits ont été consentis et les réformes menées ont visé à développer des mécanismes de justice de proximité et à redonner du sens à la peine, ainsi que de l'efficacité à son exécution. Tout cela prend du temps, naturellement : on ne revient pas sur trente ans de sous-investissement et de retard comme par enchantement. Cela dit, la justice est bel et bien en voie de réparation.

Les États généraux de la justice sont une nouvelle chance à saisir pour moderniser la justice. Les moyens sont un préalable indispensable à la réhabilitation de l'institution. Après les efforts inédits des trois derniers exercices – 26 % d'augmentation –, la programmation pour les années 2023 à 2027 reconduit les mêmes ambitions en matière d'investissement, avec un budget final projeté de 11 milliards d'euros. Durant les deux quinquennats, le budget de la justice aura donc augmenté de 60 % ; c'est historique, et nous devons collectivement nous en réjouir – non pas pour nous-mêmes, évidemment, mais pour tous les agents dont le traitement sera revalorisé, pour toutes les équipes de magistrats qui seront étoffées, donc soulagées d'une partie de leur travail, et pour les tribunaux, qui seront réhabilités. Ce budget historique, c'est à vous que nous le devons, monsieur le ministre.

En parallèle des moyens, le projet de loi réforme plusieurs aspects des justices pénale, commerciale et civile.

Il faut impérativement simplifier la procédure pénale, devenue illisible. C'est une demande ancienne et récurrente de ceux qui la pratiquent. Nous non plus, nous n'aimons pas les habilitations à légiférer par voie d'ordonnance, mais puisqu'il y a urgence, que la réécriture se fera à droit constant, qu'elle représente un travail considérable et que les parlementaires y seront associés, alors il faut l'autoriser.

S'agissant de l'article 3, si nous partageons l'objectif consistant à accroître l'efficacité des enquêtes, nous serons vigilants à ce que des techniques particulièrement intrusives comme le déclenchement à distance des appareils électriques et électroniques soient fortement encadrées. Nous soutiendrons les aménagements apportés par le Sénat et proposerons d'aller plus loin en matière de proportionnalité et de protection du secret des avocats, des journalistes et des médecins.

J'ai certaines réticences envers les téléconsultations. Je demanderai que l'on conserve, à tout le moins, la possibilité d'un premier examen physique.

Ces modifications du droit pénal, qui s'ajoutent aux réformes précédentes, m'amènent à m'interroger sur l'opportunité d'engager une réflexion plus globale sur ce que pourrait être une procédure pénale moderne. S'oriente-t-on vers un cadre d'enquête contradictoire, sous le contrôle d'un véritable juge de l'investigation ? Que fait-on du JLD, à qui l'on confie de plus en plus de missions ? Quel avenir pour le juge d'instruction ? Il y aurait bien d'autres questions encore.

En ce qui concerne l'expérimentation d'un tribunal des activités économiques reposant en partie sur l'échevinage, je rejoins la position du rapporteur Philippe Pradal : à ce stade, l'idée est mal reçue ou mal perçue et est source de défiance. Il faudra certainement chercher un autre équilibre.

Enfin, le projet de loi organique nous offre une occasion de nous projeter : au-delà de son caractère technique, le texte pose la question de la fonction de magistrat. C'est donc un choix politique qui va s'opérer en ce qui concerne l'ouverture de la magistrature et l'indépendance du corps judiciaire. Ces choix ne seront pas sans incidences. Nous aurons l'occasion d'en débattre pour faire les bons choix et ne pas nous tromper de combat.

En conclusion, avec mon groupe, nous sommes favorables aux évolutions proposées et soutiendrons les deux textes.

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La justice connaît une crise profonde : les conditions d'exercice sont indigentes et les délais de jugement extravagants. Cela n'est satisfaisant ni pour celles et ceux qui rendent la justice, ni pour les justiciables. C'est la place de l'autorité judiciaire dans notre République et, in fine, la confiance des citoyens en leur justice qui est en question.

Je vous épargnerai les comparaisons internationales, mais il est certain qu'un pays comme la France se doit d'avoir une justice indépendante, équitable, humaine et dotée de moyens financiers importants. Aussi, une réforme, et surtout des moyens, étaient attendus. Ce défi, monsieur le ministre, c'est le vôtre, mais aussi le nôtre, en tant que parlementaires. À cet égard, je regrette que les conditions d'examen qui nous sont imposées nous rendent la tâche encore plus ardue. Pourquoi user de la procédure accélérée pour une réforme de cette importance ? Un travail de qualité prend du temps. Le passage des textes devant les assemblées n'est pas seulement une formalité consistant à les valider : c'est aussi le temps de la délibération, pour affiner et améliorer les dispositions. Quelle est la raison d'une telle précipitation ?

Je salue l'effort budgétaire et les recrutements annoncés. Nous serons vigilants, néanmoins, à la répartition des moyens. Nous attendons d'ailleurs des précisions à ce propos.

Nous sommes ouverts au principe de la diversification des voies de recrutement, parce qu'il faut aller vite, mais nous serons attentifs à ce que la qualité de la justice ne soit pas tirée vers le bas.

Le texte est silencieux sur plusieurs points. On n'y trouve rien concernant l'indépendance du parquet, en dépit de l'extension des prérogatives de ce dernier. Il est temps d'aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, conformément aux standards européens. Qu'est-ce qui vous empêcherait de nous soumettre un projet de loi constitutionnelle portant sur le sujet ?

Silence radio, également, s'agissant de la justice environnementale, alors que le rapport d'un groupe de travail sur la question, présidé par François Molins, a été publié à l'automne dernier. Alors que les atteintes à l'environnement augmentent, et malgré l'existence de pôles spécialisés, on constate une diminution du nombre d'affaires portées devant la justice – ces dossiers représentent 0,5 % des affaires traitées – ainsi qu'une diminution des quanta de peine prononcés.

Le texte ne développe aucune réflexion d'ampleur concernant la surpopulation carcérale, alors que la France vient de battre son record en la matière. Nous avons l'impression que vous misez tout sur la construction de places de prison. Or, vous savez bien que cela ne peut être la seule solution.

Après les silences du texte, j'évoquerai les dérives qu'il traduit. La plus outrancière est celle qui consiste à toucher à la liberté syndicale des magistrats, introduite au Sénat par voie d'amendement. Il conviendra d'y revenir. J'aimerais connaître votre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Plus généralement, une question traverse le texte : celle du rôle du garde des sceaux vis-à-vis des magistrats. Je pense en particulier à l'article 8 du projet de loi organique, qui dispose que les plaintes à l'encontre des magistrats vous seront transmises même lorsqu'elles ont été jugées irrecevables. Le CSM s'inquiète de cette disposition, à juste titre, nous semble-t-il. À quelle nécessité répond cette mesure ?

Une autre dérive concerne l'affaiblissement des droits et libertés, avec des techniques d'enquête spéciales – je pense, notamment, à la géolocalisation et à l'activation à distance du micro ou de la caméra des téléphones portables. Vous me répondrez que le dispositif est bordé ; pour ma part, je m'inquiète de la pente glissante sur laquelle nous sommes engagés et que nous empruntons toujours dans le même sens. Il faudra prévoir des garanties expresses, en particulier pour les journalistes et le secret des sources.

Je pense, enfin, à l'affaiblissement des droits des personnes en garde à vue, avec la généralisation de la télémédecine, même si une première consultation physique est prévue.

Le volet relatif à la justice économique suscite de notre part de vives inquiétudes – nous y reviendrons lors de l'examen du texte.

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Je rejoins les collègues qui ont demandé à disposer de la ventilation des 11 milliards : nous devons la connaître d'ici à l'examen du texte. C'est d'autant plus indispensable que celui-ci est un patchwork ; il rassemble des éléments qui devaient vous tenir à cœur, monsieur le ministre, mais qui ne répondent pas aux demandes du personnel de justice et des États généraux de la justice. Tous les acteurs appelaient à une réforme globale modifiant structurellement la justice.

Certes, les milliards supplémentaires sont les bienvenus, mais nous ne savons pas exactement où ils iront, ni si le « plan 15 000 » n'en absorbera pas une part trop grande. Surtout, on a l'impression qu'il s'agit d'ancrer dans la loi la gestion de la pénurie qui est pratiquée aujourd'hui, alors qu'il ne faut en aucun cas s'y résoudre. C'est comme si le texte défendait une équation consistant à limiter le nombre d'affaires tout en les jugeant vite, alors que ce qui fait la force de l'État de droit, c'est la capacité à bien juger.

Outre les manques du texte, parmi lesquels il convient de citer la régulation carcérale, celui-ci franchit ce qui constitue pour nous des lignes rouges, en opérant un recul des libertés publiques dans la procédure pénale et une limitation de l'intervention du juge judiciaire. Le principe de l'inviolabilité du domicile est mis à mal par l'extension des perquisitions de nuit. La réécriture du code de procédure pénale devrait, quant à elle, passer par une loi. L'expérimentation du tribunal aux affaires économiques entérine le transfert de compétences du juge judiciaire vers les juges consulaires. Le JLD est dépossédé du contentieux civil. Je souhaiterais également connaître votre avis sur la disposition, introduite par les sénateurs, limitant la liberté syndicale des magistrats – j'espère que le texte sortira de notre assemblée allégé de cette disposition.

Le manque principal, à mon sens, tient au fait que vous ne vous attaquez pas à la surpopulation carcérale. Or, celle-ci nuit beaucoup à l'accomplissement de la mission que la prison doit avoir dans notre société. Les conditions de vie des détenus sont indignes, et le personnel pénitentiaire n'est pas non plus en mesure de bien faire son travail. Pour avoir rencontré ces agents, je sais qu'ils en souffrent beaucoup.

À la différence de Mme Abadie, je ne crois pas que le « plan 15 000 » permette de résoudre le problème. Je suis convaincue que, quand on construit des prisons, on les remplit toujours un peu plus qu'on ne le devrait. Du reste, je ne suis pas sûre que les 15 000 places auront été créées en 2027. Les plans de ce type finissent toujours au-dessous de leur cible : il y en aura peut-être 13 000 à l'arrivée – peut-être même le programme ne sera-t-il pas du tout fini en 2027 ? Quoi qu'il en soit, il faut se doter d'un mécanisme contraignant. Cette idée a fait consensus durant les États généraux de la justice comme lors des auditions que nous avons menées, et de nombreux collègues ont travaillé sur le sujet. Le temps est venu : nous devons aborder la question lors de l'examen du texte.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Madame Faucillon, ce texte vous fait penser à un patchwork. Les États généraux de la justice, concédez-le moi, embrassent beaucoup de sujets, tous plus divers les uns que les autres. Ne vous étonnez donc pas qu'en voulant retenir les nombreuses propositions qui en ont découlé, nous ayons abouti à un tel texte.

Monsieur le rapporteur général, quel merveilleux lapsus vous avez fait en évoquant les états généreux ! Quand résonnent encore à mes oreilles les mots de Jean-Jacques Urvoas sur la clochardisation de la justice, ceux de Jean-Marc Sauvé sur son délabrement, sans parler du constat que j'ai moi-même dressé après trente-cinq ans d'exercice professionnel, merci pour ce geste involontaire mais signifiant. Vous m'avez interrogé au sujet des tribunaux des activités économiques (TAE). Nous recevons de nombreuses candidature, que plusieurs d'entre vous ont relayées. Nous souhaitons retenir des tribunaux de toutes les tailles, car une expérimentation suppose d'être éclectique ; et nous veillerons à ce que des TAE s'installent dans les zones rurales, parce que je veux que nous soyons utiles aux agriculteurs. Cette juridiction, dans sa nouvelle compétence, sera indubitablement favorable aux agriculteurs, j'en ai la certitude. Nous en reparlerons en séance.

Vous avez émis quelques regrets à propos du volet règlementaire. Les mesures que nous avons prises pour favoriser la médiation et le règlement amiable des conflits ne sont pas issues des États généraux de la justice. Permettez-moi de revenir un instant sur la méthode que nous avons retenue, car elle est sans précédent. Le Président de la République annonce des États généraux de la justice, ils sont installés. Le comité des États généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, est transpartisan. Il se compose du président de la commission des lois du Sénat, de la présidente de l'époque de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, des deux plus hauts magistrats de notre pays, d'universitaires, d'avocats. Je n'en fais pas partie, car je veux que l'on puisse dire que ce que nous recueillerons dans ce cadre ne se résume pas aux idées du garde des sceaux. Des ateliers de travail sont mis en place, je les surveille comme le lait sur le feu, mais je n'interviens pas, pour mieux prendre en compte ce qui en découle. Par ailleurs, la plateforme numérique permet de lancer une grande consultation citoyenne et, pour ce qui me concerne, je me déplacerai auprès de nos concitoyens pour les écouter et leur expliquer le principe des États généraux de la justice. Une fois le rapport rendu, j'ai lancé deux vagues de concertations au cours desquelles j'ai rencontré tout le monde – avocats, forces de sécurité intérieure, magistrats, syndicats etc. Nous avons ainsi retiré des mesures consensuelles. C'est une nouvelle gouvernance qui se met en place.

Beaucoup de réformes de la justice ont été menées, mais rares sont celles qui ont été corrélées au moyens nécessaires pour les mener. Le volet réglementaire est inspiré de dispositions étrangères, notamment de celles des Pays-Bas et du Québec où le contentieux civil, pourtant beaucoup plus volumineux que chez nous, y est pourtant traité plus rapidement. La députée Caroline Yadan, qui est aussi une avocate farouche défenseure de la médiation et du règlement amiable des conflits, nous aide à définir des mesures réglementaires pour que la justice soit rendue plus rapidement et au plus près de nos concitoyens. Les textes vous seront communiqués. Si tout le monde s'y met et que nous changeons de culture, nous gagnerons du temps. Par exemple, une mise en état dure deux ans et demi actuellement. C'est insupportable pour nos concitoyens. Pire, dans certains contentieux qui mêlent l'intime, les parties ne voient pas leur juge. Comment aimer sa justice quand elle n'est pas incarnée ? Nous manquons de moyens, mais nous prenons des mesures pour y remédier. La procédure amiable, dans ce cadre, revêt une importance particulière.

Monsieur Balanant, vous m'avez posé peu de questions au sujet de la partie du texte pour laquelle vous êtes rapporteur, mais je connais votre esprit critique et je ne doute pas que vous en ayez bientôt.

Monsieur Pradal, je vous remercie d'avoir reconnu les qualités de ce texte que vous avez qualifié de « grande loi ». J'y suis sensible. Vous avez posé la question de la composition du TAE, qui remplace le tribunal de commerce. Les magistrats n'en veulent pas, non plus que les juges consulaires. Mon idée est d'ouvrir le corps. J'ai souhaité, et obtenu, qu'à l'ENM, la qualité de magistrat ne soit plus obligatoire pour enseigner, mais que des élus, des chefs entreprise, des journalistes, des artisans puissent, eux aussi, transmettre leur savoir. On m'a demandé si quelqu'un d'autre qu'un procureur de la République pourrait apprendre aux auditeurs de justice à rédiger un réquisitoire. Un plombier ne le pourrait pas, bien sûr, mais il pourrait leur expliquer l'artisanat. Je suis si favorable au mélange, d'ailleurs, que j'ai signé des conventions avec l'ENM pour que les auditeurs puissent se rendre dans les point-justice et rencontrer nos compatriotes les plus défavorisés. Nous n'imposerons rien, mais nous ferons des propositions. Par exemple, de jeunes magistrats ne pourraient-ils travailler avec les juges consulaires ? Les magistrats de l'ordre judiciaire seraient ainsi mieux formés au monde économique tandis que les juges consulaires pourraient approfondir leur connaissance du droit. Quoi qu'il en soit, les décisions se prendront dans le consensus.

Monsieur Paris, vous avez raison de vous préoccuper de l'indépendance de la justice, indispensable à la démocratie. C'est aussi mon souci. Vous avez rappelé que personne ne pouvait toucher à la liberté juridictionnelle. En contrepartie, on peut se poser des questions sur le sens d'un jugement qui peut nous choquer par son laxisme ou sa sévérité. En revanche, si l'exécutif s'avisait de mettre la main sur la justice de notre pays, nous ne serions plus en démocratie. L'évaluation professionnelle dite à 360° est une nouveauté. Aucune n'avait été réalisée auparavant et nous l'avons conçue avec le CSM. Le Président de la République avait demandé que soit engagé un travail autour de la responsabilité des magistrats. Le rapport m'a été remis et je souhaite instaurer des liens réguliers avec le CSM. Nous avons évoqué la possibilité d'évaluer les chefs de cour. Ce serait une première, mais il n'y a pas de raison qu'elle n'existe pas. Nous en prévoirons les modalités, sachant que l'évaluation ne portera pas sur l'activité juridictionnelle et que le comité d'évaluation présentera toutes les garanties de nature à rassurer les magistrats.

S'agissant de la commission d'admission des requêtes, vous aurez compris que ses pouvoirs d'enquête sont renforcés, mais le garde des sceaux a également reçu des prérogatives disciplinaires complémentaires. Nous sommes parvenus à un dispositif équilibré. C'est aussi l'opinion des magistrats qui m'entourent et avec qui je travaille. Ces magistrats, rappelons-le, seront amenés à revenir en juridiction. Ils sont donc particulièrement attentifs à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à l'indépendance de la justice. Soyez assurés que s'il me prenait l'envie soudaine de déraper, ils me rappelleraient âprement à mes devoirs élémentaires !

Quant au jury professionnel, sa composition sera calquée sur celle du jury d'admission initial.

Pour ce qui est de l'impartialité, je ne doute pas que vous ayez entendu la réponse que j'ai apportée au sénateur Philippe Bonnecarrère, mais je la répète bien volontiers : j'ai saisi le CSM, dont j'attends la réponse. On ne peut rêver meilleure garantie !

Le devoir de réserve des magistrats qui s'expriment à titre individuel est réaffirmé dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats. Vous avez dit, ce dont je vous laisse amicalement la responsabilité, qu'il était presque normal que l'expression syndicale ne soit pas totalement impartiale. Ce n'est sans doute pas faux. Les syndicats, pour jouer leur rôle d'aiguillon, doivent parfois être excessifs. Loin de moi l'intention de les museler. D'ailleurs, pour tout vous avouer, j'ai pris l'habitude de faire le dos rond lorsque j'entends des propos exagérés. Je laisse passer. Chacun a son espace pour s'exprimer. Je n'entends pas, à mon âge, devenir liberticide.

Les attachés de justice et les greffiers sont des spécialistes de la procédure, de l'accueil du justiciable. Ils authentifient les décisions de justice, aident à la prise de décision en recherchant la jurisprudence, rédigent les projets de jugement. Chacun a un rôle bien distinct, mais tous ont vocation à appartenir à l'équipe qui entoure le magistrat.

Mme Caroline Abadie, vous avez raison, tous les projets immobiliers judiciaires ne sont pas cités dans le rapport annexé. Vous m'avez interrogé au sujet de la doctrine d'emploi des contractuels de la direction de l'administration pénitentiaire. Nous avons pris les mesures catégorielles de revalorisation que les syndicats de la pénitentiaire réclamaient depuis vingt ans. Les missions des surveillants adjoints recrutés par voie contractuelle seront circonscrites à certaines tâches, limitativement énumérées, de premier niveau, qui exigent un moindre niveau de responsabilité ou de qualification. Elles sont en cours de définition, mais devraient consister à surveiller des travaux, réaliser des opérations de fouille, assurer la surveillance vidéo, en complémentarité du travail des surveillants titulaires. Seuls les postes restés vacants à l'issue des mutations des surveillants titulaires et des affectations des surveillants qui sortent de l'école, auraient vocation à être pourvus par les contractuels. Je souhaite que l'on fasse bien la distinction pour lever toute ambiguïté. Quant à l'outil de signature électronique, les promesses seront tenues.

Monsieur Philippe Schreck, je ne m'attendais pas à recevoir de votre part beaucoup de compliments. Pourtant, le budget de la justice a augmenté chaque année, y compris en 2023. Cela ne s'était jamais vu. Les chiffres sont là, vous ne pouvez pas les nier. Ce rythme soutenu se poursuivra jusqu'au milieu du quinquennat, car je veux concrétiser très rapidement les conclusions des États généraux de la justice, en particulier les recrutements dans les juridictions. À compter de 2026, le ministère de la justice aura atteint sa vitesse de croisière budgétaire, et de nombreux chantiers immobiliers auront pris fin en 2025. Le budget annuel de la justice se stabilisera à hauteur de 11 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 40 % durant le premier quinquennat et de 60 % d'ici à la fin de ce quinquennat. Nous aurons embauché en cinq ans davantage qu'en vingt ans. La justice a souffert, durant près de trente ans, d'un abandon politique humain et budgétaire. Je n'ai pas de baguette magique et nous avançons petit à petit. Ce que nous avons fait, personne ne l'avait fait avant nous mais, bien évidemment, je ne doute pas une seconde que vous ferez mieux… Vous pouvez le dire autant que vous voudrez, vous en avez le droit. Alors que vous n'avez pas voté le budget de la justice, la critique est facile. Vous n'étiez pas là, lorsque j'ai demandé à tous de dépasser les querelles partisanes pour m'aider et soutenir le budget que je vous proposais. Mais c'est votre choix, et je le respecte.

Monsieur Éric Pauget, les drames qui se sont récemment produits nous ont tous bouleversés. Les décès causés par des conducteurs sous l'emprise de drogue ou d'alcool relèvent de la qualification d'homicide involontaire. La question de la requalification de ces faits s'est posée, car elle peut choquer les victimes ou leurs familles. Vous connaissez la différence entre l'homicide volontaire et l'homicide involontaire. Dans le premier cas, l'intention de donner la mort est avérée. Nous y réfléchissons et je vous invite à venir me rencontrer à la Chancellerie pour que nous en discutions. Le travail est interministériel, puisque le ministère de l'intérieur est également concerné. Des régimes d'indemnisation sont déjà prévus. Nous avons la volonté d'aller plus loin. La question de la responsabilité endogène ou exogène de l'auteur des faits, c'est-à-dire inhérente à l'état pathologique ou générée par la prise de drogue ou d'alcool, s'était déjà posée plus ou moins dans les mêmes termes après l'affaire Sarah Halimi.

Madame Brocard, nous souhaitons simplifier la procédure pénale à droit constant. Je vous ai donné quelques exemples, comme celui de traiter le cas des victimes dans un même chapitre du code de procédure pénale. Il faut clarifier le code, ne serait-ce que pour éviter des nullités de procédure générées par la difficulté à bien comprendre certains textes. Un comité scientifique sera chargé de ce travail. Le titre peut sembler pompeux, mais ne vous en inquiétez pas, il s'agit simplement de réunir toutes les conditions pour s'acquitter au mieux de cette tâche colossale dans les dix-huit ou vingt-quatre prochains mois. Le Parlement aura un droit de regard. Même si l'idée est de clarifier à droit constant, rien n'empêchera les parlementaires de formuler des propositions. Il est bien évident que l'habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement pour simplifier le code de procédure pénale par voie d'ordonnance s'inscrit dans une procédure contrôlée de près par le Parlement. Le Sénat a d'ailleurs renforcé encore davantage les garanties, pour s'assurer que le Gouvernement revienne devant les parlementaires.

Madame Untermaier, je vous trouve bien pessimiste. Les juridictions administratives ont réussi à éradiquer le papier. Il n'y a donc pas de raison que les juridictions judiciaires n'y parviennent pas. La wifi, la visio, le programme PPN (procédure pénale numérique) sont des outils essentiels. Le système d'informations d'aide juridictionnelle, qui permet de déposer sa demande en ligne, a fait tomber les délais de traitement de quarante-cinq à huit jours dans toutes les juridictions qui disposent de cet outil, en 2022. Des techniciens en informatique ont été recrutés dans les juridictions pour intervenir au plus vite en cas de panne. Le portail Justice.fr délivre des informations, des formulaires, propose des outils utiles aux particuliers et aux professionnels. Je conçois que nous n'ayons pas toujours été les meilleurs élèves en ce domaine, mais nous avons beaucoup progressé.

Vous avez dit que je retirais du contentieux au juge des libertés et de la détention (JLD). Ce n'est pas vrai. J'ai simplement proposé qu'au cas où le (JLD) serait saturé de travail, ce qui est souvent le cas, il puisse, avec son chef de juridiction, envisager de confier une partie de son contentieux à un autre magistrat qui, tout comme le JLD, est garant de la liberté individuelle, ainsi que le prévoit la Constitution. D'ailleurs, dans les petites juridictions, lorsque le JLD s'accorde du repos le week-end, qui traite son contentieux, si ce n'est un autre magistrat, qui n'est pas JLD ? C'est une pratique courante. Permettez-moi d'ouvrir une petite parenthèse. J'ai dit, tout à l'heure, qu'il faudrait déconcentrer davantage. Sachez que toutes les demandes des juridictions, même d'une armoire métallique, remontent chez nous ! Or l'administration centrale a autre chose à faire que de s'occuper d'une armoire métallique ! Et tout le temps passé, à Paris, à traiter la demande, génère de la frustration chez les magistrats de province, qui ne comprennent pas pourquoi on met tant de temps à leur fournir une nouvelle armoire ! Le problème est le même pour la gestion des ressources humaines. Tout remonte à l'administration centrale. Et les fonctionnaires qui y travaillent auront encore plus de travail demain puisqu'ils devront installer 1 500 magistrats, 1 500 greffiers, sans parler des contractuels qui seront cédéisés. Ce n'est pas rien ! En faisant confiance aux acteurs du terrain pour traiter ces dossiers, on décharge l'administration centrale.

Concernant le quota, je suis d'accord. Ce n'est pas parce qu'il manque des places en prison qu'on n'incarcère pas. C'est souvent ce qu'affirment les députés du Rassemblement national, mais c'est faux. Imaginez qu'il y ait moins de détenus dans le ressort d'un tribunal : les magistrats se montreraient-ils, par conséquent, plus sévères ? Les critères d'une condamnation ont été fixés depuis des temps immémoriaux et n'ont rien à voir avec la place qu'il pourrait y avoir ou non en prison. En revanche, je crois en la justice restaurative et nous devrions nous inspirer des exemples étrangers.

Madame Moutchou, nous manquons de médecins, ce qui explique qu'il soit recouru à la visio. Concernant les techniques spéciales d'enquête, je rappelle d'abord qu'elles figurent déjà dans notre législation. Par ailleurs, il ne faut pas confondre la géolocalisation et la captation – son et image.

La géolocalisation, c'est l'ancienne balise. Aujourd'hui, tous les voyous savent ce qu'est une balise. Souvent, ils se mettent à genoux pour retirer la balise et l'installer sur une autre voiture. Ils ont même désormais les moyens technologiques de brouiller la balise : ce n'est même plus la peine de se baisser pour l'enlever ! J'ajoute que la géolocalisation est encadrée et se fait sur autorisation d'un juge : ces garanties me paraissent importantes. Enfin, si le policier ou le gendarme se fait prendre en train de placer une balise, il y a quelques risques pour son intégrité physique ; cela me paraît devoir être pris en compte.

Concernant la captation, l'officier de police judiciaire doit aller placer une caméra dans l'appartement – là aussi, s'il se fait prendre, il court des risques. Les garanties qui entourent la captation de sons et d'images sont importantes. Tout d'abord, cette technique est employée dans des affaires de terrorisme et de grand banditisme. Dans certaines surveillances administratives, elle est utilisée sans aucune autorisation judiciaire. Si un suspect rencontre un journaliste, un avocat ou un médecin, il est interdit de retranscrire leur conversation, tout comme cela n'est pas possible lors d'une écoute téléphonique classique. Nous prendrons d'ailleurs un certain nombre de précautions supplémentaires s'agissant des journalistes, qui sont très soucieux de la protection du secret des sources. Je pense que ce système est efficace et équilibré.

Monsieur Iordanoff, l'indépendance du parquet relève du domaine constitutionnel : il n'est donc pas question d'évoquer ce sujet dans le cadre d'une loi de programmation ou d'une loi organique. Pour ma part, j'ai la certitude que le parquet de notre pays est indépendant. Il ne m'est pas possible de donner quelque directive individuelle que ce soit, et j'ai toujours respecté cette règle. Je peux prendre des circulaires de politique générale, que j'adresse aux procureurs généraux – voilà tout. Cela fait bientôt trois ans que je suis ministre de la justice, et je n'ai jamais décroché mon téléphone pour demander quoi que ce soit à un procureur – d'ailleurs, je vous garantis que, s'il m'en prenait l'envie, je ne serais plus ministre dans les dix minutes qui suivent. En refusant d'y croire, vous ne rendez pas hommage aux magistrats du parquet que vous souhaitez pourtant défendre : c'est paradoxal. Vous n'en trouverez pas un seul à qui j'ai passé un coup de fil. En revanche, vous trouverez des procureurs généraux qui ont lu les circulaires que je leur ai adressées. Voilà la réalité.

Les syndicats s'expriment comme ils l'entendent. J'ai néanmoins posé quelques questions au CSM et j'attends sa réponse avec intérêt, car c'est pour moi une boussole extrêmement importante.

Vous m'interrogez sur la justice environnementale et sur les suites qui ont été données au rapport du groupe de travail présidé par le procureur général François Molins. C'est un sujet sur lequel je me suis penché dès mon arrivée à la chancellerie. Le premier texte que j'ai défendu à l'Assemblée nationale est devenu la loi du 24 décembre 2020, qui portait sur la justice environnementale et créait les pôles régionaux de l'environnement au sein de chaque cour d'appel. Les pôles fonctionnent, comme je l'ai vérifié en me déplaçant à Bayonne, il y a quelques semaines. Ils permettent à des magistrats spécialisés de pleinement appréhender les spécificités et, surtout, la technicité du droit de l'environnement.

La LOPJ vise à doter la France d'une justice plus rapide, plus moderne, plus efficace. Le ministère de la justice doit être pleinement partie prenante du combat pour la protection de l'environnement. À cette fin, plusieurs infractions ont été créées ; des postes de magistrats spécialisés ont été ouverts dans les juridictions accueillant les pôles régionaux de l'environnement (PRE), et les 1 500 recrutements de magistrats prévus dans le cadre de la loi de programmation permettront de les renforcer. Nous avons aussi progressivement doté les pôles en juristes assistants et en assistants spécialisés en matière environnementale. Dix nouveaux postes d'assistants spécialisés seront ainsi créés en 2023, en accord avec le ministère de la transition écologique. Un décret et une instruction interministérielle seront bientôt publiés concernant le fonctionnement des Colden – comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale. Enfin, j'attache une attention toute particulière à l'animation du réseau des référents environnement dans les juridictions ainsi qu'à la formation, l'ENM développant une série de formations spécialisées en matière d'environnement.

Madame Faucillon, j'entends parfois que plus on construit de prisons, plus on les remplit. À supposer que vous ayez raison, voulez-vous me dire comment je peux faire pour améliorer tout à la fois les conditions de détention et les conditions de travail du personnel pénitentiaire ?

Les États généraux de la justice ont proposé un seuil de criticité. Certains prétendent que c'est l'alpha et l'oméga pour permettre une décélération de la surpopulation carcérale : c'est faux. Le seuil de criticité est, en réalité, une réunion de tous les acteurs au niveau régional ou interrégional, dans une cour d'appel. Lorsque le nombre de détenus est extrêmement important, au point que certains dorment sur des matelas par terre, on réunit le premier président, le procureur général, le représentant de l'administration pénitentiaire et quelques autres… puis on décide d'incarcérer ailleurs – on n'a donc pas réglé le problème ! C'est cela, le seuil de criticité.

La solution réside pour partie dans la justice restaurative, dans une meilleure utilisation du travail d'intérêt général (TIG), dont nous venons de fêter les quarante ans. J'ai augmenté le nombre de postes de TIG mais figurez-vous que c'est de moins en moins utilisé ! Cela pose un vrai problème. Si vous lisez attentivement le texte, vous verrez que nous incitons à l'utiliser davantage, tout comme l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse). Ces outils sont mal utilisés et dans toutes les circulaires de politique pénale, j'ai demandé que l'on requière davantage la peine de TIG, qui a du sens et qui fonctionne.

Le TIG n'est pas suffisamment plaidé, alors que les avocats ont à leur disposition une plateforme qui est un petit bijou. J'ai connu l'époque où l'on plaidait le TIG sans savoir s'il y en avait un de disponible – et il en allait de même pour le juge qui prononçait cette peine. Désormais, la plateforme permet de connaître cette information ; de plus, il est possible à un condamné ayant déjà un emploi d'accomplir sa peine le week-end, pour éviter sa désocialisation. La plateforme prend en considération les questions de mobilité, afin qu'une personne sans moyen de locomotion et sans accès aux transports en commun ne soit condamnée à effectuer un TIG à vingt-cinq kilomètres de chez elle. Pourtant, en dépit de cet outil, on a du mal à prononcer davantage de TIG. Mais, comme je suis un garde des sceaux respectueux de l'indépendance de la justice, je ne peux qu'inciter, démontrer et présenter un travail transpartisan pour faire entendre ce que nous souhaitons sur cette question.

Pour le reste, la construction de places reste un des leviers pour régler le problème de la surpopulation. De même, la libération sous contrainte, que j'ai fait voter, a permis un certain nombre de libérations sous le contrôle d'un juge. Cela évite les sorties sèches, dont on sait qu'elles sont génératrices de récidives et donc de détenus.

Monsieur Bernalicis, le budget de la justice aura augmenté de 60 % sur les deux quinquennats, contre 43 % pour celui de l'intérieur : ce que vous avez dit n'est donc pas tout à fait exact. C'est du reste bien normal car on ne comprendrait pas que l'on donne les moyens aux uns sans donner les moyens aux autres. Nous reviendrons sur les autres sujets qui vous préoccupent, comme la régulation carcérale, mais je voudrais que vous soyez assuré de ma volonté d'aller de l'avant sur ces questions, en dépit des difficultés qui se posent à nous.

Je trouve insupportable que l'on puisse exploiter le pseudo-laxisme de la justice. Vous transformez le ministère de la justice en ministère du fait divers : ne vous étonnez pas ensuite des conséquences que cela aura. En répétant que la justice est laxiste, on trompe les gens. En matière correctionnelle et en matière criminelle, les peines n'ont cessé d'augmenter et la surpopulation carcérale est une des preuves que la justice n'est pas laxiste. Cela mérite d'être dit parce que l'on s'autorise en permanence des commentaires sur des décisions qui ont été rendues, notamment par la souveraineté populaire, et je dois vous dire que cela me chagrine toujours un peu.

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Nous en venons aux questions des autres députés.

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Les projets de loi que vous nous présentez sont le reflet du projet ambitieux qui est le vôtre pour notre justice, avec des moyens inédits, qui nous permettront de nous doter d'une justice plus moderne et plus efficace, s'adaptant aux enjeux du temps, notamment en matière numérique. Elle sera également plus ouverte sur la cité, participant à apaiser les rapports humains dans notre société.

À l'issue des États généraux de la justice, ce texte propose d'institutionnaliser l'équipe juridictionnelle autour du magistrat, afin que ce dernier puisse se concentrer sur son cœur de métier, avec la création de la fonction d'attaché de justice. Une question se pose toutefois sur la doctrine d'emploi de cette nouvelle équipe juridictionnelle : quelle doit être la juste répartition des missions de chacun, sans pour autant diluer les missions de certains corps essentiels comme celui des greffiers ?

Par ailleurs, la justice civile a vocation à développer la médiation au travers d'une réforme des modes alternatifs de règlement des litiges. Quels détails pouvez-vous nous donner sur ce changement de culture juridique, notamment en matière de formation des personnels de justice ?

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Le travail d'intérêt général a été créé en 1983 dans un contexte de surpopulation carcérale, afin de permettre aux juridictions de disposer d'une alternative à l'emprisonnement de courte durée. Quarante ans plus tard, nous continuons à prendre le problème à l'envers. Réduire la surpopulation carcérale n'est pas un but en soi : l'objectif est de procurer à la justice un outil pénitentiaire à la hauteur des nécessités de l'époque et donc de créer enfin, massivement, les places de prison dont notre pays a impérativement besoin. C'est en effet au nombre de places de prison de s'adapter au nombre de décisions d'incarcération, et non l'inverse.

Par ailleurs, eu égard à l'explosion de la délinquance, à l'extrême violence qui gangrène des pans entiers de notre société, le TIG, en tant que sanction pénale, me paraît plus que jamais totalement inadapté. Les difficultés de sa mise en œuvre n'échappent à personne. Il est en effet très difficile de trouver une structure d'accueil qui accepte de s'occuper au quotidien de ces populations en raison du temps qu'il faut leur consacrer, des personnels qu'il faut mobiliser mais également de la réticence parfois de ces personnels à cohabiter sur leur lieu de travail avec des délinquants dont certains peuvent avoir un comportement inapproprié. C'est sans doute la raison pour laquelle vous voulez étendre ce dispositif au monde social et solidaire, peut-être moins regardant sur certains aspects des choses.

Les variations dans le temps de la durée du TIG soulèvent également des questions. La durée minimale de cette peine a été divisée par deux, passant de quarante à vingt heures, peut-être pour rendre attractive une mesure qui ne séduit pas et alors que les peines de TIG sont désormais accessibles à des délinquants au profil beaucoup plus inquiétant.

Pouvez-vous nous communiquer les statistiques récentes sur les TIG, faisant état du nombre et du pourcentage de TIG exécutés en totalité ?

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La France est la honte de l'Europe en ce qui concerne les conditions d'incarcération. Condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, elle est montrée du doigt par le Conseil de l'Europe qui nous supplie, en décembre dernier, d'adopter « une stratégie globale et cohérente pour réduire, sur le long terme, la surpopulation carcérale ». Dans les prisons françaises, 2 241 détenus dorment sur un matelas au sol : voilà votre triste bilan. La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté vous implore d'adopter un mécanisme pérenne de régulation carcérale pour résorber ce taux alarmant de suroccupation de cellules, notamment en maison d'arrêt. C'est aussi ce qu'on lit dans le rapport Sauvé à la suite des États généraux de la justice, que vous osez dire vouloir prendre au sérieux. Or que proposez-vous ? La construction de 15 000 places de prison, onéreuses et inutiles.

Décidément, vous n'avez aucune audace, aucun courage. Vous poursuivez la même logique de mesures inefficaces appliquées depuis trente ans. Vous devriez pourtant savoir, même si vous le contestez, que plus on construit, plus on enferme : depuis trente ans, le nombre de places a augmenté de 24 000 alors que le nombre de détenus a progressé de 26 700. Ainsi, plus on construit, plus on enferme.

Les crédits de votre loi de programmation, dont vous vantez la hausse inédite, seront essentiellement captés par l'augmentation du parc immobilier pénitentiaire et seulement 50 millions seront consacrés à la lutte contre la récidive. Vous naviguez à vue, en cédant au populisme pénal du Rassemblement national et des Républicains. Ces nouvelles prisons seront-elles construites pour résorber la surpopulation ou pour enfermer davantage, sans effet sur la récidive ?

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Je voudrais tout d'abord rassurer Mme Taurinya : s'agissant des places de prison, il y a ce que le ministre annonce et ce que le ministre construit réellement. En 2022, seules 2 000 places de prison ont été construites alors que l'objectif était de 15 000 places.

L'article 19 du projet de loi exige un master plutôt qu'une maîtrise pour pouvoir accéder au concours d'avocats. Cette mesure inquiète un certain nombre d'étudiants en droit dans notre pays. Vous exigez une année de plus pour qu'un étudiant puisse passer le barreau, alors que ceux qui, après avoir obtenu le M1, réussissent ce concours particulièrement sélectif sont d'excellents étudiants. Pourquoi vouloir sanctionner les meilleurs élèves de notre pays ? Êtes-vous prêt à revoir votre copie ?

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Je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions sur ce projet de loi qui était attendu tant par les professionnels de justice que par nos concitoyens. En tant que parlementaires, nous étions curieux de voir ce qui allait ressortir des constats et propositions des États généraux de la justice. Je suis particulièrement attentive aux dispositions qui concernent les violences intrafamiliales et je sais que nous partageons le même objectif : endiguer ce fléau pour que le foyer reste le lieu de la sécurité.

Le nombre de mis en cause dans des affaires de violences conjugales est passé de 82 134 en 2017 à 141 695 en 2021, en augmentation de 73 %, soulignant ainsi la place de plus en plus importante de ce contentieux devant les juridictions pénales. Celles-ci ont d'ailleurs fait un immense travail puisque 77 % d'entre elles ont mis en place une filière de l'urgence : 127 des 142 juridictions ont créé un comité de pilotage (Copil) et 119 ont un comité local d'aide aux victimes (Clav) dans leur territoire – autant de signaux qui montrent que notre justice est pleinement mobilisée sur le sujet, une mobilisation que nous devons accompagner.

Le texte que nous examinons apporte plusieurs améliorations, comme la création de pôles spécialisés au sein des tribunaux et cours d'appel. Je note aussi la volonté du ministère de préserver les compétences en matière de lutte contre les violences intrafamiliales avec la proposition d'un CDI aux agents contractuels. Ces deux dispositions sont importantes et marquent un engagement fort pour la lutte contre ce fléau qui brise des familles et des vies. Elle marque une nouvelle étape dans notre action contre ce phénomène.

La mission que j'ai menée à la demande de la Première ministre a rendu cinquante-neuf recommandations, toutes ne relevant pas du domaine de la loi. Je salue la place que vous donnerez aux victimes. Comment la loi de programmation sécurise-t-elle les moyens pour la lutte contre les violences intrafamiliales, notamment en ce qui concerne les nouveaux magistrats ?

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La commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles vient de rendre son rapport, dans lequel elle constate des manquements graves à la sécurité des établissements pénitentiaires, du personnel et des détenus.

Nous avions déjà soulevé ce problème lors de précédentes auditions et déposé des amendements, lors de l'examen de la mission Justice du projet de loi de finances, visant à augmenter les crédits consacrés à la vidéoprotection et à la rémunération des agents – propositions que vous avez écartées d'un revers de la main, par dogmatisme. Plus d'un an après la mort d'Yvan Colonna, j'ai pu constater, dans le cadre de visites de prisons, qu'il existe toujours des secteurs de détention qui ne sont couverts ni par des caméras ni par des surveillants.

Pour ce qui est de la rémunération, alors que vous avez fait un pas en promettant la revalorisation des catégories, vous projetez par ailleurs de recruter des sous-surveillants, moins bien payés, précarisés, avec une formation non adaptée. L'enjeu sécuritaire est balayé.

Voilà donc toutes les leçons que vous tirez du travail parlementaire qui a été mené durant six mois. Un seul article du projet de loi concerne directement l'administration pénitentiaire, alors que les personnels exercent dans des conditions difficiles, subissent la violence quotidienne dans des prisons surpeuplées et occupées à 25 % par des étrangers, sans compter les binationaux : ce n'est pas à la hauteur. Pour attirer davantage de candidats, il aurait fallu commencer par améliorer les conditions et le rythme de travail des agents afin de leur permettre d'avoir une vie de famille digne.

Devrai-je de nouveau, dans quelques mois, mettre sur la table les mêmes problématiques déjà soulevée à maintes et maintes reprises ou allez-vous enfin prendre des mesures concrètes ?

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Je joins ma voix à toutes celles, nombreuses, qui se sont exprimées cet après-midi pour louer le caractère profondément transformant des deux textes qui nous sont soumis. Il importe maintenant que nos concitoyens s'en saisissent et mesurent rapidement les progrès concrets que ces textes leur apportent en permettant de restaurer progressivement le rapport aujourd'hui très dégradé qu'ils entretiennent avec l'institution judiciaire.

Ces progrès ne manquent pas. Je mentionnerai ainsi l'article 5 du projet de loi ordinaire, qui élargit le champ des infractions recevables à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions. Vous avez choisi de rajouter trois types d'infractions : le chantage, l'abus de faiblesse et l'atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données. En outre, vous réservez l'accès à ladite commission aux personnes qui se trouvent, du fait du préjudice qu'elles ont subi, dans une situation matérielle ou psychologique grave.

Comment avez-vous fait le choix de ces trois nouvelles infractions ? Avez-vous hésité avec d'autres types d'infractions, que vous avez décidé de ne pas retenir ? Il serait intéressant de savoir lesquels et pourquoi. Pouvez-vous nous dire de façon plus concrète ce que recouvrent ces familles d'infractions ? Enfin, pouvez-vous nous dire ce que vous considérez être une situation matérielle ou psychologique grave ouvrant droit à ces indemnisations ?

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Nous regrettons le recours à la procédure accélérée parce que nous abordons des sujets fondamentaux. Cela aura forcément une influence négative sur la qualité de nos échanges.

Concentrons-nous sur l'un des aspects de l'article 3 du projet de loi ordinaire, à savoir les techniques spéciales d'enquête, en particulier la géolocalisation et la possibilité d'espionner au moyen d'objets connectés. La protection de la vie privée est un droit fondamental. Or, contrairement à ce qui est écrit, les personnes résidant avec la personne mise en cause ne pourront pas être protégées de cette écoute puisqu'un objet connecté n'a pas la capacité de faire le tri.

Enfin, nous dénonçons l'effet de cliquet dans le recours à toutes ces technologies intrusives. Lorsque nous avions signalé ce problème, lors de l'examen de la Lopmi – loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur –, on nous avait répondu que nous nous trompions. Vous venez de nous apporter la preuve du contraire.

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À la lecture de l'article 7 du projet de loi ordinaire, la question de la contribution pour la justice économique versée par la partie demanderesse soulève des interrogations. D'une part, cette contribution financière nous semble contrevenir au bon accès au droit de tous les justiciables puisqu'elle ne permettra qu'aux personnes ayant les moyens de payer de bénéficier d'un accès au juge. En 2018, le Défenseur des droits encourageait déjà, à l'occasion du projet de loi de programmation 2018-2022, à ne pas entraver l'accès au droit des justiciables. Il serait regrettable qu'une telle situation se répète.

D'autre part, nous nous interrogeons sur l'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office en cas de non-versement de cette contribution. Elle entre en contradiction directe avec le droit au recours juridictionnel auquel peut prétendre tout Français, consacré par la Déclaration universelle des droits de l'homme et par la Convention européenne des droits de l'homme. Ce conditionnement nous paraît également anticonstitutionnel puisqu'il pourrait porter une atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

La contribution financière exigée à la partie demanderesse constitue-t-elle selon vous un obstacle à l'accès aux droits du justiciable ? De quelle manière pensez-vous prémunir cet article contre le risque d'inconstitutionnalité ?

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Lors de votre arrivée au ministère, on avait ressenti chez certains magistrats une forme de scepticisme, pour ne pas dire de réticence – c'est un euphémisme !

Mais depuis le budget de la justice a augmenté 26 % en trois ans, ce qui se traduit par des investissements et des recrutements jamais vus. Vous avez fait adopter vos premiers textes, organisé les États généraux de la justice et vous présentez maintenant le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Mon collègue Didier Paris et moi-même avons pu constater que les points de vue avaient tendance à évoluer sur le terrain.

D'autant que vous proposez de déconcentrer une partie des décisions relatives à l'affectation de moyens, en les confiant aux chefs de juridiction et aux procureurs généraux. Cette évolution était très attendue. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont se traduira cette déconcentration ? Il s'agit de faire davantage confiance aux acteurs de terrain, pour qu'ils puissent utiliser les moyens en fonction des besoins des juridictions.

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L'article 11 du projet de loi organique prévoit, à titre expérimental, l'ouverture d'un concours spécial de recrutement pour les auditeurs de justice, destiné aux étudiants des classes préparatoires « Talents du service public ».

Ces formations sont ouvertes en priorité aux candidats qui souhaitent passer les concours de la fonction publique et qui sont domiciliés et ont suivi une scolarité ou une formation universitaire dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou les collectivités d'outre-mer.

Je vous le dis sans ambages : cette mesure est hautement critiquable. Ce n'est ni plus ni moins que de la discrimination dite positive, qui risque de créer – comme toute discrimination – une rupture d'égalité entre les étudiants qui concourent. La discrimination soi-disant positive, ça n'existe pas et en plus ça ne marche pas.

Mettre en place une double voie d'accès à la magistrature en réservant un quota de 15 % aux candidats issus de la diversité rompt à coup sûr avec la tradition d'accès aux postes de la fonction publique en France.

Il ne faut pas se bercer d'illusions : ce système à double vitesse risque immanquablement de conduire à une baisse de niveau du recrutement du fait de critères trop inégaux. Comment pourrait-il en être autrement ?

Pour toutes ces raisons, mon groupe est fermement opposé à cette initiative.

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Il y a une semaine, les sénateurs ont intégré dans le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire un amendement visant à limiter la liberté syndicale des magistrats. Cet article ajoute en effet une condition à l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et le droit syndical serait de ce fait désormais garanti en ces termes : « Le droit syndical et garanti aux magistrats […] dans le respect du principe d'impartialité qui s'impose aux membres du corps judiciaire. »

On reconnaît dans cet amendement la rengaine habituelle de la droite, qui passe plus de temps devant le parquet national financier (PNF) que sur la tombe du général de Gaulle. Il fut un temps où le leader censé sauver la droite demandait : « Qui imagine […] le général de Gaulle mis en examen ? » Désormais, ils le sont tous ; et pour y échapper ils s'attaquent en bande organisée à Anticor, au Syndicat de la magistrature (SM) et à l'Union syndicale des magistrats (USM).

Cet amendement est purement et simplement liberticide. La liberté syndicale des magistrats est essentielle, comme le rappellent plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamnant des États autoritaires – telles la Pologne, la Hongrie ou la Turquie – et comme le soulignent aussi le Conseil consultatif des juges européens et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

L'obligation de réserve ne saurait servir à réduire les magistrats au silence. Elle n'affaiblit en rien leur obligation d'impartialité, à laquelle ils sont tous profondément attachés car elle garantit l'indépendance, la dignité et la loyauté. Cet amendement vise donc, non pas à conforter le principe constitutionnel d'impartialité dont vous êtes le garant, monsieur le ministre, mais à museler les syndicats et associations de magistrats.

Vous avez indiqué avoir sollicité l'avis du CSM pour pouvoir juger d'un amendement adopté par le Sénat – et dont vous aviez demandé le retrait. Je rappelle que, dans sa décision du 15 septembre 2022, le CSM a estimé que « L'obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence et au conformisme. » Il a aussi rappelé que la liberté syndicale est reconnue aux magistrats et que les prises de position d'une organisation syndicale ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l'impartialité d'un magistrat au seul motif qu'il serait membre de cette organisation.

Monsieur le ministre, ma question est simple : allez-vous revenir à la raison et respecter l'avis du CSM et l'État de droit ? Ou bien tenterez-vous de museler les magistrats en réprimant leur liberté syndicale ?

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Mme Tanzilli m'a posé un certain nombre de questions sur l'articulation entre les attachés de justice et les greffiers. J'y avais déjà pour partie répondu en disant mon attachement aux greffiers et à leur rôle, tout en soulignant l'aide que les attachés de justice vont leur apporter.

Le 13 janvier dernier, j'ai lancé la politique de l'amiable. Elle vise à inciter les justiciables, les avocats et les magistrats à résoudre les litiges autrement. Les projets de décrets relatifs à l'audience de règlement amiable (ARA) et à la césure du procès ont été transmis aux rapporteurs et vous aurez évidemment connaissance de tout cela.

Comme je l'ai déjà expliqué, l'amiable suppose évidemment un changement de culture. Il faut que les avocats et les magistrats s'approprient ces procédures nouvelles pour assurer une justice plus proche et plus rapide, dans l'intérêt du justiciable. Les déplacements dans les pays étrangers qui pratiquent largement l'amiable nous ont montré que cela permettait de traiter plus de contentieux en moins de temps. Les magistrats et avocats allemands, néerlandais et québécois ont indiqué que, chez eux, 80 % des litiges étaient réglés à l'amiable, alors que c'est le cas d'à peine plus de 1 % d'entre eux en France. Nous faisons donc tout pour valoriser l'amiable. J'ai d'ailleurs lancé il y a quelques jours le Conseil national de la médiation, créé à l'occasion de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Une dynamique s'enclenche en matière d'amiable.

M. Le Gendre m'a interrogé sur les critères qui ont présidé à l'élargissement du champ des infractions pour lesquelles la saisine de la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (Civi) est autorisée. Nous avons examiné quelles étaient les atteintes aux biens qui n'étaient pas comprises dans la liste, alors qu'elles relèvent en quelque sorte de la même famille de délits. C'est ce qui nous a conduit à proposer d'ajouter le chantage et l'abus de faiblesse, car ils sont au fond très proches dans leurs effets des infractions déjà prévues que sont le vol, l'escroquerie et l'abus de confiance. Toutes entraînent des préjudices matériels graves et il était nécessaire par cohérence de prévoir cette évolution pour les victimes. Tels sont les principes qui nous ont guidés. Soyez rassuré : nous n'avons pas choisi au doigt mouillé les infractions que nous proposons d'ajouter à cette liste.

Je me demande si vous connaissez le TIG, madame Bordes. Comme vous parlez d'hébergement, nous ne devons pas parler de la même chose.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Il n'y a pas de terme générique. Il n'y a aucune raison que le condamné à un TIG soit hébergé. Vous semblez craindre qu'il contamine la population saine, si j'ose dire. Des condamnés à un TIG travaillent au ministère et cela se passe très bien. On peut considérer qu'un condamné qui purge sa peine a le droit de se réinsérer. Mais c'est sans aucun doute ce qui nous sépare.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Vous pensez qu'un TIG n'est pas une peine adéquate, mais vous oubliez qu'il n'est prononcé que lorsque c'est possible. On ne le fait pas pour un braqueur ou un agresseur. Les TIG sont souvent infligés à des jeunes, qui vont ainsi connaître leur première expérience professionnelle. Cette peine a du sens. Ainsi, un jeune qui aurait tenu des propos antisémites pourrait être condamné pour cela à effectuer un TIG au Mémorial de la Shoah. Comme vous le voyez, c'est éducatif, intéressant et cela a beaucoup de sens. Sans doute préféreriez-vous une peine de prison car votre solution, c'est le tout carcéral.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

J'entends parfois des gens parler de justice alors qu'ils n'ont jamais mis les pieds dans un palais de justice. S'il suffisait de sortir la trique pour régler le problème de la délinquance, nous le saurions depuis des siècles. Pensez-vous qu'il y a moins de délinquance dans les pays où la justice cogne fort ? Voulez-vous que je vous parle du système pénal et carcéral aux États-Unis ? Il n'y a pas de place pour le dogmatisme dans ce débat. Dans les pays qui répriment plus, il y a davantage de délinquance qu'ailleurs.

Vous ne connaissez pas les TIG, pour lesquels il n'est pas prévu d'hébergement.

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Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit. J'ai parlé de structures d'accueil. Je vous ai demandé des statistiques et vous ne me les donnez pas.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Vous faites erreur lorsque vous évoquez une durée de vingt heures. Lisez le code pénal !

J'en viens aux chiffres que vous avez demandés. En 2014, la durée moyenne des peines de TIG était de quatre-vingt-dix heures. Elle a atteint quatre-vingt-dix-neuf heures en 2022.

Je me suis déjà très longuement exprimé sur la surpopulation carcérale, Madame Taurinya. Nous disposons actuellement de 60 000 places pour 73 000 détenus. Je le dis sans aucun cynisme : si vous voulez régler la question de la surpopulation carcérale, il faut libérer 13 000 détenus. Il vous reviendra de le faire si vous accédez un jour au pouvoir, mais pour ma part je ne l'assumerai pas. C'est clair et net. Vous auriez dû mieux écouter ce qu'a dit Mme Untermaier à ce sujet. Mme Faucillon a évoqué pour sa part un mécanisme de quotas pour résoudre le problème. Je n'y suis pas favorable. Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder.

Vous pouvez estimer que je n'ai aucun courage, madame Taurinya – même si ce n'est pas très aimable. Je pense au contraire avoir pris un certain nombre de mesures depuis que j'exerce mes fonctions, comme la libération sous contrainte, le développement du TIG ou le contrat d'emploi pénitentiaire – qui contribue à éviter la récidive en permettant que les détenus sortent de prison avec une formation et un travail. Je m'intéresse évidemment beaucoup à cette question.

La justice est de plus en plus sévère. C'est une réalité. Il faut que nous réfléchissions tous ensemble, car il n'y a pas de solution magique.

Monsieur Boucard m'a demandé pourquoi le projet de loi prévoyait un master 2 pour accéder à la profession d'avocat. Parce que les avocats le veulent. Ils souhaitent que la profession soit mieux formée. Je ne peux pas être sourd à leur revendication. Qu'il me soit permis de préciser qu'on passe un examen pour devenir avocat, et non un concours.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Monsieur Baubry, depuis mon arrivée nous avons revalorisé la profession des personnels pénitentiaires pour un montant de 12 millions. La réforme de leur statut permet une évolution de carrière plus facile et plus rapide, avec une forte hausse des rémunérations en début de carrière – 28 millions. Des revalorisations ponctuelles ont été accordées pour les métiers difficiles – greffe pénitentiaire, formateurs, moniteurs de sport – et une majoration des indemnités de nuit a été prévue, le tout pour 3 millions.

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Je ne vous ai pas parlé de ça. Si vous n'avez que cela à proposer…

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Vous m'interpellez sur ce que nous avons fait en faveur du personnel pénitentiaire. Et vous m'interrompez lorsque je vous donne des chiffres incontestables.

Vous m'avez interrogé au sujet de la surveillance vidéo et je souhaitais vous dire ce que nous mettons en place avec les caméras-piétons. Vous faites référence au travail réalisé dans le cadre d'une commission d'enquête au sujet d'une affaire dans laquelle je ne peux intervenir ni de près, ni de loin – ni même la commenter.

J'entends donc vous répondre en détaillant ce que nous avons fait en pratique pour revaloriser le personnel pénitentiaire. Vous dites en minaudant que nous avons fait un pas, alors que le passage de catégorie C en catégorie B, et de catégorie B en catégorie A, était attendu depuis vingt ans. Vous pourriez au moins dire que cela va dans le bon sens, mais c'est sans doute trop vous demander.

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Vous n'avez donc pas répondu à ma question !

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Puisque vous êtes incapables d'écouter les réponses du ministre, nous n'utiliserons plus cette salle. Nous retournerons dans notre salle de commission, qui n'est pas climatisée et où vous êtes les uns sur les autres.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Mme Chandler m'a interrogé sur les pôles spécialisés pour les violences intrafamiliales.

J'ai déjà dit combien le travail qu'elle a réalisé avec Dominique Vérien est impressionnant. Elles ont entendu des centaines de personnes, se sont rendues à l'étranger et ont analysé largement cette question. Nous envisageons de déposer un projet de loi bien avant le mois de janvier prochain, car il y a urgence.

Beaucoup a été fait pour lutter contre les violences intrafamiliales, et une grande partie de cette action supposait des évolutions législatives indispensables pour lesquelles vous avez été au rendez-vous. Je ne vais pas donner une nouvelle fois les chiffres concernant les bracelets antirapprochement (BAR) et les téléphones grave danger (TGD) ou le nombre de vies qui ont ainsi pu être sauvées – dont évidemment on ne parle jamais. Les ordonnances d'éloignement sont prises dans des délais très courts, et elles le seront en quelques heures en cas d'urgence sur motivation particulière du procureur.

Le budget annuel consacré aux violences intrafamiliales a doublé entre 2020 et 2023, passant de 8 à 16 millions. Les crédits consacrés aux TGD ont augmenté de plus de 50 % et le montant affecté aux BAR atteint 8,6 millions – nous en sommes à 1 000 BAR. Sur ce point très précis, nous faisons mieux que les Espagnols, qui ont été pris comme référence car ils se sont penchés sur le problème des violences intrafamiliales dès 2004 alors que nous avons beaucoup tardé à agir. Mais après le Grenelle des violences conjugales, nous avons énormément œuvré pour protéger les victimes et faciliter les interventions de la police.

Soyez-en convaincus, une place très importante sera accordée aux violences intrafamiliales dans les prochains budgets.

Je me suis déjà expliqué sur l'activation à distance d'un appareil électronique. Cela ne concerne qu'une dizaine d'affaires par an. La captation d'images et du son est déjà autorisée dans le cadre d'enquêtes administratives, notamment en matière de terrorisme, mais il faut aller installer des dispositifs techniques pour cela.

Lors d'une interception classique de communication téléphonique entre un suspect et son avocat, la conversation est écoutée mais elle n'est pas retranscrite. Je rappelle que j'ai souhaité apporter de nouvelles garanties au secret professionnel des avocats à l'occasion de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Je suis très sensible à cette question ; je voulais même que l'écoute soit interrompue automatiquement dans le cas d'une conversation entre un avocat et son client. Mais cela n'était techniquement pas possible.

Le projet de loi prévoit un régime identique s'agissant de l'activation à distance : on entend, mais on ne peut ni retranscrire ni utiliser. À la suite des débats au Sénat, nous allons mettre en place des procédures qui permettent de détruire très vite ce qui a été capté et qui concerne un avocat, un journaliste ou un parlementaire. Je m'en félicite.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a été reçu par mes services il y a deux jours. Une inquiétude se manifeste et ce n'est pas anormal. Nous devons rassurer les uns et les autres et nous adopterons encore un certain nombre de garde-fous. Il faut arrêter avec les fantasmes permanents selon lesquels un mouvement liberticide serait en marche et que rien ne l'arrêtera. Le but n'est pas d'écouter les journalistes ou les avocats, mais les terroristes et le haut du spectre du banditisme. Il faut donner aux enquêteurs des moyens pour être efficaces. Pour le reste, le dispositif est parfaitement encadré.

Je suis certain que nous aurons des débats riches sur ces questions. Il y a matière à s'entendre sur des sujets aussi importants, sans s'en tenir à des postures.

La contribution pour la justice économique prévue par l'article 7 a été validée par le Conseil d'État, madame Lorho. Je n'imagine pas qu'il nous aurait permis de présenter cette disposition en ayant connaissance de son inconstitutionnalité. Ce serait à désespérer de tout.

Monsieur Rebeyrotte, je souhaite que la déconcentration de certaines décisions concerne d'abord la gestion de l'immobilier. Est-il normal que le chef de juridiction soit contraint de saisir l'administration centrale lorsqu'il faut réparer une gouttière ? Je veux aussi que cette déconcentration porte sur l'équipement numérique.

J'en viens au concours spécial de recrutement d'auditeurs de justice. Tout le monde n'a pas la chance de naître dans un château. Il s'agit d'un concours républicain On exige le même diplôme. Le quota prévu est un maximum. Ce concours est nécessaire pour améliorer la diversité et les épreuves sont les mêmes que pour le premier concours.

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Dans ce cas, ce n'est pas la peine d'organiser un deuxième concours…

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Au fond, c'est cela qui nous oppose. J'aime la méritocratie républicaine.

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Je suis issu d'un quartier défavorisé et j'ai passé un concours normal !

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Vous ne pouvez pas tous interrompre systématiquement le ministre. Ce n'est pas possible. Je vous remercie, Monsieur le ministre, l'audition est terminée.

Puis la Commission examine, en application de l'article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique (n° 1330) (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur).

Le tableau ci-dessous récapitule les décisions de la Commission :

Article

Amendement

Auteur

Groupe

Sort

2

65

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

2

38

Mme GARIN Marie-Charlotte

Écologiste - NUPES

Accepté

2

97

Gouvernement

Accepté

2

39

Mme GARIN Marie-Charlotte

Écologiste - NUPES

Accepté

2

90

Mme YADAN Caroline

Renaissance

Accepté

2 bis

66

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

2 bis

67

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

2 bis

25

Mme REGOL Sandra

Écologiste - NUPES

Accepté

3

98

Gouvernement

Accepté

3

93

Mme CHANDLER Émilie

Renaissance

Accepté

3

95

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

3

99

Gouvernement

Accepté

3

94

Mme CHANDLER Émilie

Renaissance

Accepté

3

96

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

ap 3

75

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

ap 3

74

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

ap 3

68

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

3 bis B

50

Mme UNTERMAIER Cécile

Socialistes et apparentés (membre de l'intergroupe NUPES)

Accepté

3 bis

69

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

3 bis

70

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

3 bis

77

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

3 bis

71

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

72

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

78

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

76

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

73

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

100

Gouvernement

Accepté

4

79

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Accepté

4

91

Mme CHANDLER Émilie

Renaissance

Accepté

4

103

Mme DESJONQUÈRES Mathilde

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

4

104

Mme POUSSIER-WINSBACK Marie-Agnès

Horizons et apparentés

Accepté

ap 5

4

Mme RIOTTON Véronique

Renaissance

Accepté

Tous les autres amendements qui n'ont pas été examinés lors de la réunion qui s'est tenue en application de l'article 86 du Règlement ont été repoussés.

Puis la Commission examine, en application de l'article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à garantir la continuité de la représentation des communes au sein des conseils communautaires (n° 1332) (Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, rapporteure).

Tous les amendements qui n'ont pas été examinés lors de la réunion qui s'est tenue en application de l'article 86 du Règlement ont été repoussés.

La séance est levée à 17 heures 50.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Julie Lechanteux, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Thomas Portes, M. Aurélien Pradié, M. Davy Rimane, M. Guillaume Vuilletet

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Pradal, Mme Caroline Yadan