Intervention de Delphine Batho

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure (Ecolo–NUPES) :

Merci chers collègues pour vos interventions. Je vais reprendre un certain nombre de points qui sont extrêmement importants.

Monsieur Fugit a dit qu'il y avait un recul de l'utilisation du glyphosate en agriculture en France. Aucun chiffre public officiel ne permet à l'heure actuelle de l'étayer. Nous avons auditionné, pour la préparation de ce rapport, le directeur de cabinet du Ministre de l'agriculture. Nous lui avons demandé la communication de ces données qui ne sont pas publiques et encore provisoires. Elles ne nous ont pas été transmises. Rien ne permet de confirmer votre affirmation, qui peut être vraie comme fausse. D'autre part, à l'échelle européenne, nous venons d'avoir confirmation, par la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, qu'il n'existe aucune donnée publique depuis 2017 sur l'évolution de la consommation de glyphosate par pays. Cela pose un vrai problème de transparence. Je veux bien entendre qu'il y aurait eu une diminution de l'usage du glyphosate en France, que celle-ci, après avoir fortement augmenté, rejoindrait actuellement les quantités utilisées à la fin des années 2000 en France. Simplement, ces chiffres ne sont pas dans le rapport puisque nous n'en avons pas eu communication officielle.

D'autre part, pour faire suite à bon nombre de remarques de mes collègues, je dois dire que l'INSERM est un organisme scientifique qui fait référence de façon incontestable. L'Assemblée nationale et le Sénat ont produit un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESC) qui analyse la manière dont les agences réglementaires évaluent un certain nombre de substances, en se basant sur les données des industriels, plutôt que celles de la littérature académique, qu'elles considèrent moins pertinentes ou importantes. Les données des industriels ne sont par ailleurs pas rendues publiques. Il s'agissait déjà d'un problème en 2017, alors aggravé par le fait que le rapport de l'EFSA était un copier-coller des documents de Monsanto. En ce qui concerne les impacts sur la santé humaine, c'est l'INSERM qui fait référence. Je ne crois pas que cela puisse être contesté.

Le représentant du Rassemblement National semblait regretter l'interdiction des néonicotinoïdes qui tuent les abeilles. Ce point de vue en dit long sur les conceptions du Rassemblement National relatives aux impacts d'un certain nombre de substances pour la biodiversité et la santé humaine.

Je remercie Madame Oziol pour ses interventions et son soutien à la proposition.

Monsieur Dumont, vous avez évoqué un point extrêmement important, à savoir le fait qu'il ne fallait pas sur-transposer, mais plutôt s'en tenir à la décision de l'Union européenne. La décision qui est en cours à l'échelle européenne ne va pas dans le sens de la logique évoquée par un certain nombre de collègues, de prévoir des restrictions d'usage ou du ciblage. La proposition de la Commission européenne créerait précisément ce que Monsieur Dumont vient de dénoncer. Elle renvoie aux États membres le soin, dans les procédures nationales d'homologation des produits à base de glyphosate, de remédier aux lacunes scientifiques concernant les aspects neurotoxiques et relatifs au microbiote intestinal, ainsi qu'à l'absence de méthode d'évaluation harmonisée des conséquences pour la biodiversité. Autrement dit, la proposition européenne générera la situation que vous mentionnez, c'est-à-dire une distorsion entre les pays européens au détriment de nos agriculteurs, ce qui n'est pas souhaitable.

Je remercie Madame Thillaye d'avoir évoqué le contexte général dans lequel s'inscrit cette question du glyphosate. Je mentionnerai également le Pacte Vert et les discussions en cours sur le règlement sur l'utilisation durable des pesticides (dit règlement SUR). Il n'est à mon sens pas concevable que le glyphosate soit ré-autorisé pour dix ans tandis que l'orientation générale d'autres réglementations en cours de discussion à l'échelle européenne vont dans le sens d'une élimination des substances les plus préoccupantes et d'une réduction drastique des usages de produits phytopharmaceutiques de 50 %.

A été évoqué le fait que l'utilisation du glyphosate serait essentielle à l'agriculture et à la sécurité alimentaire, et que nous nous dirigerions à terme vers une interdiction. Pour l'instant, ce qui est proposé est plutôt une ré-autorisation sans aucun horizon de sortie du glyphosate ou d'interdiction future. En ce qui concerne la sécurité alimentaire, je voulais rappeler à quel point celle-ci dépend de la bonne santé de la biodiversité qui serait mise en danger en cas d'introduction de substances dangereuses.

Merci à Monsieur Alfandari d'avoir rappelé les failles dans les procédures européennes actuelles d'évaluation. Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'agriculture de conservation des sols. 4 % des terres agricoles utiles en France ne sauraient justifier l'autorisation d'une substance pour les 96 % de la surface utile restante.

S'agissant du climat, il est extrêmement important de comprendre que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, l'anthropocène, qui impose de traiter ensemble les enjeux du changement climatique et de la réduction de l'effet de serre, de la santé humaine et de la biodiversité. Il est une aberrant de penser que l'on va mieux lutter contre l'effet de serre en utilisant des produits qui ont des conséquences néfastes pour la santé humaine ou pour la biodiversité.

Merci à Madame Pochon d'avoir rappelé que le Président de la République, après des mouvements divers sur le statut du glyphosate à l'échelle française, avait appelé à une décision européenne de sortie du glyphosate. Merci d'avoir aussi rappelé la puissance des intérêts économiques des firmes de l'agrochimie impliquées dans la décision dont nous débattons.

Madame Karamanli a rappelé la problématique du rapport de l'ANSES de 2016. Je veux aussi souligner qu'en 2015, lorsque le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le glyphosate comme cancérogène probable, sa décision concernait en réalité trois substances : le glyphosate, le diazinon et le malathion. Le diazinon et le malathion ont, dans un délai court, été sortis du marché. Il n'y a que le glyphosate, reconnu comme cancérogène probable par le CIRC, qui reste aujourd'hui autorisé. Il n'y a eu ni débat ni contestation du caractère cancérogène des deux autres substances. Je rappelle que l'article premier du règlement européen concernant les pesticides indique que la règle est celle du principe de précaution. Lorsqu'il y a un débat scientifique sur les effets d'une substance, on doit faire prévaloir la protection de la santé humaine et de la biodiversité.

Madame Le Peih a dit qu'il n'était pas concevable que les agriculteurs et les agricultrices supportent le coût des décisions concernant les substances. C'est un point de vue que je partage. Les agriculteurs n'ont pas pris la décision d'autoriser telle ou telle substance. Ils font avec les produits autorisés par les pouvoirs publics que ce soit en France ou à l'échelle européenne. Ils n'ont donc pas à porter le fardeau de cette responsabilité. C'est la raison pour laquelle ma position n'a jamais été de maintenir l'autorisation de la substance tout en demandant aux agriculteurs sur le terrain d'en arrêter l'usage. Si une substance est dangereuse, elle doit être interdite. Les changements profonds des pratiques agricoles sont possibles puisqu'il y a en France 60 000 exploitations en agriculture biologique, qui travaillent déjà sans glyphosate. Ces changements doivent être soutenus par les aides de la Politique Agricole Commune, mais aussi par d'autres dispositifs.

Monsieur de Fournas a une interprétation inexacte de la décision du Fonds d'Indemnisation des Victimes des Pesticides (FIVP) dont vous trouverez les références exactes dans le rapport. Les experts du FIVP se sont bien basés sur plusieurs études relatives aux effets tératogènes de produits à base de glyphosate pour prendre la décision d'indemnisation. Vous avez ensuite prétendu que la proposition de résolution, comme mes propos, délégitimaient la science. C'est exactement l'inverse. Un rapport très complet de l'OPESC sur ce sujet est extrêmement clair sur ce point.

Merci à Madame Laernoes d'avoir rappelé les alternatives existantes. Je fais effectivement confiance à la connaissance scientifique indépendante, et non aux études financées par les industriels et dont les données ne sont pas publiques.

Je voudrais enfin remercier Madame Le Feur pour ce qu'elle a rappelé sur l'état des connaissances scientifiques, l'enjeu éthique et les alternatives existantes. Cela montre que ce débat peut traverser l'ensemble de nos groupes.

En conclusion, la France en 2017 avait voté contre l'autorisation du glyphosate, et elle doit à nouveau voter contre. La proposition de la Commission européenne est parfaitement inacceptable. On ne peut pas être ni pour ni contre l'autorisation d'un poison. C'est la limite de ce qui a été évoqué par certain et certaines d'entre vous sur les logiques de restrictions d'usage. Si un produit pose un problème, on l'interdit. On ne peut pas juste en réduire un petit peu la quantité utilisée. L'abstention de la France est à mes yeux regrettable. Elle cache une vraie décision, qui est d'être pour le renouvellement de la substance. L'abstention est pour moi le pire vote possible, et la France doit avoir le courage de voter contre.

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