Intervention de Bruno Fuchs

Réunion du mercredi 28 septembre 2022 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Fuchs, rapporteur :

C'est avec plaisir que je participe cette semaine aux travaux de votre commission.

Je tiens à saluer Sylvain Maillard et Thomas Mesnier, qui ont cosigné cette proposition de loi, et à féliciter l'administrateur des services de l'Assemblée nationale qui m'a secondé, pour la précision et la qualité de ses apports.

Ce texte est moins politique que le précédent, et je suppose que nous trouverons assez rapidement un consensus. Il bénéficiera directement à nos concitoyens, qui attendent avec une très grande impatience que nous légiférions sur le harcèlement et sur les arnaques au compte personnel de formation (CPF) dont ils sont victimes. Il n'est pas un d'entre nous ou de nos proches qui n'ait subi ce harcèlement ou qui n'ait été victime de telles pratiques frauduleuses.

Depuis 2017, la majorité présidentielle a fait de l'accès à la formation professionnelle pour le plus grand nombre l'une de ses priorités. Cette ambition s'est traduite, tout au long du quinquennat précédent, par un investissement massif dans les divers dispositifs de formation continue. Au-delà de l'effort financier consenti, cette ambition a également entraîné une profonde transformation de l'écosystème de la formation professionnelle, due en partie à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Amélioration de la gouvernance du système, modernisation de l'apprentissage, progrès dans le domaine de l'orientation : toutes ces évolutions sont le fruit de la réforme votée en 2018.

C'est à cette dernière que l'on doit aussi la rénovation en profondeur du CPF, que nous avons souhaité rendre plus simple d'accès et facile d'usage.

En 2017, l'Inspection générale des affaires sociales relevait que l'outil n'avait pas modifié la donne en matière d'accès à la formation professionnelle et que son appropriation par les actifs demeurait superficielle. Cinq ans plus tard, le constat est très différent. Depuis 2018, le nombre de formations suivies dans le cadre du CPF connaît une croissance tout à fait spectaculaire : en 2019, on en recensait 517 000 ; en 2020, 984 000, soit presque le double ; en 2021, la tendance s'est poursuivie, avec un doublement de la consommation de formation – plus de 2,1 millions ; en 2022, le phénomène semble perdurer, et le nombre de dossiers déposés pourrait s'élever à près de 3 millions en fin d'année, selon les informations communiquées par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui est chargée de la gestion du CPF.

De l'avis général, ce succès trouve son origine dans l'ouverture du parcours d'achat direct, grâce auquel les bénéficiaires mobilisent leurs droits sans intermédiaire pour acheter une formation. Cet élément est important ; il est au cœur de la proposition de loi. Si l'on ne peut que se féliciter du succès croissant du dispositif, il faut néanmoins veiller à ce que les leviers de développement soient également améliorés – je pense notamment aux possibilités de coabondement, qui ne sont pas suffisamment utilisées, ou encore à la professionnalisation des formations, enjeu sur lequel plusieurs des syndicats auditionnés nous ont alertés. Il faut aussi améliorer le niveau de nombreuses formations et la fiabilité de certaines certifications.

La montée en puissance du CPF s'est accompagnée d'une hausse massive des fraudes et des tentatives de fraude, ainsi que d'un harcèlement insupportable et inacceptable dont nous sommes très nombreux à avoir fait l'expérience. La proposition de loi a pour objet de remédier à ce problème.

Appels téléphoniques, SMS, courriels ou démarchage sur les réseaux sociaux : le phénomène a pris une ampleur considérable depuis plusieurs mois, à tel point qu'il est vécu par nombre de nos concitoyens comme un véritable harcèlement. Pour preuve, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze entre le premier semestre de l'année 2021 et le premier semestre de cette année. Entre 2020 et 2021, le nombre de déclarations de soupçon liées à une fraude potentielle au CPF a été multiplié par onze et celui des dossiers transmis à la justice par TRACFIN sur ce thème par trois. TRACFIN évalue la fraude à 43,2 millions d'euros en 2021, contre 7,8 millions en 2020. Cela témoigne de l'ampleur du phénomène auquel nous sommes confrontés.

Face à la multiplication des pratiques illégales et abusives, les pouvoirs publics ont réagi avec rapidité et fermeté.

Les services de l'État traitent tous les signalements de fraude en liaison avec la Caisse des dépôts, afin d'identifier les différents types d'usurpation ou d'arnaque. Des plaintes sont systématiquement déposées, des signalements sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) effectués et des poursuites judiciaires engagées dès lors que cela apparaît nécessaire. La semaine dernière, pour la première fois, un organisme de formation a été très lourdement condamné par la justice : 3 millions d'euros d'amende, cinq ans d'interdiction d'exercer le métier de formateur et dix ans d'interdiction de gestion de société.

Par ailleurs, le panel des décisions susceptibles d'être prises par la CDC pour sanctionner les manquements des organismes de formation ou ceux des titulaires d'un CPF à leurs engagements respectifs a été enrichi. La CDC possède désormais la faculté de prononcer un avertissement à l'encontre des premiers, de refuser le paiement des prestations et même de suspendre temporairement, avec effet immédiat et jusqu'au terme de la procédure contradictoire, le référencement sur le service dématérialisé en cas de manquement de nature à porter une atteinte grave aux intérêts publics.

Une nouvelle pierre à l'édifice de la prévention des fraudes a été posée en janvier avec l'introduction de l'obligation faite aux organismes de formation présents sur le portail d'obtenir la certification Qualiopi. Ce label de qualité permet de faire la distinction entre les formations de qualité et les autres.

La collaboration entre les acteurs mobilisés dans le combat contre les pratiques illégales ou abusives s'intensifie. Ainsi, la CDC s'est rapprochée de la mission interministérielle de coordination antifraude. Elle échange avec TRACFIN des renseignements opérationnels relatifs à des organismes compromis et collabore de plus en plus étroitement avec l'administration fiscale. La CDC et France compétences partagent régulièrement des informations utiles à l'exercice de leurs missions respectives.

Enfin, un comité de pilotage ministériel chargé de lutter contre le démarchage abusif et la fraude au CPF a été installé au début de l'année, sur l'initiative des ministres chargés du travail et des comptes publics.

Un nombre important de dispositifs a donc été mis en place, mais ils ne sont pas suffisants au regard de l'ampleur de la fraude et des abus. La proposition de loi vise à couvrir un nouveau champ d'interdiction. Elle s'inspire fortement d'un texte déposé au mois de février par Catherine Fabre – dont je salue le travail – et plusieurs de ses collègues. Malheureusement, ce texte n'avait pas trouvé de place dans le calendrier parlementaire avant la fin de la précédente législature, et n'avait donc n'a pas été débattu.

La proposition de loi compte deux articles.

L'article 1er interdit toute prospection commerciale visant les personnes titulaires d'un CPF par téléphone, par SMS, par courrier électronique ou à travers les réseaux sociaux, dès lors qu'elle a pour objet soit de collecter leurs données à caractère personnel – par exemple le montant des droits inscrits sur le compte –, soit de conclure des contrats portant sur des actions de formation éligibles au CPF, à l'exception des sollicitations qui interviendraient dans le cadre des prestations en cours. Il reviendra aux agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de rechercher et de constater les infractions ou manquements à cette interdiction inscrite dans le code du travail, ainsi que de les sanctionner dans les conditions prévues par le code de la consommation. J'ai déposé un amendement destiné à clarifier et à simplifier la rédaction du texte. Il importe en effet de la rendre incontestable.

Je veux être parfaitement clair quant au sens et à la portée juridique de l'article 1er, car celui-ci suscite de nombreuses interrogations de la part de la profession. Il n'est question ni d'entraver la liberté d'entreprendre ni d'empêcher les nombreux organismes présents sur le marché de communiquer et d'assurer la promotion des formations qu'ils commercialisent. La volonté du législateur est d'interdire le démarchage s'adressant directement aux titulaires de CPF. À cet égard, il convient de rappeler l'objectif du CPF – en l'occurrence, donner à son titulaire la capacité de choisir une formation en se rendant sur la plateforme dédiée, puis de s'adresser à l'organisme. C'est précisément cette logique qui a fait le succès du CPF et a permis d'accroître très fortement le nombre de formations ; il importe de ne pas l'inverser. Il faut rester fidèle à l'intention qui était celle du législateur en 2018. Le CPF est un outil destiné à ceux qui le détiennent, pas aux organismes de formation.

L'article 2 vise à sécuriser sur le plan juridique l'échange d'informations entre les autorités qui interviennent à un titre ou à un autre dans le domaine de la lutte contre la fraude au CPF. En effet, il apparaît que cette collaboration, même si elle se révèle fructueuse, est limitée par l'absence de base juridique autorisant le partage de données susceptibles de revêtir un caractère sensible, notamment celles qui sont couvertes par le secret professionnel.

Il s'agit de permettre à la CDC, à France compétences, aux services de l'État chargés de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et à ceux chargés du contrôle de la formation professionnelle d'échanger, spontanément ou sur demande, tous documents et informations détenus et recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement.

D'autre part, l'article 2 reconnaît à TRACFIN le droit de transmettre des informations à la CDC et à l'Agence de services et de paiement.

Ce texte est simple, pragmatique et ferme. Il propose des solutions concrètes pour répondre à une ambition consensuelle, à savoir protéger nos concitoyens contre un phénomène récent et d'une très grande ampleur. Il peut évidemment être encore précisé et amélioré. C'est la raison pour laquelle je donnerai un avis favorable à plusieurs des amendements qui ont été déposés.

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