Intervention de Henri Alfandari

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Alfandari, rapporteur :

Le 22 janvier 2024, avec mes collègues du groupe Horizons, nous avons déposé une proposition de loi organique visant à renforcer l'ancrage territorial des parlementaires. Ce texte est le fruit de nombreux échanges. Je veux remercier ici toutes les personnes auditionnées : élus, universitaires, mais aussi notre ancien collègue Christophe Borgel, rapporteur de la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, ou encore le président du groupe Union centriste du Sénat, Hervé Marseille, qui avait fait adopter au Sénat un texte allant dans le même sens en 2021.

Certains regretteront que cette proposition de loi organique ne s'attache qu'à une petite partie du déséquilibre de l'exercice démocratique dans le cadre de nos institutions. Mais ce sujet est trop vaste pour être traité dans son ensemble à l'occasion d'une niche parlementaire. Néanmoins, le débat ouvert par cette proposition doit nous permettre de nous exprimer sur des sujets connexes tels que le statut de l'élu, les libertés locales, le cumul horizontal, le nombre de conseillers municipaux, et tant d'autres liés au cumul, ou plutôt à l'exercice simultané.

La loi du 14 février 2014 a limité drastiquement les possibilités de cumul de mandats pour les parlementaires. L'objectif était louable puisqu'il s'agissait de répondre aux critiques faites aux parlementaires, accusés d'accumuler les mandats sans pouvoir s'y consacrer pleinement. Selon le rapporteur Borgel, l'idée défendue à l'époque était que les missions du Parlement étaient suffisamment éminentes et accaparantes pour que les membres du Parlement s'y consacrent pleinement. Certains disent que cela a participé au renouvellement et à la féminisation de la vie politique : c'est peut-être vrai mais aucune analyse statistique ne l'étaye ; de plus, ce n'était pas le but principal.

Un constat s'impose dès à présent : la loi de 2014 n'a pas restauré le lien de confiance entre les citoyens et les parlementaires. Les Français ne cessent d'exprimer leur sentiment d'éloignement avec les parlementaires, accusés d'être déconnectés et hors-sol. Selon le baromètre de la confiance politique publié en février 2023 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), la confiance des citoyens dans les députés a diminué de cinq points par rapport à 2014 – elle est près de deux fois inférieure à celle des maires !

Si la loi de 2014 a manqué son effet, c'est peut-être en raison de son caractère excessif. En voulant aller trop vite et trop fort, on a interdit drastiquement, sans aucune distinction, le cumul d'un mandat de parlementaire avec toute fonction exécutive locale. Dans le même temps, le cumul des fonctions locales – maire, président d'EPCI (établissement public de coopération intercommunale), d'office HLM, de syndicat mixte – est resté presque illimité.

En luttant légitimement contre des situations de cumul parfois exagérées, nous avons abouti à l'excès inverse, en coupant en quelque sorte les racines locales des parlementaires, au risque de renforcer le stéréotype du député hors-sol – stéréotype ô combien injuste car je connais l'engagement de chacun d'entre vous dans vos territoires ! Mais en l'absence de rôle déterminé dans leur circonscription, les parlementaires peinent parfois à s'impliquer dans la vie locale et à être identifiés, en particulier lorsqu'ils n'ont pas eu d'expérience d'élu local au préalable.

Parce qu'ils apparaissent plus accessibles, plus proches de leurs électeurs, les élus locaux demeurent à ce jour de solides repères pour nos concitoyens. Ils sont parfois perçus comme le dernier maillon qui les rattache à une République qui leur paraît désincarnée – « à portée de baffes », dirait Gérard Larcher. Pourquoi ne pas nous remettre nous aussi à cette portée ? En créant une séparation étanche entre le mandat de parlementaire et les fonctions exécutives locales, nous nous sommes privés d'un levier puissant pour réduire la fracture profonde qui semble se creuser entre le corps électoral et le Parlement.

S'il a beaucoup été critiqué ces dernières décennies, le cumul entre un mandat local et un mandat national n'a jamais été une anomalie ; il s'agissait même d'une constante dans la tradition politique française depuis la Monarchie de Juillet et durant toute l'histoire de la République. Le cumul a toujours été un moyen de contrebalancer le jacobinisme français en conférant aux élus nationaux une assise territoriale solide.

C'est également un moyen de renforcer la légitimité et l'indépendance du parlementaire face à l'exécutif. Cet héritage historique est une spécificité de la culture politique française qui doit être retissée.

L'objet de la présente proposition de loi organique n'est pas de reproduire certaines erreurs passées. Comme les rédacteurs de la loi de 2014 l'avaient justement compris, à vouloir être partout en même temps, on finit par n'être nulle part. Il ne s'agit donc pas de revenir sur l'interdiction de cumul entre un mandat de parlementaire et un mandat de maire ou un mandat de président de l'exécutif d'une collectivité locale.

En revanche, la présente proposition de loi organique permet de cumuler un mandat national de parlementaire avec une fonction exécutive locale d'adjoint au maire ou de vice-président d'un organe délibérant. L'idée n'est pas de prétendre qu'il serait indispensable d'avoir un parcours d'élu local avant de devenir parlementaire. Il est vrai que la loi de 2014 a participé à faire émerger de nouveaux profils en politique, qui ont considérablement enrichi les hémicycles par leurs expériences variées au sein de la société civile. Elle a aussi joué un rôle dans la féminisation sans précédent de la classe politique en 2017. Cependant, de nombreux collègues ont à l'inverse renoncé à leur mandat parlementaire car cela les forçait à rompre brutalement le lien qui les unissait aux citoyens de leur territoire. C'est une perte pour notre assemblée.

La présente proposition de loi organique a pour objet de mettre fin à une séparation trop rigide entre les élus locaux et les élus nationaux. Il s'agit de permettre à tous les députés qui le souhaitent de s'engager localement et de nouer un lien nouveau à l'échelon territorial afin de rétablir ce maillon manquant et essentiel entre les acteurs locaux et le Parlement.

La rédaction proposée permettrait à des députés n'ayant jamais eu l'occasion d'exercer des fonctions exécutives locales de voir au plus près du terrain la mise en œuvre de leurs choix de législateur. Le cumul peut enrichir le travail du parlementaire en lui donnant une connaissance plus fine des enjeux de la décentralisation. Combien d'entre nous savent ce que recouvrent concrètement les acronymes Sraddet – schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires –, PLU – plan local d'urbanisme –, Scot – schéma de cohérence territoriale –, DOO – document d'orientation et d'objectifs –, PCAET – plan climat-air-énergie territorial ? Pour cela, le fait d'être membre d'un conseil municipal ou départemental n'est pas toujours suffisant. Ce n'est que lorsque le parlementaire est confronté aux limites de la loi dans son application concrète auprès de ses administrés qu'il peut pleinement se rendre compte des difficultés de sa mise en œuvre.

À ceux qui seraient tentés de répondre que cette proposition de loi organique ne sert pas l'intérêt général, qu'elle n'est qu'un subterfuge destiné à permettre un enrichissement personnel de quelques parlementaires, j'aimerais rappeler que, depuis 1992, un parlementaire cumulant plusieurs mandats ne peut percevoir une rémunération totale que dans la limite d'une fois et demie le montant de son indemnité parlementaire, soit 8 524 euros. L'élu qui cumule coûtera donc moins cher à l'État que deux élus rémunérés chacun par la totalité de l'indemnité. Ce faux problème a été résolu depuis bien longtemps et ne doit pas nous détourner du débat de fond car il n'y a aucun enrichissement. Les indemnités sont plafonnées pour tous les élus de France, qu'ils soient parlementaires ou élus locaux.

Si le renouvellement de la classe politique en 2017 était opportun, il n'en est pas moins essentiel que les élus de la nation demeurent des personnalités incarnées et identifiées. Au fond, ce texte est porté par la conviction que l'expérience de terrain des élus, cette volonté de se retrousser les manches et de mettre les mains dans le cambouis avec humilité et détermination, correspond exactement aux attentes de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, je vous demande non pas d'abroger la loi de 2014 mais simplement de l'améliorer et de la rénover afin de trouver un plus juste équilibre entre la lutte contre les excès des cumuls de mandats et la possibilité d'un meilleur ancrage territorial de chacun de nous.

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