Intervention de Sacha Houlié

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 14h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, président, rapporteur :

Je remercie Mme Le Grip d'avoir parlé de son rapport sur les ingérences étrangères et des travaux de contrôle de la DPR. Ce sont autant d'études qui permettent d'objectiver les menaces, et sur lesquels nous nous sommes appuyés pour préparer cette proposition de loi.

Madame Martin, notre méthode de travail peut certes être discutée, mais il ne faut pas dire des choses inexactes : ce texte n'est pas soumis à la procédure accélérée, j'ai simplement dit que je l'aurais souhaité. Quant à l'avis du Conseil d'État, nous ne l'avons en effet pas sollicité, mais cela aurait retardé nos travaux, et la littérature parlementaire sur le sujet est déjà très abondante. Soit on considère que le Parlement est suffisamment instruit, grâce notamment aux rapports de la commission d'enquête et de la DPR, pour présenter une proposition de loi, soit on considère qu'il est ignorant sur le sujet et il faut en tirer les conclusions qui s'imposent.

L'article 3 semble poser problème. Je voudrais expliquer pourquoi le dispositif de collecte des données de connexion n'a pas été très fructueux pour la lutte antiterroriste et pourquoi il fonctionnerait en revanche pour les finalités 1 et 2, énumérées par l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

Je rappelle que pour créer un algorithme de collecte des données de connexion, le Premier ministre doit en faire la demande auprès de la CNCTR, en désignant un objectif ciblé. Pour que le Premier ministre puisse autoriser la mise en œuvre de l'algorithme, la CNCTR doit donner un avis favorable. Si elle rend un avis défavorable, l'algorithme ne peut être autorisé, et un recours devant le Conseil d'État est possible. Une fois l'algorithme développé, il est mis en œuvre, non par le service demandeur, mais par le groupement interministériel de contrôle (GIC), qui fait l'interface entre l'information collectée et le service. Tout cela est donc très contrôlé.

Ce dispositif n'a pas fonctionné exactement comme nous l'attendions en matière antiterroriste. D'abord, parce que les menaces projetées ont très largement décliné, pour devenir minoritaires parmi les menaces terroristes. Ensuite, parce que les menaces endogènes sont le fait de personnes chaque fois plus jeunes, qui se radicalisent seules ou par les réseaux sociaux. Dans ces conditions, il est très difficile d'analyser un comportement d'ensemble ou un comportement reproductible d'un individu à l'autre. L'extension de la surveillance algorithmique aux URL de connexion autorisée par la loi du 30 juillet 2021 n'a pas été mise en œuvre, ainsi que nous en a informés la CNCTR lors de son audition.

Les ingérences étrangères, en revanche, font l'objet 'de protocoles organisés. C'est ce que présument, en se fondant sur leur observation, à la fois la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), chef de file en matière de contre-espionnage, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), chargée de l'espionnage offensif à l'égard de puissances étrangères, la CNCTR et le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Selon ces services, l'utilisation d'algorithmes pour la surveillance des données de connexion pour prévenir l'ingérence étrangère, donc pour les finalités 1 et 2, serait pertinente.

Pour répondre à monsieur Latombe, l'utilisation de ces algorithmes est contrôlée, non par la Cnil, mais par la CNCTR, où siègent également des parlementaires, désignés par la présidence de l'Assemblée et celle du Sénat.

La rédaction de l'article 3 est restrictive : le dispositif ne concerne que la lutte contre les ingérences étrangères, ce qui réduit d'autant la portée des algorithmes. Je m'étais posé la question de savoir s'il fallait l'étendre à la prévention des cyberattaques portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Je renvoie ce débat à la séance publique, après que nous ayons mené une audition complémentaire.

M. Boucard a évoqué les moyens de la HATVP. Si de nouvelles missions lui sont confiées, il est évident qu'elle recevra des moyens complémentaires. Elle a déjà bénéficié de 4 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires cette année, et ses effectifs doivent être amenés à augmenter dans un nouveau projet de loi de finances.

Monsieur Latombe, vous avez rappelé à juste titre les efforts réalisés par la loi de programmation militaire pour les services de renseignement, à hauteur de 5 milliards. Il s'agit notamment d'investissements touchant à l'humain – grilles de rémunération et recrutements –, et de projets immobiliers conséquents pour la DGSI et pour la DGSE notamment. Je ne reviens pas sur l'insuffisance des outils et la naïveté française, soulignées par le rapport de la DPR. Je vous ai répondu aussi sur la Cnil. Je partage votre attention et votre sensibilité aux libertés publiques, mais je rappelle que ce que nous cherchons est très calibré. Nous ne cherchons pas à créer un filet dérivant dans lequel tout le monde pourrait tomber. Nous ne disposons pas des moyens de la National Security Agency (NSA) pour collecter des données en quantité industrielle, que nous ne pourrions de toute façon pas traiter et qui contribueraient à surcharger les capacités d'analyse des services français plutôt qu'à un meilleur renseignement. Nous ne sommes pas les Américains, et nous opérons avec les armes qui sont les nôtres.

Madame Pic, vous avez émis des réserves, mais je rappelle que les finalités du dispositif sont restreintes. L'évolution de la menace ne semble pas assez rapide pour justifier la tenue d'un débat annuel au Parlement. Vous souhaitez restreindre l'expérimentation. Nous proposons d'aligner sa durée sur celle du régime des interceptions satellitaires, soit quatre ans.

Sur la question du rapport détaillant les retours de l'expérimentation et les précisions à apporter quant à l'usage des algorithmes dans la lutte antiterroriste, j'émettrai un avis de sagesse sur votre amendement CL11 ; peut-être faudra-t-il parfaire sa rédaction d'ici la séance.

Monsieur Pradal, je vous remercie pour votre soutien inconditionnel au texte et pour la concision et la clarté redoutable de vos propos.

Je vous remercie également, monsieur Iordanoff, pour l'intérêt que vous portez au texte et pour votre assiduité aux auditions. Vous suggérez d'apporter des précisions à l'article 1er sur les journalistes, puisque les sociétés de presse sont visées par les exemptions, et sur les partis politiques, puisque le texte considère les « organisations politiques étrangères » comme mandant étranger. Peut-être aurons-nous l'occasion de préciser en séance qu'il s'agit des partis rattachés à un État du fait d'une participation à un gouvernement ou à une majorité.

Madame Faucillon, j'espère avoir apporté des réponses à vos réserves sur l'article 3, même si je doute de vous avoir totalement convaincue. Vous avez évoqué, en reprenant à votre compte les demandes de l'organisation Transparency International, la question des registres. Nous proposons de suivre un modèle qui a fait ses preuves, celui du Fara américain créé en 1938, qui a d'ailleurs été repris quasiment à l'identique par le Royaume-Uni. Il prévoit la tenue de deux registres distincts des représentants d'intérêts : le registre domestique, qui concerne tous les représentants, à l'exception de ceux travaillant pour certains types de clients, qui doivent s'inscrire sur un registre renforcé sous peine de sanctions renforcées. Ce dernier registre concerne l'influence étrangère. J'appelle votre attention à cet égard sur les différences entre l'influence et l'ingérence : l'article 1er du texte 'traite de l'influence, alors que les autres articles correspondent à l'ingérence proprement dite.

Monsieur Tanguy, je vous souhaite la bienvenue à la commission des lois. Je pensais que vous étiez venu pour faire votre mea culpa : vous vous êtes illustré, lors de votre présidence de la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, en jetant l'opprobre sur plusieurs personnalités politiques. J'ai lu avec attention le rapport de cette commission. Il fait état, dans les pages 164 et suivantes, du Rassemblement national comme courroie de transmission de la Russie en France. Je comprends que cela puisse vous agacer, mais je n'ai pas visé le Rassemblement national lors de la discussion générale : j'ai visé les ingérences étrangères. Si vous vous êtes senti concerné, c'est peut-être le signe que ce texte touche du doigt des réalités de la vie politique française.

Je regrette que vous continuiez à affirmer faussement que nous poursuivions un désarmement des services de renseignement – je viens de rappeler qu'ils bénéficient de 5 milliards d'euros dans la loi de programmation militaire – et des armées, alors que notre industrie d'armement tourne aujourd'hui à plein régime.

Vous auriez pu vous féliciter de cette proposition de loi et faire œuvre utile pour votre pays en la soutenant, mais vous préférez verser dans la polémique. Je m'arrêterai là, car mon but est que mon pays puisse se doter des armes nécessaires pour faire face aux ingérences, aux influences et aux attaques qu'il subit.

Madame Ménard, l'article 3 ne retient aucun critère de nationalité, mais l'article 1er le prend indirectement en compte. En augmentant la peine à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour non-déclaration au registre des représentants d'intérêts étrangers, il permet au juge de prononcer des peines complémentaires d'interdiction du territoire français, en application de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ou à l'autorité administrative de prononcer une mesure administrative d'expulsion du territoire. Ces dispositions ne concernent pas les binationaux : je m'y opposerais par principe et cela serait anticonstitutionnel.

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