Intervention de Jean-Pierre Lacroix

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux opérations de paix des Nations unies :

La question des perceptions de la population est assez difficile à appréhender en profondeur. Au Mali, lorsque nous allions là où la Minusma a été déployée, je n'ai jamais entendu de représentants de la population nous dire qu'ils ne voulaient plus de nous. Cela ne signifie pas que les critiques ou les frustrations n'existent pas. Le régime a pris une orientation différente concernant les accords de paix et n'a pas cherché à décourager les manifestations contre les missions.

Je ne dis pas pour autant que tout était parfait et que tout le monde considérait que l'action des Nations unies était formidable. Dans le sud du pays, qui n'est déjà plus le Sahel, le sentiment que l'accord avec les populations du nord avait été imposé par la communauté internationale a toujours existé. Cependant, je souhaite approfondir la question des perceptions, que nous mesurons à travers des perception surveys, notamment au Sud-Soudan. Nous souhaitons répliquer cette pratique ailleurs.

Ensuite, j'ai le sentiment que, dans une certaine mesure, une distinction était opérée localement entre la Minusma et Barkhane, qui était sans doute moins en contact avec la population. Mais il est toujours difficile de se mettre à la place de cette population, frappée à la fois par la violence et la pauvreté. De leur côté, certains collègues humanitaires indiquaient qu'ils étaient identifiés aux soldats de la Minusma. De ce point de vue, il faut veiller à préserver un espace tout en assurant la protection de l'action humanitaire, qui constitue aussi une partie de notre mandat.

Finalement, j'ai le sentiment que le véritable sujet concernait la persistance des violences terroristes et les défis rencontrés par l'État dans certaines zones : l'État malien ne s'était pas complètement rétabli là où nous étions présents. À ce sujet, nos efforts de renforcement des capacités de l'État comportent des actions, assez soutenues et répandues dans l'ensemble de nos missions en Afrique, de soutien aux tribunaux et magistrats locaux, notamment à travers des formations. En revanche, je ne crois pas que nous irons jusqu'à rendre la justice, pour deux raisons. D'abord, des organes des Nations unies disposent déjà d'une compétence judiciaire, comme la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale. Ensuite, se substituer aux autorités locales dans un domaine aussi fondamental de souveraineté va à l'encontre de nos objectifs, qui cherchent à soutenir la montée en puissance de ces mêmes autorités. Par ailleurs, nous coopérons aussi avec la Cour pénale internationale dans les pays qui sont parties au statut de Rome. Nous l'avons fait, par exemple, en République centrafricaine, dans le cadre de la mise en œuvre de mandats d'arrêt.

S'agissant de la coordination entre les différentes forces au sein de la Minusma, il m'est difficile de parler de ce qui a été réalisé avec les moyens de renseignement de tel ou contingent. S'il est important de disposer d'une diversité géographique dans les forces, celle-ci a engendré parfois au Mali des problèmes de coordination, en raison du décalage de moyens entre les contingents de pays développés et ceux de contingents moins bien dotés, mais qui disposent par ailleurs d'une meilleure connaissance du terrain. Par exemple, un défi consistait à faire en sorte que des ordres émis par un état-major travaillant essentiellement en anglais soient transmis à l'autre bout du pays à un contingent non anglophone et dont les modalités de fonctionnement et d'organisation sont complètement différentes.

Enfin, l'expertise est bien là. D'une part, sur le terrain, nous disposons de nombreuses personnes recrutées localement, soit environ deux tiers des personnels, sans lesquelles nous ne pourrions pas travailler, compte tenu de leur connaissance du terrain. De plus, nous travaillons non seulement avec les autorités, mais aussi avec la société civile, les organisations de jeunes ou de femmes.

Enfin, au siège des Nations unies, nous collaborons avec des collègues qui non seulement connaissent vraiment très bien les régions, mais qui bénéficient également de réseaux très étendus. En réalité, je pense que l'enjeu porte plus sur l'évolution de nos pratiques et de nos mandats par rapport à l'évolution de la situation sur le terrain.

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