Intervention de Elsa Faucillon

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElsa Faucillon :

Je note tout de même que ceux qui s'étouffent devant cette proposition de loi sont généralement ceux qu'on n'entend pas quand des terres sont artificialisées pour créer des parcs de loisirs promettant des moments d'émotion. De la même manière, ils réagissent peu quand des chasseurs ne se contentent pas de pénétrer sur des terrains privés mais donnent dans la violation claire, régulière et parfois brutale de domicile.

En France, 75 % des forêts sont des propriétés privées. Si tous les propriétaires terriens prenaient exemple sur ce qu'a fait M. de Quinsonas-Oudinot en Chartreuse, l'accès à la nature s'en trouverait fort restreint sur le territoire français.

Nous avons un défi à relever – l'affaire du siècle, pour certains : créer ou développer une proximité des peuples avec la nature, un nouveau rapport au vivant. À cet égard, et même si elle se limite à revenir sur une loi qui a remis en cause un équilibre, la présente proposition de loi constitue une sorte de premier pas vers un véritable droit à la nature, à l'image de législations étrangères. Dans une tribune parue dans Le Monde, dont vous êtes à l'initiative, madame la rapporteure, des personnalités diverses citaient en exemple les pays scandinaves où, selon la chercheuse Camille Girault, « traverser une prairie, cueillir des champignons et des baies dans une forêt, bivouaquer dans un pré, randonner sur n'importe quel sentier et canoter sur le moindre lac sont considérés comme des aménités et des services environnementaux accessibles à tous en vertu de ce droit coutumier qui conçoit la nature comme un bien public. » C'est donc aussi un bien à préserver. Voilà vers quoi nous devons tendre, car cela correspond à un enjeu écologique primordial, mais aussi à un enjeu civilisationnel, d'humanité.

Le droit de propriété est toujours mis en avant par les opposants au droit d'accès à la nature. Lors de l'examen de la proposition de loi anti-squat de l'actuel ministre de logement, les mêmes nous avaient offert un dangereux glissement, passant d'une logique de protection du domicile et de la vie privée à une logique de protection de la propriété, ce qui n'est pas du tout pareil : la propriété est alors élevée au rang de valeur suprême.

La nature nous est commune. Nous n'en sommes pas propriétaires, mais, par le biais de cette communauté, nous pourrions considérer que nous sommes propriétaires de l'accès plein et entier à la nature. Dès lors, les éventuelles restrictions ne peuvent concerner son accès mais sa préservation, tout cela allant dans le sens d'une plus grande proximité des peuples avec la nature.

Dans un pays attaché aux libertés publiques, à la liberté d'aller et venir, où les espaces naturels sont légitimement regardés comme un patrimoine commun, nous ne pouvons pas accepter ce raidissement libéral et l'absolutisation du droit de propriété. Nous serions plus avisés de nous inspirer de nombreux pays qui consacrent le droit de tout un chacun à accéder à la nature. Ce droit ne peut certes s'exercer sans limite et doit respecter aussi bien la vie privée que l'environnement, mais il reflète et honore un besoin essentiel.

Nous voterons évidemment pour ce texte.

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