Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 5 octobre 2022 à 17h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Je vous remercie de l'organisation de cette audition sur les priorités de mon ministère en matière de politique énergétique et sur son budget pour l'année 2023.

Nous vivons une crise énergétique sans précédent, probablement plus marquée que celle que certains d'entre nous ont connue dans les années 1970. Les experts sont formels : nous n'avons plus que trois ans pour inverser la tendance en matière d'émissions de gaz à effet de serre dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce délai de trois ans vaut pour l'ensemble de la planète, sachant que la France diminue déjà ses émissions de gaz à effet de serre.

Cela nous impose de revoir en profondeur notre mode de consommation et de production d'énergie en prenant en considération une double temporalité : l'urgence de l'hiver prochain et de l'hiver suivant, et la nécessité d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Mais ne nous trompons pas : l'atteinte de la neutralité carbone suppose des décisions au moins aussi urgentes que le passage de l'hiver 2022-2023. Plus largement, au-delà de son impact climatique, notre politique énergétique emporte des enjeux de souveraineté économique et politique – la guerre en Ukraine se charge de nous le rappeler chaque matin –, des enjeux de pouvoir d'achat pour les Français, tout comme des enjeux de compétitivité pour les entreprises.

Dans ce contexte, la feuille de route que m'ont confiée le Président de la République et la Première ministre est très claire : il s'agit de devenir la première grande nation industrielle à se passer des énergies fossiles et à atteindre la neutralité carbone.

Or notre consommation d'énergie est, pour les deux tiers, d'origine fossile et importée. Je veux dissiper un mythe : à aucun moment de notre histoire nous n'avons été autonomes énergétiquement. Notre programme électronucléaire a permis de réduire une partie de notre dépendance, mais celle-ci reste majeure, en particulier pour les transports et la chaleur.

Ma feuille de route repose sur plusieurs leviers, qui ne sont guère originaux puisque ce sont ceux des experts des questions énergétiques et de la lutte contre le réchauffement climatique, qui s'intéressent aussi à la question de la souveraineté. Il s'agit d'une part de la sobriété et de l'efficacité énergétiques, d'autre part de la production massive d'énergies bas-carbone, renouvelables ou nucléaire. Nous suivons en cela les recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), du Haut Conseil pour le climat (HCC) et nous appuyons sur les travaux de simulation de Réseau de transport d'électricité (RTE).

J'insisterai particulièrement sur le levier de la sobriété énergétique, l'objectif étant de réduire notre consommation d'énergie de 10 % d'ici à deux ans. C'est la première marche d'une réduction de 40 % de notre consommation d'énergie, nécessaire, selon les experts, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le plan de sobriété énergétique est un plan volontaire, de long terme, qui part du terrain, et qui a vocation à être irréversible. Il mobilise au premier chef les grandes entreprises, les grandes collectivités locales et, évidemment, l'État, car l'effort doit venir pour commencer de ceux qui ont le plus de moyens et de ceux qui ont davantage d'impact. Nous avons lancé la démarche en juin dernier, et le plan sera présenté demain par la Première ministre.

L'État aura, à l'évidence, un devoir d'exemplarité : chaque ministère déclinera sa feuille de route de réduction de consommation de carburant, de gaz et d'électricité. En outre, chaque secteur présentera des engagements concrets visant à réduire sa consommation. Les entreprises, mais également les associations et les fédérations, s'engageront à mettre en œuvre des mesures opérationnelles. Les collectivités locales seront partie prenante de ce plan. Elles le sont déjà, puisque nombre d'entre elles ont déjà relevé le défi du plan de sobriété ; les bonnes pratiques sont partagées pour faciliter le travail de celles qui disposent de moins de moyens techniques et financiers pour avancer. Nous déploierons un appui financier, sous forme notamment de certificats d'économies d'énergie (CEE), afin de faciliter la mise en œuvre de certaines mesures de sobriété.

S'agissant du grand public, nous recevons des demandes récurrentes pour connaître les mesures les plus efficaces en matière d'économies d'énergie. Nous lancerons donc une campagne d'information destinée aux Français pour mettre en valeur ces mesures. Je veux ici remercier les énergéticiens avec lesquels nous avons coordonné cette communication grand public autour des gestes qui permettent à ceux qui le peuvent – j'insiste sur ce point – de réaliser des économies d'énergie.

Je tiens à faire une mise au point eu égard à ce que j'ai pu entendre ici et là : il n'est pas question de demander aux 12 millions de Français en situation de précarité énergétique, ni à tous ceux qui sont en situation de sobriété choisie, d'accomplir des efforts supplémentaires. C'est une question de justice sociale. Nous souhaitons, au contraire, les accompagner pour sortir de cette précarité, notamment grâce à la politique que nous déployons en matière de rénovation thermique.

Dès cet été, j'ai demandé aux énergéticiens de s'engager en faveur des Français en leur proposant des modes de facturation de l'énergie qui valorisent leur effort de sobriété et leur permettent de réaliser des économies, en contrepartie de la réduction de leur consommation – économies évidemment plus importantes que celles qui résulteraient du jeu classique de la facturation. Ces nouvelles offres sont désormais disponibles ; j'appelle chacun à s'en saisir.

Parallèlement, nous continuerons à agir pour l'efficacité énergétique. Qu'il s'agisse du verdissement des transports, de la rénovation thermique ou de la décarbonation de l'industrie, nous avons donné un vigoureux coup d'accélérateur au cours du quinquennat précédent – j'y reviendrai lorsque j'évoquerai le budget pour 2023.

J'en viens aux autres leviers. Sortir des énergies fossiles suppose de développer massivement la production d'énergies bas-carbone en France. C'est ce que nous faisons, tant en matière d'énergies renouvelables que d'énergie nucléaire, car notre combat n'est pas celui du nucléaire contre les renouvelables ; ce sont deux sources d'énergie bas-carbone. Notre combat n'est pas non plus celui de la biodiversité contre le climat, tant la biodiversité est dépendante de la situation climatique, et inversement. Notre combat est de remplacer les énergies fossiles par des énergies décarbonées. Sortons des oppositions dogmatiques qui ont dangereusement paralysé ce débat !

La production massive d'énergies décarbonées est déterminante pour notre souveraineté et pour notre indépendance énergétique. Elle est notre levier pour sortir de notre dépendance mortifère aux énergies fossiles importées. Nous devons être en mesure de produire 60 % d'électricité de plus qu'aujourd'hui pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Il nous faudra développer, à marche forcée, de la chaleur renouvelable. Vous m'avez suivie : on baisse la consommation d'énergie de 40 % et, néanmoins, on doit augmenter la production d'électricité de 60 % et consentir un effort massif sur les énergies renouvelables. Autant vous dire que ce n'est pas tout à fait simple !

Le rapport de RTE indique que nous pouvons y parvenir en nous appuyant sur un mix décarboné et équilibré reposant à la fois sur l'énergie nucléaire et sur le développement massif des énergies renouvelables. C'est le choix écologique le plus pertinent, le choix économique le plus opportun et le choix financier le moins coûteux.

Nous n'avons pas de temps à perdre. Je lancerai, dans les prochains jours, les travaux sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), conformément au calendrier que les parlementaires de la précédente législature ont souhaité. Compte tenu des enjeux, nous n'avons pas le luxe d'attendre, car nous savons que nous avons besoin et de renouvelables et de nucléaire. Par « renouvelables », j'entends toutes les filières d'énergies renouvelables : la géothermie, le biogaz, l'hydraulique, le photovoltaïque thermique – cela ne se limite pas à l'éolien et au photovoltaïque, comme je l'entends parfois.

Ces objectifs seront ajustés et votés en 2023 dans le cadre de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), à l'issue d'une concertation que nous ouvrirons dans le courant du mois d'octobre – donc dans les tout prochains jours.

C'est dans ce contexte que j'ai fait le choix de lancer dès maintenant un grand plan de développement des énergies renouvelables. Et c'est sans regret ! Nous fixerons des objectifs chiffrés, mais nous savons d'ores et déjà que nous avons besoin d'accélérer les procédures puisque nous mettons, en moyenne, deux fois plus de temps que nos voisins européens pour faire du renouvelable. Cela tient à de multiples raisons, et nous les attaquons une à une : sur le plan réglementaire d'abord, j'ai pris une série de décrets dès cet été ; sur le plan organisationnel ensuite, j'ai adressé aux préfets une circulaire relative aux procédures d'autorisation, sachant que nous renforcerons, dès 2023 – cela figurera dans le projet de loi de finances –, les effectifs qui instruisent les dossiers. Ces mesures ont déjà permis de débloquer 10 gigawatts d'énergie solaire et éolienne et 1 térawatt de gaz renouvelable.

Le volet législatif de ce plan est le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dont la première mouture vous a été transmise cet été et qui a été présenté dans une version légèrement différente en Conseil des ministres. Il vise à lever les verrous administratifs et de procédure sans renier quoi que ce soit de nos exigences environnementales.

Nous agirons sur quatre leviers. Le premier est l'accélération des procédures, par exemple en prévoyant un raccordement au réseau dès qu'un projet se décide, autrement dit sans attendre qu'il soit terminé pour entamer les démarches. Cela permet de gagner une à plusieurs années de procédure.

Le deuxième levier consiste à libérer le foncier, en mobilisant en priorité les terrains déjà artificialisés ou dégradés, et ne présentant pas de difficulté du point de vue patrimonial ou environnemental, tels les parkings, les friches ou les bordures d'autoroutes. Ces mesures permettront de libérer des espaces qui sont actuellement interdits, inaccessibles ou insuffisamment mobilisés, et de doubler notre puissance solaire actuelle. Contrairement à ce que j'ai pu lire, le fait d'autoriser le recours à ces terrains ne signifie pas que l'on ne procédera pas aux évaluations environnementales. Celles-ci seront effectuées, mais on ne s'interdit pas d'implanter des énergies renouvelables sur ces terrains. Il y aura donc des mesures de préservation pour les projets de biodiversité.

Troisième levier : il convient de mieux organiser la concertation, en permettant, notamment pour les projets d'éoliennes marines, un débat mutualisé sur chaque façade maritime, afin de décider, avec les territoires et leurs habitants, du partage de l'espace maritime pour chaque projet. L'enjeu est d'anticiper et de mener la concertation en amont des porteurs de projets. Cette demande émane des territoires.

Enfin, quatrième levier : mieux partager la valeur en permettant aux territoires de bénéficier de la valeur créée par les projets d'énergies renouvelables qu'ils accueillent. Concrètement, les habitants et leurs communes profiteront directement des installations, grâce à une réduction de leur facture d'électricité. Rappelons à cet égard que les énergies renouvelables sont compétitives. Elles apporteront plus de 20 milliards d'euros au budget de 2023 et financeront une partie du bouclier énergétique.

J'entends mener ce programme en prenant en considération deux impératifs essentiels : la préservation de la biodiversité et l'association des territoires. Accélérer ne veut pas dire abaisser les standards de protection de notre environnement, ni faire fi des territoires. Nous voulons poser les fondations d'un pacte territorial énergétique.

Pour cela, je compte sur vous. Nombre d'entre vous parlent de souveraineté énergétique et économique ; d'autres insistent sur la nécessité d'agir face au réchauffement climatique et de développer les énergies renouvelables. C'est l'occasion pour chacun de prendre ses responsabilités. Je tiens à remercier votre commission d'avoir lancé une mission transpartisane sur le déploiement des énergies renouvelables ; elle sera l'occasion d'aller plus loin encore et de formuler des propositions concrètes pour accélérer ce déploiement.

Par ailleurs, nous devons relancer notre filière nucléaire. Le Président de la République a annoncé son souhait de lancer un programme de six réacteurs pressurisés européens (EPR). Un milliard d'euros du plan France 2030 sont consacrés à cette filière en vue d'améliorer la recherche et développement ainsi que l'innovation. Nous souhaitons que tous les réacteurs qui peuvent être prolongés en sécurité le soient. Ces enjeux, je l'ai dit, seront traités dans la prochaine PPE, sur laquelle le débat public démarrera dans les prochains jours.

Afin de ne pas perdre de temps, parallèlement au projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, je présenterai prochainement un projet de loi équivalent portant sur les procédures relatives aux installations nucléaires – et non pas sur le nombre de réacteurs, point qui fera l'objet de la PPE. Vous l'avez compris, nous agissons en parallèle et non de manière séquentielle ; l'urgence énergétique l'exige.

Pour la mise en œuvre de cette politique énergétique, mon ministère disposera en 2023 d'un budget de 19 milliards d'euros, montant historique, pour financer trois priorités : continuer d'accompagner concrètement les Français dans la rénovation de leur logement et dans l'achat de véhicules propres ; accélérer la décarbonation de nos activités ; protéger nos concitoyens face à l'envolée des coûts de l'énergie.

Nous mobiliserons 2,5 milliards pour financer le dispositif MaPrimeRénov' – soit 40 % de plus que dans la trajectoire 2017-2019. Le budget de mon ministère financera à hauteur de 1,3 milliard le bonus écologique et la prime à la conversion. Nous poursuivrons également, pour les professionnels, l'appel à projets en faveur de l'électrification des poids lourds mis en place dans le plan de relance. La décarbonation sera poursuivie grâce au fonds « Chaleur » géré par l'Agence de la transition écologique (Ademe), maintenu à 520 millions d'euros en 2023, et au fonds « Décarbonation de l'industrie », qui mobilise plus de 5 milliards dans le cadre du plan France 2030. Enfin, dans le contexte de la crise énergétique, nous consacrerons 12 milliards à la prolongation du bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité. Mon ministère financera également le chèque énergie exceptionnel, qui bénéficiera à 40 % des ménages français. Cela répond à la volonté d'avoir des mesures plus ciblées que vous avez exprimées.

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